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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8572/2022

ACPR/261/2024 du 17.04.2024 sur ONMMP/5208/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INTERDICTION DES TRAITEMENTS INHUMAINS;FOUILLE DE PERSONNES;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;INFRACTIONS CONTRE LE DOMAINE SECRET;INFRACTIONS CONTRE LES DEVOIRS DE FONCTION
Normes : CPP.310; CPP.309; CPP.136; RRIP.40; RRIP.46; CEDH.3; CP.312; CP.179; CP.84; CP.85; CP.14

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8572/2022 ACPR/261/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 17 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié c/o Mme B______, ______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 2 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 décembre 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais, à ce que l'assistance judiciaire lui soit octroyée, que Mes C______ et D______ soient désignés comme défenseurs d'office et qu'une indemnité leur soit allouée; préalablement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de transmettre le dossier de la présente procédure à la Chambre de céans ainsi que celui de la P/2250/2022; principalement, à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction et de se prononcer sur la jonction des procédures P/8572/2022 et P/2250/2022.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 11 avril 2022, A______, alors détenu à la prison de Champ-Dollon, a déposé plainte contre des gardiens principalement pour abus de pouvoir.

Le matin même entre 11h et 11h30, dans un local à matelas, il avait subi une fouille corporelle, nu, et avait été obligé de se pencher pour montrer ses fesses, avec un "rabaissement verbal" de la part des agents. Ensuite, il avait été raccompagné à sa cellule et avait constaté qu'elle avait été fouillée. Ses affaires étaient éparpillées par terre et mélangées. Sa correspondance avait été ouverte, y compris celle avec son avocat. Ces mesures faisaient suite à l'agression, aux menaces et aux intimidations dont il avait déjà fait l'objet et qu'il avait dénoncées.

À l'appui de sa plainte, il a joint un "témoignage sur l'honneur" de deux codétenus attestant que, le lundi 11 avril 2022 vers 11h-11h20, sa cellule avait été retournée de haut en bas. Toutes ses affaires étaient par terre, mélangées "dans le … [mot illisible mais, semble-t-il, drap] du lit", le matelas, le frigo débranché et vidé, les habits par terre, "un vrai bordel".

b. Selon le rapport d'incident, établi par le gardien E______ le 11 avril 2022 et visé le lendemain par F______, gardien-chef adjoint, les gardiens G______, H______, I______ et J______ étaient présents lors de la fouille complète de la cellule individuelle de A______. Tous les effets personnels du détenu ainsi que son matelas avaient été passés aux rayons X. Toutes les boiseries avaient été contrôlées, ainsi que les interrupteurs, les lampes et l'interphone. Une quantité significative de médicaments avait été retrouvée et remise au service médical. Le détenu avait été soumis à une fouille corporelle complète.

c. Entendu le 6 juin 2022 par l'Inspection générale des services (ci-après: IGS), A______ a confirmé sa plainte. Le 11 avril 2022, un gardien lui avait demandé de le suivre dans un local à matelas. Il avait d'abord refusé puis obtempéré, paniqué à la suite d'une agression subie le 24 janvier 2022, laquelle faisait l'objet d'une autre procédure pénale (P/2250/2022). Le jour des faits, deux gardiens, faisant partie de la "task force" de la prison, lui avaient dit qu'il allait être fouillé à nu. Il s'était déshabillé et, lorsqu'il était complètement nu, ils lui avaient demandé de faire deux flexions, de se retourner vers eux et d'écarter les fesses. Il avait refusé de procéder à ce dernier mouvement et les agents de détention lui avaient dit "ça c'est la nouvelle procédure spécialement pour toi, de toute façon maintenant tu as l'habitude". Il s'était exécuté de peur d'être puni par des coups et une mise en cellule forte. Un gardien se trouvait dans le local avec lui et un autre à l'extérieur, à côté de la porte ouverte. L'un des gardiens était copain avec celui qui l'avait agressé le 24 janvier 2022. Le gardien dans la pièce avec lui avait entre 28 et 30 ans, était blanc, typé européen, avec les cheveux noirs coiffés en "houppette" et mesurait entre 176 et 178 cm et avait "peut-être un tatouage sur l'un des bras, comme un grade et une petite barre en travers de la patelette". Il l'avait, par la suite, croisé à plusieurs reprises. Quant à celui resté à l'extérieur, il devait avoir 45 ans ou plus, était blanc, typé européen, avait les cheveux courts châtains, avec quelques cheveux blancs sur les côtés, une moustache ou un bouc et avait le grade "______".

