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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11790/2021

ACPR/477/2024 du 26.06.2024 sur OTCO/47/2024 ( TCO ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;PROPORTIONNALITÉ;RISQUE DE COLLUSION;REFORMATIO IN PEJUS;RÉGIME DE LA DÉTENTION
Normes : CPP.236; CPP.391.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11790/2021 ACPR/477/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 juin 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'exécution anticipée de peine rendue le 24 mai 2024 par le Tribunal correctionnel,

 

et

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 6 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 mai 2024, notifiée le 27 suivant, par laquelle le Tribunal correctionnel (ci-après : TCO) l'a autorisé à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté ce, dans des conditions identiques à celles de la détention provisoire.

Le recourant conclut à l'annulation de cette ordonnance et à sa réformation en ce sens qu'il soit autorisé sans aucune restriction à exécuter de manière anticipée la peine privative de liberté prononcée à son encontre par le TCO le 2 mai 2024. Il demande à ce qu'il soit mis au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon le rapport de renseignements du 21 octobre 2021, la police a procédé à de nombreuses interpellations le 18 août 2021 dans le cadre d'une enquête liée à la mendicité organisée.

A______ et ses trois fils, D______ et E______, F______, ainsi que son neveu – et le fils de G______ –, H______, ont été prévenus de traite d'êtres humains par métier et de blanchiment d'argent dans la P/11790/2021 (disjointe pour H______ sous la P/1______/2022).

b. A______ a été placé en détention provisoire, laquelle a régulièrement été prolongée, tout comme sa détention pour des motifs de sûreté, ordonnée à compter du 15 décembre 2023.

c. Selon l'acte d'accusation du 15 décembre 2023, il a été renvoyé en jugement notamment pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 al. 1 et 2 CP), blanchiment d'argent (art. 305bis CP), dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) pour avoir, en substance:

- depuis le courant de l'année 2018 et jusqu'au jour de son interpellation, recruté, acheté même, à Genève, à I______(Autriche), en Bulgarie, en Grèce, et organisé le transfert en Suisse de plusieurs personnes, isolées socialement, vulnérables financièrement et psychiquement, pour certaines alcooliques, pour mendier selon ses instructions et sous sa surveillance, ou celle de membres de sa famille, et leur avoir pris la totalité de leurs gains se montant à près de CHF 150'000.- qu'il avait utilisés pour financer son train de vie et celui de sa famille;

- aux environs du mois de juillet 2011, organisé le voyage de son fils, D______, alors âgé de 11 ans, de la Bulgarie à J______ (Grèce), puis vers K______ (Grèce), afin qu'il mendie pour son compte et, dans ce même but, lui avoir fourni un hébergement, étant précisé que D______ avait effectivement mendié pour son compte jusqu'en juillet 2015, qu'il craignait son père, ce que ce dernier savait, car il recourait à la violence physique et verbale à son encontre, n'hésitant pas à lui donner un coup de couteau dans le bras parce qu'il refusait d'aller mendier sous la pluie, de sorte qu'il lui remettait la totalité de ses gains, soit entre EUR 80.- et EUR 130.- par jour, soit un montant total de plus de EUR 140'000.- que A______ a utilisés pour financer son train de vie, notamment son addiction aux jeux, et pour participer aux charges de la famille. Au début 2017, à I______(Autriche), il avait fourni un hébergement à D______, alors âgé de 17 ans, dans le but qu'il mendie pour son compte pour un montant total d'au moins EUR 2'000.-;

- en 2020 et 2021, à Genève et O______ [VD], demandé à sa femme, L______, et à son fils F______, de lui prêter assistance dans ses activités en surveillant les mendiants, en lui rendant régulièrement compte de leurs agissements, de leur assiduité au travail et du montant de leurs gains, sa femme l'aidant à compter ces gains et son fils les saisissant en l'absence de son père pour les lui remettre ultérieurement;

- entre 2020 et 2021, à Genève, envoyé à l'étranger et demandé à sa femme et à son fils d'envoyer à l'étranger, principalement en Bulgarie, par le biais d'agences de transfert telles que M______, à différents destinataires, l'argent provenant de l'activité des mendiants qu'il exploitait et l'avoir utilisé pour payer ses charges courantes, celles de sa famille, et investir dans l'entretien de la maison familiale en Bulgarie, empêchant ainsi la découverte et la confiscation de ces sommes.

