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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4408/2022

ACPR/591/2024 du 12.08.2024 sur ONMMP/3204/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;USURE(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.157; CPP.382.al1; CPP.118; CPP.310.al1.leta; LAVS.87; LPP.176; LAA.112

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4408/2022 ACPR/591/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 12 août 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 juillet 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 29 juillet 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 juillet 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de la mettre au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite et de lui désigner un conseil juridique (chiffre 1 du dispositif) et a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits de la procédure (ch. 2).

La recourante conclut à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi du dossier au Ministère public pour ouverture d'une instruction contre B______ du chef d'usure (art. 157 CP). Une indemnité de CHF 3'264.62 devait lui être allouée sur la base de l'art. 433 al. 1 CPP, subsidiairement son conseil être nommé d'office.

b. La recourante a été dispensée de verser les sûretés (art. 383 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 24 février 2022, l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après, l'OCIRT) a dénoncé B______ au Ministère public.

Dans le cadre de l’"opération PAPYRUS", celui-ci avait rempli et signé, le 13 septembre 2017, un formulaire de demande d’autorisation de séjour et de travail pour ressortissant étranger (formulaire M), dans lequel il indiquait employer A______, originaire de Mongolie, en qualité d’aide-ménagère au sein de son entreprise individuelle C______ B______, à raison de 30 heures par semaine pour un salaire annuel brut de CHF 30'000.-.

Lors de ses auditions par l'OCIRT les 27 février et 3 mars 2020, A______ avait déclaré avoir travaillé au service de B______, sans contrat écrit dans un premier temps, en qualité de livreuse, aide-laboratoire et femme de ménage, au cabinet et à son domicile, à raison de plus de 50 heures par semaine de septembre 2012 à décembre 2013, plus de 60 heures de janvier 2014 à mi-septembre 2015, 40 heures de mi-septembre 2015 à décembre 2016, 35 heures de janvier 2017 à février 2019 et 18 heures de mars 2019 à janvier 2020. Ses horaires étaient, du lundi au vendredi, au laboratoire de 9h à 18h, voire 20h ou 22h et, de septembre 2012 à mi-septembre 2015, un week-end sur deux au domicile du prévenu. Elle avait reçu un salaire mensuel net de CHF 1'200.- en 2012 et 2013, de CHF 1'400.- en janvier et février 2014, de CHF 1'600.- en mars et avril 2014, de CHF 1'800.- en mai et juin 2015, de CHF 2'000.- entre octobre 2015 et décembre 2016, de CHF 2'500.- en 2017, de CHF 3'000.- de septembre 2018 à février 2019, et de CHF 1'880.- de mars 2019 à janvier 2020.

Dès janvier 2017, elle avait été au bénéfice d'un contrat de travail et affiliée aux assurances sociales.

Elle avait produit des copies de ses fiches de salaire, de son contrat de travail et de la lettre de licenciement du 29 janvier 2020.

L'OCIRT avait classé la procédure ouverte contre l'entreprise individuelle C______ B______, "n'ayant pu obtenir de celle-ci une adaptation du salaire de A______ relative à la période litigieuse de septembre 2012 à décembre 2016, étant précisé que seul le refus de collaborer pouvait être sanctionné […] et qu'en l'espèce B______ avait renseigné l'Office mais contestait les faits retenus".

a.b. Il ressort encore de la déclaration de A______ à l'OCIRT qu'elle était au bénéfice d'un bachelor universitaire en management financier, obtenu en 2004 en Mongolie. Elle y avait travaillé, dans une banque, de juillet 2004 à mai 2006.

Elle avait gardé deux enfants à Genève, de décembre 2011 à août 2012. Une connaissance mongole travaillant au laboratoire et au domicile de B______ lui avait proposé de prendre sa place. Du 1er janvier 2014 à mi-septembre 2015, elle avait fait le ménage dans la maison de B______ en France, un week-end sur deux, et dormi les samedis soirs dans une chambre de sa maison. De septembre 2012 à janvier 2015, elle avait dormi sur un canapé-lit, dans la salle du sous-sol du cabinet.

b. Par courrier du 5 octobre 2020 adressé à l’OCIRT, B______ a indiqué qu’il n’avait pas eu d’employés à son service entre 2014 et 2016. Il avait employé A______ du 16 janvier 2017 au 29 janvier 2020, à raison de 19 heures par semaine.

