Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/7018/2024

ACPR/825/2024 du 07.11.2024 sur OMP/19861/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.132

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7018/2024 ACPR/825/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 novembre 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 17 septembre 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 5 octobre 2024, mis en conformité le 25 suivant sur demande de la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 septembre 2024, notifiée le 2 octobre 2024, par laquelle le Ministère public a refusé de lui nommer un avocat d'office.

La recourante, sans prendre de conclusions formelles, demande la "reconsidération" de cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À la suite d'une dénonciation de l'Office des poursuites, le Ministère public a ouvert, le 18 mars 2024, une instruction – sous le présent numéro de procédure – contre A______, ressortissante américaine, née en 1984, du chef de détournements de valeurs patrimoniales mises sous main de justice (art. 169 CP).

Il lui est reproché d'avoir, du 25 juin 2023 au 1er mars 2024, arbitrairement disposé de valeurs patrimoniales saisies, en ne respectant pas son obligation de verser mensuellement à l'Office des poursuites une partie de son revenu, conformément au procès-verbal de saisie du 1er mars 2023, alors qu'elle connaissait l'existence et la teneur de son obligation, détournant ainsi une somme de CHF 19'500.-.

b. Avant de procéder à cette dénonciation, deux rappels avaient été adressés – les 25 septembre 2023 et 29 février 2024 – à l'intéressée, afin qu'elle s'acquitte des sommes saisies.

c. Le 22 mars 2024, le Ministère public a transmis à A______ la dénonciation précitée, tout en l'informant (en français et en anglais) que sur la base des pièces remises, l'infraction réprimée par les dispositions pénales applicables apparaissait réalisée. Avant qu'il ne soit statué, un délai au 15 avril 2024 lui était imparti pour formuler d'éventuelles observations ainsi que pour compléter et lui retourner le formulaire de situation personnelle – remis en annexe –, accompagné des pièces utiles.

Aucune suite n'a été donnée à cette requête.

d. Auditionnée par la police le 3 juin 2024 avec l'aide d'un interprète de langue anglaise, A______, qui a renoncé à la présence d'un avocat, a reconnu ne pas s'être acquittée des sommes saisies en ses mains pendant la période pénale considérée, faute de moyens financiers suffisants. En effet, son époux – qui avait perdu son emploi – et elle vivaient de son seul salaire, de sorte qu'ils ne parvenaient plus à assumer leurs charges courantes, en particulier leurs frais – élevés – de logement.

e. À la demande du Ministère public, l'Office des poursuites a indiqué, par courriel du 14 suivant, qu'aucun versement n'avait été effectué par l'intéressée depuis la dénonciation.

f. Le 1er juillet 2024, par suite d'une nouvelle dénonciation de l'Office des poursuites, une instruction – conduite sous le numéro P/15656/2024, puis jointe à la présente procédure – a été ouverte contre A______ du chef d'infraction à l'art. 169 CP, pour avoir, du 2 mars au 23 juin 2024, arbitrairement disposé d'une somme de CHF 1'300.-, retenue sur ses revenus selon un procès-verbal de saisie du 23 juin 2023, alors qu'elle avait connaissance de la teneur de cette obligation.

g. Invitée par le Ministère public à formuler d'éventuelles observations,
la prénommée a, par courrier du 24 suivant (rédigé en anglais et traduit en français), déclaré ne pas avoir eu pour intention d'enfreindre la loi, mais rencontrer des difficultés financières. Aussi, en raison des poursuites dont elle faisait l'objet, elle n'était pas parvenue à trouver un logement pour un prix plus abordable. Pour le surplus, l'Office des poursuites et elle étaient récemment parvenus à un accord – au sujet du montant des mensualités qui lui étaient dues –, qu'elle "s'efforcerait de respecter", dans la mesure de ses capacités financières.

h. Le 30 juillet 2024, l'Office des poursuites a, sur demande du Ministère public, indiqué qu'aucun versement n'avait été effectué depuis la dernière dénonciation.

i. Par ordonnance pénale du 27 août 2024, A______ a été reconnue coupable d'infraction à l'art. 169 CP et condamnée à une peine pécuniaire de
80 jours-amende à CHF 90.- le jour, peine partiellement complémentaire à celles prononcées les 4 août et 20 novembre 2023.

j. Par lettre du 2 septembre suivant, cette dernière y a formé opposition et demandé à être mise au bénéfice d'une défense d'office.

k. Selon l'extrait de son casier judiciaire, A______ a été condamnée par le Ministère public pour infraction à l'art. 169 CP :

- le 7 juin 2022, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 80.- le jour, avec sursis durant trois ans (révoqué le 20 novembre 2023) ;

- le 4 août 2023, à une peine pécuniaire de 45 jours-amende à CHF 50.- le jour ; et

- le 20 novembre 2023, à une peine pécuniaire de 100 jours-amende à CHF 110.- le jour (peine d'ensemble avec celle prononcée le 7 juin 2022).