Lorsqu'il était retourné dans sa cellule, il l'avait retrouvée sens dessus dessous. Il avait demandé la raison de ce désordre et les gardiens lui avaient dit, en rigolant, qu'ils avaient fouillé la cellule et qu'il n'avait qu'à ranger. Un gardien de l'étage lui avait dit de garder son calme et que ce n'était pas normal. Étant seul dans la cellule, la fouille avait été organisée dans le but de l'intimider et lui mettre la pression en lien avec sa précédente dénonciation. Les médicaments retrouvés avaient tous été prescrits par le service médical de la prison et provenaient de son traitement habituel, qu'il n'avait pas pris depuis 6 ou 7 jours en raison du Ramadan. Lorsqu'il ne les prenait pas, il les laissait dans un récipient, posé sur le bureau devant la fenêtre, à la vue de tout le monde, y compris des gardiens. Il n'était pas d'accord de lever le secret médical mais transmettrait les documents relatifs à sa médication. Il ne faisait pas de trafic de médicaments et, si tel avait été le cas, en raison de la demande constante, il n'en aurait pas eu une telle quantité dans sa cellule.

d.a. Le 11 juillet 2022, l'IGS a procédé aux auditions de E______ et de J______, membres de la brigade d'intervention et de surveillance (ci-après: BIS) et de G______, gardien principal de l'étage de la cellule de A______, à l'époque.

Après avoir pris connaissance du rapport d'incident (cf. let. B. b. supra), tous confirment que la fouille complète de la cellule de A______ avait été ordonnée par un supérieur. Pour ce type de fouille, les gardiens – trois selon J______ – étaient équipés du matériel nécessaire pour "démonter" la cellule, ainsi que d'un appareil à rayons X. Toutes les affaires avaient été sorties, contrôlées et posées au sol, sur trois draps disposés au préalable, en séparant l'alimentaire, le non-alimentaire et les vêtements. Les habits avaient été fouillés et déposés sur des draps propres. Les documents avaient également été vérifiés. Une équipe de techniciens avait vérifié l'intérieur des prises, les interrupteurs, les lampes, les interphones et les boiseries. La fouille avait révélé une grande quantité de médicaments. Selon E______, ces derniers n'étaient pas rangés dans un endroit précis mais disséminés partout dans la cellule, dans des pochettes, alors que J______ a précisé qu'ils étaient placés dans un cornet transparent, sans cependant se rappeler où ce contenant se trouvait. Une fois l'intervention terminée, toutes les affaires avaient été replacées dans la cellule. Les habits avaient été posés sur le lit, à l'intérieur d'un drap blanc, l'alimentaire sur une tablette à côté du frigo (E______) / au fond de la cellule (J______) et les documents sur une autre tablette (E______) / étagère à gauche en rentrant (J______). Un kit de literie neuf avait été fourni. La fouille de la cellule de A______ s'était déroulée selon le protocole précité et les affaires avaient été correctement remises en cellule.

d.b. E______ et J______ ont précisé que la fouille avait été demandée car A______ dénonçait constamment d'autres détenus, ce qui laissait suspecter qu'il couvrait ses propres agissements. Aucun des deux ne se souvenait qui avait procédé à la fouille corporelle du détenu.

d.c. E______ a ajouté que, lors de ce type d'intervention, les lettres d'avocat n'étaient pas lues. En outre, le frigo de la cellule de A______ avait été changé.

d.d. G______ a expliqué ne pas avoir procédé à la fouille corporelle de A______. À défaut d'un local de fouille à l'étage, un local d'entretien ou à matelas était habituellement utilisé, lequel ne disposait pas de caméras de surveillance. En tant que chef d'étage, il était probablement présent lors de la fouille corporelle de A______ car il aimait s'assurer que tout se passe correctement. À ce titre, il imaginait qu'elle s'était bien passée sinon un rapport d'incident aurait été établi et les images de vidéosurveillance auraient été "bloquées". Pour fouiller un détenu, les gardiens procédaient toujours en deux temps et lui demandaient de faire deux flexions pour voir si rien ne tombait par terre. C'était cette manière de procéder qui avait dû être appliquée sur A______.

e. Selon le rapport de l'IGS du 26 août 2022, aucune image de vidéosurveillance n'avait été conservée. La fouille complète d'une cellule était une procédure habituelle et, dans le cas présent, elle s'était déroulée sans incident. Par ailleurs, il n'avait pas été possible d'identifier le gardien ayant procédé à la fouille corporelle de A______. Enfin, ce dernier n'avait fourni aucun document relatif à son traitement médical.

f. Le 29 novembre 2022, l'IGS a versé à la procédure les ordres de service C9 et B9 qui réglementent respectivement les "fouilles corporelles" et "l'utilisation des installations de vidéosurveillance et d'alarme au local synoptique" au sein de la prison de Champ-Dollon.

g. Sur demande du Ministère public, le directeur de la prison de Champ-Dollon a, le 23 mai 2023, expliqué qu'il n'était pas en mesure de fournir l'identité de la personne ayant ordonné la fouille du 11 avril 2022, faute de la mention de cette information sur le rapport d'incident la concernant. La fouille corporelle complète de A______ avait été décidée en raison de la quantité de médicaments retrouvée dans sa cellule. Les images de vidéosurveillance des locaux "proches des faits" n'avaient pas été sauvegardées et la fouille corporelle s'était déroulée dans un local dépourvu de caméra. En outre, au moment des faits, l'utilisation des "bodycams" n'était pas encore effective. En l'absence d'utilisation de la contrainte et de découverte d'élément suspect, aucun rapport d'incident n'avait été établi.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs d'abus d'autorité.