d. Devant le TCO, A______ a été confronté aux éléments de la procédure, dont des écoutes téléphoniques actives, des observations de la police et les déclarations de ses fils D______ (partie plaignante), accablantes pour lui, et F______ (prévenu), ainsi que de N______ (partie plaignante, entendue par visio-conférence). A______ a globalement contesté les faits reprochés et déclaré que D______ ne disait que des mensonges. Il a conclu à son acquittement de tous les chefs d'accusation, à l'exception d'un séjour illégal.

e. Le Ministère public a requis à son encontre une peine privative de liberté de 9 ans.

f. Il ressort du procès-verbal du TCO, en page 19, qu'à la reprise de l'audience le 23 avril 2024, un sergent-chef avait informé la Présidente que lorsque A______ et F______ avaient été ramenés en cellule la veille, à l'issue de la première journée d'audience, il avait dû intervenir pour les séparer. Le premier avait menacé son fils, d'après ce que l'agente de police présente à l'audience, qui parlait le turc, avait compris. Cet incident avait duré durant le trajet entre la salle d'audience et les cellules. A______ avait continué à crier depuis sa cellule et le sergent-chef avait dû demander des convois séparés pour remonter les deux détenus à B______.

g. Par jugement du 2 mai 2024, le TCO a reconnu A______ coupable de traite d'êtres humains aggravée, de blanchiment d'argent, de dénonciation calomnieuse – à l'égard de D______, pour de fausses mises en cause articulées à l'occasion d'audiences devant le Ministère public – et de séjour illégal, et l'a condamné à une peine privative de liberté de 7 ans, sous déduction de 990 jours de détention avant jugement. Le TCO a ordonné son expulsion pour une durée de 10 ans.

h. Par ce même jugement, le TCO a condamné F______ pour traite (et complicité de) d'êtres humains aggravée, blanchiment d'argent et séjour illégal, à une peine privative de liberté d'ensemble (après révocation d'un sursis octroyé le 20 novembre 2020) de 3 ans et 6 mois, sous déduction de 990 jours de détention avant jugement. Le TCO a ordonné son expulsion pour une durée de 7 ans.

Par décision séparée, la Direction de la procédure du TCO a ordonné son maintien en détention pour des motifs de sûreté.

i. Le 10 mai 2024, A______ et le Ministère public ont annoncé faire appel de ce jugement.

C. Dans son ordonnance querellée, le TCO a retenu que l'instruction était terminée et la procédure jugée, vu le verdict rendu le 2 mai 2024. Par conséquent, le risque de collusion était ténu. De très nombreux actes de procédure avaient été effectués depuis environ trois ans et de nombreux témoins, ainsi que les co-prévenus de A______, avaient été entendus et confrontés.

Ce dernier avait en particulier été confronté à son fils – aîné – F______, à plusieurs reprises depuis leur arrestation le 18 août 2021, devant le Ministère public et le TCO. Certes, A______ avait contesté les faits – et à tout le moins leur qualification juridique – et avait été à l'origine d'un "incident" avec son fils F______, lors du premier jour de l'audience de jugement. Après un avertissement, il s'était comporté correctement.

Les conditions de l'art. 236 CPP étaient réunies. Toutefois, dans la mesure où le risque de collusion notamment avec F______, voire avec d'autres personnes ayant été impliquées dans la procédure et se trouvant à l'extérieur, n'avait pas disparu, A______ serait astreint à des restrictions dans ses contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites), jusqu'à droit jugé en appel, mesure qui paraissait proportionnée aux circonstances.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir qu'à la suite de l'entrée en vigueur le 1er janvier 2024 d'une modification de l'article 236 CPP, en particulier son alinéa un, des régimes d'exécution anticipée de peine soumis à des conditions visant à pallier le risque de collusion n'étaient plus tolérés, le prévenu devant bénéficier sans restriction du régime de l'exécution. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les modalités d'exécution de peine ne permettant pas de prévenir les manœuvres de collusion aussi efficacement que dans le cadre de la détention préventive, l'exécution anticipée de peine devait être refusée lorsqu'un risque de collusion élevé demeurait, de sorte que le but de la détention et les besoins d'instruction seraient compromis.

