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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24521/2022

ACPR/455/2024 du 14.06.2024 sur OMP/5141/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ACTE D'ORDRE SEXUEL AVEC UN ENFANT;AUDITION DE L'ENFANT;VICTIME;MESURE DE PROTECTION;CONFRONTATION
Normes : CPP.154; CP.187

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24521/2022 ACPR/455/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 14 juin 2024

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,


contre l'ordonnance rendue le 5 mars 2024 par le Ministère public,

et

C______, mineur, représenté par son curateur, Me D______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 22 mars 2024, A______, prévenue, recourt contre l'ordonnance du 5 mars 2024, notifiée le 12 suivant, par laquelle le Ministère public lui a refusé le droit d'assister à la seconde audition EVIG de C______, partie plaignante.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que l'audition du précité soit répétée en sa présence, ou "en prévoyant tout moyen permettant de préserver son droit d'être entendue". Elle conclut également à ce que le procès-verbal de la seconde audition du plaignant soit considéré comme une preuve inexploitable et retiré du dossier.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 18 novembre 2022, E______, agissant en qualité de représentante légale de son fils mineur, C______ – né le ______ 2006 et donc alors âgé de 15 ans –, s'est présentée à la Brigade des mœurs, accompagnée du prénommé, afin de déposer plainte contre la nouvelle compagne de son ex-époux, A______, pour des actes d'ordre sexuel que celle-ci aurait fait subir à son fils le 13 précédent.

Elle a, en substance, exposé que, le lendemain des faits dénoncés, vers 17h00, sa fille F______, née en 2003, l'avait appelée pour lui demander de rentrer à la maison, au motif qu'un grave incident s'était déroulé la veille au domicile de son père. Arrivée chez elle, son fils lui avait alors confié, en pleurs, avoir été "touché" par A______. C______ lui avait expliqué que, durant la nuit précédente, vers minuit, il s'était levé pour remplir une gourde d'eau et avait croisé la compagne de son père, qui lui avait demandé ce qu'il faisait. Après qu'il lui eut indiqué qu'il ne parvenait pas à dormir, A______ lui avait suggéré de visionner un "film romantique", puis de se masturber, avant de lui "toucher" le sexe. Elle s'était ensuite assise sur lui et avait tenté de le contraindre à la pénétrer vaginalement avec son pénis, mais il l'avait repoussée de ses mains. Après avoir quitté sa chambre, l'intéressée lui avait encore envoyé un message sur son téléphone portable, mais il avait immédiatement bloqué son numéro.

Elle-même n'avait pas posé davantage de questions à son fils et commencé à pleurer avec lui. Le lendemain, elle l'avait amené consulter un psychiatre, lequel avait recueilli ses confidences et constaté l'état de choc dans lequel il se trouvait. Durant la soirée, elle avait contacté son ex-époux et père de ses enfants, G______, pour lui faire part des révélations faites par C______ et l'informer qu'elle entendait déposer plainte contre A______.

À l'issue de son audition, E______ a remis à la police une copie des messages WhatsApp envoyés par la prénommée à son fils le soir des faits litigieux, entre 00h26 et 00h29, dont la teneur était la suivante :

- "Demain est ce que tu peux ne pas aller au cours demain matin et dires (sic) que tu es malade ?", "Je suis suis (sic) libre de (sic) jusqu'à 12h", [appel vocal manqué à 00h27], "tu es encore excité !", "J'ai envie de toi", "Tu dors".

b. Le même jour, C______ a été entendu par un inspecteur spécialisé, en présence d'une psychologue, selon le protocole NICHD. Il a, en substance, déclaré avoir subi des attouchements sexuels de la part de A______ durant la nuit du 13 au 14 novembre 2022, entre 00h00 et 00h27. Cette dernière lui avait baissé son pantalon, l'avait embrassé sur la bouche avec la langue, puis masturbé jusqu'à éjaculation. Elle s'était ensuite assise sur lui, le contraignant à la pénétrer vaginalement avec son pénis, mais il lui avait demandé d'arrêter car il avait eu peur. Après être sortie de sa chambre, elle y était revenue, l'avait une nouvelle fois embrassé sur la bouche, puis masturbé jusqu'à éjaculation. Il était parvenu à lui faire quitter sa chambre, mais l'intéressée l'y avait une nouvelle fois rejoint, en lui disant qu'elle ne parvenait pas à dormir et qu'elle allait "faire de [lui] un homme"; il l'avait cependant à nouveau renvoyée.