Il a joint à l’appui de ses dires notamment les copies des journaux d’inscription à la D______ [caisse de compensation] pour les années 2013, 2017, 2018 et 2019, la lettre de résiliation adressée à A______, ainsi que les fiches de salaire de cette dernière mentionnant un revenu net de CHF 1'156.- en janvier 2017, CHF 2312.75 de février 2017 à septembre 2018, CHF 2'775.75 d’octobre 2018 à février 2019 et CHF 1'739.169 de mars 2019 à janvier 2020.

c. Par courrier de son conseil du 9 décembre 2020 à l'OCIRT, B______ a contesté les déclarations de A______, au motif qu’aucun rapport de travail ne les liait avant janvier 2017. Tous deux avaient fait connaissance en 2012 et entretenu une relation de concubinage. Il pourvoyait à l’entier de ses besoins en contrepartie de son aide. A______ avait tenu son ménage en France, alors qu'ils faisaient ménage commun et se partageaient les tâches. Il arrivait que celle-ci rende de menus services ponctuellement, à savoir des livraisons pour l’entreprise.

d. Il ressort d'une note du 4 mars 2021 qu'une inspectrice de l'OCIRT avait parlé par téléphone avec E______, une ancienne employée de B______. Elle avait indiqué avoir travaillé à son service en tant que technicienne de laboratoire de 2000/2001 à 2013, à un taux de 80 %, du lundi au jeudi. A______ avait fait le ménage, des livraisons et des courses au laboratoire en 2012 et 2013. Elle l’avait vue travailler du lundi au jeudi, de 9h à 18h [soit selon ses propres horaires].

e. Par courrier du 26 mars 2021 à l'OCIRT, B______ a exposé que les déclarations de E______ ne permettaient ni d’établir la réalité ni l’ampleur des activités de A______.

f. Devant la police en novembre 2023, A______ a déclaré qu’elle avait commencé à travailler pour B______ le 1er septembre 2012. Elle avait trouvé ce travail via une annonce sur FACEBOOK et pris la place d’une femme originaire de Mongolie. Au début, elle nettoyait le laboratoire et livrait les appareils dentaires. Elle faisait le ménage toutes les deux semaines au domicile de B______ en France. Au début de son activité, elle avait dormi dans le laboratoire, sur un canapé. Sa sœur et son fils, qui étaient arrivés en octobre 2014, avaient dormi chez B______ [jusqu'en février 2015 selon ses déclarations à l'OCIRT].

En 2018 elle avait obtenu un titre de séjour après que B______ avait accompli les démarches. En décembre 2016, elle avait été licenciée. Après être restée cinq mois sans travail, elle avait recommencé à travailler pour B______. Elle n'avait pas entretenu de relation intime avec celui-ci.

A______ a déposé plainte pénale contre B______ pour usure (art. 157 CP).

g. B______ a réaffirmé à la police que la plaignante avait été son amie intime et qu’ils avaient habité ensemble en France. Ils avaient scolarisé son fils à Genève. Puis, ils avaient décidé de mettre fin à leur relation.

Entre 2014 et 2016, elle lui avait uniquement rendu quelques services en tant que compagne. Elle venait au cabinet et n’avait pas de fonction spécifique. Elle pouvait faire une livraison, des courses chez F______ [commerce de détail] ou du ménage. Elle dormait au cabinet, dans un lit. Il leur arrivait de rester tous deux à Genève. Il avait payé les charges en lien avec son salaire dès qu’il l’avait engagée en 2017.

h. E______ a déclaré à la police qu’elle avait été embauchée par le prévenu en 2001 ou 2002. À un moment donné, la relation s’était péjorée et elle avait subi de sa part un harcèlement moral pendant environ quatre ans. Elle percevait CHF 3'600.- par mois et travaillait beaucoup. Elle avait droit à huit ou neuf semaines de vacances par année, mais n’arrivait pas à les prendre en raison de la charge de travail. Lorsque B______ se trouvait à l’étranger, il lui demandait d’allumer toutes les webcams des ordinateurs du bureau, afin de pouvoir la contrôler dans son travail. À la fin, elle ne lui parlait même plus. Elle avait quitté son poste en 2013 après avoir vécu quatre années qui l'avaient rendue dépressive.