Cela faisait bientôt trois ans qu'il se trouvait à la prison de B______ en détention provisoire, dans des conditions notoirement difficiles. Il contestait l'existence d'un risque de collusion, même "ténu". L'instruction était achevée depuis plusieurs mois et les débats de première instance terminés. Il avait été à nouveau confronté devant le TCO aux parties plaignantes ainsi qu'à son fils F______. Toutes les preuves essentielles et décisives avaient été administrées, situation qui se distinguait notablement des arrêts ACPR/373/2023 du 22 mai 2023 et ACPR/352/2024 du 10 mai 2024, cités dans l'ordonnance querellée. Par ailleurs, depuis de nombreux mois, sa détention provisoire n'était plus motivée par un risque de collusion. Le fait qu'il contestait la majeure partie des faits reprochés et qu'un incident soit intervenu avec son fils, F______, lors du premier jour de l'audience devant le TCO ne saurait remettre en cause cette appréciation, puisqu'il s'était globalement comporté de manière correcte à l'audience de jugement. Le TCO n'expliquait de surcroît pas l'existence d'un danger concret et sérieux – à l'égard "d'autres personnes ayant été impliquées dans la procédure se trouvant à l'extérieur" – propres à entraver la manifestation de la vérité.

Subsidiairement, même si un risque de collusion devait être retenu, sa ténuité rendait disproportionnées les conditions dont l'exécution anticipée était assortie. Tant F______ que les parties plaignantes étaient assistées d'avocats et seraient parfaitement en mesure de dénoncer toute éventuelle manœuvre de sa part à leur égard. Un éventuel improbable revirement de la part de l'une ou l'autre de ces personnes ne manquerait pas d'être apprécié par les juges d'appel.

De plus, l'ordonnance querellée était manifestement impossible à mettre en œuvre, ce qui équivalait matériellement un rejet de la requête d'exécution anticipée et à son maintien déguisé sous le régime de la détention provisoire. Son transfert dans un établissement d'exécution de peine était de facto impossible puisque, selon le Service de l'application des peines et mesures (ci-après, SAPEM), de tels établissements n'étaient pas en mesure d'exercer un contrôle des visites, téléphones et correspondances ou sous tout autre angle "dans des conditions identiques à celles de la détention provisoire".

Enfin, l'approche du TCO s'avérait incompatible avec le but de resocialisation du régime de l'exécution anticipée.

b. Le TCO se réfère à sa décision.

c. Le Ministère public indique que c'était à bon droit que le TCO avait retenu un risque de collusion, vu le comportement du recourant à l'égard de son fils F______ en marge des débats devant le TCO et considérant la peine privative de liberté de 7 ans à laquelle il avait été condamné en première instance, ce qui était de nature à l'inciter à contacter les autres parties à la procédure, dont son fils D______.

d. Le SAPEM expose qu'un établissement dévolu aux exécutions de peines, comme l'établissement fermé de P______, excluait la mise en œuvre des conditions posées par le TCO à l'exécution anticipée de peine.

e. A______ réplique brièvement.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. Reste à examiner si le recourant dispose de la qualité pour recourir.

1.2.1. Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut se voir reconnaître la qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

1.3. En l'espèce, le recourant a requis de la Direction de la procédure du TCO et obtenu l'exécution anticipée de sa peine, toutefois soumise "aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, à savoir le contrôle des contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites)". Dans la mesure où il demande à ce que l'exécution anticipée ne soit pas assortie de telles conditions, il dispose a priori d'un intérêt juridique à la modification de l'ordonnance querellée.

Cette question peut cependant souffrir de demeurer indécise vu ce qui suit.

2.             Le recourant soutient que c’est à tort que le TCO a retenu un risque de collusion, même "ténu", et partant exigé que l'exécution anticipée de sa peine intervienne aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, ce qui reviendrait de facto à la refuser, compte tenu de l'absence d'établissement à même de remplir ces modalités.

2.1. L'interdiction de la reformatio in pejus, consacrée par l'art. 391 al. 2 CPP, prohibe la pénalisation de la situation d'une partie par une décision défavorable rendue à la suite d'un recours émanant uniquement de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 6B_875/2013 du 7 avril 2014 consid. 3.2.). L'interdiction de la reformatio in pejus s'attache au dispositif de la décision (ATF 142 IV 129 consid. 4.5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_460/2017 du 12 février 2018 consid. 2.1)

2.2. La détention avant jugement – détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, ainsi que l'exécution anticipée des peines et des mesures – est réglée aux art. 220 à 236 CPP.

2.3. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve.

