Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/69/2025 du 22.01.2025 sur ONMMP/3609/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/25842/2022 ACPR/69/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 22 janvier 2025 |
Entre
A______ et B______, domiciliés ______, agissant en personne,
recourants,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 19 août 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 30 août 2024, B______ et A______ recourent contre l'ordonnance du 19 août 2024, notifiée le 21 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte, déposée le 6 décembre 2022, contre C______, D______ et E______.
Les recourants concluent, sous suite des frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction et la mise en œuvre des actes d'enquête qu'ils énumèrent.
b. Les recourants ont versé les sûretés de CHF 1'200.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Par plainte du 6 décembre 2022, complétée le 14 suivant et le 16 février 2023, A______ et B______ ont dénoncé, tant en leur nom que pour le compte de leur enfant F______, né le ______ 2021, la Dre C______, médecin consultant auprès du Groupe de protection de l'enfance (ci-après : GPE), la Dre E______, interne en ______ aux Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG), et D______, assistante sociale du GPE, pour lésions corporelles simples, voies de fait, contrainte, séquestration, abus d'autorité et violation de l'art. 134 al. 1 let. b de la Loi sur la santé [LS ; K 1 03], en exposant ce qui suit :
Le 1er décembre 2022 au soir, B______ avait amené F______ aux urgences pédiatriques des HUG pour un hématome à la cheville gauche.
Une radiographie avait mis en évidence une fracture de cette cheville, qui avait été plâtrée. L'enfant devant être gardé en observation, il avait passé la nuit avec son père aux HUG.
Le lendemain, B______, A______ et la nounou de F______ s'étaient entretenus avec les Dres E______ et C______ ainsi qu'avec D______, et avaient été informés que, la cause de la fracture n'ayant pas pu être établie, C______ suspectait un cas de maltraitance. Cette dernière avait ainsi ordonné la réalisation immédiate d'un bilan radiologique et ophtalmologique, et programmé pour le 6 décembre 2022 une imagerie par résonnance magnétique cérébrale (ci-après : IRM), afin d'établir l'éventuelle présence de séquelles liées à des actes de maltraitance. F______ devait, dans l'intervalle, rester hospitalisé.
L'ensemble des mesures leur avait été présenté comme étant obligatoire et aucune information ne leur avait été donnée sur leur droit de ne pas y consentir bien qu'ils s'y soient néanmoins opposés, les trouvant totalement disproportionnées et ne comprenant ni la nécessité de l'IRM, ni celle d'une hospitalisation de plusieurs jours. Ils avaient également contacté le pédiatre de leur enfant et écrit au Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi) et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE), afin de s'en plaindre.
Durant l'examen de radiologie, leur fils "se tord[ait] de douleur, pleur[ait] sans interruption, cri[ait], se débatt[ait] et frapp[ait] son pied fracturé", de sorte que B______ avait voulu y mettre un terme. Les radiologues avaient donc interrompu la séance, jusqu'à ce qu'ils soient informés que C______ refusait de laisser l'enfant quitter les HUG avant l'obtention des résultats des examens.
En vue de l'examen d'ophtalmologie, le jeune F______ avait dû recevoir des gouttes pour dilater ses pupilles et, comme "il se débatt[ait] vigoureusement" et avait continué à le faire et à frapper violemment son pied fracturé contre les bords du lit durant l'examen, trois médecins des HUG avaient dû l'immobiliser afin de lui apposer des écarteurs de paupières.
À réception des résultats des bilans radiologique et ophtalmologique, C______ les avait informés, le 2 décembre 2022, qu'ils pouvaient rentrer à leur domicile avec leur fils. F______ était donc resté une nuit aux HUG et l'IRM n'avait jamais pu être réalisée en raison de leur opposition à ce sujet.
b. Il ressort des notes de suite des HUG, produites par les plaignants à l'appui de leur plainte, que :
· Le 1er décembre 2022, à la suite de la radiographie de la cheville effectuée sur F______, B______ avait été informé du diagnostic et de la nécessité d'hospitaliser l'enfant pour effectuer un bilan.
