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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19363/2023

ACPR/639/2024 du 28.08.2024 sur ONMMP/2295/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;FAUX MATÉRIEL DANS LES TITRES;GESTION DÉLOYALE
Normes : CPP.310; CP.251; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19363/2023 ACPR/639/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 28 août 2024

 

Entre

A______,

DOMAINE DE B______ SA,

représentés tous deux par Me Mattia DEBERTI, avocat, NOMEA AVOCATS SA, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12,

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 27 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 juin 2024, A______ et DOMAINE DE B______ SA recourent contre l'ordonnance du 27 mai 2024, notifiée le 29 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte contre C______, des chefs de faux dans les titres et gestion déloyale aggravée.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'200.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En 2007, après s'être vu refuser par la Commission foncière agricole l'acquisition d'un domaine à E______ [GE], sur lequel il entendait créer une fondation dédiée à [une activité de] "D______" A______ a contacté C______, agriculteur exploitant les parcelles voisines, dans le but de trouver un arrangement garantissant l'exploitation desdites parcelles, tout en lui permettant "d'instituer à titre posthume la fondation rêvée".

b. Le 7 septembre 2009, A______ et C______ ont signé deux conventions dans le but de créer la société DOMAINE DE B______ SA (ci-après : B______ SA).

b.a. Selon la première, le capital-actions de la société, divisé en 750 actions nominatives de CHF 1'000.-, était réparti comme suit:

-          503 actions propriétés de C______, et

-          247 actions propriétés de A______.

Le conseil d'administration était formé de C______. La société avait pour but l'exploitation des parcelles composant le domaine, et les bâtiments étaient mis à la disposition de A______. Les parcelles étaient, "pour partie", cultivées par C______ et "pour partie" affectées par A______ à un projet de D______, dont il entendait assurer la pérennité par la constitution d'une fondation.

La convention accordait à A______ des droits d'emption et de préemption sur les actions détenues par C______.

Les terres cultivées étaient mises à disposition de C______ sur la base d'un contrat d'entreprise. Ce dernier avait l'obligation de convenir, avec A______, de l'organisation des cultures. L'art. 7 précisait que les parties géreraient la société dans l'intérêt des activités de D______ déployées par A______ et la fondation, et accorderaient la priorité à ces activités, notamment dans le choix de l'affectation des terres du domaine. Enfin, un droit de veto était accordé à A______ sur les décisions de l'administration de la société.

b.b. Au terme de la seconde convention, un prêt de CHF 503'000.- était accordé jusqu'au 31 décembre 2019 par A______ à C______, pour l'acquisitions des parts-sociales.

c. B______ SA a été créée le ______ 2009 avec pour but l'exploitation rurale d'un domaine agricole.

Jusqu'au 22 avril 2022, C______ en a été l'administrateur unique avec signature individuelle. Depuis lors, F______ exerce cette fonction et dispose du même pouvoir de signature.

d. Le 6 septembre 2023, A______ et B______ SA, par l'intermédiaire de son administrateur, ont déposé plainte pénale contre C______, des chefs de faux dans les titres (art. 251 CP), alternativement gestion déloyale aggravée (art. 158 CP).

Dans le cadre du contrat d'entreprise précité, C______ avait exploité près de vingt hectares de terres cultivables au nom et pour le compte de la société. En 2011 et 2012, le prénommé avait versé à B______ SA une participation au bénéfice d'exploitation des terres de CHF 5'000.- par année, portée à CHF 6'500.- par la suite. Les années s'étaient écoulées sans que A______ "ne s'intéresse vraiment" à la situation financière de la société.

En 2021, A______ avait entrepris les démarches en vue de créer la fondation par voie testamentaire, ce qui impliquait notamment la restitution des terres acquises par la société. Il avait alors réclamé le remboursement du prêt accordé à C______, qui s'était exécuté en lui transférant la pleine propriété de ses parts sociales. Il avait alors appris que "la dotation du patrimoine de la fondation par les actions de B______ SA" n'était pas possible, compte tenu de la situation financière précaire de celle-ci. La fiduciaire chargée de la comptabilité de B______ SA l'avait informé que les montants remis à titre de participation au bénéfice de l'exploitation des terres étaient "anormalement" faibles. Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 12 avril 2022, C______ avait démissionné et F______ avait été nommé nouvel administrateur unique. Le second avait interpellé le premier sur la restitution des terres à la société, ainsi que sur la santé financière de celle-ci. Lors d'une discussion ultérieure le 10 juin 2022 entre les "intéressés", C______ avait consenti à restituer les terres dès la prochaine moisson. Le 29 août 2022, un document avait été soumis au précité afin de formaliser le transfert, mais il avait refusé.