La fouille cellulaire avait été ordonnée par un gardien-chef adjoint et exécutée selon la pratique habituelle. À son terme, les affaires avaient été remises dans la cellule à des endroits distincts pour éviter qu'elles ne se mélangent. Si elles n'avaient pas été remises à leur place initiale, le désordre qui en résultait était inhérent à toute fouille et ne dépassait pas ce qui était normal. La correspondance avait pu être consultée afin de vérifier qu'elle ne contenait pas de documents susceptibles de mettre en péril la sécurité de la prison, ce qui était légitime et proportionné. Il n'était cependant pas établi qu'elle avait été lue. Ainsi, les actes des gardiens ne prêtaient pas le flanc à la critique.

S'agissant de la fouille corporelle, elle avait été valablement ordonnée et exécutée. Elle avait eu lieu dans un local à l'abri des regards et nécessité que A______ ôte ses vêtements, fasse deux flexions, se penche et montre ses parties intimes. Il n'était pas établi que le détenu avait été entièrement nu, notamment car le gardien ayant procédé à sa fouille n'avait pas pu être identifié.

D. a. Dans son recours, A______ considère que les faits dénoncés, à savoir une fouille à nu, en un temps, avec des commentaires menaçants et humiliants, ainsi qu'une fouille cellulaire inutilement dégradante, comprenant l'ouverture de sa correspondance avec son avocat, constituaient manifestement des traitements inhumains et dégradants au sens de l'art. 3 CEDH. Ainsi, conformément à cette norme, une "enquête effective" aurait dû être menée. Or, les éléments au dossier ne permettaient pas de lever les soupçons des violences alléguées. Les autorités pénales s'étaient, au surplus, montrées incapables d'identifier les agents ayant participé à sa fouille corporelle. Les codétenus, dont le témoignage corroborait ses allégations, n'avaient pas été entendus. Partant, la décision querellée violait l'art. 3 CEDH, ce d'autant plus que les faits dénoncés s'inscrivaient dans une campagne d'intimidation ou de représailles à son encontre.

Par ailleurs, le Ministère public n'était plus en droit de rendre une décision de non-entrée en matière compte tenu des actes entrepris. Lui-même n'avait pas pu y participer, ni poser des questions. Il était ainsi contraire à l'art. 310 CPP de lui opposer les auditions recueillies. Il avait également été privé de requérir l'audition de témoins supplémentaires, de se voir soumettre des planches photographiques ou de fournir des informations complémentaires.

Au surplus, au vu du témoignage des codétenus, le Ministère public ne pouvait se fonder sur les dénégations des agents impliqués pour considérer que la fouille cellulaire avait été pratiquée de manière habituelle. S'agissant de l'ouverture de sa correspondance avec son avocat, elle était prohibée par l'art. 84 al. 4 CP. Que les agents aient nié avoir lu la correspondance n'était pas de nature à exclure les soupçons d'abus d'autorité, voire d'infraction à l'art. 179 CP.

Enfin, à l'appui de sa demande d'assistance judiciaire, il explique être bénéficiaire de l'aide d'urgence de la part de l'Hospice général et qu'eu égard à sa position particulièrement vulnérable, l'assistance d'un défenseur était nécessaire. La condition des chances de succès était également remplie compte tenu des griefs formulés.

b. Le 10 janvier 2024, A______ a, après avoir reçu copie du dossier de la procédure, relevé que la déclaration de E______, selon laquelle il ne lisait pas les lettres d'avocat, renforçait les soupçons afférents à la lecture du courrier couvert par le secret professionnel.

c. Dans ses observations, le Ministère public conclut, avec suite de frais, au rejet du recours.

Concernant l'accès au dossier, une copie avait été mise à disposition de l'avocat du recourant le 22 décembre 2023, de sorte que ce dernier ne pouvait se plaindre de ne pas y avoir eu accès en temps voulu.

L'art. 3 CEDH ne trouvait de la part des gardiens pas application dans le cas d'espèce. En effet, faute d'agression physique ou verbale de la part des agents de détention, la fouille corporelle dénoncée ne pouvait être considérée comme un acte prohibé au sens de la norme précitée. Il en allait de même de la fouille cellulaire, celle-ci n'atteignant pas une gravité suffisante pour être qualifiée de traitement dégradant. La consultation de la correspondance du détenu ne dépassait pas non plus le niveau d'intrusion propre à toute privation de liberté. À cet égard, il n'était pas allégué, de manière défendable, que les gardiens auraient lu le contenu des échanges avec l'avocat.

Quoi qu'en dise le recourant, une enquête effective avait bel et bien été conduite par les autorités pénales, si bien qu'il ne pouvait, en tout hypothèse, se plaindre d'une violation par les autorités de leurs obligations procédurales.

