Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/519/2025 du 04.07.2025 sur OMP/10086/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18051/2024 ACPR/519/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 4 juillet 2025 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocat,
recourante,
contre l'ordonnance d'interdiction de postuler rendue le 25 avril 2025 par le Ministère public,
et
C______, représentée par Me D______, avocat,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 8 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 avril 2025, notifiée le 28 suivant, par laquelle le Ministère public a fait interdiction à son conseil, Me B______, de la représenter dans la présente procédure.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et à son audition ainsi qu'à celle de deux témoins; principalement, à l'annulation de la décision querellée et à ce que Me B______ soit autorisé à postuler à la défense de ses intérêts dans la présente procédure; et subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision.
b. Par ordonnance du 9 mai 2025, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté l'effet suspensif sollicité (OCPR/15/2025).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 6 février 1996, A______ et Me E______ ont été institués exécuteurs testamentaires par testament public de F______.
b. F______ est décédée, à Genève, le ______ juillet 2002. Elle a laissé pour seuls héritiers ses quatre enfants, G______ [décédé en 2018], H______, I______ et C______ (ci-après, les héritiers).
c. Le 12 juillet 2002, Me B______ est intervenu au soutien de la famille [de] F______ [du vivant encore de F______], dans le cadre d'un litige opposant la dernière nommée, aux côtés de ses enfants, à la commune de J______ [GE] (action en dommages-intérêts et en réparation morale – C/1______/2002). Ensuite du décès de F______, en cours de procédure, les exécuteurs testamentaires lui ont été substitués pour la suite de la procédure.
d. En octobre 2002, Me B______ a représenté les héritiers ainsi que les exécuteurs testamentaires dans le cadre d'un litige portant sur la donation par la famille [de] F______ d'une collection d'œuvres d'art et de meubles à la Commune de K______ [GE] (C/2______/2002 et C/3______/2002, avant jonction de cette dernière cause à la première).
e. En 2022, C______ a sollicité d'être renseignée, par les exécuteurs testamentaires, quant à la situation et destination de plusieurs actifs de la succession, dont des œuvres d'art et des bien-fonds sis à J______. Les exécuteurs testamentaires s'y étaient refusés, considérant que les héritiers avaient déjà été renseignés à ce propos, en particulier, lors de la signature, le 16 septembre 2011, d'un acte de partage partiel.
f.a. Dans ce contexte, C______ a, le 1er mars 2023, saisi la Justice de paix d'une plainte tendant à l'obtention d'une reddition de comptes quant aux actifs de la succession, en particulier de 104 œuvres d'art dépendant de la succession de sa mère.
f.b. Par décision du 29 août 2023, cette autorité a rappelé les exécuteurs testamentaires à leur devoir de renseigner les héritiers et leur a imparti un délai pour remettre à ceux-ci les documents énumérés.
f.c. Cette décision a fait l'objet d'un appel [notamment formé par A______] actuellement pendant par-devant la Chambre civile de la Cour de justice sous la cause C/4______/2002. Les parties à cette procédure sont, d'une part, les exécuteurs testamentaires, soit A______ et Me E______, et d'autre part, C______. Les autres héritiers y participent en tant qu'intervenants.
g. A______ et Me E______ ont, dans le cadre de la cause C/4______/2002 précitée, tous deux été assistés par Me B______.
h. Le 2 août 2024, C______, représentée par sa fille, L______, a déposé plainte contre notamment A______ pour gestion déloyale (art. 158 CP), voire abus de confiance (art. 138 CP), et escroquerie (art. 146 CP). Cette plainte a donné lieu à l'ouverture par le Ministère public de la présente procédure pénale.