2.4. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

Le risque de collusion vise les situations dans lesquelles le prévenu pourrait prendre contact avec des coinculpés, des victimes, des témoins, des personnes appelées à donner des renseignements ou des experts pour les amener à déposer contrairement à la vérité ou qu'il pourrait chercher à effacer ou à supprimer des moyens de preuves et des traces ; la détention pour risque de collusion vise, dès lors, à sauvegarder la recherche de la vérité matérielle en empêchant le prévenu de mettre à profit sa liberté ou un congé pour la contrecarrer ; ce motif de détention doit reposer sur des indices concrets (ATF 132 I 21 consid. 3.2 p. 23 ; DCPR/149/2011 du 28 juin 2011).

Plus l'instruction, respectivement la procédure pénale, se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque – concret – de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 p. 128 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_144/2019 du 16 avril 2019 consid. 2.1).

2.5. Conformément à l'art. 231 al. 1 CPP, au moment du jugement, le tribunal de première instance détermine si le prévenu qui a été condamné doit être placé ou maintenu en détention pour des motifs de sûreté : a. pour garantir l'exécution de la peine ou de la mesure prononcée; b. en prévision de la procédure d'appel.

2.6. Il ressort de l’art. 236 CPP que la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet et que le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté ne s’y oppose pas (al. 1). Dès l’entrée du prévenu dans l’établissement, l’exécution de la peine ou de la mesure commence et le prévenu est soumis au régime de l’exécution (al. 4).

2.6.1. L'entrée en matière anticipée sur une peine ou une mesure constitue, de par sa nature, une mesure de contrainte relevant de la procédure pénale, située au seuil entre la poursuite pénale et l'exécution de la peine. Elle doit permettre de mettre en place, avant même le prononcé du jugement pénal définitif, un régime de détention adapté à la situation personnelle du prévenu ; elle permet en outre d'acquérir une première expérience de la forme d'exécution qui s'imposera probablement sur le fond. Pour que la détention pénale soit maintenue selon les modalités de l'exécution anticipée de la peine, il doit exister au moins un motif particulier de détention. Ensuite, l'exécution anticipée de la peine doit être proportionnée (ATF 143 IV 160 consid. 2.1 et références citées). Elle doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 133 I 270 consid. 3.2.1 p. 278).

2.6.2. Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

2.6.3. Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure, de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

2.6.4. Un risque de collusion justifiant un refus d'exécution anticipée de peine subsiste notamment lorsque le prévenu conteste avec véhémence les graves accusations portées contre lui, le risque de collusion demeurant ainsi jusqu'à l'audience de jugement, moment où les preuves essentielles et décisives doivent être administrées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_400/2017 du 18 octobre 2017).

2.7.1. La chambre de céans a, dans l'arrêt ACPR/273/2024 du 22 avril 2024, admis un recours formé contre une ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine rendue par la Direction de la procédure du TCO en raison du risque de collusion. Elle a retenu que le recourant contestait les infractions les plus graves pour lesquelles il avait été condamné, à savoir des actes d'ordre sexuel avec des enfants, contrainte sexuelle, viol, inceste, exhibitionnisme et pornographie au préjudice de ses deux enfants alors âgés de 5-6 ans pour sa fille et de 3-4 ans pour son fils.

Au vu de l’appel qu’il avait formé contre ce jugement, il serait réentendu par la Chambre d’appel et de révision sur les éléments de l'instruction. Il était en revanche hautement improbable que ses enfants, désormais âgés de 8 ans et 6 ans, soient entendus devant cette instance, vu leur âge et la protection offerte par l’art. 154 al. 4 let. b CPP, étant relevé qu’ils avaient été entendus deux fois selon le protocole EVIG. L’épouse du recourant pourrait par contre l’être. Toutefois, la position de cette dernière, en instance de divorce, en particulier lors des débats de première instance, avait été claire. Elle ne voulait pas que ses deux enfants reviennent dans l'appartement dans lequel les faits reprochés au prévenu s'étaient déroulés, au point d'avoir pris des dispositions pour emménager ailleurs.

Dans ces circonstances, si tout risque de collusion ne pouvait être exclu, une telle hypothèse, à ce stade de la procédure, n'était plus suffisamment tangible et concrète, ce que ni le TCO ni le Ministère public ne démontraient, pour justifier que le recourant soit maintenu en régime de détention avant jugement, d'autant plus qu'il se trouvait depuis de longs mois en régime d'isolement.

