Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/913/2024 du 05.12.2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/14255/2024 ACPR/913/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 5 décembre 2024 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocat,
recourante,
contre l'ordonnance de jonction rendue le 24 octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé sous la plume de son précédent défenseur d'office le 30 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la jonction de la procédure P/21841/2024 à la procédure P/14255/2024, sous ce dernier numéro.
La recourante conclut – avec suite d'indemnité pour son défenseur d'office – à l'annulation de l'ordonnance précitée, les frais devant être laissés à la charge de l'État.
b. Par ordonnance du 31 octobre 2024 (OCPR/60/2024), la Direction de la procédure a rejeté la demande d'effet suspensif assortissant le recours.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Dans le cadre de la procédure P/14255/2024, A______ est prévenue, aux côtés de sept autres personnes, d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. b et c et al. 2 LStup pour avoir, à Genève, à tout le moins depuis le début de l'année 2024, participé à un important trafic de cocaïne.
Elle est également prévenue de recel (art. 160 CP) pour avoir, à Genève, dans un box situé dans un parking souterrain, ainsi que dans ses effets personnels, détenu des objets dont elle connaissait ou aurait dû présumer la provenance douteuse, dès lors qu'ils avaient fait l'objet d'une infraction contre le patrimoine.
En vertu du principe de l'unité de la procédure, deux autres procédures (P/14609/2024 et P/1151/2024) ont ultérieurement été jointes à cette P/14255/2024, dès lors que le prévenu concerné revêtait également la qualité de prévenu pour des faits similaires.
Plusieurs actes d'enquête ont été menés (auditions par la police et le Ministère public, y compris des audiences de confrontation, demandes d'entraide adressées aux autorités françaises, perquisitions, extraction des données contenues dans des téléphones, surveillance rétroactive des raccordements de certains prévenus, pose de systèmes de géolocalisation sur des véhicules, analyses ADN).
b. Dans l'intervalle, le 18 septembre 2024, C______ a déposé plainte contre A______, avec qui elle partageait sa cellule à la prison de D______, lui reprochant en substance de lui avoir fait subir de graves pressions psychologiques, de l'avoir forcée à faire un faux témoignage la concernant et d'avoir colporté de fausses allégations à son égard auprès de la direction de la prison et de détenues. Cette plainte a donné lieu à l'ouverture de la procédure référencée P/21841/2024.
Seul un acte d'enquête a été accompli à ce jour en lien avec cette plainte, à savoir l'audition de C______. Lors de celle-ci, cette dernière a expliqué que A______ s'était confiée à elle concernant le trafic de stupéfiants dans lequel elle était impliquée, fournissant divers détails à cet égard.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère qu'il se justifie, en vertu du principe de l'unité de la procédure, de traiter l'ensemble des faits reprochés à A______ dans une seule et même procédure.
D. a. Au vu de cette jonction, le Ministère public a, parallèlement, le même jour, imparti à Me E______, qui défendait A______ dans le cadre de la procédure P/14255/2024, un délai au 30 octobre 2024 pour se déterminer sur l'existence d'un éventuel conflit d'intérêts, eu égard au fait qu'il aurait défendu les intérêts de C______ dans le cadre d'une procédure pénale parallèle et que cette dernière était actuellement représentée, dans le cadre de la procédure P/21841/2024, par Me F______, son associé au sein de la même Etude G______.
b. Par ordonnance d'interdiction de postuler du 30 octobre 2024, le Ministère public a fait interdiction à Me E______, ainsi qu'à tout membre de l'Etude G______, d'intervenir au soutien des intérêts de A______ dans le cadre de la procédure P/14255/2024, en raison de la situation de conflit d'intérêts concret dans laquelle Me E______ se trouvait vis-à-vis de cette dernière.
c. Le 31 octobre 2024, Me E______ a pris note de l'interdiction de postuler, estimant que, bien que celle-ci lui parût problématique, son propre intérêt subjectif à la profession d'avocat et au respect des règles de la LLCA prenait le dessus sur sa capacité à pouvoir défendre A______.
d. Par ordonnance du 31 octobre 2024, le Ministère public a nommé Me B______ en tant que nouveau défenseur d'office de A______.
e. Aucun recours n'a été interjeté, ni contre l'ordonnance d'interdiction de postuler du 30 octobre 2024, ni contre l'ordonnance de nomination de défenseur d'office du 31 octobre 2024.