· Le 2 décembre 2022, les mises en cause avaient discuté avec les plaignants et la nounou afin de déterminer la cause desdites fractures, en les informant que, dans l'hypothèse où leurs explications seraient incompatibles avec les constatations médicales, des investigations complémentaires devraient être effectuées, ce que B______ avait compris et validé.
Lors de cette réunion, la nounou avait expliqué être allée avec le jeune F______ au parc. Il était monté sur la première marche des escaliers du toboggan d’où il avait chuté avec réception sur sa jambe gauche. Or, d'après les orthopédistes des HUG, le mécanisme de chute décrit était peu compatible avec les constatations radiologiques, de sorte qu'il avait été décidé de mettre en œuvre des examens supplémentaires. Selon C______, les plaignants étaient "touchés par cette annonce mais ne s'y [étaient pas opposés] formellement" et E______ a noté que les parents étaient "bouleversés et opposants". Elles leur ont donc rappelé le but de ces investigations afin de les rassurer.
· Les résultats des bilans radiologique et ophtalmologique étant normaux, elles avaient décidé qu'en raison de l'absence de mise en danger imminente, les parents pouvaient rentrer chez eux avec leur fils, tout en maintenant leur souhait de réaliser une IRM, laquelle n'avait finalement jamais été effectuée en raison de l'opposition des plaignants.
c. Les plaignants ont en outre produit un courrier daté du 8 décembre 2022 et signé par C______, certifiant que le rôle des médecins des HUG s'était limité à évaluer l'état de santé de l'enfant étant précisé que, selon les recommandations scientifiques, lorsqu'un cas de maltraitance ne pouvait être écarté, il était "hautement recommandé d'effectuer des radiographies du corps entier et un examen du fond de l'œil à la recherche d'autres lésions".
d.a. Interpellée par le Ministère public à propos des accusations dont elle faisait l'objet, C______ les a contestées, par lettre du 9 mars 2023. En substance, elle avait toujours agi en respectant les directives des HUG. Les décisions avaient été prises sans aucune intention de nuire aux plaignants ou à leur fils. Les actes médicaux des 1er et 2 décembre 2022 avaient été réalisés sans opposition des plaignants, et ceux auxquels ils s'étaient opposés n'avaient pas été effectués.
d.b. À l'appui de ses déterminations, C______ a produit le protocole du GPE intitulé "Evaluation d'une situation de maltraitance, négligence ou abus sexuel". Il en ressort notamment que, dans un tel cas, une anamnèse, un examen clinique – contenant notamment un examen somatique complet afin de décrire en détail toutes les lésions constatées – et des examens complémentaires tel qu'un bilan radiologique pouvaient être effectués afin d'évaluer la situation. Dans l'hypothèse où les médecins écarteraient tout danger imminent pour l'enfant, un retour à domicile pouvait être envisagé. Dans le cas contraire, une hospitalisation par évaluation de la situation devait être organisée et, en cas de refus du représentant légal, la clause-péril devait être déclenchée par le signalement de la situation au SPMi et au TPAE.
La mise en cause a également produit le protocole du GPE intitulé "Recommandations pour l'exploration radiologique d'une suspicion de traumatisme non-accidentel" duquel il ressort que, pour un enfant de moins de deux ans, il sied notamment d'effectuer une radiographie du squelette complet sur clichés séparés et centrés ainsi qu'une imagerie cérébrale systématique.
e. Les autres personnes mises en cause par les plaignants n'ont pas été invitées à se déterminer par le Ministère public.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les actes médicaux réalisés sur le mineur F______ n'étaient pas de nature à lui causer une quelconque lésion, respectivement n'atteignaient pas l'intensité requise pour retenir des voies de fait. Il n'y avait pas non plus de contrainte, car les médecins des HUG avaient obtenu le consentement des plaignants avant d'effectuer les actes médicaux litigieux et s'étaient abstenus de pratiquer ceux auxquels les plaignants s'étaient opposés. L'infraction de séquestration n'était également pas réalisée, car l'enfant avait d'abord été hospitalisé avec l'accord du père puis, dès que ses parents avaient manifesté leur désaccord et que tout risque futur lié à sa santé avait été écarté, il avait été autorisé à rentrer à la maison. Comme aucune mesure de contrainte n'avait été ordonnée, l'une des conditions des infractions d'abus d'autorité et de violation de l'art. 134 al. 1 let. b LS n'était pas réalisée.
