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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1115/2012

ACPR/649/2024 du 30.08.2024 sur CTCR/13/2024 ( TCR ) , REJETE

Descripteurs : HONORAIRES;AVOCAT D'OFFICE;PRESCRIPTION;FRAIS JUDICIAIRES;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : CPP.135; CO.135; CO.128; CPP.417; CPP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1115/2012 ACPR/649/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 30 août 2024

 

Entre

A______, avocat, Étude B______, ______, agissant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 18 juillet 2024 par la Direction de la procédure du Tribunal criminel,

et

LE TRIBUNAL CRIMINEL, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 19 juillet 2024, Me A______ recourt contre l'ordonnance de la veille, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle la Direction de la procédure du Tribunal criminel (ci-après, la Direction de la procédure) a déclaré irrecevable sa demande en indemnisation du défenseur d'office.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à sa réforme en ce sens que sa note d'honoraires soit taxée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par ordonnance du 20 février 2012, Me A______ a été désigné défenseur d'office de C______ dans le cadre de la procédure P/1115/2012.

b. Par jugement du 6 décembre 2013, le Tribunal criminel a notamment reconnu le précité coupable de tentative d'assassinat (art. 22 al. 1 CP cum art. 112 CP) et de brigandages aggravés (art. 140 ch. 1, 2 et 3 CP), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 13 ans, sous déduction de 658 jours de détention avant jugement. L'indemnité du défenseur d'office n'a pas été fixée.

c. Le condamné a formé appel contre ce jugement, puis recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt sur appel AARP/549/2015 du 18 novembre 2015 qui confirmait sa condamnation.

Par arrêt du 2 mars 2018, la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après, CPAR) a pris acte de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_440/2016 du 8 novembre 2017 – publié aux ATF 144 IV 35 – qui annulait son arrêt du 18 novembre 2015 précité et, statuant à nouveau, reconnaissait, notamment, C______ coupable de brigandages qualifiés et le condamnait à une peine privative de liberté de 12 ans.

Il ressort également des arrêts précités de la CPAR que l'activité du défenseur d'office a été indemnisée pour la procédure devant cette autorité.

d. Par arrêt du 23 août 2018, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de C______, ainsi que sa demande d'assistance judiciaire.

e. Aux termes de la décision querellée, par lettre du 6 juillet 2023 [laquelle ne figure pas au dossier soumis à la Chambre de céans] adressée au Service de l'assistance juridique – qui l'a transmise au Tribunal pénal le 24 août 2023 –, Me A______ a sollicité la taxation de ses honoraires pour la procédure de première instance.

C. Dans l'ordonnance querellée, la Direction de la procédure, se référant à un arrêt du Tribunal fédéral (6B_1319/2023 du 23 avril 2024), considère que – faute d'avoir recouru contre le jugement de première instance du 6 décembre 2013 – Me A______ était forclos à se prévaloir ultérieurement d'une indemnité pour ses honoraires. En tout état de cause, aucun acte interruptif de prescription n'étant intervenu, la créance du précité était prescrite depuis 2018.

D. a. Dans son recours, Me A______ reproche à l'instance précédente d'avoir violé le principe de la bonne foi, dans la mesure où – jusqu'à fin 2014 – la pratique du canton de Genève était de fixer l'indemnité de l'avocat d'office dans une décision séparée postérieure. Par ailleurs, sa créance n'était pas prescrite au moment du dépôt de la demande en indemnisation en juillet 2023, dès lors que la dernière décision rendue dans la P/1115/2012 était celle du Tribunal fédéral, le 23 août 2018. Or, à supposer que le recours de son client fût admis par cette autorité, il aurait toujours été le défenseur d'office de C______ "sur renvoi de la cause". Quoi qu'il en soit, la prescription quinquennale avait été valablement interrompue aussi bien par ses démarches auprès du Greffe de l'assistance judiciaire que par l'envoi d'un commandement de payer.

À l'appui de son recours, il produit un commandement de payer du 21 novembre 2019 adressé à l'État de Genève portant sur la somme de CHF 100'000.- et mentionnant comme cause de l'obligation "[p]rétention en indemnisation par l'ETAT DE GENEVE de l'activité déployée par Me A______ en qualité de défenseur d'office".