C______ reproche, en substance, à A______, d'avoir profité de sa qualité d'exécutrice testamentaire de F______ pour se procurer un enrichissement illégitime de plusieurs millions de francs suisses au préjudice de la succession dont elle était chargée de liquider les actifs.
i. Le 31 mars 2025, le Ministère public a délivré un mandat d'amener contre A______, chargeant notamment la police de l'auditionner en qualité de prévenue (défense obligatoire).
j. A______ a été entendue le 8 avril 2025. À cette occasion, elle a désigné Me B______ à la défense de ses intérêts, lequel l'a assistée lors de son audition. Elle a contesté les faits reprochés.
k. Me E______ a également été auditionné [en qualité de personne appelée à donner des renseignements], le même jour. Il n'a pas souhaité être assisté d'un conseil lors de son audition.
l.a. Par pli du 9 avril 2025, le Ministère public a invité Me B______ et sa cliente à se déterminer sur l'apparent conflit d'intérêts résultant de la constitution dans la présente procédure du premier à la défense de la seconde.
l.b. Me B______ a contesté l'existence d'un tel conflit, compte tenu de l'ancienneté du mandat en faveur de la famille [de] F______, lequel ne s'inscrivait, en outre, pas dans le contexte de la liquidation de la succession de feue F______. Il avait, par ailleurs, informé la Chambre civile de la Cour de justice, par lettre du 9 avril 2025, de la fin de son mandat à la défense des intérêts de Me E______ dans le cadre de la cause C/4______/2002.
l.c. A______ n'a, quant à elle, pas formulé d'observations.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que Me B______ s'était constitué à la défense des intérêts de A______ dans la présente procédure, alors qu'il avait par le passé représenté simultanément les intérêts de la famille [de] F______ – y compris C______ –, et ceux de l'exécutrice testamentaire, A______, dans différentes causes civiles, ce qui le plaçait devant un conflit d'intérêts concret prohibé par l'art. 12 let. c LLCA.
D. a. À l'appui de son recours, A______ expose qu'un conflit d'intérêts concret et objectif – tel que retenu par l'autorité intimée – n'existait pas pour les motifs suivants: le long délai [18 ans] écoulé depuis la fin du mandat exercé en faveur de la famille [de] F______, l'absence de connexité entre les mandats [soit celui confié à Me B______, en 2002, par la famille [de] F______ et celui confié au conseil susnommé par la recourante dans le cadre de la présente procédure pénale], la portée limitée du mandat initial [qui portait sur un litige exclusivement contractuel, à savoir la révocation du don de la collection d'œuvres d'art consenti par les époux M______ et F______ à la Commune de K______, clos en 2007], l'absence de contacts entre Me B______ et les héritiers de F______ ainsi que les exécuteurs testamentaires, dont elle-même, depuis la clôture de cette procédure en 2007, la destruction du dossier y relatif [intervenue en 2017, à l'échéance du délai – de 10 ans – de conservation des dossiers incombant à l'avocat], l'absence de double représentation mais aussi l'absence de divergence entre ses intérêts et ceux de Me E______ qui défendait la même position que la sienne dans le cadre de la procédure civile pendante [Me B______ ayant au demeurant résilié le mandat qui lui avait été confié par Me E______ dans le cadre de ladite procédure, afin d'éviter "toute spéculation" sur ce point].
Elle produit divers documents dont la décision de la Justice de paix du 29 août 2023 visée supra sous B.f.b.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, à la forme, à l'irrecevabilité des conclusions tendant au prononcé d'actes d'instruction (art. 397 CPP), et au fond, au rejet du recours.
L'exposé des faits tel qu'établi par la recourante, en lien avec la cause C/4______/2002 (allégué 13 du recours), n'était pas conforme à la réalité [cf. décision de la Justice de paix du 29 août 2023, pp 100'221ss].
De plus, plusieurs des actifs successoraux (collection d'œuvres d'art/terrains) avaient, à l'époque, fait l'objet de procédures civiles dans lesquelles Me B______ était intervenu au soutien tant des intérêts des exécuteurs testamentaires que des héritiers de feue F______. Ces actifs successoraux étaient désormais visés par les suspicions de détournements dénoncées par l'un des héritiers [C______] au Ministère public, étant relevé que la liquidation de la succession de feue F______ n'était, "à ce jour", pas terminée.