Par lettre du 24 avril 2023, la société avait résilié le contrat d'entreprise la liant à C______. Dans sa réponse du 6 juillet 2023, le prénommé avait fait savoir que son fils, G______, était au bénéfice d'un contrat de bail à ferme, conclu le 1er janvier 2017 avec la société – soit pour elle C______ –, pour une durée de 25 ans, ce qui empêchait la restitution des terres, car G______ était ainsi au bénéfice d'un droit de préemption légal sur les parcelles. Or, ni la fiduciaire, ni A______ n'avaient eu connaissance de la conclusion de ce contrat, dont l'existence était évoquée pour la première fois dans cette missive. En outre, le fermage annuel était de CHF 6'500.-, ce qui représentait environ CHF 325.- par hectare. Or, aucun élément n'expliquait comment ce fermage avait été fixé, à un montant défavorable à la société et "parfaitement arbitraire". À titre comparatif, la valeur de rendement des terres avait été estimée à CHF 157'062.- par an en 2009 et les fermages indicatifs selon "l'ordonnance concernant le calcul des fermages du 11 février 1987" allaient de CHF 500.- à CHF 1'000.- par hectare.

L'original de ce contrat ne leur avait pas été remis et ils pensaient qu'il avait été faussement créé en 2023 dans le but de permettre à C______ et à son fils de continuer d'exploiter les terres de la société au détriment de celle-ci.

Alternativement, si le contrat était "authentique", à savoir s'il avait bien été conclu le 1er janvier 2017, ces faits étaient susceptibles de constituer une gestion déloyale. C______ en tant qu'administrateur unique de B______ SA, revêtait une position de gérant. La durée du contrat était excessive, ce d'autant qu'une prolongation de six ans pouvait être demandée, et le montant du fermage était dérisoire. S'il en avait eu connaissance, A______ s'y serait opposé. Ainsi, en condamnant B______ SA à ne pas pouvoir valoriser ses terres durant les vingt-cinq prochaines années, C______ avait lésé le patrimoine de la société ainsi que celui de A______. Il avait agi en violation des obligations qui lui incombaient. Il avait, de plus, octroyé un droit de préemption légal à son fils, alors que les terres devaient être dévolues à la future fondation, ainsi que cela ressortait des accords contractuels de 2009.

e. Entendu par la police le 22 janvier 2024, C______, né le ______ 1952, a contesté les faits reprochés.

Le contrat de bail litigieux avait été conclu au mois de janvier 2017 car, arrivant à la retraite, il ne percevait plus de subventions de la Confédération. Il n'avait jamais parlé de la conclusion dudit contrat, car c'était, selon lui, la "suite logique". En effet, dans le domaine agricole, les terres louées étaient transférées par les parents à leurs enfants. Ainsi, toutes les parcelles qu'il exploitait, ou dont il était propriétaire, avaient été transmises à son fils. De plus, A______ ne s'était jamais intéressé à la gestion et à l'exploitation de la société. Aucune assemblée générale ou discussion entre les actionnaires n'avait eu lieu. A______ préparait les documents qu'il remettait à une fiduciaire, choisie par lui. Chaque année, lui-même recevait les comptes, étant précisé qu'il ne les avait jamais signés. Il avait été nommé administrateur de la société car "il en fallait un", mais cette qualité ne l'intéressait pas, du moment qu'il pouvait exploiter les terres. Il avait pris ce poste "pour [A______]", avec le mandat d'exploiter le domaine. Il n'avait pas rédigé la lettre de démission, qui lui avait été soumise.

La durée du contrat de bail correspondait à une génération. Les montants du fermage avaient été fixés selon les tarifs d'AgriGenève. Sur les vingt hectares, environ huit étaient en culture céréalière et le reste en herbage, ce qui expliquait la différence de prix. De plus, la qualité des terres du domaine était "compliquée": il ne s'agissait pas de terre de première qualité et les rendements étaient "moyens". A______ n'avait jamais demandé à ce que le montant soit réévalué, bien qu'il disposât de tous les chiffres. Enfin, il livrait gratuitement du foin à ce dernier et lui permettait de "parquer" ses chevaux sur les terrains qu'il louait, sans contrepartie.