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que la cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait, de sorte que A______ était à même de se défendre efficacement seule. En outre, la cause était de peu de gravité et n'exigeait pas la désignation d'un défenseur d'office, puisque l'intéressée n'était passible que d'une peine privative de liberté maximale de 4 mois ou d'une peine pécuniaire maximale de 120 jours-amende.

D. a. Dans son recours, rédigé en anglais et traduit en français, A______ indique pouvoir comprendre l'argument du Ministère public selon lequel la cause était de peu de gravité. Cela étant, les conséquences d'une éventuelle condamnation étaient importantes pour elle. En effet, une peine privative de liberté entraînerait la perte de son emploi, ce qui aggraverait sa situation financière ainsi que celle de son époux. Le refus de nomination d'un avocat d'office était donc disproportionné en comparaison avec "l'impact réel que cette affaire aura[it] sur sa vie et ses moyens de subsistance". Partant, sa demande devait être reconsidérée, l'assistance d'un défenseur étant essentielle pour préserver ses intérêts.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé une défense d'office.

3.1. L'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur à deux conditions : le prévenu doit être indigent et la sauvegarde de ses intérêts doit justifier une telle assistance, cette seconde condition devant s'interpréter à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP), ces deux conditions étant cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_229/2021 du 9 septembre 2021 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_194/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.1). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de
120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP).

Pour déterminer si l'infraction reprochée au prévenu est ou non de peu de gravité, ce n'est pas la peine-menace encourue abstraitement, au vu de l'infraction en cause, qui doit être prise en considération mais la peine raisonnablement envisageable, au vu des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 143 I 164 consid. 2.4.3 et 3 p. 169 ss).

3.2.  Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêts 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 du 20 décembre 2023 consid. 2.1.2).  

S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours, la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 142 III 138 consid. 5.1; 140 V 521 consid. 9.1;
139 III 396 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 7B_839/2023 du 26 mars 2024 consid. 2.3).

Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure, ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires dans le cas particulier pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir
(arrêts du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 du 25 juillet 2023 consid. 2.1.2). 

3.3. En l'espèce, la question de l'indigence de la recourante, non examinée par le Ministère public dans l'ordonnance querellée, peut demeurer indécise, au vu des considérations qui suivent.

En l'état, la recourante a fait l'objet d'une ordonnance pénale – à laquelle elle a formé opposition – la condamnant à une peine pécuniaire de 80 jours-amende, de sorte que la cause est de peu de gravité.

Même si l'on tient compte d'un éventuel risque d'aggravation de la peine par le Tribunal de police – dans l'hypothèse où le Ministère public devait décider de maintenir son ordonnance pénale –, force est de constater que la recourante resterait, en dépit de ses antécédents judiciaires, concrètement passible d'une peine moins élevée que celle au-delà de laquelle on peut considérer que l'affaire n'est pas de peu de gravité selon l'art. 132 al. 3 CPP. Il sied de rappeler que les peines abstraitement encourues ne sont pas déterminantes dans l'examen de la gravité de la cause.

En tout état, l'examen des circonstances du cas d'espèce permet de retenir que la cause ne présente pas de difficultés particulières, du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, que la recourante ne serait pas en mesure de résoudre seule. Les faits en cause ainsi que la disposition applicable sont clairement circonscrits et ne présentent aucune difficulté de compréhension ou d'application pour la recourante, qui a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour des faits de même nature. Elle a parfaitement compris ce qui lui est reproché – ayant admis n'avoir pas payé les sommes saisies en ses mains, alléguant des difficultés financières – et s'est exprimée – devant la police et par écrit – de manière circonstanciée, sans l'aide d'un conseil. Par ailleurs, le fait qu'elle ne maîtrise pas le français ne suffit pas à fonder la nécessité d'un avocat, puisqu'elle a bénéficié d'un interprète et ne prétend pas avoir mal compris certains éléments du dossier ou certaines questions qui lui ont été posées.

Enfin, s'il faut reconnaître que toute condamnation pénale est, de par sa nature, susceptible d'avoir des conséquences sur la situation personnelle du condamné, l'on ne saurait admettre la nécessité de nommer un défenseur d'office au seul motif que la procédure en cours pourrait entraîner des répercussions, en particulier financières, pour la recourante et son époux.

En définitive, les conditions cumulatives à l'application de l'art. 132 CPP font défaut. C'est donc à juste titre que le Ministère public a refusé de mettre la recourante au bénéfice d'une défense d'office.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours, rejeté.

5.             La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).