D. a. Dans leur recours, A______ et B______, agissant pour leur compte et celui de leur fils, reprochent au Ministère public d'avoir constaté les faits de manière incomplète et erronée. Ils n'avaient pas donné leur consentement à l'hospitalisation de F______ durant la nuit du 1er au 2 décembre 2022 pour des examens radiologiques complémentaires dans une finalité médico-sociale de protection de l'enfance, respectivement aux actes médicaux réalisés sur leur enfant durant la journée du 2 décembre 2022. L'ensemble des mesures exécutées constituait en outre un acte de contrainte car "toutes les mesures [avaient] été annoncées comme contraignantes", de sorte qu'ils n'avaient pas pu s'y opposer.
Les recourants font en outre grief au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière alors qu'il existait des soupçons suffisants relatifs à la réalisation de différentes infractions. F______ avait subi des lésions corporelles simples, respectivement des voies de fait, en ayant été immobilisé par les médecins et exposé à une forte dose d'irradiation aux rayons X lors des radiographies de son corps. Les médecins lui avaient en outre injecté des gouttes dans les yeux qui contenaient des substances chimiques. Les infractions de contrainte et d'abus d'autorité, respectivement les conditions de l'art. 134 al. 1 let. b LS étaient réalisées car les médecins n'avaient pas respecté le cadre légal applicable en cas de suspicion de maltraitance, puisqu'avant d'effectuer les actes médicaux sur leur enfant, ils auraient dû obtenir leur consentement et prévenir le SPMi et le TPAE. L'infraction de séquestration, respectivement de tentative de séquestration, était en outre établie, car le mineur avait été retenu aux HUG du vendredi soir 1er décembre au samedi soir 2 décembre 2022 sans l'accord de ses parents et les médecins avaient également tenté de le retenir jusqu'à la réalisation de l'IRM du 6 décembre 2022, sans que cela n'aboutisse.
Ils demandent que les actes d'instruction suivant soient ordonnés : la production par les HUG de l'ensemble des dossiers médicaux de leur fils et de la liste de toutes les personnes ayant pris en charge leur enfant, ainsi que l'audition des parties, des témoins et toute autre personne potentiellement impliquée dans le prononcé ou l'exécution des mesures infligées à leur fils.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), contre une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).
Il émane des représentants légaux du mineur, lesquels sont habilités à agir en son nom (art. 106 al. 2 CPP) et ont, en tant que parties plaignantes (art. 104 al. 1 let. b CPP), un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les faits visés par leur plainte pénale.
Sous cet angle, le recours est, partant, recevable, la question de leur qualité pour agir en leur propre nom (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_641/2022 du 25 janvier 2023) pouvant demeurer ouverte, le recours devant en toute hypothèse être rejeté au fond.
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Les recourants se plaignent d'une constatation inexacte des faits.
Dans la mesure où la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations inexactes auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.
Partant, ce grief sera rejeté.
4. Les recourants considèrent que les éléments constitutifs de différentes infractions sont réunis et qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne pouvait donc pas être rendue.
4.1. Aux termes de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont manifestement pas réunis.
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 précité).
4.2.1. L'art. 123 ch. 1 CP punit, du chef de lésions corporelles simples, quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une autre atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé que celle prévue par l'art. 122 CP.