Il n'avait pas dormi de la nuit et ne comprenait pas ce qu'il s'était passé, A______ ayant agi sans son consentement. À la suite de ces évènements, il n'était plus parvenu à dormir seul car il faisait des cauchemars.

À l'issue de son audition, C______ a déposé plainte contre A______. Il a également remis à la police une copie des messages WhatsApp susmentionnés.

c. Entendue par la police le même jour, puis par le Ministère public le lendemain, A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Elle a expliqué que, le soir en question, elle avait bu quelques verres d'alcool avec son compagnon et entretenu une relation sexuelle avec lui, mais qu'elle ne se rappelait "pas de tout". Elle n'avait aucun souvenir des messages WhatsApp qu'elle aurait envoyés à C______ le soir des faits litigieux.

d. À teneur du rapport d'arrestation du 19 novembre 2022, C______ s'était rendu la veille, accompagné de sa mère, aux urgences pédiatriques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où il avait été examiné par un médecin-légiste. À la suite dudit contrôle, il avait indiqué à la police avoir omis de préciser que A______ lui avait prodigué une fellation après l'avoir une première fois masturbé.

e. Par ordonnance du même jour, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre A______ des chefs d'infractions aux art. 187 et 189 CP.

f. Les 28 novembre et 13 décembre 2022, F______ et G______ ont été entendus par la police en qualité de témoins.

f.a. La première a, en substance, confirmé les dires de son frère.

f.b. Le second a expliqué s'être couché aux alentours de 23h30 ou minuit le soir des faits litigieux et avoir été rejoint environ trente minutes plus tard par A______, alcoolisée, qui lui avait indiqué que son fils rencontrait des difficultés à s'endormir.

À la question de savoir si sa compagne était capable de commettre les actes qui lui étaient reprochés, il a répondu par l'affirmative, précisant qu'elle pouvait "tout à fait" être à l'origine des messages figurant dans le téléphone portable de C______, au vu des fautes d'orthographes commises et du style employé.

À l'issue de son audition, G______ a également déposé plainte contre A______.

g. Par décision du 20 décembre 2022, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant a, en raison du conflit d'intérêts pouvant exister entre C______ et ses parents, nommé Me D______ en qualité de curateur de représentation.

Le 16 janvier 2023, ce dernier s'est constitué partie plaignante au pénal et au civil, au nom et pour le compte de son protégé.

h. À teneur du rapport d'analyses ADN établi par le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), le 8 février 2023, les prélèvements biologiques effectués sur une tâche luminescente (correspondant à de l'éjaculat) apparaissant à l'entrejambe/arrière ainsi qu'à l'intérieur du bas de pyjama de A______ ont permis de mettre en évidence un profil Y correspondant à celui de G______ et de C______.

i.a. Le 3 mai 2023, une audience s'est tenue par-devant le Ministère public, au cours de laquelle le curateur de C______ a confirmé la volonté de ce dernier –absent – de participer à la procédure comme partie plaignante au pénal et au civil. Il a expliqué que son protégé, "chamboulé" par les évènements dénoncés et suivi par un psychologue, allait "mieux". Il était prêt à participer à une éventuelle audience de confrontation, à condition que celle-ci se déroulât en salle LAVI ou dans les locaux de la police.

i.b. Également entendue ce jour-là, A______ a maintenu ses précédentes déclarations.