La fouille cellulaire avait respecté les normes applicables. Les constats retenus dans l'ordonnance querellée n'étaient pas en contradiction avec le témoignage écrit des codétenus, bien au contraire. L'intervention des gardiens était légitime et proportionnée et le désordre causé dans ce cadre ne permettait manifestement pas de retenir une quelconque charge à leur encontre.

L'examen de la correspondance avait été entrepris dans le cadre d'une fouille extraordinaire de la cellule, de sorte que les gardiens étaient en droit d'ouvrir le courrier afin de vérifier que le détenu ne détenait aucun document susceptible de mettre en péril la sécurité de l'établissement. En ce qui concernait plus particulièrement la correspondance avec l'avocat, les gardiens avaient pu l'ouvrir sans pour autant la lire. Cette vérification pouvait se faire sans violer le secret professionnel de l'avocat et ne contrevenait pas aux art. 179 et 312 CP.

Pour ce qui était de la fouille corporelle, aucune instruction n'avait été ouverte, faute d'identification de l'auteur. La description physique et les informations données par A______ n'étaient pas suffisantes et ne permettaient pas d'orienter les soupçons sur un cercle de personnes suffisamment restreint de manière à procéder à d'autres mesures d'instruction, telle que la présentation d'une planche photographique. Un tel acte serait, en outre, près de deux ans après les faits, voué à l'échec ou source de risques d'erreur excessifs. L'auteur de la fouille ne pouvait pas non plus être déterminé sur la base d'un rapport d'incident car aucun document de ce type n'avait été établi. Ainsi, les images de vidéosurveillance n'étaient plus disponibles, aucun témoin oculaire de la fouille n'avait été identifié et aucun autre acte d'enquête n'était susceptible de faire avancer celle-ci.

Enfin, à réception de la plainte, le Ministère public avait transmis le dossier à l'IGS pour complément d'enquête au sens de l'art. 309 al. 2 CPP. La procédure n'avait ainsi pas dépassé le stade des premières investigations, de sorte que A______ n'avait pas un droit à participer à l'audition des gardiens, ni à interroger les personnes entendues, ni même à présenter d'éventuelles réquisitions de preuve. Au demeurant, le prénommé n'en proposait aucune.

d. Dans sa réplique, A______ précise ne pas avoir formulé de grief formel en lien avec la consultation du dossier mais simplement avoir expliqué à la Chambre de céans ne pas avoir reçu de copie dans le délai de recours.

Les exigences procédurales de l'art. 3 CEDH étaient à l'évidence applicables, toute éventuelle tentative d'intimidation ou de représailles constituant un traitement visé par la norme précitée. Or, les mesures subies devaient être considérées dans leur ensemble et mises en perspective avec les évènements qui s'étaient déroulés quelques semaines auparavant et qui avaient fait l'objet d'une plainte contre plusieurs agents de détention.

Par ailleurs, face aux dénégations des agents interrogés, il s'imposait d'évaluer leur crédibilité en les auditionnant directement et contradictoirement. La confrontation avec les agents en question et l'audition des codétenus constituaient les mesures d'instruction les plus élémentaires, qu'il convenait d'effectuer.

S'agissant de l'examen de la correspondance, le Ministère public se fondait uniquement sur les déclarations des agents de détention et n'avait procédé à aucune vérification, notamment auprès d'éventuels tiers présents, tels que les codétenus. L'art. 84 al. 4 CP interdisait l'"examen" et ne faisait aucune distinction entre la "lecture" et la "consultation". Par ailleurs, rien ne permettait de douter qu'il aurait utilisé la correspondance avec son avocat pour mettre en péril la sécurité de l'établissement. Les agents, de leurs propres aveux, avaient ouverts les courriers et, à tout le moins, consulté ceux-ci; ils ne s'étaient pas contenter de les décacheter.

Pour ce qui était de la fouille corporelle, il était particulièrement aisé pour le Ministère public d'identifier ceux qui, parmi les agents de la "task force" en service le jour en question, ne se trouvaient pas impliqués dans la fouille du 24 janvier 2022 et correspondaient plus ou moins à la description physique donnée. Une planche photographique du cercle ainsi défini des agents aurait pu lui être soumise, sans difficulté particulière. De plus, en l'absence d'images de vidéosurveillance et de rapport, les inquiétudes du Ministère public quant à de possibles abus ne pouvaient que se renforcer, en particulier au regard du contexte plus large des accusations qu'il avait formulées.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1, 396 al. 1 et 90 al. 2 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Dans la mesure où le recourant précise, dans sa lettre du 10 janvier 2024, avoir reçu une copie du dossier de la procédure, sa conclusion préalable y tendant est devenue sans objet.

3.             Il en va de même de celle visant la transmission du dossier de la présente procédure à la Chambre de céans, dès lors que celle-ci en est déjà nantie.