L'art. 123 CP réprime les lésions du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. Elle implique une atteinte importante aux biens juridiques ainsi protégés. À titre d'exemples, la jurisprudence cite l'administration d'injections, la tonsure totale et tout acte qui provoque un état maladif, l'aggrave ou en retarde la guérison, comme les blessures, les meurtrissures, les écorchures ou les griffures, sauf si ces lésions n'ont pas d'autres conséquences qu'un trouble passager et sans importance du sentiment de bien-être (ATF
134 IV 189 consid. 1.1 p. 191; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1283/2018 du 14 février 2019 consid. 2.1).
Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Elles constituent ainsi davantage en une perturbation momentanée du bien-être ou en une modification pathologique insignifiante, avec ou sans douleurs (ATF 134 IV 189 consid. 1.2).
La distinction entre lésions corporelles et voies de fait peut s'avérer délicate. Toutefois, les lésions corporelles simples impliquent généralement un temps de guérison (ex : une fracture), ce qui les distingue des voies de fait dont le trouble est instantané ou de très courte durée (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n 3 ad art. 123 CP).
4.2.2. Les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d'une lésion corporelle, en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d'une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et furent pratiquées dans les règles de l'art (ATF 124 IV 258 consid. 2).
Toute atteinte à l'intégrité corporelle est ainsi illicite à moins qu'il n'existe un fait justificatif, tels le consentement du lésé – en l'occurrence du patient – (ATF
124 IV 258 consid. 2) ou l'accomplissement d'un devoir légal (ATF 139 IV 137 consid. 4.2).
4.2.3. Sous réserve des cas expressément prévus par la loi, une personne incapable de discernement ne peut valablement s'engager et, partant, donner son consentement (art. 18 CC).
Une personne n'est privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC, soit le jeune âge, la maladie mentale, la faiblesse d'esprit, l'ivresse ou une autre cause semblable.
L'art. 19c al. 2 CC prévoit que les personnes incapables de discernement sont représentées par leur représentant légal, sauf pour les droits qui ne souffrent aucune représentation en raison de leur lien étroit avec la personnalité. Cette disposition fait donc une distinction entre les droits strictement personnels absolus pour lesquels le représentant légal ne peut pas représenter l'incapable de discernement et les droits strictement personnels relatifs pour lesquels le représentant légal de la personne incapable de discernement peut exercer les droits de l'incapable de discernement (ATF 117 II 6, consid. 1b ; P. PICHONNAZ / B. FOEX / C. FOUNTOULAKIS (éds), Commentaire romand : Code civil I, 2ème éd., Bâle 2023, n. 8 ad art. 19c). Au nombre des droits strictement personnels relatifs figure notamment celui de consentir aux actes médicaux en général (P. MEIER, Droit des personnes – Personnes physiques et morales, art. 11-89a CC, 2ème éd., Genève/Zurich/Bâle 2021, p. 105). Partant, le droit de consentir à, ou refuser un traitement, est un droit strictement personnel sujet à représentation pour un incapable de discernement, excepté pour certaines atteintes graves à l'intégrité corporelle ou l'idée de représentation est exclue (par exemple pour la stérilisation d'un malade mental ou la suspension d'un traitement en fin de vie). En dehors de ces situations, le médecin doit obtenir le consentement libre et éclairé du représentant légal du patient (D. MANAÏ, Le droit des proches du patient dans la prise de décision médicale, in D. BERTRAND / T. W. HARDING / R. LA HARPE / M. UMMEL, Médecin et droit médical – présentation et résolution de situations médico-légales, 2ème éd., Genève 2003, p. 103).
4.2.4. L'art. 14 CP prévoit que quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi.
Il faut comprendre le terme "loi" dans un sens large, de sorte qu'entre en considération toute règle de droit fédéral, cantonal ou communal, qu'il s'agisse de droit privé ou de droit public, de droit matériel ou de droit de procédure, d'une loi au sens formel, d'un règlement ou encore de règles déontologiques (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 2 ad art. 14 CP ; ATF 94 IV 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1020/2018 du 1er juillet 2019). Pour pouvoir légitimer un acte, le devoir de fonction doit reposer sur une disposition légale. Il peut s'agir d'une loi écrite, d'une norme déontologique ou encore de droit coutumier (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 33 ad art. 14 CP). L'acte de l'agent de l'État qui intervient dans l'exercice de ses fonctions doit également être proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4).