La situation personnelle de B______ était catastrophique. Sa femme avait demandé le divorce et il s’était mis à sortir avec des filles, lesquelles venaient au laboratoire.

Elle avait travaillé au laboratoire avec "G______", qui venait Mongolie et ne parlait pas français. Cette dernière faisait les courses et un peu de ménage; elle dormait dans le laboratoire. Il était compliqué de la considérer comme une collègue de travail. Le nom de A______ ne lui disait rien du tout.

i. A______ a sollicité l’audition de H______, travaillant à la [clinique] I______ du Dr J______, où elle-même avait effectué des livraisons.

j. H______ a confirmé à la police qu'elle travaillait comme assistante dentaire pour le Dr J______ depuis environ 10 ans. Elle ne connaissait pas A______, dont la photographie lui a été présentée.

Les colis provenant du laboratoire de B______ étaient livrés par plusieurs livreurs, voire par celui-là.

k. Auditionné une nouvelle fois le 16 janvier 2024 suite à la plainte pénale de A______, B______ a précisé qu'il avait vécu avec elle en France et en Suisse, au cabinet médical. Il avait aidé financièrement sa sœur et son fils pour qu’ils puissent venir en Suisse. Il contestait avoir commis la moindre infraction pénale.

l. Par courrier du 28 juin 2024, le Ministère public a informé le prévenu de ce qu'il entendait rendre prochainement une ordonnance de non-entrée en matière.

m. Le prévenu a sollicité l'octroi d'une indemnité de CHF 2'517.13.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu'indépendamment de l'indigence de A______, l'action civile paraissait vouée à l'échec, vu le prononcé d'une non-entrée en matière. L'assistance d'un conseil juridique ne se justifiait donc pas.

Les faits dénoncés étaient susceptibles d’être qualifiés d’infractions aux art. 87 LAVS, 112 LAA, 76 LPP et 117 LEI, dont la prescription, de sept ans, n’était pas atteinte. Dans la mesure où la plaignante avait signé un contrat de travail en janvier 2017 et été depuis lors affiliée aux assurances sociales, seule la période antérieure serait traitée.

Les déclarations des parties étaient totalement contradictoires et aucun élément objectif ne permettait de corroborer la version de la plaignante. Les témoignages de E______ et H______ ne permettaient aucunement d’établir que la plaignante avait effectivement travaillé pour B______, comme elle le prétendait. Il apparaissait au contraire, que les déclarations des témoins rejoignaient les propos du prévenu, lequel n’avait jamais contesté que A______ avait effectué quelques tâches au sein de son cabinet et y avait parfois dormi. Il n'était donc pas entré en matière sur ces faits concernant les infractions susvisées, faute de prévention pénale suffisante à l’encontre de B______.

Les conditions de l'usure n'étaient pas réalisées.

Concernant la période avant la signature du contrat de 2017, le développement supra valait mutatis mutandis.

Après janvier 2017, il n’était pas contesté que les parties étaient liées par un rapport de travail. À suivre la plaignante, l’état de fait délictueux aurait perduré tout au long des relations de travail. Elle reprochait en substance au prévenu de ne pas l'avoir payée au salaire minimum obligatoire et d'avoir profité de sa situation précaire, dont celui-ci avait connaissance, ce qui était contesté.

Pour autant qu'elles soient avérées, les conditions d'emploi dénoncées par A______, et plus particulièrement salariales, pourraient se révéler incompatibles avec le droit du travail suisse. Cela ne suffisait toutefois pas encore à remplir les conditions de l'usure au sens de la disposition précitée. Au demeurant, la plaignante n’avait pas expliqué – ni démontré – en quoi sa situation nécessitait, impérieusement et sans autre alternative, d’être restée avec son emploi et, si l’on venait à suivre ses dires, d’être revenue travailler chez B______ après avoir été licenciée une première fois.

Il n’apparaissait d’ailleurs pas que sa liberté d’action ait été poussée à des extrêmes l’obligeant à rester auprès du même employeur et à accepter, y compris sur le long terme, des conditions de travail qui seraient non conformes au droit, ce d’autant plus que A______ était elle-même venue solliciter l’aide du prévenu pour sa demande de régularisation "Papyrus". En définitive, sa situation irrégulière ne constituait pas une contrainte à cet égard, dès lors qu’à son arrivée en Suisse, elle avait trouvé du travail comme nounou et comme femme ménage.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir une violation de l'art. 310 al. 1 let. a CPP et du principe in dubio pro duriore.