4.             La question de la jonction de la présente procédure avec la P/2250/2022 ne faisant pas l'objet de la décision querellée (art. 393 al. 1 CPP) et en l'absence au dossier d'une telle requête formulée au Ministère public, ni, a fortiori, d'un quelconque grief en lien avec un potentiel déni de justice à cet égard, il n'appartient pas à la Chambre de céans de trancher, ni d'enjoindre à l'autorité précédente de prononcer une éventuelle jonction.

Cette conclusion sera donc rejetée.

5.             Dans ces circonstances, l'apport du dossier de la procédure précitée, à ce stade, n'a pas lieu d'être, de sorte que cette conclusion sera également rejetée.

6.             Le recourant considère qu'au vu des actes entrepris (auditions par l'IGS et demande de complément à la direction de Champ-Dollon) le Ministère public n'était plus en mesure de rendre une décision de non-entrée en matière.

6.1. Le ministère public ne peut pas rendre une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 CPP) après avoir ouvert une instruction. Une telle ordonnance doit ainsi être rendue à réception de la plainte et ceci avant qu'il ne soit procédé à de plus amples actes d'enquête et qu'une instruction soit ouverte, sous réserve de quelques opérations simples de la part du ministère public au préalable (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, n. 4 ad art. 310; arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2.).

Ainsi, avant de rendre une telle ordonnance, le ministère public peut procéder à ses propres constatations (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela comprend le droit de consulter les fichiers, dossiers et renseignements disponibles, ainsi que de demander à la personne mise en cause une simple prise de position, telle que prévue, en particulier, à l'art. 145 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_539/2016 du 1er novembre 2017 consid. 2.2.1 et 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2). Le ministère public peut également demander des compléments d'enquête à la police, non seulement lorsqu'il s'agit de compléter un précédent rapport au sens de l'art. 307 CPP, mais aussi lorsque la dénonciation elle-même apparaît insuffisante (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2). Lorsqu'il agit ainsi, le ministère public n'ouvre pas d'instruction et l'enquête se poursuit ou est entamée dans le cadre de l'investigation policière (art. 306 CPP; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 22 ad art. 309).

Diverses mesures d'investigation peuvent être mises en œuvre avant l'ouverture d'une instruction, telle que l'audition des lésés et suspects par la police sur délégation du ministère public (art. 206 al. 1 et 306 al. 2 let. b cum art. 309 al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_875/2018 du 15 novembre 2018 consid. 2.2.1). Les informations recueillies à cette occasion lui permettront de décider de la suite qu'il convient de donner à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 6B_290/2020 du 17 juillet 2020 consid. 2.2.).

Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

6.2. En l'occurrence, en transmettant le dossier à l'IGS, qui a procédé aux auditions des agents impliqués et demandé un complément à la direction de la prison de Champ-Dollon, le Ministère public s'est limité aux mesures d'investigation possibles avant l'ouverture d'une instruction, conformément à l'art. 309 al. 2 CPP. La procédure n'a donc pas dépassé le stade des premières investigations et le Ministère public était habilité à rendre une ordonnance de non-entrée en matière. Dans ce contexte, le Ministère public n'avait pas à informer le recourant, ni même à lui donner l'occasion de se déterminer, voire de présenter d'éventuelles réquisitions de preuve.

À titre superfétatoire, en tout état de cause, le droit d'être entendu du recourant a été respecté, dès lors qu'il n'a pas été privé de la possibilité de se déterminer et de présenter ses éventuelles réquisitions de preuve en instance de recours, la Chambre de céans jouissant d'un plein pouvoir d'examen à cet égard (cf. art. 393 al. 2 CP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2021 du 13 janvier 2023 consid. 3.3.2).

Partant, la décision querellée ne saurait être annulée pour ce motif.

7.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir ouvert d'instruction pour violation de l'art. 3 CEDH (traitement dégradant en détention).

7.1. Les art. 3 CEDH et 10 al. 3 Cst. interdisent la torture, ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Selon la jurisprudence, l'art. 3, combinée avec l'art. 1 ou avec l'art. 13 CEDH, confère à tout individu prétendant de manière défendable avoir été traité par la police de façon inhumaine ou dégradante un droit à une enquête officielle approfondie et effective, qui doit permettre d'élucider les circonstances ainsi que d'identifier et de sanctionner les responsables (ATF 131 I 455 consid. 1.2.5 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_152/2014 du 6 janvier 2015 consid. 2.2).

L'allégation d'un traitement prohibé par l'art. 3 CEDH est défendable lorsqu'elle ne se révèle pas d'emblée dépourvue de crédibilité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_692/2008 du 28 novembre 2008 consid. 1.3).

Pour constituer un acte prohibé par l'art. 3 CEDH, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, les conditions matérielles de détention doivent atteindre un niveau d'humiliation ou d'avilissement supérieur à ce qu'emporte habituellement la privation de liberté. Cela impose ainsi à l'État de s'assurer que les modalités de détention ne soumettent pas la personne détenue à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate. Un simple inconfort ne suffit pas (ATF 140 I 246 consid. 2.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_152/2014 précité consid. 2.3 et Arrêt de la CEDH Affaire Frérot c. France, n. 70204/01, du 12 juin 2007, § 37).