4.2.5. Selon l'art. 17 CP, quiconque commet un acte punissable pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique appartenant à un tiers agit de manière licite s'il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.
Le terme "danger" concerne toute situation dans laquelle existe, selon le cours ordinaire des choses, une certaine probabilité de voir un bien juridique lésé. Il peut notamment se rapporter à un risque d'agression (ATF 122 IV 1 consid. 3a). Le danger doit être imminent, c’est-à-dire ni passé ni futur, mais actuel et concret (ATF 109 IV 156 consid. 3). L'acte nécessaire n'est licite que s'il sauvegarde des intérêts prépondérants. Afin de déterminer l'existence de ladite prépondérance, il sied de faire une pesée des intérêts en prenant en considération le bien protégé, la gravité de l'atteinte, l'importance du danger ainsi que toutes les circonstances du cas concret (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 15 ad art. 17 CP).
4.2.6. En l'espèce, l'enfant des recourants a passé un bilan radiologique et ophtalmologique. Dans le cadre de ces actes médicaux, il a été exposé aux rayons X, s'est vu injecter des gouttes dans les yeux et a dû être immobilisé de force par plusieurs médecins car des écarteurs de paupières ont dû être posés. La question de savoir si ces actes médicaux ont atteint l'intensité requise pour être qualifiés de voies de fait, en tant qu'ils auraient été de nature à perturber momentanément l'enfant dans son bien-être, peut demeurer ouverte compte tenu du raisonnement qui suit.
Il en va de même de la question de savoir si les recourants ont, en leur qualité de représentants légaux de leur fils, consenti à ces gestes médicaux, dès lors qu'ils ne les ont pas empêchés mais ont été décrits comme "bouleversés et opposants", et qu'ils ont contacté le pédiatre de leur enfant ainsi que le SPMi et le TPAE pour s'en plaindre.
Les médecins ont été confrontés à une situation dans laquelle les explications fournies sur l'origine de la fracture présentée par l'enfant n'étaient pas compatibles avec les constatations médicales. Dite fracture aurait ainsi pu être la conséquence d'un acte de maltraitance. Or, dans un tel contexte, les protocoles du GPE recommandent de réaliser un bilan radiologique et ophtalmologique ainsi qu'une IRM, afin de lever tout soupçon de maltraitance. Ces protocoles ne prévoient par ailleurs une interpellation du TPAE et du SPMi que dans l'hypothèse où les résultats desdits examens médicaux indiqueraient la présence d'un danger imminent pour l'enfant. Les mises en cause ont ainsi agi conformément aux directives mises en place pour le type de situation dans laquelle elles se trouvaient, de sorte que, même si elles ont passé outre l'éventuel défaut de consentement des recourants, elles peuvent se prévaloir du motif justificatif prévu à l'art. 14 CP, leurs agissements, quand bien même ils devraient être qualifiés de voies de fait, étant autorisés par la loi.
Les agissements des mises en cause pourraient par ailleurs être justifiés par l'état de nécessité (art. 17 CP). Face à une suspicion de maltraitance, la protection des intérêts de l'enfant et de son intégrité physique et psychique requérait en effet que des examens complémentaires soient effectués, indépendamment de l'éventuelle absence de consentement de ses représentants légaux, afin de pouvoir prendre, le cas échéant, les mesures qui s'imposaient, notamment alerter le TPAE et le SPMi. Dans ce contexte, les mises en cause ont agi de manière proportionnée et dans le seul intérêt prépondérant de l'enfant, afin d'évaluer son état de santé et de s'assurer de l'absence d'un danger imminent pour sa personne. La situation dans laquelle se trouvait le mineur justifie ainsi les éventuelles voies de fait qui lui auraient été infligées.
L'existence de motifs justificatifs ôte par conséquent tout caractère pénal au comportement incriminé.
