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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12840/2023

ACPR/15/2025 du 08.01.2025 sur ONMMP/2293/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : MOTIVATION;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL);VIOLATION DE DOMICILE;INTENTION;DOL ÉVENTUEL
Normes : CPP.385.al1; CPP.310.al1.leta; CP.144.al1; CP.186; CP.12.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12840/2023 ACPR/15/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 janvier 2025

 

Entre

A______ SÀRL, représentée par Me David PAPAUX, avocat, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 27 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 7 juin 2024, A______ SÀRL recourt contre l'ordonnance du 27 mai 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre B______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public pour la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur le volet civil de l'affaire ou, subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction pour vol, dommages à la propriété, contrainte, tentative de contrainte, violation de domicile, respectivement "tentative impossible de violation de domicile" et faux dans les certificats.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Par contrat de bail du 13 juillet 2009, C______, bailleur, a loué à D______ SA et E______, "conjointement et solidairement" entre eux, une arcade commerciale, située dans son immeuble de la rue 1______ no. ______ à Genève, à compter du 1er juin 2009.

Les locaux étaient destinés à l'exploitation d'un restaurant à l'enseigne "F______", dont B______ était l'un des employés.

b.        Par courrier recommandé du 7 décembre 2022, D______ SA, agissant par son administrateur unique G______, a informé la régie H______ SA de ce qu'elle "mettait un terme" au contrat de bail "concernant l'arcade du restaurant F______" avec effet au 15 décembre 2022.

H______ SA, agissant par son administrateur unique I______, a déclaré, par attestation du 12 mai 2023, que ce courrier recommandé lui avait été remis en mains propres par B______ et qu'elle avait toujours considéré celui-ci comme un employé de D______ SA.

c.         Par contrat de bail du 7 décembre 2022 également, C______ a loué l'arcade située à la rue 1______ no. ______ à Genève, destinée à "l'exploitation d'un restaurant" [à l'enseigne "F______"], à la société A______ SÀRL et son associé gérant J______, locataires agissant conjointement et solidairement entre eux, à compter du 15 décembre 2022.

d.        Par acte authentique du 8 février 2023, C______ a vendu l'immeuble sis à la rue 1______ no. ______ à Genève à une société tierce. La gérance de cet immeuble a été confiée par cette société tierce à une autre gérance.

e.         La police est intervenue à plusieurs reprises à la rue 1______ no. ______ et a établi, à cet égard, une fiche de renseignements à la demande de la société A______ SÀRL.

ea. Le 5 mars 2023, la police est intervenue à cette adresse en raison d'un conflit entre B______ et J______. Ce dernier a expliqué à la police, documents à l'appui, qu'il était titulaire du bail pour l'arcade sise à la rue 1______ no. ______ à Genève, afin d'exploiter le restaurant "F______", et qu'il avait laissé un mois à "l'ancien exploitant", B______, pour vider le restaurant et lui restituer les clés, ce que ce dernier n'avait pas fait. B______ a également présenté un bail valable, en expliquant qu'il était l'exploitant du restaurant et en conflit avec la régie, laquelle avait signé un nouveau bail avec J______ sans résilier l'ancien. En accord avec les deux parties, l'établissement a été fermé et les clés ont été remises à la police.

Des dires de J______, B______ aurait cherché à l'expulser du restaurant ce jour-là.

eb. Le 14 mars 2023, la police a restitué les clés du restaurant à K______, directeur de la société A______ SÀRL. Celui-ci avait présenté le bail du restaurant, un extrait du registre du commerce et l'autorisation d'exploiter, à son nom, le restaurant à l'enseigne "F______", "propriété de la société A______ SÀRL", délivrée le 10 mars 2023 par le Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Des dires de la société A______ SÀRL, elle aurait fait changer les serrures du restaurant par un serrurier le 15 mars 2023.

ec. Le 16 mars 2023, la police est intervenue à deux reprises à l'adresse du restaurant. Lors de la première intervention, elle a constaté que trois serrures avaient été endommagées. Des débris avaient été placés à l'intérieur de la serrure de la porte principale, rendant toute insertion de clé impossible. Deux autres serrures, qui se trouvaient sur les portes-arrières du restaurant, avaient été arrachées. J______ a déclaré qu'il soupçonnait fortement B______ d'avoir commis ces dégâts. La police est intervenue une seconde fois après que K______ avait constaté que les serrures avaient été changées et que B______ se trouvait à l'intérieur du restaurant. Ce dernier a affirmé à la police qu'il était "persuadé d'être dans son bon droit", son bail n'ayant pas été résilié légalement. Il avait l'intention d'occuper les lieux en attendant une décision de justice.

ed. Le 29 mars 2023, la police a constaté, en présence de J______, que B______ et son fils se trouvaient dans le restaurant et faisaient à manger.

f.          Le 5 juin 2023, A______ SÀRL a déposé plainte contre B______ pour dommages à la propriété et violation de domicile, "potentiellement" vol.