7.2. S'agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, même s'il n'y a aucune difficulté à concevoir qu'un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu'il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu'il faut adopter des postures embarrassantes. Un tel traitement n'est pourtant pas en soi illégitime; des fouilles corporelles, même intégrales peuvent parfois se révéler nécessaires pour assurer la sécurité dans une prison – y compris celle du détenu lui-même –, défendre l'ordre ou prévenir les infractions pénales. Il n'en reste pas moins que les fouilles corporelles doivent, en sus d'être "nécessaires" pour parvenir à l'un de ces buts, être menées selon des "modalités adéquates", de manière à ce que le degré de souffrance ou d'humiliation subi par les détenus ne dépasse pas celui que comporte inévitablement cette forme de traitement légitime. À défaut, elles enfreignent l'art. 3 CEDH. Il va de soi que plus importante est l'intrusion dans l'intimité du détenu fouillé à corps, plus grande est la vigilance qui s'impose (ibidem, § 38).

La Cour européenne des droits de l'Homme a retenu comme dégradante, une fouille corporelle intégrale au cours de laquelle un détenu avait dû se dévêtir entièrement, devant une agente pénitentiaire et toucher avec ses mains nues ses organes génitaux (arrêt de la CEDH Affaire Valasinas c. Lituanie, n. 4458/98, du 24 juillet 2001, § 117) ou devant quatre gardiens qui avaient tourné le détenu en ridicule et l'avaient insulté (arrêt de la CEDH Affaire Iwanczuk c. Pologne, n. 25194/94, du 15 novembre 2001, § 59). A également été jugé inhumaine et dégradante la combinaison de fouilles à corps routinières – après chaque visite "ouverte", à la clinique, chez le dentiste et chez le coiffeur et lors de chaque inspection hebdomadaire de la cellule – de détenus nus en présence d'agents pénitentiaires impliquant une inspection rectale et l'adoption de positions embarrassantes, accompagnées d'autres mesures de sécurité draconiennes (établissement de sécurité maximale), et ce sur plusieurs années (arrêts de la CEDH Affaires Van der Ben c. Pays-Bas, n. 50901/99, du 4 février 2003, § 62 et 63 et Lorsé et autres c. Pays-Bas, n. 52750/99, du 4 février 2003, § 74).

En revanche, la fouille, d'un détenu dévêtu intégralement, avec inspection par un agent de la chevelure des oreilles, de la bouche, avec pour obligation du détenu d'ouvrir celle-ci, tousser et lever la langue, des aisselles, le détenu devant lever et baisser les bras, des mains, avec doigts écartés, et des pieds, notamment la voûte plantaire et les orteils; ainsi pour le détenu de devoir écarter les jambes, afin que l'agent puisse s'assurer que des objets n'étaient pas dissimulés dans l'entrejambe, soit "dans le cas précis de recherches d'objets ou de substances prohibés" et de tousser (les fesses face au surveillant chargé de la fouille afin de permettre une inspection anale visuelle), si elle s'avérait concrètement nécessaire pour assurer la sécurité de la prison, défendre l'ordre ou prévenir des infractions pénales n'était pas incompatible avec l'art. 3 CEDH, sauf spécificités tenant à la situation de la personne qui en fait l'objet (arrêt de la CEDH Affaire Frérot c. France précité, § 40-41).

7.3. Le droit à une enquête officielle approfondie et effective fonde une obligation de moyens et non de résultat. Il impose aux autorités de prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour obtenir les preuves relatives aux faits en question, telles que l'audition des personnes impliquées, les dépositions des témoins oculaires, les expertises, les certificats médicaux, etc. Toute défaillance dans les investigations qui compromet la capacité des autorités à établir les faits ou les responsabilités peut être constitutive d'une violation de l'art. 3 CEDH. Par ailleurs, les autorités doivent agir avec célérité et diligence (arrêts du Tribunal fédéral 6B_110/2008 consid. 3.2 et 6P_122/2006 consid. 4.8).

7.4. Aux termes de l'art. 46 RRIP, en tout temps, la direction [de la prison de Champ‑Dollon] peut ordonner des fouilles corporelles et une inspection des locaux.

7.5. Aux termes de l'ordre de service B9 concernant "l'utilisation des installations de vidéosurveillance et d'alarme au local synoptique", les images de vidéosurveillance sont systématiquement sauvegardées lorsqu'une allégation de mauvais traitement parvient à la connaissance de la direction, que ce soit sous la forme d'un constat de lésions traumatiques ou d'une déclaration spontanée du détenu, pour autant que les délais le permettent (ch. 4.2.2 let. c).