L'ordonnance querellée est dès lors justifiée sur ces points.
4.3. Les recourants invoquent une contrainte.
4.3.1 L'art. 181 CP réprime notamment quiconque, en usant de violence envers une personne ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à laisser faire un acte.
La contrainte existe lorsque l'auteur use de violence envers la victime. La notion de violence comprend toute action physique de l'auteur sur la personne de la victime. Pour que l'on puisse admettre l'usage de la violence, cette dernière doit revêtir une certaine gravité. Le fait que l'auteur ait utilisé la force n'est pas déterminant. Il faut que l'acte auquel s'est livré l'auteur pour imposer sa volonté soit, de par sa nature et son intensité, propre à entraver la victime dans sa liberté d'action. À cet égard, il se peut qu'une contrainte physique d'une certaine intensité, qui ne parviendrait en aucun cas à briser la volonté d'un homme expérimenté et de constitution robuste, suffise à provoquer un tel résultat chez une victime inexpérimentée, une personne jeune ou plus faible (ATF 101 IV 42 consid. 3a).
4.3.2 En l'espèce, compte tenu du jeune âge de l'enfant et du fait qu'il se débattait fortement, les médecins mis en cause ont dû l'immobiliser afin de pouvoir pratiquer les examens médicaux. Aussi impressionnant que cela ait pu paraître aux yeux de ses parents, il n'apparaît pas que lesdits médecins aient excédé ce qui était nécessaire à l'accomplissement des actes médicaux nécessaires. Dans ce contexte, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au considérant 4.2.6, il convient de retenir que l'état de nécessité dans lequel se trouvait le mineur justifiait l'éventuelle contrainte qui a dû être exercée pour le maîtriser durant les examens médicaux.
4.4. Les recourants estiment que les conditions d'un abus de pouvoir sont réalisées.
4.4.1. L'art. 312 CP punit de ce chef les membres d'une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge.
4.4.2. En l'espèce, l'on ne voit pas quel élément permettrait de retenir que les médecins mis en cause auraient pu agir dans le but de nuire à autrui ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite. Au contraire, la réalisation des actes médicaux litigieux avait pour objectif d'évaluer l'état de santé de l'enfant et de lever tout soupçon de maltraitance. Les mises en cause ont donc agi dans le seul intérêt du fils des recourants.
Il s'ensuit que les conditions cumulatives à l'application de l'art. 312 CP font défaut et que l'ordonnance querellée est, sur ce point également, justifiée.
4.5. Les recourants se plaignent d'une séquestration.
4.5.1 L'art. 183 ch. 1 1ère hypothèse CP punit, du chef de séquestration, quiconque sans droit, aura arrêté une personne, l'aura retenue prisonnière, ou l'aura, de toute autre manière, privée de sa liberté.
La séquestration consiste à maintenir sans droit la personne au lieu où elle se trouve. Le bien juridique protégé est la liberté de déplacement. Les éléments objectifs constitutifs sont réalisés si la personne est privée de sa liberté d'aller et venir et de choisir le lieu où elle souhaite rester. Il n'est pas nécessaire que la privation de liberté soit de longue durée. Quelques minutes suffisent. Le moyen utilisé pour atteindre le résultat, c'est-à-dire priver la personne de sa liberté, n'est pas décrit par la loi. Une personne peut être séquestrée par le recours à la menace, à la violence, en soustrayant les moyens dont elle a besoin pour partir ou encore en la plaçant dans des conditions telles qu'elle se sent dans l'impossibilité de s'en aller (ATF 141 IV 10 consid. 4.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_86/2019 du 8 février 2019 consid. 3.1).
Pour que l'infraction soit consommée, il n'est pas non plus nécessaire que la victime soit totalement privée de sa liberté; il suffit qu'elle se trouve dans une situation dans laquelle il est difficile ou risqué pour elle de tenter de recouvrer sa liberté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 5.2). La séquestration est réalisée dès que la victime est concrètement privée de sa liberté de mouvement, même si les entraves imposées ne sont pas insurmontables (ATF 104 IV 170 consid. 3 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2022 du 8 mai 2023 consid. 5.1).