La question de la destination des actifs précités et, de manière générale, de l'ensemble des actifs de la succession de feue F______ et leur partage entre les quatre héritiers, semblait également se poser dans le cadre de la succession de G______ [décédé en 2018 et héritier de feue F______], dont A______ avait également été désignée exécutrice testamentaire.
La mention par la recourante d'"avis et intérêts divergents" des cinq héritiers de feu G______ dans le cadre du partage, d'une "plainte" déposée le 1er juillet 2019 dans ce contexte par N______, fils et héritier de G______, dans le cadre de laquelle Me B______ assisterait également la recourante intervenant en qualité d'exécutrice testamentaire de ce dernier (allégués 28 et 29 du recours), confirmait le caractère concret et marqué du conflit d'intérêts existant. L'extension de l'instruction de la procédure contre A______, en lien avec la succession de G______, serait d'ailleurs prochainement examinée, divers actes de procédure étant déjà diligentés à ce propos [lesquels ne pouvaient être dévoilés aux parties à ce stade (art. 101 CPP)].
Enfin, la recourante avait sollicité la mise sous scellés de l'ensemble des éléments informatiques et documentaires issus de la perquisition de son domicile privé, aux fins de préserver le secret professionnel de son avocat, de sorte que l'absence de la persistance d'une relation de confiance entre Me B______ et ses anciens clients [héritiers de feu F______, A______ et Me E______] alléguée par la recourante devait être examinée avec circonspection.
c. C______ considère tout d'abord que le recours apparaissait irrecevable. La décision querellée étant, en l'état, exécutoire – le recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP étant dénué de tout effet suspensif automatique (art. 387 CPP) –, Me B______ [sous le coup d'une décision d'interdiction de postuler] n'était pas en mesure de représenter valablement A______ lorsqu'il avait signé le recours. Le recours n'avait, par ailleurs, pas été signé personnellement par la prévenue.
À titre subsidiaire, elle conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés, au rejet du recours comme infondé et fait sien les arguments développés par le Ministère public dans l'ordonnance entreprise. Pour le surplus, elle relève l'omniprésence de Me B______, dans des positions incompatibles les unes avec les autres. Par ailleurs, le "refus obstiné" des exécuteurs testamentaires de rendre compte de leur activité aux membres de la succession, lequel fait l'objet de la cause civile qui les oppose aux héritiers et dans le cadre de laquelle Me B______ est constitué à leur côté, était, en partie du moins, à l'origine de la présente procédure pénale. La double représentation était prohibée. Me B______ en était d'ailleurs conscient puisqu'il avait cessé d'occuper pour Me E______. Cela ne suffisait toutefois pas à régler le problème, l'avocat devant, dans ce genre de cas, se défaire des deux mandats contradictoires. En outre, si les faits reprochés à A______ se confirmaient, Me E______ en tant que co-exécuteur testamentaire serait nécessairement dans une position contradictoire à celle de la première. Ainsi, Me B______ n'était pas en mesure de représenter quiconque dans le cadre de la présente procédure en raison d'un conflit d'intérêts aux sources multiples.
d. Après avoir pris connaissance des observations de la partie plaignante, le Ministère public a considéré comme surprenant que Me B______ se soit autorisé à prendre la plume et à intervenir à la défense des intérêts de la prévenue dans le contexte du recours alors que la décision d'interdiction de postuler [qui n'avait pas été contestée par celui-ci] était définitive et exécutoire à ce jour. Entaché d'un vice de forme, le recours devait être déclaré irrecevable.
e. A______ a répliqué. Son recours était recevable. Me B______ avait lui-même la qualité pour recourir contre la décision attaquée, de sorte que dans l'hypothèse où son recours devait être considéré comme irrecevable, il y aurait lieu d'en attribuer le dépôt à son conseil. De plus, le délai pour interjeter recours contre l'ordonnance de la Chambre de céans rejetant l'effet suspensif sollicité arrivant à échéance le 11 juin 2025, il y avait lieu de retenir que Me B______ était légitimé à la représenter dans le cadre de la présente procédure, ceci afin de lui permettre d'exercer ses droits. Enfin, la procédure de recours était une procédure annexe, distincte de la procédure pénale au fond, de sorte que le conflit d'intérêts invoqué par le Ministère public dans son ordonnance querellée n'empêchait pas la recourante d'agir par l'intermédiaire de Me B______ dans le cadre de la procédure de recours visant à contester ladite interdiction. Une procuration [du 4 juin 2025] en faveur de Me B______ circonscrite à la présente procédure de recours était jointe et devait être admise, "sous réserve de formalisme excessif".