2.7.2. Dans l'arrêt ACPR/352/2024 du 10 mai 2024, concernant également un refus d'exécution anticipée de peine prononcé par la Direction de la procédure du TCO en raison d'un risque de collusion, la Chambre de céans a constaté que la procédure était désormais au stade du renvoi en jugement et que le recourant avait admis les faits principaux, en lien avec une agression de concert avec cinq comparses. Certes, il restait quelques zones d'ombres et une note destinée à influencer un co-prévenu avait été retrouvée dans la cellule du recourant, en octobre 2023. Mais depuis lors, celui-ci avait été confronté à cette partie et l'instruction avait été clôturée. Si ce risque avait été jugé élevé par le TMC dans le cadre de l'examen de la détention avant jugement, l'appréciation de ce risque pouvait s'avérer moindre dans le cadre de l'examen des conditions de l'exécution anticipée de la peine. D'ailleurs, le Ministère public ne s'était pas opposé au recours, posture qu'il n'aurait pas adoptée si le risque de collusion demeurait toujours aussi intense. Partant, les conditions de l'art. 236 CPP étaient réunies. Cependant, dans la mesure où le risque de collusion avec la victime et les co-prévenus n'avait pas disparu, le recourant serait astreint à des restrictions dans ses contacts avec l'extérieur jusqu'à l'audience de jugement, mesure qui paraissait proportionnée aux circonstances (cf. ACPR/373/2023 du 22 mai 2023) et qu'il acceptait au demeurant. L'exécution anticipée de la peine serait ainsi soumise aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, à savoir le contrôle des contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites), étant relevé qu'il appartenait à l'autorité d'exécution de veiller à leur mise en œuvre.

2.8. En l'occurrence, le recourant conteste les infractions les plus graves pour lesquelles il a été condamné par le TCO, à savoir la traite d'êtres humains aggravée, le blanchiment d'argent et la dénonciation calomnieuse.

Au vu de l’appel qu’il a formé contre ce jugement, il sera réentendu par la Chambre d’appel et de révision sur les éléments de l'instruction. Il est possible qu'en particulier ses deux fils, dont l'un est partie plaignante et l'autre prévenu, le soient à nouveau et que, dans l'intervalle, le recourant ne cherche à influencer leur témoignage.

Cette situation s'est d'ailleurs concrétisée lors d'audience devant le TCO, puisque selon les dires d'un sergent-chef à la Présidente du TCO, dont il n'y a pas lieu de remettre en cause le constat, le 22 avril 2024, lorsque le recourant et son fils F______ ont été ramenés en cellule à l'issue de la première journée d'audience, il avait dû intervenir pour les séparer. Le recourant avait menacé son fils, d'après ce que l'agente de police présente à l'audience, qui parlait le turc, avait compris. Cet incident avait duré durant le trajet entre la salle d'audience et les cellules. Le recourant ayant continué à crier depuis sa cellule, le sergent-chef avait dû demander des convois séparés pour remonter les deux détenus à la prison de B______.

Dans ces circonstances, un risque de collusion demeure, tangible et concret, nonobstant l'avancement de la procédure. Cette concrétisation d'un tel risque en marge de l'audience de jugement de première instance a pour conséquence qu'il est sans pertinence, comme soutenu par le recourant, que le TMC n'ait pas retenu dans ses ordonnances les plus récentes de risque de collusion.

Il n'est pas nécessaire de déterminer si ce risque devrait être qualifié d'élevé, ce qui exclurait une exécution anticipée de peine, dans la mesure où seul le recourant a formé recours contre l'ordonnance du TCO, de sorte que l'interdiction d'une reformatio in pejus (art. 391 al. 2 CPP) s'oppose à ce qu'il puisse être revenu sur le principe même d'une exécution anticipée de peine.

En revanche, la Chambre de céans constatera que c'est à juste titre que le TCO a soumis cette exécution anticipée de peine aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, à savoir le contrôle des contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites), étant relevé que, comme déjà tranché par la Chambre de céans (cf. ACPR/352/2024 précité, consid. 2.5), il appartient à l'autorité d'exécution de veiller à leur mise en œuvre. Le fait que le SAPEM ait indiqué qu'aucun établissement d'exécution anticipée de peine ne serait à même de garantir de telles exigences n'y change rien.

Le recours s'avère ainsi infondé et sera rejeté.

3. le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4);

4.           Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

Dans la mesure où la procédure se poursuit en appel, l'indemnité sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, au Tribunal correctionnel ainsi qu'au Ministère public.

Le communique, pour information, au SAPEM.

Siégeant :

 

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/11790/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

Total

CHF

985.00