j. Par pli du 15 novembre 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait faire procéder à l'audition contradictoire de C______, à laquelle elles auraient le droit de participer ainsi que leurs avocats ; autrement dit, d'être présents dans une salle distincte et de poser des questions par l'intermédiaire de la police. Dans cette perspective, A______ était invitée à communiquer une liste de questions à poser au plaignant.

k. Par lettre de son conseil du 13 décembre suivant, A______ a transmis au Ministère public une liste de questions.

l. Par mandat d'actes d'enquête du lendemain, ce dernier a ordonné à la police de prendre connaissance desdites questions et de les adapter au besoin pour les rendre conformes au protocole EVIG; puis de procéder à l'audition contradictoire de C______.

Aussi, l'avocat de A______ devait être avisé de l'audition et de son droit d'y participer, dans le respect du protocole EVIG, à savoir d'être présent dans une salle distincte et de poser des questions complémentaires par l'intermédiaire des inspecteurs spécialisés.

m. Selon le procès-verbal de l'audition de C______ du 5 mars 2024, le conseil de A______ s'était opposé au fait que sa cliente, qui patientait en salle d'attente, n'ait pas le droit d'assister à l'audience. Il lui avait été répondu que celle-ci se tenait selon le protocole EVIG.

L'audition, filmée, a débuté à 9h50. À 9h57, l'avocat de la prénommée a quitté l'audience, en indiquant que celle-ci n'avait "aucun intérêt" pour sa cliente et qu'il sollicitait une décision sujette à recours.

L'audition s'est poursuivie, hors la présence du conseil de A______, et les questions de cette dernière, reformulées conformément au protocole EVIG, ont été posées à C______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a refusé à A______ le droit d'assister personnellement à la seconde audition EVIG de C______, considérant qu'il convenait d'appliquer les mesures spéciales prévues par l'art. 154 al. 4 CPP. En effet, le plaignant, mineur, avait dénoncé des faits d'abus sexuels dont il aurait été victime de la part de la compagne de son père, de sorte qu'une confrontation avec cette dernière risquait de lui causer une grave atteinte psychique.

Le courrier adressé aux parties le 15 novembre 2023 mentionnait, certes, que ces dernières seraient autorisées à participer à la seconde audition EVIG du plaignant. Il s'agissait cependant d'une erreur qui avait été corrigée dans le mandat d'actes d'enquête du 13 décembre suivant, lequel stipulait que seul l'avocat de la prévenue devait être avisé de l'audition et de son droit à y participer. Ce dernier avait en outre pris connaissance dudit document, puisque son collaborateur avait consulté le dossier la veille de l'audition.

La prévenue avait, préalablement à la seconde audition du plaignant par un enquêteur spécialement formé et tenue en présence d'un spécialiste, pu transmettre une liste de questions afin d'exercer ses droits, conformément à l'art. 154 al. 4 let. e CPP.  De plus, son avocat avait pu assister à l'audition, afin d'entendre les déclarations du plaignant et, le cas échéant, lui soumettre d'éventuelles autres questions. Or, celui-ci avait, de sa propre initiative, quitté la salle d'audition. Il n'y avait donc aucune violation du droit d'être entendu.

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation du principe de la bonne foi et des art. 9 Cst et 3 CPP.

Sur la base du courrier du Ministère public du 15 novembre 2023, elle s'était présentée, accompagnée de son avocat, à l'audience du 5 mars 2024. Or, de manière surprenante, il lui avait été fait interdiction d'accéder à la salle audition, au motif que cela contreviendrait au protocole EVIG.

Dans la décision querellée, le Ministère public avait expliqué avoir corrigé son erreur dans le mandat d'actes d'enquête du 13 décembre 2023. Or, cette approche était infondée à plusieurs titres. Tout d'abord, un mandat d'actes d'enquête, qui était destiné à l'usage de la police, n'avait pas vocation à être notifié aux parties. Il était dès lors inconcevable qu'elle-même soit tenue de se fier davantage au contenu de ce document, plutôt qu'à une lettre qui lui avait été adressée personnellement. En tout état, la question de sa présence, lors de l'audience litigieuse, n'était nullement évoquée dans le mandat d'acte concerné, de sorte qu'elle ne pouvait pas en déduire qu'elle ne serait pas autorisée à y participer.