E. a. Dans son recours contre l'ordonnance querellée, A______ invoque une violation des art. 29 et 30 CPP. Les deux procédures impliquaient des personnes différentes, concernaient des infractions distinctes et ne portaient pas sur les mêmes faits. Dans la mesure où la procédure P/14255/2024 se trouvait à un stade d'instruction déjà avancé, contrairement à la procédure P/21841/2024, une jonction viendrait uniquement affaiblir sa position, dans une procédure déjà bien assez complexe impliquant de nombreux prévenus. Une telle jonction mettrait par ailleurs en péril ses intérêts, plus particulièrement celui à une défense efficace, dès lors qu'au vu du conflit d'intérêts annoncé, le Ministère public pourrait ordonner un remplacement de son défenseur d'office, lequel interviendrait en temps inopportun compte tenu de la tenue d'une audience de confrontation le 7 novembre 2024.
b. Par courrier de son nouveau conseil du 7 novembre 2024, A______ a maintenu son recours.
c. La cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante s'oppose à la jonction des procédures.
3.1. L'art. 29 CPP règle le principe de l'unité de la procédure pénale. Il prévoit qu'il y a lieu de poursuivre et juger, en une seule et même procédure, l'ensemble des infractions reprochées à un même prévenu. Le principe de l'unité de la procédure tend à éviter les jugements contradictoires et sert l'économie de la procédure (ATF 138 IV 29 consid. 3.2; ATF 138 IV 214 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_428/2018 du 7 novembre 2018 consid. 3.2).
De façon générale, l'art. 49 CP impose la règle de l'unité des poursuites qui veut que les infractions commises en concours doivent être réprimées dans un seul et même jugement et qu'un seul juge doive se prononcer sur l'ensemble des faits qui peuvent être reprochés à un délinquant. Cette solution permet d'éviter la multitude de jugements rendus à l'encontre du même prévenu, le prononcé d'une peine complémentaire ou peine d'ensemble, ainsi que les frais liés à toute nouvelle procédure. En ce sens, les intérêts de l'auteur sont préservés. La solution choisie par le législateur tend aussi à éviter des jugements contradictoires, que cela soit au niveau de la constatation de l'état de fait, de l'appréciation juridique ou de la fixation de la peine (ATF 138 IV 214 consid. 3; L. MOREILLON / A. PAREIN‑REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, n.3 ad art. 29).
3.2. Selon l'art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de procédures pénales.
Cette disposition prévoit la possibilité de déroger au principe de l'unité de la procédure. Une telle dérogation exige toutefois des raisons objectives, ce qui exclut de se fonder, par exemple, sur de simples motifs de commodité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 30).
La disjonction des causes en vertu de l'art. 30 CPP doit cependant rester l'exception et l'unité de la procédure la règle, dans un but d'économie de procédure, d'une part, mais aussi afin de prévenir le prononcé de décisions contraires, d'autre part. Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré qu'en vertu du principe de l'unité de procédure, le ministère public était tenu de joindre des procédures à l'encontre du même prévenu quand bien même la nature des infractions était fort différente, en l'occurrence violences domestiques et escroquerie (ATF 138 IV 214 consid. 3.6 et 3.7).
3.3. En l'espèce, dans la mesure où la recourante est prévenue dans les deux procédures concernées, les faits visés par celles-ci – et les infractions qui y sont associées – doivent, au vu des principes sus-rappelés, être poursuivis conjointement, quand bien même ils seraient de nature complètement différente et impliqueraient des personnes différentes.