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du défenseur d'office, qui a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Jusqu'au 31 décembre 2023, l'art. 135 al. 3 let. a aCPP prévoyait que le défenseur d'office pouvait contester devant l'autorité de recours la décision du Ministère public ou du tribunal de première instance fixant son indemnité. Dans sa teneur depuis le 1er janvier 2024, l'art. 135 al. 3 CPP dispose que le défenseur d'office peut contester la décision fixant l'indemnité en usant du moyen de droit permettant d'attaquer la décision finale. L'ancien droit reste toutefois applicable ici, dans la mesure où le jugement du Tribunal criminel du 6 décembre 2013 a été rendu avant la modification législative (cf. art. 453 al. 1 CPP et arrêt du Tribunal fédéral 6B_1319/2023 du 23 avril 2024 consid. 3.1).

La Chambre de céans reste ainsi compétente.

1.3. Le recours est partant recevable.

1.4. La pièce nouvelle produite est également recevable (arrêts du Tribunal fédéral 7B_1011/2023 du 11 janvier 2024 consid. 3.4; 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant se plaint du refus de lui indemniser ses honoraires pour la procédure de première instance, reprochant à l'autorité précédente d'avoir violé le principe de la bonne foi. Il conteste en outre que cette créance soit prescrite.

3.1.1. Aux termes de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. L'art. 135 al. 2 aCPP (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2023; équivalant à l'art. 135 al. 2 1ère phrase CPP en vigueur depuis le 1er janvier 2024) prévoit que le ministère public ou le tribunal qui statue au fond fixe l'indemnité à la fin de la procédure. Les jugements de première instance doivent ainsi contenir dans leur exposé des motifs une motivation des frais et indemnités (art. 81 al. 3 let. a CPP) et dans leur dispositif le prononcé relatif aux frais et aux indemnités (art. 81 al. 4 let. b CPP). Le tribunal doit se prononcer sur l'indemnisation du défenseur d'office ou du conseil juridique gratuit dans le jugement au fond, afin qu'il puisse être formé appel, respectivement recours contre cette décision (ATF 139 IV 199 consid. 5.1 et 5.2). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a écarté la possibilité que l'indemnité de l'avocat d'office ou du conseil juridique gratuit puisse être fixée dans une décision séparée postérieure (ATF 139 IV 199 consid. 5.3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_212/2014 du 9 octobre 2014 consid. 1.1 et 6B_985/2013 du 19 juin 2014 consid. 1.1).

S'il n'a pas contesté le jugement de première instance par les moyens prévus par le CPP, le défenseur d'office est forclos à se prévaloir d'une indemnité pour ses honoraires ultérieurement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1319/2023 précité consid. 3.4).

3.1.2. L'art. 3 CPP garantit les principes du respect de la dignité et du procès équitable. Il prévoit notamment que les autorités pénales se conforment au principe de la bonne foi et l'interdiction de l'abus de droit (al. 2 let. a et b). Selon le principe constitutionnel garanti à l'art. 5 al. 3 Cst féd. toute autorité doit s'abstenir de procédés déloyaux et de comportements contradictoires (ATF 136 I 254 consid. 5.2).

3.1.3. Le principe de la légalité prévaut, en général, sur celui de l'égalité de traitement, ancré à l'art. 8 Cst féd. Aussi un justiciable ne peut-il, d'ordinaire, se plaindre d'une inégalité devant la loi lorsque celle-ci a été correctement appliquée à son cas (arrêt du Tribunal fédéral 1C_627/2018 du 4 septembre 2019 consid. 4.1).

Pour prétendre à une égalité dans l'illégalité, il faut, entre autres conditions, que l'autorité étatique n'ait pas respecté la loi selon une pratique constante et qu'elle entende persévérer dans cette inobservation (ibidem).

3.2.1. Dans deux causes concernant le recourant, le Tribunal fédéral a relevé que l'absence de régime de prescription de la créance en indemnisation de l'avocat d'office au pénal dans le CPP s'expliquait notamment par la règle de l'art. 135 al. 2 CPP, imposant l'examen de la prétention au moment où l'autorité statue au fond. Il en a notamment déduit que la question du délai de prescription ne devrait, pratiquement, guère se poser. Le Tribunal fédéral a néanmoins précisé que l'approche selon laquelle l'indemnisation du conseil d'office en procédure pénale suivrait le même régime de prescription quinquennale que celui prévu à l'art. 128 ch. 3 CO n'était pas critiquable (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1319/2023 précité consid. 3.1 et 6B_1198/2017 du 18 juillet 2018 consid. 6.3 et 6.4).

3.2.2. Le délai de prescription commence à courir dès la fin du mandat du défenseur d'office, soit dès l'entrée en force de la décision finale (arrêts du Tribunal 6B_546/2018 du 16 août 2018 consid. 7 et 6B_1198/2018 précité consid. 6; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 33 ad art. 135).