Il ne s'était jamais engagé oralement à restituer les terres. Lorsqu'un document lui avait été soumis le 29 août 2022 pour formaliser ladite restitution, il avait refusé, ce d'autant que sur les annexes figuraient le nom d'autres agriculteurs. Il avait aussi été heurté, car lui-même et A______ étaient amis.

Il n'avait pas remis le contrat de bail à A______, ne voulant pas qu'il le déchire.

f. Selon le rapport de renseignements du 22 janvier 2024, la police a contacté AgriGenève, soit l'association faîtière de l'agriculture genevoise. Il a ainsi pu être mis en évidence que si le montant du fermage de CHF 325.- par hectare semblait certes sous-évalué, il pouvait être justifié par l'influence de multiples facteurs. La durée minimale pour un bail de ce type était de douze ans, reconductible six ans, mais une durée de vingt-cinq ans pouvait aussi être convenue par les parties.

La police a également pris contact avec l'Office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après: OCAN), lequel a indiqué que le bail litigieux n'avait pas fait l'objet d'une validation devant la commission d'affermage. En outre, au vu de la taille du domaine, une durée de vingt-cinq ans pour un bail n'était pas exagérée, notamment compte tenu des investissements du fermier. S'agissant du fermage, il n'y avait pas de seuil minimal prescrit par la loi et le montant mentionné dans le contrat était conforme aux usages pour un tel domaine.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que les déclarations des parties étaient contradictoires. Aucun élément de preuve objectif ne permettait d'appuyer l'une plutôt que l'autre des versions, de contester l'authenticité du contrat de bail à ferme agricole ou de déterminer avec certitude la date à laquelle il avait été signé. En outre, le litige entre les parties, à savoir la gestion de l'exploitation et de la société, revêtait un caractère exclusivement civil.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ SA reprochent au Ministère public une constatation inexacte et erronée des faits ainsi qu'une violation du principe in dubio pro duriore.

Si les déclarations des parties au sujet des faits constitutifs de faux dans les titres étaient certes contradictoires, leur plausibilité ne pouvait être considérée comme équivalente. C______ reconnaissait ne jamais avoir évoqué le contrat du 1er janvier 2017. De plus, l'OCAN avait confirmé que le bail n'avait jamais fait l'objet d'une validation devant la commission d'affermage, ce qui était pourtant obligatoire en application de l'art. 30 al. 1 de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole (LBFA; RS 221.213.2). Il était donc plausible que le bail ait été établi pour ses besoins personnels lorsque les terres lui avaient été réclamées en 2023. Afin de déterminer si tel était le cas, une expertise graphologique était nécessaire. En effet, une comparaison entre la signature présente sur le contrat et d'autres signatures de références permettrait d'établir si la première avait été apposée à la date indiquée.

Dans l'hypothèse où l'authenticité du contrat de bail à ferme serait démontrée, les versions des parties n'étaient pas contradictoires. S'agissant de l'infraction de gestion déloyale, C______, en tant qu'administrateur de la société, revêtait la qualité de gérant. En vertu des deux conventions signées le 7 juillet 2009, il avait le devoir de veiller aux intérêts économiques de la société et à ce que celle-ci soit gérée dans l'intérêt des activités de D______ déployée par A______ et de la fondation, en accordant la priorité à celles-ci, notamment dans le choix de l'affectation des terres du domaine (art. 7 de la convention).

Or, C______ avait engagé la société dans un contrat de bail à ferme pour une durée de vingt-cinq ans, prolongeable, pour un fermage sous-estimé selon les recommandations de l'OCAN. Il avait dès lors causé un préjudice à la société et, en sus, à A______, en rendant irréalisable le but de l'accord qui les unissait, soit de céder la société à une fondation pour la création d'une activité de "D______" sur ses terres.

C______ avait agi pour un motif purement égoïste et dans un dessein d'enrichissement afin de favoriser son fils. Il avait délibérément caché la conclusion dudit contrat à A______ ainsi qu'à la commission d'affermage, à qui ce contrat aurait dû être soumis.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Une partie plaignante n'a qualité pour agir, fondée sur un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), que pour autant qu'elle soit directement et personnellement lésée par l'infraction dénoncée (art. 115 al. 1 CPP), ce qui implique en principe qu'elle soit titulaire du bien juridiquement protégé par cette dernière (arrêt du Tribunal fédéral 1B_678/2011 du 30 janvier 2012 consid. 2.1). Il convient donc d'interpréter le texte de l'infraction pour en déterminer le titulaire et ainsi savoir qui a qualité de lésé (ATF 118 IV 209 consid. 2).