Son droit d'être entendue avait également été violé, puisqu'elle n'avait toujours pas pu être confrontée au plaignant, alors que les déclarations de ce dernier constituaient le seul élément à charge contre elle, les autres personnes entendues n'ayant pas été témoins des faits dénoncés. L'ordonnance querellée portait atteinte gravement et irrémédiablement à ses droits de prévenue, dès lors qu'elle la privait de la possibilité de "rebondir" immédiatement sur les déclarations de C______, d'examiner la crédibilité personnelle de ce dernier et d'être confrontée à lui. Dans ces circonstances, la seule présence de son conseil n'était pas suffisante à assurer son droit d'être entendue.

Dans la mesure où l'audience litigieuse s'était tenue "de manière non conforme à la loi", le procès-verbal y relatif devait être déclaré inexploitable et retiré du dossier (art. 147 al. 4 CPP).

À cela s'ajoutait que C______ n'était pas opposé à une confrontation directe. En effet, lors de l'audience devant le Ministère public du 3 mai 2023, son curateur avait indiqué que celui-ci était prêt à y participer. La décision querellée, qui allait à l'encontre des intérêts des parties, ne se justifiait donc pas.

De plus, des mesures alternatives permettant de protéger le plaignant, sans pour autant léser ses propres droits de défense – telles que l'utilisation d'une salle LAVI, voire la retransmission audio-visuelle de l'audition dans une salle séparée – auraient pu être mises en place, ce que le Ministère public avait omis de prendre en considération.

Pour le surplus, une audience EVIG n'était pas indispensable dans le cas d'espèce, puisque ce protocole avait été conçu pour auditionner des jeunes enfants, âgés entre 4 et 12 ans. Ainsi, la situation du plaignant, âgé aujourd'hui de 17 ans, "ne correpond[ait] pas nécessairement aux conditions pour lesquelles le protocole en question a[vait] été développé".

Pour l'ensemble de ces motifs, la décision déférée devait être annulée.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Contrairement à ce qu'alléguait la recourante, C______ n'avait pas expressément demandé à être confronté à elle, son curateur ayant seulement indiqué qu'il n'y serait pas opposé. Par ailleurs, depuis sa seconde audition du 5 mars 2024, le plaignant n'avait pas sollicité une telle confrontation.

Pour le surplus, la recourante avait transmis un questionnaire et ses questions avaient été posées par l'intermédiaire de la police, de sorte que ses droits avaient été respectés.

c. Dans ses observations, le curateur de C______ conclut au rejet du recours.

La recourante avait exercé son droit d'être entendue en obtenant une seconde audition du plaignant, en adressant son questionnaire au Ministère public et par la présence de son conseil à cette audition, lequel aurait pu interroger le mineur, s'il n'avait pas pris la décision de quitter l'audience.

La recourante estimait avoir le droit d'interroger elle-même C______, respectivement de l'observer depuis une salle distincte, au motif que les déclarations de ce dernier constitueraient le seul élément à charge contre elle. Or, les accusations dont elle faisait l'objet étaient non seulement étayées par les prélèvements ADN effectués dans le cadre de l'instruction, mais également par les messages explicites qu'elle avait adressés au plaignant le soir des faits litigieux.

Pour le surplus, C______ n'avait pas expressément demandé une confrontation, ni même montré un intérêt pour celle-ci. Tout au plus ne s'y serait-il pas opposé, et pour autant qu'elle se soit déroulée en salle LAVI ou dans les locaux de la police, étant précisé que cette seconde audition avait déjà constitué une épreuve supplémentaire pour lui.

d. La recourante renonce à répliquer.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante invoque une violation du principe de la bonne foi, au motif que le Ministère public aurait initialement accepté sa participation à l'audition du plaignant du 5 mars 2024, avant de se raviser.