Quant au fond, elle persistait dans les arguments développés dans son recours. Pour le surplus, les développements de C______ en lien avec la double représentation étaient exorbitants à la présente affaire. Il n'y avait ni conflit de mandats ni conflit de confidentialité. Son avocat n'était jamais intervenu dans le cadre de la liquidation et du partage de la succession de feue F______, et n'avait reçu aucune information y relative "avant d'intervenir dans le cadre de la procédure civile actuellement pendante". Il ne pouvait dès lors léser les intérêts de la plaignante. De plus, aucun devoir de confidentialité à l'égard de la partie adverse qui était aussi la plaignante, ne résultait de la procédure civile pendante. Le fait que son conseil ait représenté les deux exécuteurs testamentaires [dont elle-même] dans ce cadre ne pouvait être à l'origine d'un conflit d'intérêts, dans la mesure où il avait résilié le mandat confié par Me E______. La simple apparence ne pouvant pas établir une situation de conflit d'intérêts, l'éventuelle extension de l'instruction à la succession de G______ ne justifiait, en l'état, pas l'interdiction de postuler prononcée. Par sa demande de mise sous scellés de tous les échanges avec Me B______ et son Étude, elle n'avait fait qu'exercer ses droits, souhaitant protéger sa sphère privée.
Elle a produit son écriture d'appel dans le cadre de la cause C/4______/2002 visant à démontrer que les exécuteurs testamentaires avaient accepté – contrairement à ce que soutenait les intimés – de fournir les informations sur la liquidation du solde de la succession de feue F______ tel qu'il était réservé par l'acte de partage partiel du 16 septembre 2011.
f. C______, tout en persistant dans ses précédentes écritures, a dupliqué. Il apparaissait, pièce à l'appui, que des honoraires pour l'activité de Me B______ avaient été payés par le débit d'un compte de la succession de feue F______. Ainsi, soit l'avocat travaillait pour la succession, et il ne pouvait pas représenter la prévenue; soit il travaillait pour les exécuteurs testamentaires, et le fait que ses honoraires avaient été payés par les fonds successoraux plutôt que par les précités constituait un "comportement délictuel de plus".
g. A______, sous la plume de son conseil, a répliqué, réfutant les allégués de C______ et persistant dans le fait qu'il n'avait jamais représenté la succession de feue F______ ni ne s'était fait payer par celle-ci.
h. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
EN DROIT :
1. 1.1. Les pièces nouvelles produites par les parties sont recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).
1.2. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance prononçant une interdiction de postuler (art. 61 cum 62 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_226/2016 du 15 septembre 2016 consid. 2), laquelle est sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).
Partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), la recourante [prévenue] a qualité pour recourir, de même que son avocat [qui n'a toutefois pas recouru], tiers touché (art. 105 al. 1 let. f CPP). Un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 382 al. 1 CPP) est en effet reconnu au client comme à l’avocat, dès lors que la qualité pour agir devant les autorités cantonales ne peut pas s'apprécier de manière plus restrictive que celle pour recourir devant le Tribunal fédéral, où elle est admise pour l’un comme pour l’autre (arrêts du Tribunal fédéral 7B_215/2024 consid. 1.1 ; 1B_510/2018 du 14 mars 2019 consid. 1 non publié in ATF 145 IV 218).
De ce point de vue, le recours est recevable.
1.3. Les intimés invoquent toutefois un "vice de forme" entachant le recours, en raison de l'absence de signature de la prévenue et de l'incapacité de Me B______ [sous le coup d'une décision d'interdiction de postuler en vigueur] à la représenter valablement lors de la signature dudit acte.