1.2.2. S'agissant en particulier d'infractions contre le patrimoine – au nombre desquelles figure la gestion déloyale –, le propriétaire des valeurs patrimoniales est considéré comme la personne lésée (arrêts 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1; 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1; 1B_104/2013 du 13 mai 2013 consid. 2.2). Il en résulte notamment que, lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut prétendre à la qualité de lésé, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3 p. 386; 140 IV 155 consid. 3.3.1 p. 158; arrêt du Tribunal fédéral 1B_62/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.1 et les arrêts cités).

Le faux dans les titres peut porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier s'il vise à nuire à une personne. Tel est le cas lorsqu’un document est présenté à un individu qui pourrait prendre des dispositions sur cette base (ATF 148 IV 170 précité consid. 3.5.1), respectivement quand le faux constitue l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine (arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2021 du 13 janvier 2023 consid. 3.1.2).

1.2.3. En l'espèce, la qualité pour recourir de A______ apparait douteuse, dans la mesure où les infractions en cause, en particulier celle de gestion déloyale, si elle était avérée, auraient été commises au détriment des intérêts de B______ SA, et non des siens propres. Le recours du précité est quoi qu'il en soit infondé, compte tenu de ce qui suit (cf. consid. 4. infra).


 

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les recourants déplorent une constatation incomplète et erronée des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP ; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Les recourants estiment qu'il existe une prévention pénale suffisante des chefs de faux dans les titres à l'égard de C______.

4.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

4.2. Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1).

Une non-entrée en matière s'impose également lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287 s.).

4.3.1. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.

4.3.2. Cette disposition – qui doit être appliquée de manière restrictive
(ATF 117 IV 35 consid. 1d) – vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l'auteur réel du document ne correspond pas à l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 146 IV 258 consid. 1.1;
144 IV 13 consid. 2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_367/2022 du 4 juillet 2022 consid. 1.1).

Le faux intellectuel est un mensonge écrit qualifié, qui se distingue, par sa capacité de convaincre, d'une simple allégation unilatérale (ATF 126 IV 69 consid. 2a). La limite entre le mensonge écrit et le faux intellectuel dans les titres doit être fixée de cas en cas en fonction des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 126 IV 65 consid. 2a ; 125 IV 273 consid. 3a).

La confiance que l'on peut avoir à ne pas être trompé sur la personne de l'auteur est plus grande que celle que l'on peut avoir à ce que l'auteur ne mente pas par écrit. Pour cette raison, la jurisprudence exige, dans le cas du faux intellectuel, que le document ait une crédibilité accrue et que son destinataire puisse s'y fier raisonnablement (on parle de valeur probante accrue : arrêt du Tribunal fédéral 6B_55/2017 du 24 mars 2017 consid. 2.2). Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2). Il peut s'agir, par exemple, d'un devoir de vérification qui incombe à l'auteur du document ou de l'existence de dispositions légales qui définissent le contenu du document en question. Une simple allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas; il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 138 IV 130 consid. 2.1; 132 IV 12 consid. 8.1; 129 IV 130 consid. 2.1; 126 IV 65 consid. 2a).

Selon une jurisprudence bien établie, un contrat dont le contenu est faux ne constitue en principe pas un titre car il ne bénéficie pas de la crédibilité accrue nécessaire. Ce n'est que s'il existe des garanties spéciales que les déclarations concordantes des parties correspondent à leur volonté réelle qu'un contrat en la forme écrite simple peut être qualifié de faux intellectuel (ATF 146 IV 258 consid. 1.1.1. et les références citées).

4.4. Dans le cas présent, les recourants soutiennent que le contrat de bail litigieux serait faux, car antidaté.

Or, aucun élément au dossier ne permet de soupçonner que tel serait le cas. En effet, le mis en cause a fourni des explications cohérentes, à savoir que ledit contrat avait été établi le 1er janvier 2017, veille de sa retraite, en faveur de son fils, afin de permettre de pérenniser l'exploitation du domaine, notamment par la perception de subventions. Il affirme d'ailleurs avoir fait de même avec les autres terres dont il était propriétaire ou locataire. De plus, s'il reconnait ne pas avoir parlé dudit contrat à A______, il n'avait pas de raison de penser que ce dernier s'opposerait à sa conclusion, dans la mesure où cela ne changerait rien à la situation existante et que l'intéressé ne s'était jamais préoccupé de l'exploitation des terres, mais plutôt de la mise à disposition des bâtiments, qui n'était pas mise en péril par le contrat litigieux.