B______ avait reconnu devant la police qu'elle avait été présente au cabinet à partir de l'année 2012, et non 2017, et effectué les tâches qu'elle avait décrites. Il avait même dans un courrier à l'OCIRT indiqué qu'il l'avait formée. Rien – en particulier des personnes de l'entourage du prévenu – ne corroborait l'affirmation de ce dernier selon laquelle ils auraient entretenu une relation intime. Elle avait d'ailleurs fait sa connaissance à la suite d'une annonce pour remplacer, dans son laboratoire, une employée également originaire de Mongolie. Il n'avait pas mentionné dans quel contexte ils se seraient rencontrés. E______ avait confirmé, à l'OCIRT et devant la police, le fait qu'elle-même avait travaillé au laboratoire en 2012 et 2013 et avoir été attristée par ses conditions de travail. Elle avait donné une description physique lui correspondant – une femme asiatique aux cheveux bruns mesurant environ 1,65 m –, et précisé que "G______" ne parlait pas le français et devait justement effectuer les tâches qui étaient les siennes, outre qu'elle dormait au laboratoire. Aucune photo d'elle n'avait été soumise à ce témoin. Selon cette dernière encore, les compagnes du prévenu venaient au laboratoire mais n'y travaillaient pas. Elle ne faisait pas référence à sa situation à elle, qui travaillait bel et bien, ce que ce témoin avait constaté. Comme E______ n'arrivait au travail qu'à 10h, il était possible qu'elle ne fût pas au courant des tâches auxquelles elle-même se livrait avant 9h. Il convenait de l'entendre une nouvelle fois pour clarifier la situation.

Le Ministère public avait violé l'art. 309 al. 1 let. a CPP.

L'infraction d'usure (art. 157 CP) était réalisée et il était choquant que les faits dénoncés n'aient pas été jugés ou à tout le moins instruits. Elle se trouvait dans une situation de faiblesse, dans la mesure où elle avait dû venir en Suisse, en octobre 2011, pour subvenir aux besoins de son fils. Elle envoyait régulièrement de l'argent en Mongolie à cet effet. Elle ne maitrisait pas le français, n'avait pas de permis de séjour et avait dû loger à son arrivée avec deux compatriotes dans un studio pour un loyer mensuel de CHF 400.-. Elle avait ensuite travaillé pendant huit mois pour une famille qui lui versait CHF 800.- par mois, en sus de la loger et de la nourrir. L'absence de permis de séjour avait eu pour conséquences qu'elle n'avait pas eu d'autre choix que de retourner travailler pour le prévenu en décembre 2016, ni de logement jusqu'en février 2015. Elle était dans un état de gêne. Et n'avait eu d'autre choix que d'accepter les conditions de travail imposées par le prévenu.

L'OCIRT, dans un courrier du 10 juin 2021 à B______, avait relevé que les salaires qui lui avaient été versés, rapportés aux durées de travail qu'elle avait effectuées, étaient de la sous-enchère et que sa vulnérabilité économique l'avait conduite à accepter des salaires très largement en-dessous des salaires usuels. Sur la base de la convention collective applicable à l'économie domestique, son salaire en 2012 et 2013, en ne tenant même pas compte des heures supplémentaires effectuées, avait été de 39 % inférieur au salaire minimum et, de février à décembre 2016, de 50 %. La disproportion semblait évidente.

De plus, le prévenu avait la volonté d'exploiter sa faiblesse, puisqu'il avait engagé en 2015 deux autres personnes sans titre de séjour, originaires de Mongolie et des Philippines.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), contre une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

2.2. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

2.3. Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP) le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé – que cette protection intervienne en première ligne, à titre secondaire ou accessoire – par la disposition pénale qui a été enfreinte. En revanche, celui dont les intérêts sont atteints indirectement par une infraction qui ne lèse que des intérêts publics ne revêt pas le statut de lésé (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 3).

Celui qui prétend disposer de la qualité de partie plaignante doit rendre vraisemblable le préjudice qu'il subit (ATF 141 IV 1 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1).