2.1.  Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental de toute personne d’être, dans ses relations avec l'État, traitée sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi, tel que consacré à l'art. 9 Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 p. 53). Le principe de la bonne foi est également concrétisé en procédure pénale à l'art. 3 al. 2 let. a CPP (ATF
144 IV 189 consid. 5.1; 143 IV 117 consid. 3.2).

Selon ce principe constitutionnel, toute autorité doit s'abstenir de procédés déloyaux et de comportements contradictoires (ATF 111 V 81 consid. 6; arrêts du Tribunal fédéral 1B_640/2012 du 13 novembre 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités; 6B_481/2009 du 7 septembre 2009 consid. 2.2; ACPR/336/2012 du 20 août 2012). À certaines conditions, le citoyen peut ainsi exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances précises qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'il a légitimement placée dans ces dernières (ATF 128 II 112 consid. 10b/aa;
118 Ib 580 consid. 5a). De la même façon, le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence, simplement, d'un comportement de l'administration susceptible d'éveiller chez l'administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1; 126 II 377 consid. 3a et les références citées; ACPR/125/2014 du 6 mars 2014).

2.2.  En l'occurrence, même à admettre que le Ministère public ait, dans son pli du 15 novembre 2023, donné l'assurance à la recourante qu'elle serait autorisée à participer personnellement à l'audience du 5 mars 2024, cela n'a eu aucune incidence sur ses droits. En effet, la recourante n'allègue pas avoir pris des dispositions spéciales à ce sujet, ni avoir subi de préjudice à cet égard, étant précisé que son avocat, également présent, a eu la faculté d'assister à l'audition du plaignant.

En tout état de cause, une attente ou une espérance légitime (au sens de la jurisprudence précitée) de la recourante pouvait d'autant moins être prise en considération que le Ministère public était soumis aux règles du droit et que l'art. 154 al. 4 CPP lui imposait de protéger la victime mineure dans ce type de situation.

Dans ces circonstances, aucune violation des art. 3 al. 2 let. a et b CPP, 5 al. 3 et 9 Cst. ne saurait être reprochée à l'autorité précédente.

Il s'ensuit que le grief, infondé, doit être rejeté.

3.             La recourante se plaint d'une violation de son droit à la confrontation.

3.1.1. L'art. 6 par. 3 let. d CEDH garantit à tout accusé le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. Cette disposition exclut qu'un jugement pénal soit fondé sur les déclarations de témoins sans qu'une occasion appropriée et suffisante soit au moins une fois offerte au prévenu de mettre ces témoignages en doute et d'interroger les témoins, à quelque stade de la procédure que ce soit (ATF 140 IV 172 consid. 1.3 p. 176; 133 I 33 consid. 3.1 p. 41; 131 I 476 consid. 2.2 p. 480 s.; arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.1.2 non publié aux ATF 145 IV 470). En tant qu'elle concrétise le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), cette exigence est également garantie par l'art. 32 al. 2 Cst. (ATF 144 II 427 consid. 3.1.2 p. 435; 131 I 476 consid. 2.2 p. 480).

De son côté, l'art. 147 CPP prévoit que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Les preuves administrées en violation de cette disposition ne sont pas exploitables à la charge de la partie qui n'était pas présente (art. 147 al. 4 CPP). Le droit de participer des parties comprend celui de poser des questions à la personne entendue (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1167). De manière générale, en cas de non confrontation, il convient d'adopter une démarche en trois étapes, à savoir rechercher s'il existait un motif sérieux justifiant une non comparution, se demander si cette déposition constitue le fondement unique ou déterminant de la condamnation et enfin, examiner s'il existe des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense et assurer, de cette manière, l'équité de la procédure dans son ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 6B_947/2015 du 29 juin 2017 consid. 5.5.1).