7.6. Selon l'ordre de service C9 de la prison de Champ-Dollon réglementant les fouilles corporelles, une fouille complète consiste en un contrôle du corps et des vêtements de la personne détenue, que cette dernière a ôtés. Elle se déroule impérativement en deux temps, en distinguant la partie haute et basse du corps, de façon à ce que la personne détenue ne soit pas intégralement nue. Il peut être demandé à la personne détenue de procéder à une inspection visuelle de ses parties génitales, pour les hommes soulever leurs parties génitales (ch 2.1.2). Il peut également être demandé à la personne détenue de faire une ou des flexions afin de faire des contrôles complémentaires (ch. 2.2). Une telle fouille ne peut intervenir quand dans un local fermé, accessible à un nombre restreint de membres du personnel de surveillance et non accessible par le dispositif de vidéosurveillance et hors de la vue d'autres personnes détenues et personnes non concernées par la fouille (ch. 2.3.2). En application de l'art. 46 RRIP, la direction peut ordonner en tout temps une fouille corporelle des personnes détenues et une fouille des locaux. Le personnel de surveillance peut, par délégation et lors de toute suspicion, user de cette prérogative (ch. 4.3. let. a et b). L'usage de la contrainte fait obligatoirement l'objet d'un rapport au directeur (ch. 4.4).

7.7. En l'espèce, on comprend que le recourant ne conteste pas la légitimité de la fouille mais sa mise en œuvre, laquelle contreviendrait selon lui à l'art. 3 CEDH.

Or, aucun élément au dossier ne permet de penser qu'elle ne se serait pas déroulée selon le protocole applicable décrit par les agents de détention. Selon eux, il s'est agi d'une fouille complète de la cellule, au cours de laquelle les affaires du recourant ont été sorties et contrôlées. Elle a impliqué l'intervention de gardiens équipés du matériel nécessaire pour ce faire, ainsi qu'un appareil à rayons X. L'intérieur des prises, les interrupteurs, les lampes, les interphones et les boiseries ont également été vérifiés. Les affaires du détenu ont été posées sur le sol sur trois draps distincts afin de séparer les vêtements, l'alimentaire et le non-alimentaire. Les documents, y compris la correspondance avec l'avocat, ont été inspectés. À l'issue de l'intervention, le drap contenant les habits a été posé sur le lit, les denrées alimentaires ont été remises sur une tablette à côté du frigo (E______) / au fond de la cellule (J______) et les documents ont été posés sur une autre tablette (E______) / se trouvant à gauche en rentrant (J______). Un nouveau kit de literie a été fourni au détenu.

Le recourant prétend que ses affaires auraient été éparpillées et mélangées et en veut pour preuve le "témoignage sur l'honneur" de deux codétenus. Or, il n'est nullement établi et encore moins probable que d'autres détenus aient assisté à la fouille, le recourant occupant seul une cellule.

Compte tenu du temps écoulé depuis les faits, on ne voit pas ce que l'audition des détenus en question, ni même une audition contradictoire des agents impliqués, pourrait apporter comme élément complémentaire probant. Lesdits agents se sont déjà exprimés devant l'IGS et ont demandé à lire le rapport de fouille cellulaire avant de répondre aux questions.

Par ailleurs, conformément à la manière de procéder décrite, toutes les affaires se trouvant dans la cellule devaient être vérifiées, y compris les documents et la correspondance, notamment celle avec le défenseur. Les agents devaient ainsi ouvrir cette dernière pour s'assurer que l'enveloppe ne contenait rien d'autre que la lettre de l'avocat, qui n'avait pas besoin d'être lue. Cette manière d'agir, dans le cadre d'une fouille complète d'une cellule afin d'assurer la sécurité de l'établissement, et en raison de soupçon d'agissements contraires notamment au règlement dudit établissement, ne dépasse pas le niveau inévitable d'ingérence inhérent à une telle mesure. Hormis les accusations du recourant, qui ne sont aucunement étayées, rien ne laisse supposer que ladite correspondance aurait été lue par les agents, ce qui du reste est confirmé par E______.

Dans ces circonstances, on peut manifestement considérer que la fouille de la cellule du recourant s'est déroulée de manière habituelle et n'a pas été contraire à l'art. 3 CEDH. Si une telle action – vérification de l'ensemble de la cellule et des affaires du détenu –, engendre inévitablement, de par sa nature, un certain désordre et une certaine ingérence dans la sphère privée du détenu, elle ne saurait, pour autant, être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.

7.8. Pour ce qui est de la fouille corporelle subie, il n'est pas contesté qu'elle s'est déroulée dans un local fermé, accessible à un nombre restreint de personne et ne disposant pas de vidéosurveillance. Il a été demandé au recourant de faire deux flexions, de se retourner vers les gardiens et d'écarter les fesses. Or, la jurisprudence de la CEDH ne sanctionne pas un tel procédé s'il a pour but la recherche "d'objets ou de substances prohibés". À cet égard, il est rappelé que la fouille en question a été menée après que le recourant avait été soupçonné d'infractions au règlement de la prison et qu'une quantité importante de médicaments avait été retrouvée dans sa cellule. Une telle vérification apparaissait ainsi nécessaire afin d'assurer la sécurité de la prison voire de prévenir des infractions pénales, notamment en lien avec un éventuel trafic de médicaments. En outre, même à considérer que la phrase dénoncée – "ça c'est la nouvelle procédure spécialement pour toi, de toute façon maintenant tu as l'habitude" – aurait bel et bien été prononcée par l'un des agents, on ne voit pas en quoi elle serait menaçante ou humiliante et n'atteint, dans tous les cas pas, même dans les circonstances du cas d'espèce, le seuil de gravité nécessaire à un acte prohibé par l'art. 3 CEDH.

