Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/856/2024 du 20.11.2024 sur OMP/22921/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/3767/2024 ACPR/856/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 20 novembre 2024 |
Entre
A______, domiciliée ______, agissant en personne,
recourante,
contre l'ordonnance de refus de nomination d'office rendue le 28 octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 9 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 octobre 2024, notifiée le 31 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner une défense d'office en sa faveur.
La recourante demande "de ne pas refuser de nomination de l'avocat d'office".
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______, née le ______ 1954, a déposé plainte pénale à la police, le 3 novembre 2023, sans l'intervention d'un traducteur ni la présence d'un avocat, contre sa colocataire, B______. Cette dernière s'était, le 1er novembre 2023, énervée contre elle sans raison particulière et avait fermé son ordinateur de toutes ses forces, ce qui l'avait endommagé. Une fissure était apparue et un petit morceau du boitier était tombé. B______ l'avait ensuite agrippée par les cheveux et les avait tirés, avant de lui asséner plusieurs coups violents à l'arrière de la tête. Elle avait fait appel à un agent de sécurité qui les avait séparées. Depuis cet incident, elles ne partageaient plus la même chambre.
A______ a produit à l'appui de sa plainte un certificat médical daté du 2 novembre 2023, dont il ressort qu'elle se plaignait de légères céphalées "sans symptômes associés" et présentait une légère tuméfaction "à la région occipitale".
b. Entendue par la police le 11 novembre 2023 en qualité de prévenue, B______, née le ______ 1949, a contesté ces faits, à l'exception d'avoir tiré les cheveux de A______. Toutes deux partageaient une chambre dans un foyer, avec deux autres personnes. A______ avait refusé d'éteindre son ordinateur, alors qu'elle-même voulait dormir et qu'il était plus de 22h00, heure à laquelle, selon le règlement, toute activité devait être arrêtée dans les chambres. Elle s'était donc approchée d'elle pour fermer son ordinateur. Une dispute s'était ensuivie, au cours de laquelle elle avait été griffée au visage et au biceps droit, griffures qui apparaissaient sur les photographies jointes à sa déclaration. A______ l'avait tirée par le bras sur son lit. En réponse, elle l'avait agrippée par les cheveux. Une voisine les avait séparées. Elle avait fait un malaise ayant nécessité l'appel à une ambulance.
A______ la traitait souvent de "SUKA", ce qui signifiait "pute" en russe.
À l'issue de son audition, elle a déclaré déposer plainte à l'encontre de A______.
c. C______, témoin des faits, a en substance déclaré le 14 janvier 2024 qu'un conflit avait éclaté entre B______ et A______ aux alentours de 22h00. Leurs cris l'avaient réveillée. A______ avait retourné la table de chevet de B______, traité cette dernière de "pute", et dit qu'elle allait trouver un moyen de régler ses comptes avec elle. Alors que B______ était assise sur son lit, A______ l'avait griffée au visage et avait agrippé ses cheveux de ses deux mains pour les tirer.
Elle n'avait pas eu assez de force pour les séparer. Elle n'avait pas vu tout le conflit, car elle s'était baissée pour chercher les lunettes que B______ avait perdues. Elle n'avait pas vu B______ endommager le portable de A______ et ignorait si cette dernière avait été blessée.
d. Entendue une nouvelle fois par la police le 22 janvier 2024, en qualité de prévenue, toujours sans interprète ni avocat, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Elle avait vu des traces de défense sur le visage de B______. Elle ne pensait pas l'avoir griffée au biceps droit. Elle ne lui avait pas agrippé les cheveux ni ne l'avait traitée de "vieille conne".
e.a. Par ordonnance pénale OPMP/4377/2024 du 2 mai 2024, le Ministère public a condamné A______ pour lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP) et injures (art. 177 CP) pour les griffures infligées à B______ et pour l'avoir traitée de "pute", à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30.- l'unité, assortie du sursis, délai d'épreuve de 3 ans.
e.b. A______ a formé opposition le 23 mai 2024.
e.c. Le Ministère public a, par ordonnance du 28 octobre 2024, maintenu ladite ordonnance pénale et transmis la procédure au Tribunal de police.