2.4. L'art. 157 CP figure parmi les infractions contre le patrimoine.

L'usure consiste à obtenir ou à se faire promettre, en exploitant la faiblesse de l'autre partie, une contreprestation disproportionnée. Le bien juridique protégé est le patrimoine et c'est sa mise en danger qui est sanctionnée. Une atteinte au patrimoine n'est pas nécessaire. C'est en effet dans la conclusion d'une convention usuraire que consiste l'acte incriminé (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 1 ad art. 157).

2.5. En l'espèce, la qualité pour recourir de la recourante apparaît donnée en ce qui concerne l'infraction d'usure, dans la mesure où elle allègue une atteinte/mise en danger de son patrimoine. Son recours est recevable sur ce point.

En revanche, il serait irrecevable s'agissant d'éventuelles violations à la LEI et aux normes des assurances sociales (art. 87 LAVS, 76 LPP et 112 LAA). Il ne sera donc pas revenu sur ces infractions qui protègent l'intérêt collectif (ACPR/31/2024 du 19 janvier 2024 consid. 1.5. et 1.7.).

3. La recourante considère que les faits dénoncés sont constitutifs de l'infraction d'usure et que le Ministère public aurait à tout le moins dû ouvrir une instruction.

3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort notamment de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1; et 137 IV 219 consid. 7).

3.2. Conformément à l'art. 157 al. 1 CP, se rend coupable d'usure quiconque exploite, notamment, la gêne ou l'inexpérience d'une personne, en se faisant accorder ou promettre, pour lui-même ou un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

L'infraction d'usure suppose d'abord que la victime se soit trouvée dans l'une des situations de faiblesse, énumérées de manière exhaustive à l'art. 157 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1).

L'état de gêne, qui n'est pas forcément financière, s'entend de tout état de contrainte qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée. Il faut procéder à une analyse objective, en ce sens qu'on doit admettre qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été entravée dans sa liberté de décision. Le consentement de la victime n'exclut pas l'application de l'art. 157 CP. Il en est au contraire un élément (arrêt du Tribunal fédéral 6S.6/2007 du 19 février 2007 consid. 3.2.1).

Concernant la gêne économique, la victime doit se trouver dans l'impossibilité de repousser le contrat qui lui est proposé ou les conditions qui lui sont faites. (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 5 ad. 157).

3.3. En l'espèce, l'existence de rapports de travail entre les parties n'est pas contestée à compter du 1er janvier 2017, où un contrat écrit a été signé et l'emploi signalé à la D______. La recourante fait toutefois remonter le début de ses rapports de travail à septembre 2012, et reproche au mis en cause de ne pas l'avoir payée au salaire minimum obligatoire ainsi que d'avoir profité de sa situation précaire.

La recourante prétend avoir travaillé pour le mis en cause dès le mois de septembre 2012, ce qui pourrait tout au plus être étayé par les déclarations de E______, qui a travaillé au cabinet de 2000 à 2013. Ce témoignage ne permet toutefois pas de corroborer les assertions de la plaignante selon lesquelles elle aurait, entre septembre 2012 et décembre 2013, travaillé plus de 50 heures par semaine pour CHF 1'200.- par mois, et, dès janvier 2014, alors que E______ avait quitté son poste, plus de 60 heures par semaine pour un salaire de CHF 1'400.-. E______ travaillait à 80 %, des lundis aux jeudis, de 9h à 18h, moins une pause repas d'une heure. Elle ne serait donc pas en mesure de confirmer que, lorsqu'elles auraient été toutes deux actives dans le cabinet, la plaignante aurait travaillé quasiment le double d'heures par semaine. En revanche, celle-ci y dormait et y a avait des effets personnels apparemment, toujours selon ce témoin, ce qui ne veut toutefois pas encore dire que la recourante poursuivait une activité professionnelle après le départ du témoin.

Aussi, malgré les déclarations de la plaignante et de ce témoin, rien ne permet de démonter les dires de la première quant à une activité pendant plus de quatre ans pour le mis en cause (entre septembre 2012 et décembre 2016), ni a fortiori selon les horaires et le salaire indiqués à l'OCIRT.

Le témoignage de H______ n'est d'aucun secours à la plaignante, puisque ses déclarations étaient censées démontrer que celle-ci faisait des livraisons pour le cabinet du mis en cause. Or, cette assistante dentaire du Dr J______ depuis environ 10 ans, soit depuis 2014, a déclaré à la police qu'elle ne connaissait pas A______, dont la photographie lui a pourtant été présentée.