La plaignante explique que D______ SA avait entamé des négociations avec J______ et A______ SÀRL en vue de vendre le fonds de commerce du restaurant "F______" et transférer le bail des locaux. La remise du commerce avait été conditionnée par H______ SA au paiement des loyers et charges impayés par D______ SA et des travaux de remise en état du restaurant. Elle avait acquitté cette dette, et était devenue titulaire du bail à loyer et de l'autorisation d'exploiter le restaurant.

La validité du transfert de bail était contestée par B______, au motif que la résiliation du bail de D______ SA n'avait pas été approuvée par E______, administrateur unique de cette société au moment de sa conclusion et apparaissant en personne à côté de celle-ci sur le contrat de bail du 13 juillet 2009. La position de B______ ne pouvait toutefois être suivie, dans la mesure où E______ avait été "oublié de tous", que G______ était l'administrateur unique de D______ SA à la période du transfert et avait donc plein pouvoir pour résilier le contrat de bail en question. De plus, B______ n'avait rien dit à ce sujet lorsqu'il avait remis, en mains propres et en pleine connaissance de cause, la résiliation de bail à H______ SA le 7 décembre 2022. Il avait agi de manière délibérée pour tenter de revendiquer la nullité du transfert du bail et obtenir un accord amiable, étant relevé que B______ n'était partie à aucun contrat dans le cadre du présent litige. L'indication de E______ en tant que cotitulaire du bail avait pour but d'offrir une garantie personnelle illimitée aux côtés de D______ SA, ce qui était une pratique courante en matière de baux commerciaux.

Comme elle le craignait, B______ était en train de séparer les installations techniques et coûteuses, ainsi que l'agencement du restaurant, dans le but vraisemblable d'obtenir un avantage patrimonial totalement indu en les revendant. Elle en avait pour preuve la présence d'une machine à laver la vaisselle professionnelle devant la porte du restaurant le 1er juin 2023.

g.        Entendu par la police le 17 décembre 2023, B______ a expliqué qu'il était employé par D______ SA depuis 2004 et le gérant du restaurant à l'enseigne "F______" depuis 2016. Le 15 décembre 2022, H______ SA avait commis une "erreur en transférant le bail" de D______ SA à la société A______ SÀRL, vu que le premier n'avait pas valablement été résilié. Il a reconnu avoir endommagé les trois serrures du restaurant, expliquant avoir voulu y entrer, mais que sa clé ne marchait pas et qu'elle s'était cassée à l'intérieur. Il avait endommagé les deux autres en y insérant des allumettes pour empêcher quiconque d'entrer dans l'établissement. Il ne voyait pas où était le problème, puisque "ce restaurant appartenait toujours à D______ SA" et qu'il avait obtenu le feu vert de G______ pour changer les serrures. Il avait donc le droit d'y entrer. Il contestait avoir volé du mobilier appartenant au restaurant, arguant que rien ne "leur appartenait dans ce restaurant". La machine à laver la vaisselle entreposée devant le restaurant le 1er juin 2023 lui appartenait. Il l'avait achetée en novembre 2022 à un autre restaurateur de Genève.

h.        Entendu par la police le 17 janvier 2024, G______ a indiqué être l'administrateur de D______ SA, laquelle était propriétaire du fonds de commerce du restaurant à l'enseigne "F______". Dans le but d'acquérir ce fonds de commerce, un acheteur, dont il ne se rappelait plus le nom, avait versé l'arriéré de loyers que D______ SA devait à la régie, et devait ensuite lui verser le solde du montant de l'achat, par paiements échelonnés. D______ SA avait toutefois refusé le paiement en plusieurs versements. Entretemps, l'immeuble avait été vendu et la régie avait changé. La nouvelle régie avait alors mis le bail du restaurant au nom des acheteurs, alors que le contrat de vente du fonds de commerce n'avait jamais été signé et donc conclu. Le litige actuel se basait là-dessus. L'acheteur avait cru que le restaurant lui appartenait sur la base du contrat de bail de la régie et avait changé les serrures, sans en avoir le droit.

i.          Ce contexte a donné lieu à l'ouverture d'une procédure civile parallèle, laquelle est toujours pendante devant les autorités judiciaires compétentes.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que A______ SÀRL et l'un de ses administrateurs étaient, depuis le 15 décembre 2022, titulaires d'un contrat de bail à loyer portant sur les locaux du restaurant à l'enseigne "F______". D______ SA aurait également loué les locaux jusqu'au "14 décembre 2023". Il ressortait de l'enquête diligentée par la police que la gérance avait établi un contrat de bail à loyer en faveur de la société A______ SÀRL, alors que le contrat de vente de l'établissement n'avait pas encore été signé avec "D______ SA". Le 16 mars 2023, les deux contrats de bail étaient encore en vigueur, de sorte qu'il n'était pas possible, sans l'intervention d'un tribunal compétent, de définir lequel devait primer l'autre. Les éléments constitutifs d'une infraction n'étaient donc manifestement pas réunis, étant relevé que le litige opposant les parties apparaissait de nature purement civile.