Quoi qu'il en soit, à teneur de la jurisprudence sus-rappelée, un tel contrat n'est pas doté d'une valeur probante accrue de sorte que la qualité de titre ne parait pas remplie.

En outre, il paraît peu probable qu'une expertise graphologique parvienne à donner la date exacte de la signature du contrat et, même dans ce cas, cela ne changerait pas le constat juridique qui précède.

Partant, les éléments constitutifs de l'art. 251 CP n'étant manifestement pas réalisés, la décision de non-entrée en matière prononcée par le Ministère public est justifiée sur ce point.

5.             Les recourants reprochent au Ministère public de ne pas avoir retenu l'existence d'une gestion déloyale.

5.1. L'art. 158 CP (gestion déloyale) punit le gérant d'affaires qui, en agissant avec (ch. 1 al. 1) ou sans mandat (ch. 1 al. 2), viole les devoirs auxquels il est tenu et, ce faisant, porte atteinte aux intérêts pécuniaires du tiers pour le compte duquel il intervient. L'auteur encourt une peine plus élevée s'il a agi dans un dessein d'enrichissement illégitime (ch. 1 al. 3).

L'infraction réprimée par l'art. 158 ch. 1 CP ne peut être commise que par une personne qui revêt la qualité de gérant, soit une personne à qui incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui (ATF 129 IV 124 consid. 3.1 p. 126 ;
ATF 123 IV 17 consid. 3b p. 21). En règle générale, une qualité de gérant est reconnue aux organes ou membres d'organes de sociétés commerciales, ainsi qu'aux membres d'organes de fondation (ATF 105 IV 106 consid. 2 p. 109 : membre du conseil de fondation ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_412/2016 du 10 février 2017 consid. 2.2 : directeur et secrétaire général de fondation).

Le comportement délictueux visé à l'art. 158 CP n'est pas décrit par le texte légal. Il consiste à violer les devoirs inhérents à la qualité de gérant. Le gérant sera ainsi punissable s'il transgresse, par action ou par omission, les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gérer et de protéger les intérêts pécuniaires d'une tierce personne. Savoir s'il y a violation de telles obligations implique de déterminer, au préalable et pour chaque situation particulière, le contenu spécifique des devoirs incombant au gérant. Ces devoirs s'examinent au regard des dispositions légales et contractuelles applicables, des éventuels statuts, règlements internes, décisions de l'assemblée générale, buts de la société et usages spécifiques de la branche (arrêts du Tribunal fédéral 6B_233/2013 du 3 juin 2013 consid. 3.2 et 6B_446/2010 du 14 octobre 2010, consid. 8.4.1).

5.2. En l'occurrence, l'on ne saurait retenir que le mis en cause aurait manqué à son devoir de gestion et, a fortiori, causé un dommage à la société, pour avoir engagé celle-ci dans le contrat de bail litigieux. En effet, selon les renseignements pris par la police auprès d'AgriGenève, une durée de vingt-cinq ans est possible en cas d'accord entre les parties. Par ailleurs, si le prix du fermage paraissait sous-évalué, il pouvait s'expliquer par divers facteurs. Les explications données par le mis en cause à ce sujet lors de son audition par la police n'ont au demeurant pas été contestées par les recourants dans leurs écritures. De même, l'OCAN a expliqué qu'il n'existait pas de seuil minimal prescrit par la loi pour fixer le fermage et que le montant retenu était conforme aux usages pour un domaine ayant un tel rendement. Enfin, le montant annuel du fermage prévu par le contrat est le même que celui versé depuis plus de dix ans par C______, montant que A______ n'a jamais remis en question et dont ce dernier avait connaissance, pour avoir eu accès aux documents idoines, qu'il transmettait à la fiduciaire pour l'établissement des comptes.

Ainsi, le comportement reproché au mis en cause s'agissant de la gestion et l'exploitation de la société serait tout au plus constitutif d'une violation de leurs accords contractuels, un litige sur ce point étant de nature exclusivement civile.

Au vu de ce qui précède, le Ministère public était également fondé à ne pas entrer en matière sur le grief de gestion déloyale.

6.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

7.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ et DOMAINE DE B______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19363/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

Total

CHF

1'200.00