Ce grief doit être écarté.
En effet, l'on peine à voir en quoi l'interdiction de postuler prononcée contre Me B______ déploierait ses effets dans la procédure de recours visant uniquement à contester cette interdiction, ce d'autant que la qualité pour recourir est reconnue tant à l'avocat qu'à sa cliente. Les intimés ne l'expliquent eux-mêmes pas.
Le Tribunal fédéral a d'ailleurs admis dans ses arrêts 1B_52/2022 du 19 mai 2022 consid. 1.1 et 1B_209/2019 du 19 septembre 2019 consid. 2.1, la validité d'une procuration désignant, comme mandataire des recourants pour la procédure au Tribunal fédéral, un avocat ayant fait l'objet d'une interdiction de postuler, dite interdiction ne déployant d'effet que sur la procédure pénale menée par les autorités pénales cantonales. L'on ne voit pas pourquoi il en irait autrement ici.
La recourante a ultérieurement à son recours produit une procuration, désignant Me B______ comme son mandataire pour la procédure de recours uniquement, de sorte qu'il apparait – sauf à faire preuve de formalisme excessif [l'autorité étant tenue d'attirer l'attention de l'auteur d'un recours sur l'absence de signature, lorsque le temps encore disponible jusqu'à l'expiration du délai de recours est suffisant pour remédier à l'irrégularité (ATF 142 I 10 consid. 2.4.3)] – que celui-ci a valablement représenté la recourante lors de la signature de l'acte de recours.
Partant, le recours est recevable dans son intégralité.
2. La recourante demande son audition ainsi que celle de deux témoins.
Toutefois, le recours fait l'objet d'une procédure écrite (art. 397 al. 1 CPP), les débats n'ayant qu'une nature potestative (art. 390 al. 5 CPP). Par ailleurs, l'art. 29 al. 2 Cst. féd. ne confère pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5).
Il ne sera dès lors pas donné suite à cette requête.
3. La recourante soutient que les conditions d'une interdiction de postuler ne sont pas réalisées.
3.1. Les parties à une procédure pénale peuvent librement choisir un conseil juridique pour défendre leurs intérêts ; la législation sur les avocats est toutefois réservée (art. 127 al. 1 et 4 CPP).
L'art. 12 let. c de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA ; RS 935.61) prévoit que l'avocat doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. L'interdiction de plaider en cas de conflit d'intérêts est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA – selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence –, avec l'obligation d'indépendance figurant à l'art. 12 let. b LLCA ( ATF 141 IV 257 consid. 2.1; 134 II 108 consid. 3), ainsi qu'avec l'art. 13 LLCA relatif au secret professionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2A.310/2006 du 21 novembre 2006 consid. 6.2; B. CHAPPUIS, La profession d'avocat, t. I, 2e éd. 2016, Zurich/Bâle, ad VII/A/1/c p. 141 ss).
Ces règles visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients – notamment lorsqu'il existe un lien entre deux procédures et que l'avocat représente dans celles-ci des clients dont les intérêts ne sont pas identiques –, respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (ATF 141 IV 257 consid. 2.1). Il importe peu en principe que la première des procédures soit déjà terminée ou encore pendante, dès lors que le devoir de fidélité de l'avocat n'est pas limité dans le temps (ATF 134 II 108 consid. 3).
Les critères suivants peuvent permettre de déterminer l'existence ou non de mandats opposés dans un cas concret : l'écoulement du temps entre deux mandats, la connexité (factuelle et/ou juridique) de ceux-ci, la portée du premier mandat – à savoir son importance et sa durée –, les connaissances acquises par l'avocat dans l'exercice du premier mandat, ainsi que la persistance d'une relation de confiance avec l'ancien client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Le devoir de fidélité exclut que l'avocat procède contre un client actuel (ATF 134 II 108 consid. 5.2).
Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d'entraîner des conflits d'intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas, il doit être concret. Il n'est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l'avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client (arrêts du Tribunal fédéral 1B_59/2018 du 31 mai 2018 consid. 2.4; 1B_20/2017 du 23 février 2017 consid. 3.1). Dès que le conflit d'intérêts survient, l'avocat doit mettre fin à la représentation (ATF 135 II 145 consid. 9.1; 134 II 108 consid. 4.2.1).
L'avocat a notamment le devoir d'éviter la double représentation, soit le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, car il n'est alors plus en mesure de respecter son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Pour autant qu'ils poursuivent des intérêts communs, des mandants peuvent être représentés par le même avocat dans la mesure où un risque élevé de conflit concret puisse être écarté d'emblée de cause compte tenu de la nature ou de l'objet du litige (M. VALTICOS / C. REISER / B. CHAPPUIS [éds], Commentaire romand, Loi fédérale sur la libre circulation des avocats, 2ème édition, Bâle, 2022, n. 159 ad art. 12 et les références citées). En matière pénale, même si l'existence d'un conflit concret n'apparaît pas d'emblée en cas de défense de coaccusés présentant une version identique, ceux-ci sont toutefois susceptibles d'évoluer dans leurs déclarations au gré de la procédure afin de se rejeter mutuellement leur responsabilité ou tenter de la minimiser (arrêts du Tribunal fédéral 1B_582/2019 du 20 mars 2020 consid. 5.2 et 1B_602/2019 du 5 février 2020 consid. 2.2). Une telle défense commune de coaccusés, voire de co-plaignants, pose ainsi des risques de conflits accrus dès lors que l'évolution de la procédure est par nature incertaine (arrêts du Tribunal fédéral 1B_358/2014 du 12 décembre 2014 consid 3.2 et 1B_360/2014 du 24 mars 2014).
En aucune mesure, l'avocat ne doit se laisser influencer par ses intérêts personnels et ne saurait accepter un mandat dans lequel il pourrait se trouver impliqué à titre personnel ou voir ses propres intérêts potentiellement en jeu, auquel cas il convient de se montrer particulièrement sévère dans l'appréciation du risque de conflit d'intérêts. Des liens de nature patrimoniale dans la cause qu'il est chargé de défendre, une trop grande proximité avec l'épouse de son client ou la représentation de l'épouse de son associé sont de nature à affecter l'indépendance de l'avocat et à présenter un risque d'intérêts contradictoires, dans la mesure où il demeure directement ou indirectement intéressé à l'issue du litige (M. VALTICOS / C. REISER / B. CHAPPUIS [éds], op. cit., n. 179 ad art. 12 et les références citées).
3.2. En l'espèce, il est constant que Me B______ s'est constitué en faveur de A______, prévenue, dans le cadre de la présente procédure pénale et qu'il l'assiste, en parallèle, dans la cause civile C/4______/2002 pendante devant la Chambre civile de la Cour de justice, en lien avec la succession de feue F______. Entre 2002 et 2007, Me B______ a également représenté simultanément les intérêts des membres de la famille [de] F______, dont la partie plaignante, et ceux de A______ et Me E______, en leur qualité d'exécuteurs testamentaires de feue F______, devant les instances civiles (C/1______/2002 et C/2______/2022). Il apparaît également que l'avocat précité assiste A______, depuis 2019, dans le cadre d'une "plainte" déposée dans le cadre de la succession de G______ [héritier de feue F______], dont elle avait été exécutrice testamentaire.
La recourante objecte que le mandat antérieurement confié à Me B______ par la famille [de] F______, dont la partie plaignante, ne s'inscrivait pas dans le contexte de la liquidation de la succession de feue F______. Cet argument ne convainc toutefois pas, car il suffit d'un seul contact avec un dossier et/ou avec le client pour avoir accès à des informations relevant du secret professionnel, et créer ainsi une situation pouvant conduire à un conflit d'intérêts. Une prudence particulière doit s'imposer à l'avocat en raison des apparences créées à l'égard de l'ancien client qui peut légitimement ressentir une impression de trahison de la part de son ancien conseil (arrêt du Tribunal fédéral 1B_226/2016 du 15 septembre 2016 consid. 3.1). En outre, il appert, à la lecture des pièces au dossier, que les causes précitées portaient notamment sur des bien-fonds à J______ ainsi que sur une collection d'œuvres d'art et de mobilier, soit des actifs successoraux sur lesquels portent les suspicions dénoncées au Ministère public par la partie plaignante et à propos desquels celle-ci sollicite une reddition de comptes.