D. a. Dans son recours, la société A______ SÀRL soutient que le transfert de bail du restaurant était entièrement valide, B______ ayant lui-même remis la lettre de résiliation du bail de D______ SA à la régie. Celle-ci n'aurait pas établi un contrat en sa faveur si le locataire précédent n'avait pas donné son accord à ce transfert. Il n'y avait aucune raison de s'écarter de cette allégation, dont les moyens de preuve avaient été offerts. Le fait que B______ se prévalait d'un contrat de bail dont il avait "lui-même requis la résiliation" témoignait tout simplement de sa mauvaise foi et nécessitait que celui-ci soit reconnu coupable de faux dans les certificats au sens de l'art. 252 al. 4 CP.

L'infraction de dommages à la propriété ne pouvait qu'être réalisée, étant donné que B______ avait détruit les serrures du restaurant, sur lequel son employeur D______ SA ne disposait plus d'aucun droit. Ses agissements donnaient l'apparence d'un acte de justice propre, qu'aucun motif justificatif ne saurait justifier. Il lui aurait appartenu le cas échéant d'agir par la voie civile, ce qu'il n'avait pas fait.

Le droit civil ne protégeant pas l'abus de droit, il convenait également de retenir, à tout le moins, une "tentative impossible par dol éventuel de violation de domicile". Revenir dans le restaurant, après avoir résilier le bail de D______ SA en personne, malgré la remise des clés par la police à K______, constituait déjà une violation de domicile, la police ayant alors tranché la question du pouvoir de disposition sur la chose. B______ s'était aussi rendu coupable de contrainte ou de tentative de contrainte en entrant, sans droit, dans le restaurant et en tentant de l'expulser des lieux.

La procédure pénale devait être suspendue jusqu'à droit jugé sur le fond, la décision du juge civil ayant inévitablement une incidence sur le sorte du présent litige.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             2.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé dans le délai prescrits (art. 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.2.       Reste à déterminer si le recours satisfait aux exigences de forme prescrites par la loi.

2.2.1. Selon l'art. 385 al. 1 CPP, si le code exige que le recours soit motivé, la personne ou l'autorité qui recourt doit indiquer précisément les points de la décision qu'elle attaque (let. a), les motifs qui commandent une autre décision (let. b) et les moyens de preuve qu'elle invoque (let. c).

Il appartient au recourant, surtout s'il est représenté par un mandataire professionnel, de fournir les motifs qui commandent une autre décision que celle qui a été rendue (art. 385 al. 1 let. b CPP). Ces motifs doivent être étayés tant sous l'angle des faits que du droit dans l'acte de recours lui-même (arrêt du Tribunal fédéral 6B_510/2020 du 15 septembre 2020 consid. 2.2 et les réf. citées).

2.2.2. En l'espèce, la recourante sollicite, à l'appui de ses conclusions, que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il instruise les faits sous l'angle de l'infraction de vol. Elle ne consacre toutefois aucun développement juridique à cette demande dans la partie en droit de son mémoire de recours, de sorte qu'il est impossible de comprendre quels motifs commanderaient, selon elle, une autre décision à ce sujet.

Le recours sera donc déclaré irrecevable sur ce point, faute de motivation.

2.3.       Le recours est recevable dans sa forme pour le surplus.

3.             La recourante fait grief au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

3.1.       À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021, 6B_496/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3 ; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021, 6B_496/2021 du 22 décembre 2021 précité consid. 5.3 ; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 précité consid. 2.2).

3.2.       L'art. 144 al. 1 CP punit quiconque, sans droit, endommage, détruit ou met hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappé d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

Le dommage à la propriété est une infraction intentionnelle, en ce sens que l'auteur doit avoir conscience de porter atteinte à une chose appartenant à autrui. Le dol éventuel suffit (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, 1ère éd., Bâle 2017, n. 11 ad art. 144 CP).

3.3.       Selon l'art. 186 CP, se rend coupable de violation de domicile quiconque, d'une manière illicite et contre la volonté de l'ayant droit notamment, pénètre dans une habitation ou y demeure au mépris de l'injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit.