4.5.2 En l'espèce, les recourants allèguent ne pas avoir consenti au but de l'hospitalisation de leur enfant durant la nuit du 1er décembre 2022, pour des examens radiologiques complémentaires dans une finalité médico-sociale de protection de l'enfance. Toutefois, les notes de suite indiquent que le recourant "a été informé du diagnostic et de la nécessité d'hospitalisation pour bilan" et aucun indice ne permet de retenir que l'intéressé aurait exprimé son désaccord ou entrepris des démarches afin de s'opposer à ladite hospitalisation.
L'enfant n'est au demeurant resté qu'une seule nuit aux HUG et les recourants ne décrivent pas une situation telle qu'elle pourrait être qualifiée de séquestration au sens de l'art. 183 CP, dans la mesure où ils n'ont été empêchés ni par la force, ni par la menace, ni par un quelconque autre moyen de quitter les HUG.
En définitive, les conditions cumulatives pour retenir l'infraction de séquestration, respectivement de tentative de séquestration au sens de l'art. 183 ch. 1 hypothèse 1 CP, font également défaut.
4.6.1 L'art. 134 al. 1 let. b LS prévoit que, sous réserve des sanctions visées par les lois fédérales spécifiques, est passible d'une amende la personne qui aura imposé des mesures de contrainte à un patient en violation grave des exigences de l'art. 50 LS.
Par mesures de contrainte il faut comprendre toute intervention allant à l'encontre de la volonté déclarée du patient ou suscitant sa résistance. Une distinction est faite entre l'entrave à la liberté et le traitement sous contrainte. L'entrave à la liberté renvoie exclusivement au fait de restreindre la liberté de mouvement d'une personne en l'immobilisant par exemple avec des sangles ou en la retenant dans une chambre d'isolement. Le traitement sous contrainte désigne le fait d'entraver la liberté de la personne mais également d'atteindre son intégrité physique afin de limiter ladite liberté. Tel est le cas lors de la sédation sous contrainte d'une personne incapable de discernement au moyen de médicaments (P. PICHONNAZ / B. FOEX / C. FOUNTOULAKIS (éds), Commentaire romand : Code civil I, 2ème éd., Bâle 2023, n. 10 ad art. 383).
L'art. 50 al. 1 LS prévoit que, par principe, toute mesure de contrainte à l'égard des patients est interdite. Le droit pénal et civil en matière de mesures thérapeutique et d'internement ainsi que la réglementation en matière de placement à des fins d'assistance sont réservés, de même que la législation en matière de lutte contre les maladies transmissibles de l'homme.
4.6.2 En l'espèce, à bien comprendre les recourants, ils estiment avoir été privés de la faculté de s'opposer aux actes médicaux car "toutes les mesures ont été annoncées comme contraignantes".
Toutefois, l'élément de contrainte visé par la loi susvisée fait référence à l'entrave subie par la personne dans sa liberté d'action et non à l'impossibilité pour celle-ci ou son représentant légal de s'opposer à la mesure.
Les actes médicaux pratiqués impliquaient une immobilisation de l'enfant qui, compte tenu de son jeune âge, ne pouvait être obtenue qu'en recourant à des mesures de contention. Ainsi, pour les mêmes motifs que ceux exposés au considérant 4.2.6, il convient de retenir que l'état de nécessité permet de justifier les éventuelles mesures de contrainte mises en place par les mises en cause.
4.7. En définitive, compte tenu de ce qui précède, c'est à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur les faits dénoncés.
Partant, ni la production des dossiers médicaux ni les auditions requises par les recourants ne seraient, à cet égard, propres à modifier cette solution.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
6. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
7. Corrélativement, aucun dépens ne leur sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure où il est recevable.
Condamne B______ et A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'200.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/25842/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'115.00 |
Total | CHF | 1'200.00 |