Il apparaît ainsi vraisemblable, comme l'a relevé le Ministère public, que Me B______ ait obtenu, durant ses mandats antérieurs et sous protection du secret professionnel, des renseignements sur la situation financière de la famille [de] F______. Cette éventualité est d'autant plus concrète que Me B______ était simultanément le mandataire des membres de la famille [de] F______, dont la partie plaignante, et de A______ entre 2002 et 2007, soit – en partie – lors de la période pendant laquelle les exécuteurs testamentaires ont refusé de rendre compte de leur activité aux membres de la succession.
La recourante invoque encore l'ancienneté du mandat confié par la famille [de] F______ à Me B______, au point que ce dernier expose ne pas avoir conservé le dossier y relatif ni de souvenir précis des éléments dudit dossier. Toutefois, le devoir de fidélité de l'avocat n'est pas limité dans le temps. Dans le cas présent, Me B______ a continué d'exercer comme défenseur de A______ dans la cause C/4______/2002 (ayant pour objet l'obtention d'une reddition de comptes quant aux actifs de la succession de feue F______), opposant les exécuteurs testamentaires à la partie plaignante notamment. La liquidation de la succession de feue F______ n'est, en outre, pas terminée. Par ailleurs, selon le relevé de compte produit par l'intimée à l'appui de sa duplique, les honoraires de Me B______ apparaissent avoir été payés, en 2023, au débit du compte de la succession, quand bien même celui-ci le conteste.
Au vu de ce qui précède, on ne saurait donc retenir l'existence d'une interruption du lien de confiance établi entre Me B______ et la famille [de] F______, à laquelle appartient la partie plaignante.
Ces circonstances sont ainsi propres à fonder l'existence d'un risque de conflit d'intérêts concret. La fin du mandat de Me B______ s'agissant de la défense civile des intérêts de Me E______, dans la cause C/4______/2002, n'y change rien, dès lors qu'elle ne permet pas de pallier au risque de conflit d'intérêts susévoqué.
Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance querellée est fondée en tant qu'elle interdit à l'avocat de postuler à la défense des intérêts de la recourante dans la procédure dirigée contre celle-ci.
4. Le recours sera ainsi rejeté.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
6. L'intimée, partie plaignante, a sollicité une indemnité pour ses frais d'avocat dans la procédure de recours (art. 433 CPP).
6.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnités dans la procédure de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.
6.2. Selon l'art. 433 al. 1 CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure si elle obtient gain de cause (let. a) ou si le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP (let. b). La partie plaignante adresse ses prétentions à l’autorité pénale; elle doit les chiffrer et les justifier (art. 433 al. 2 CPP).
6.3. Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/547/2024 du 24 juillet 2024 et ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).
La Cour de justice retient un tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, lorsque ce conseil chiffre sa rémunération à ce taux (ACPR/889/2021 du 16 décembre 2021consid. 3.3 et ACPR/320/2018 du 6 juin 2018 consid. 8.2).
6.4. En l'espèce, l'intimée conclut à l'octroi d'une indemnité totale – pour ses observations et la duplique – de CHF 900.-, TVA en sus, correspondant à 2h00 d'activité au tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude.
Cette durée apparait en adéquation avec le travail fourni. L'indemnité sera, partant, arrêtée à CHF 972.90, TVA à 8.1% incluse.
L'indemnité allouée à l'intimée sera mise à la charge de la prévenue.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.
Alloue à C______, à la charge de A______, une indemnité de CHF 972.90, TVA (8.1% incluse) (art. 433 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, à C______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière: Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/18051/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 20.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 805.00 |
Total | CHF | 900.00 |