Aucune raison objective ne milite pour que les infractions soient poursuivies séparément. La recourante soutient qu'une telle jonction viendrait "affaiblir sa position", dans une procédure déjà bien assez complexe impliquant de nombreux prévenus. S'il est vrai que, par suite de la jonction, un ou plusieurs complexes de faits supplémentaires viendront s'ajouter à ceux initialement visés par la procédure P/14255/2024, cette amplification de la prévention est une conséquence inhérente à toute jonction et on ne voit pas en quoi la décision querellée "affaiblirait la position" de la recourante, qui ne l'explique au demeurant nullement.
Bien que l'instruction de la P/14255/2024 apparaisse avancée, il n'est pas exclu que d'autres actes d'enquête soient effectués ou sollicités, ce d'autant que de nombreuses personnes sont parties à ladite procédure et qu'aucun avis de prochaine clôture n'a encore été communiqué. Quant à la P/21841/2024, bien que n'ayant jusqu'ici consisté qu'en la seule audition, par la police, de C______, elle n'est pas particulièrement complexe et rien ne laisse supposer que les mesures d'instruction qu'elle pourrait nécessiter seraient susceptibles de retarder sensiblement l'instruction de la première procédure.
La jonction querellée présentera enfin l'avantage, selon ce que l'instruction révélera, d'éviter de devoir rendre deux décisions au fond à l'encontre de la recourante et, cas échéant, d'avoir à prononcer une peine complémentaire.
Quant au grief d'une éventuelle mise en péril de l'intérêt de la recourante à une défense efficace, il devra être écarté. Certes, le Ministère public a fait interdiction à Me E______ d'intervenir à la défense des intérêts de la recourante et ordonné le remplacement de son défenseur d'office. On perçoit toutefois mal quel intérêt juridique cette dernière conserverait aujourd'hui à contester l'ordonnance querellée pour ce motif dès lors qu'elle n'a interjeté recours, ni contre l'ordonnance d'interdiction de postuler du 30 octobre 2024, ni contre l'ordonnance de nomination d'avocat d'office du 31 octobre 2024.
Au vu de ce qui précède, l'ordonnance querellée, conforme aux réquisits des art. 29 et 30 CPP, ne prête pas le flanc à la critique.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et, partant, le recours rejeté.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. La recourante sollicite l'assistance judiciaire pour la procédure de recours et conclut à l'octroi d'une indemnité en faveur de son précédent défenseur d'office pour la rédaction du recours.
6.1. À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ ; il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire, débours de l'étude inclus, de CHF 200.- pour un chef d'étude et de CHF 110.- pour un avocat-stagiaire (art. 16 al. 1 let. a et c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).
6.2. En l'occurrence, dans la mesure où Me E______ a cessé d'intervenir à la défense des intérêts de la recourante, il y a lieu de l'indemniser pour l'activité qu'il a été amené à déployer dans le cadre du présent recours.
Me E______ sollicite l'octroi d'une indemnité de CHF 1'189.10, correspondant à 5h30 de temps consacré à la procédure de recours, soit 5h00 pour la rédaction du recours et 30 minutes pour une conférence avec la cliente.
Compte tenu de l'ampleur des écritures de recours (soit neuf pages, dont une seule pour la discussion juridique portant sur la problématique de la jonction) et de l'absence de difficulté de la cause, l'indemnité réclamée apparait excessive. Partant, celle-ci sera réduite et seule une indemnité correspondant à 2h15 d'activité d'avocat (2h00 pour la rédaction du recours et 15 minutes pour une conférence avec son avocat) au tarif horaire de CHF 200.- lui sera allouée, soit CHF 450.-, plus TVA, soit un total de CHF 486.45 TTC.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 600.-.
Alloue à Me E______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 486.45, TVA incluse, pour la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son défenseur
Me B______, à Me E______ et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/14255/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | |
Total | CHF | 600.00 |