3.1.2. Dans certains cas, le droit à la confrontation du prévenu peut être restreint par les droits de la victime. C'est ainsi que l'art. 154 CPP prévoit des mesures spéciales visant à protéger les enfants âgés de moins de 18 ans au moment de l'audition ou de la confrontation. S'il est à prévoir que l'audition ou la confrontation pourrait entraîner une atteinte psychique grave de l'enfant, une confrontation de ce dernier avec le prévenu ne peut être ordonnée que si l'enfant le demande expressément ou que le droit du prévenu d'être entendu ne peut pas être garanti autrement (art. 154 al. 4 let. a CPP; cf. aussi art. 153 al. 2 CPP). Sont en premier lieu visées les infractions portant atteinte à l'intégrité sexuelle. La formule "s'il est à prévoir que (...) pourrait entraîner" ne pose pas des exigences très sévères. En cas de doute, il y a lieu d'appliquer les mesures de protection de l'enfant. Concrètement, cela signifie que l'art. 154 al. 4 CPP est applicable dès qu'une atteinte psychique grave ne peut pas être exclue. L'application de l'art. 154 CPP exclut celle de l'art. 147 CPP (arrêt 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.2.1 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 154 et les références citées). Par ailleurs, des mesures de protection doivent être prises d'office et non à la demande de l'enfant ou de son représentant légal (cf. arrêts 6B_1451/2022 du 3 mars 2023 consid. 3.2.2; 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit, n. 8a ad art. 154).

Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l'homme a admis que, lors de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, à la condition toutefois qu'elles puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (arrêt CourEDH du 2 juillet 2002 en la cause S.N. contre Suède, ch. 47 et 52, in Recueil-CourEDH 2002 V 169 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1.1).

3.2.  En l'espèce, C______ était âgé de moins de 18 ans au moment de sa seconde audition et, s'agissant d'accusations d'abus sexuels, une confrontation avec la recourante risquait d'entraîner une atteinte psychique grave chez lui.

Il convenait donc d'appliquer les mesures spéciales prévues à l'art. 154 al. 4 CPP, étant rappelé qu'une simple probabilité qu'un tel traumatisme survienne suffit pour leur mise en place.

Ainsi, l'audition du plaignant devait être menée par un enquêteur formé à cet effet, en présence d'un spécialiste, et les parties devaient exercer leurs droits par l'intermédiaire de l'enquêteur. L'audition devait en outre être enregistrée sur un support préservant le son et l'image (art. 154 al. 4 let. d et e CPP). Conformément à ces dispositions, la recourante a transmis un questionnaire au Procureur et ses questions ont été posées par l'intermédiaire d'un inspecteur de police formé à cet effet; l'audition a en outre été filmée. De la sorte, le Ministère public a respecté les droits de la défense prévus par l'art. 6 CEDH, étant précisé que ceux de la recourante ont été garantis par la présence de son avocat. Peu importe que celui-ci ait décidé de son propre chef de quitter l'audience, et ce seulement quelques minutes après son commencement. Il lui était loisible d'y assister et de poser toutes les questions complémentaires qu'il souhaitait, voire de solliciter une suspension d'audience afin de consulter sa cliente, si nécessaire.

En tout état de cause, on peine à comprendre en quoi, sauf à exercer une certaine pression sur le plaignant – soit précisément ce que les dispositions protégeant les victimes tendent à éviter – la présence personnelle de la recourante aurait été nécessaire pour élucider les faits, étant précisé qu'elle ne soutient pas avoir dû poser des questions directement au plaignant.

En définitive, on ne décèle aucune violation du droit d'être entendu. La recourante ne démontre pas davantage une éventuelle violation de l'art. 154 CPP, voire de l'art. 147 CPP. Partant, le procès-verbal d'audition demeure exploitable.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera dès lors confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24521/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

505.00

Total

CHF

600.00