Il n'existe ainsi pas de soupçons suffisant de l'existence d'une prestation réalisée par la plaignante sur la période incriminée, qui plus est en disproportion évidente avec le salaire qu'elle dit avoir touché. Ainsi, pour autant qu'elles soient avérées, ce qui n'est pas le cas sur la base des éléments du dossier, les conditions d'emploi dénoncées, et plus particulièrement salariales, pourraient se révéler incompatibles avec le droit du travail suisse. Cela ne suffit toutefois pas à remplir les conditions de l'usure au sens de la disposition précitée.

Quant à la condition de la gêne, de la dépendance ou de l'inexpérience, elle n'apparait pas davantage réalisée.

La recourante n'a de plus expliqué – ni démontré – en quoi sa situation nécessitait, impérieusement et sans autre alternative, de travailler pour le prévenu, comme elle le soutient. Elle a en effet indiqué être arrivée en Suisse en octobre 2011 et avoir travaillé pour une famille pendant huit mois, comme femme de ménage et nounou. Elle dit avoir, dans le cadre de cet emploi, été payée en espèces, nourrie et logée. Elle ne dit mot des raisons pour lesquelles cet emploi a pris fin. Selon ses propres déclarations, après avoir travaillé une première fois pour le mis en cause de septembre 2012 à décembre 2016, où elle aurait été licenciée pour une raison inconnue, elle aurait recommencé à travailler pour lui après être restée cinq mois sans travail. Cette prétendue interruption de cinq mois, dès décembre 2016 ou janvier 2017, entre en contradiction avec ce qui a été annoncé à l'OCIRT en septembre 2017 et à la D______, pour lesquels elle était au bénéfice d'un contrat de travail écrit dès janvier 2017.

Si le besoin de nourrir son fils, qui vivait en Mongolie, apparemment auprès de la sœur de la plaignante, constituait vraisemblablement sa motivation première, sa liberté d'action dans ses démarches pour y parvenir n'apparaît pas avoir été poussée à des extrêmes l'obligeant, d'une part, à travailler durant plus de huit ans, dont à déduire la période de cinq mois précitée, auprès du même employeur et, d'autre part, à accepter, y compris sur le long terme, des conditions de travail non conformes au droit, à tout le moins jusqu'à la fin du mois de décembre 2016. Une relation de concubinage, comme soutenue par le mis en cause, pourrait expliquer que la plaignante ait pris des dispositions pour faire venir son fils et sa sœur en France voisine, en octobre 2014, lesquels dormaient chez le mis en cause. La plaignante n'a pas contredit le mis en cause lorsqu'il a déclaré avoir entrepris les démarches pour scolariser l'enfant. Ces éléments peuvent laisser entendre des relations personnelles allant au-delà d'un simple rapport de travail, question qui souffre de demeurer indécise, faute d'éléments probants suffisants.

Quoiqu'il en soit, vu la situation personnelle de la plaignante, il ne peut a priori être dit qu'elle se soit trouvée "à la merci de l'usurier". Il sera en effet rappelé qu'elle a obtenu un bachelor universitaire en Mongolie et a travaillé dans le domaine bancaire. Elle n'a pas expliqué pour quelle raison elle n'aurait pas pu poursuivre ou reprendre une telle activité en Mongolie et ainsi subvenir aux besoins de son fils et aux siens.

Ainsi, les conditions constitutives de l'infraction d'usure n'apparaissent pas réalisées.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

5.             Au cours de la procédure de recours, la recourante a sollicité, à titre subsidiaire, la "nomination d'office" de MManuel BOLIVAR à la défense de ses intérêts.

5.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

La cause ne devant pas être dénuée de toute chance de succès, l'assistance peut être refusée lorsqu'il apparaît d'emblée que la position du requérant est juridiquement infondée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1. et les références citées).

5.2. En l'espèce, même si l'indigence de la recourante est établie, le recours était, pour les motifs exposés supra, voué à l'échec, si bien que les conditions pour l'octroi de l'assistance judiciaire ne sont pas remplies.

La demande sera, partant, rejetée.

6.             En tant qu'elle succombe, la recourante supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 500.-, son indigence étant établie (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

Le refus d'octroi de l'assistance juridique gratuite est rendu sans frais (art. 20 RAJ).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Rejette la demande d'assistance judiciaire.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4408/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

Total

CHF

500.00