L'opposition formée par son conseil était motivée en fait et en droit. Toutes les preuves utiles avaient été administrées. A______ s'était d'ores-et-déjà exprimée à deux reprises devant la police et une fois, par écrit, devant lui.
f.a. Par ordonnance du 2 mai 2024, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte de A______ en lien avec les infractions de dommages à la propriété (art. 144 CP) et lésions corporelles simples (art. 123 al. 1 CP) reprochées à B______. Cette autorité a en revanche reconnu celle-ci coupable de voies de fait (art. 126 al. 1 CP) pour avoir tiré les cheveux de A______.
f.b. B______ a déclaré le 17 mai 2024 retirer l'opposition qu'elle avait formée contre cette ordonnance pénale.
f.c. La Chambre de céans, dans son arrêt ACPR/661/2024 du 11 septembre 2024, a rejeté le recours de A______ contre la décision de non-entrée en matière sur sa plainte pour dommages à la propriété et lésions corporelles simples.
g. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est née à D______ (Russie) et est originaire d'Ukraine. Elle dit être arrivée en Suisse le 22 août 2022 et enseigner le français à E______ pour les ukrainiens. Elle touche CHF 150.- par mois de l'aide sociale. Son casier judiciaire suisse est vierge.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que la cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait. Elle n'était par ailleurs pas d'une gravité telle qu'elle exigerait la désignation d'un défenseur d'office, dès lors que A______ n'était passible que d'une peine privative de liberté maximale de 4 mois ou pécuniaire maximale de 120 jours-amende.
D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que son séjour en Suisse était basé sur un permis "S". Elle recevait uniquement des prestations sociales et ne pouvait donc pas payer l'avocat de sa poche. Elle demandait de ne pas refuser la nomination d'office afin d'éviter les frais de "Madame" F______ qui était son avocate "à ce jour".
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. L'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur à deux conditions : le prévenu doit être indigent et la sauvegarde de ses intérêts doit justifier une telle assistance, cette seconde condition devant s'interpréter à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP), ces deux conditions étant cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 1B_229/2021 du 9 septembre 2021 consid. 4.1 ; 1B_194/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.1). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP).
Pour déterminer si l'infraction reprochée au prévenu est ou non de peu de gravité, ce n'est pas la peine-menace encourue abstraitement, au vu de l'infraction en cause, qui doit être prise en considération mais la peine raisonnablement envisageable, au vu des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 143 I 164 consid. 2.4.3 et 3 p. 169 ss).
3.2. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêts 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 du 25 juillet 2023 consid. 2.1.2).
S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours, la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 142 III 138 consid. 5.1; 140 V 521 consid. 9.1;
139 III 396 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 7B_839/2023 du 26 mars 2024 consid. 2.3).
Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure, ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires dans le cas particulier pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (arrêts du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 précité).
3.3. En l'espèce, la question de l'indigence de la recourante, non examinée par le Ministère public dans l'ordonnance querellée, peut demeurer indécise, au vu des considérations qui suivent.
En l'état, la recourante a fait l'objet d'une ordonnance pénale – à laquelle elle a formé opposition – la condamnant à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, de sorte que la cause est de peu de gravité.
Même si l'on tient compte d'un éventuel risque d'aggravation de la peine par le Tribunal de police – dans la mesure où le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et lui a transmis le dossier –, force est de constater que la recourante resterait, en l'absence d'antécédents judiciaires en Suisse, concrètement passible d'une peine moins élevée que celle au-delà de laquelle on peut considérer que l'affaire n'est pas de peu de gravité selon l'art. 132 al. 3 CPP. Il sied de rappeler que les peines abstraitement encourues ne sont pas déterminantes dans l'examen de la gravité de la cause.
En outre, l'examen des circonstances du cas d'espèce permet de retenir que la cause ne présente pas de difficultés particulières, du point de vue de l'établissement des faits, s'agissant d'une unique dispute, ou des questions juridiques soulevées, que la recourante ne serait pas en mesure de résoudre seule. Les faits et dispositions applicables sont clairement circonscrits et ne présentent aucune difficulté de compréhension ou d'application. La recourante s'est déjà exprimée à la police à leur égard, en français, par deux fois, sans l'aide d'un avocat ni d'un interprète. Elle a ainsi parfaitement compris ce qui lui était reproché et a su donner, seule, des explications précises.
En définitive, les conditions cumulatives à l'application de l'art. 132 CPP font défaut. C'est donc à juste titre que le Ministère public a refusé de mettre la recourante au bénéfice d'une défense d'office.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours, rejeté.
5. La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).