Selon l'art. 437 CPP, les jugements et les autres décisions de clôture contre lesquels un moyen de recours selon le CPP est recevable entrent en force: lorsque le délai de recours a expiré sans avoir été utilisé (al. 1 let. a); lorsque l'ayant droit déclare qu'il renonce à déposer un recours ou retire son recours (al. 1 let. b); lorsque l'autorité de recours n'entre pas en matière sur le recours ou le rejette (al. 1 let. c). L'entrée en force prend effet à la date à laquelle la décision a été rendue (al. 2). Les décisions contre lesquelles aucun moyen de recours n'est recevable selon le CPP entrent en force le jour où elles sont rendues (al. 3). Un prononcé entre ainsi en force dès qu'il ne peut plus être attaqué et donc modifié ou annulé par une voie de recours prévue par le CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_440/2012 du 14 décembre 2012 consid. 2.3.1).

En cas de recours au Tribunal fédéral – devant lequel le mandat du défenseur d'office n'est pas opérant –, ce dernier poursuit automatiquement cette fonction sans nouvelle décision en cas de renvoi de la cause aux autorités cantonales (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 1 et 1f ad. art. 134).

3.2.3. Le délai de prescription de l'art. 128 ch. 3 CO peut être interrompu. Dans ce cas, un nouveau délai de même durée commence à courir (art. 137 al. 1 CO).

Les démarches suivantes sont interruptives de prescription : la renonciation, par le débiteur, à invoquer celle-là (art. 141 CO); le dépôt, par le créancier, d'une réquisition de poursuite (art. 135 ch. 2); en matière de droit public, tout acte par lequel le créancier fait valoir sa prétention de manière adéquate vis-à-vis du débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 1C_17/2023 du 28 juillet 2023 consid. 3.1.1).

Dans ce dernier cas de figure, les démarches du créancier doivent être effectuées auprès de l'autorité étatique compétente (T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 261; P. MOOR / E. POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 100) et permettre à cette dernière d'identifier les faits à l'origine de sa créance; à défaut, la prescription n'est point interrompue (arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1271/2011 du 16 août 2011 consid. 4.3.2; T. MEIER, Verjährung und Verwirkung öffentlich-rechtlichen Forderungen, 2013, p. 226).

3.3. En l'espèce, on rappellera que le recourant n'a pas formé recours contre le jugement du Tribunal criminel du 6 décembre 2013 – qui n'a pas statué sur son indemnité en qualité de défenseur d'office –, de sorte qu'il est – indépendamment de la question de la prescription – forclos à se prévaloir ultérieurement d'une telle indemnité. Certes, il n'a pas été interpellé pour faire valoir sa liste des opérations, avant que le jugement du fond soit rendu. Il ne s'est toutefois pas plaint d'un déni de justice sur ce point.

Même à admettre – comme le soutient le recourant – que, jusqu'à fin 2014, la pratique genevoise consistait à fixer l'indemnité de l'avocat d'office dans une décision séparée, cette pratique n'a eu aucune incidence sur les droits du recourant, dans la mesure où il n'allègue pas avoir formé une demande d'indemnisation avant cette date. De surcroit, il n'est nullement établi que les autorités genevoises entendaient persévérer dans leur mode de faire, de sorte que le recourant ne peut pas prétendre à une égalité dans l'illégalité.

Quoi qu'il en soit, la prescription quinquennale était atteinte le 6 juillet 2023, date à laquelle le recourant a déposé son état de frais auprès du Greffe de l'assistance juridique. En effet, le mandat d'office du recourant est arrivé à son terme au plus tard le 2 mars 2018, date de l'arrêt de la CPAR. Contrairement à ce que soutient le recourant, ce mandat n'a pas été reconduit, dans la mesure où le Tribunal fédéral a rejeté le recours de son mandataire.

Enfin, on ne voit pas quel acte interruptif de prescription, au sens de l'art. 135 CO, serait intervenu dans l'intervalle. Le recourant ne prétend, ni ne démontre, que le Greffe de l'assistance juridique aurait renoncé à se prévaloir de la prescription pour l'état de frais litigieux, étant précisé qu'il est douteux que ce service soit compétent pour statuer sur ce point. De même, le commandement de payer que le recourant a fait notifier à l'État de Genève ne mentionne pas, comme cause de l'obligation, la présente procédure. Dans la mesure où la créance invoquée n'est pas suffisamment déterminable, le délai de prescription n'aurait donc pas pu être valablement interrompu par cet acte.

4. Le recours sera dès lors rejeté.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de Me A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Tribunal criminel.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1115/2012

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

 

 

Total

CHF

900.00