La violation de domicile n'est punissable que si elle est commise intentionnellement. L'intention comprend la conscience du fait que l'on pénètre ou que l'on demeure contre la volonté de l'ayant droit (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, op. cit., n. 44 ad art. 186 CP), mais il faut encore que l'auteur veuille ou accepte de le faire sans droit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2013 du 20 août 2014 consid. 2.1). Le dol éventuel suffit (ATF 108 IV 40 consid. 5c).

3.4.       Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté ; l'auteur agit déjà avec intention, sous la forme du dol éventuel, lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte pour le cas où celle-ci se produirait. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait mais également lorsque le résultat dommageable s'impose à l'auteur de manière si vraisemblable que son comportement ne peut raisonnablement être interprété que comme l'acceptation de ce résultat (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; 133 IV 9 consid. 4.1 ; 131 IV 1 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2.1).

3.5.       En l'espèce, bien qu'il soit admis que B______ a détérioré les serrures du restaurant "F______" et pénétré à réitérées reprises dans les locaux, rien au dossier ne permet d'affirmer qu'il l'aurait intentionnellement (art. 12 al. 1 CP) fait de manière illicite, y compris sous la forme du dol éventuel.

Les agissements de B______ laissent entrevoir qu'au moment des faits, il estimait que le contrat de bail de D______ SA n'avait pas pris fin et que cette société avait encore le droit d'occuper les lieux. Il n'a en effet pas quitté le restaurant malgré l'injonction de la recourante de le faire, n'a pas remis les clés à cette dernière et a continué de s'y rendre, notamment avec sa famille. S'il a certes endommagé trois serrures, il a exprimé une forte conviction personnelle quant à son "droit", dont il s'estimait "persuadé", de demeurer dans les locaux, arguant que le bail n'avait "pas été résilié légalement", que son transfert était une "erreur" et que "le restaurant appartenait toujours à D______ SA". Le soutien exprimé par G______ à B______, qui l'a autorisé à changer les serrures de l'établissement et qui partage la même interprétation des faits quant à la nullité du transfert du bail à la recourante, ne pouvait que renforcer sa conviction.

Il n'apparaît dès lors pas que B______ aurait agi avec l'intention délibérée de violer le droit de propriété ou de causer des dommages à la recourante, ni qu'il avait conscience du caractère potentiellement illicite de ses actes. Il a agi dans l'intime conviction que D______ SA disposait, à la période litigieuse, d'un droit d'occupation et de jouissance légitime sur l'objet en question. Il ne peut pas non plus être considéré que B______ se serait rendu coupable de contrainte (art. 181 CP) ou de tentative de contrainte (art. 181 cum 22 CP) en tentant d'expulser la recourante du restaurant en mars 2023, vu l'absence d'élément subjectif. Le fait que la police ait restitué les clés de l'établissement à K______ plutôt qu'à B______ n'y change rien, étant précisé que, contrairement à ce que semble croire la recourante, il n'appartient pas à la police mais bien à une autorité judiciaire de statuer sur le droit de jouissance qu'un locataire dispose sur un bien.

Le fait d'avoir remis, en personne, la résiliation du contrat de bail de D______ SA à la régie et de soutenir ensuite que cette résiliation ne serait pas valable, ne suffit pas à démontrer que B______ serait de mauvaise foi. En tant qu'employé de D______ SA, rien ne laisse supposer qu'il avait connaissance des modalités contractuelles liant les parties au contrat de bail "résilié", auquel il n'était manifestement pas partie prenante. Le fait que B______, en accord avec son employeur, soutienne que la résiliation du contrat ne serait pas valable apparaît davantage comme un moyen de protéger les intérêts de D______ SA que comme une tentative de nuire à la recourante. L'opinion de B______ est en tout état sans réelle importance à cet égard, celui-ci n'étant intervenu dans cette affaire qu'en qualité d'exécutant ou d'intermédiaire pour le compte de D______ SA, qui demeure juridiquement seule concernée par l'examen de la validité du transfert de son bail.

Dès lors qu'il n'apparaît guère possible de lui prêter une intention délictuelle au moment des faits, y compris sous la forme du dol éventuel, c'est à bon droit que le Ministère public a considéré qu'il n'existait pas de prévention pénale suffisante contre B______. On ne voit, au surplus, pas quel acte d'instruction pourrait infirmer cette analyse, étant retenu qu'une décision du juge civil, qui parviendrait à la conclusion que le transfert de bail en faveur de la recourante était bien valable, ne changerait pas les développements qui précèdent.

Partant, l'ordonnance querellée sera confirmée et le recours rejeté.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ SÀRL aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12840/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

900.00