Partant, bien qu'un détenu ainsi fouillé à corps puisse se sentir atteint dans sa dignité – plus l'intrusion dans l'intimité du détenu est importante, plus ce sentiment est susceptible d'être marqué –, les modalités sus-décrites sont adéquates et ne peuvent être qualifiées d'inhumaines ou dégradantes.

Ainsi, seule demeure la question de la mise à nu, en un temps, alléguée par le recourant, laquelle n'aurait effectivement pas été conforme à la pratique sus-réglementée. Malgré les investigations menées, les agents présents lors de la fouille corporelle pratiquée n'ont pu être identifiés, ce qui paraît surprenant. Tout au plus, G______ a déclaré avoir probablement été présent, en sa qualité de chef d'étage, et que la fouille avait dû s'être déroulée normalement, car sinon un rapport d'incident aurait été établi. La fouille corporelle était toujours effectuée en deux temps.

Quoiqu'il en soit, aucune image de vidéosurveillance n'a été conservée et elle n'aurait de toute manière pas été propre à éclairer le déroulement de la fouille en elle-même, un tel dispositif y étant proscrit. Tout au plus de telles images auraient pu éventuellement renseigner sur l'identité des agents impliqués. Compte tenu cependant du temps écoulé, soit près de deux ans après les faits, et de l'inexistence d'un rapport concernant ladite fouille, il apparaît peu probable que l'audition de ces agents apporte un élément complémentaire probant. Partant, les actes d'enquête sollicités, en lien avec l'identification de la personne ayant procédé à la fouille corporelle, n'apparaissent pas utiles.

Enfin, le recourant échoue à établir voire même à rendre plausible que les fouilles dénoncées s'inscrivaient dans le cadre d'une campagne d'intimidation ou de représailles à son encontre, à la suite de sa plainte pénale dans le cadre de la P/2250/2022. Même si cette dernière devait aboutir, rien ne permet de rendre vraisemblable que les agents n'auraient pas respecté le règlement sur la fouille corporelle, les seules déclarations du recourant étant insuffisantes. Aucun témoin n'y ayant assisté, les auditions requises ne sont pas de nature à modifier cette conclusion.

7.9. Au regard des auditions menées, de l'absence d'image de vidéosurveillance et de l'absence d'autres actes d'enquête susceptibles d'apporter d'élément probant, le grief selon lequel une enquête effective n'aurait pas été menée, ne peut par ailleurs être que rejeté. L'absence de présentation, au recourant, d'une planche photographique avec le cercle d'agents pouvant être concerné, ne modifie pas, à elle seule, ce constat. Ainsi, la décision querellée ne saurait être annulée pour ce motif.

8.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pour abus d'autorité (art. 312 CP) et violation des secrets privés (art. 179 CP).

8.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

8.2. L'art. 312 CP sanctionne les membres d'une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge.

Cette disposition protège notamment l'intérêt des citoyens à ne pas être exposés à un déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire. L'incrimination pénale doit être interprétée restrictivement, compte tenu de la formule très générale qui définit l'acte litigieux. L'auteur n'abuse ainsi de son autorité que lorsqu'il use de manière illicite des pouvoirs qu'il détient de sa charge, c'est-à-dire lorsqu'il décide ou contraint en vertu de sa charge officielle dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire. L'infraction peut aussi être réalisée lorsque l'auteur poursuit un but légitime, mais recourt pour l'atteindre à des moyens disproportionnés (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa et b et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1351/2017 du 18 avril 2018 consid. 4.2).

8.3. Aux termes de l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du présent code ou d'une autre loi.

8.4. L'art. 179 CP réprime, sur plainte, quiconque, sans en avoir le droit, ouvre un pli ou colis fermé pour prendre connaissance de son contenu.

Cette disposition protège la confidentialité de la correspondance, soit un aspect particulier de la sphère privée, en punissant l'ouverture sans droit de celle-ci (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand du Code pénal II, 2017, n. 5 ad art. 179). Pour retenir une infraction à l'art. 179 CP, il est nécessaire que l'auteur ait ouvert sans droit – par le bris de la fermeture de l'enveloppe ou de l'emballage – un pli ou un colis fermé, à savoir tout contenant destiné à la transmission d'un message ou d'un objet. C'est le contenant lui-même qui doit être fermé, de sorte qu'un courrier ouvert dans une armoire verrouillée ne remplit pas cette condition, pas plus qu'une lettre dans une enveloppe ouverte (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht II, 2019, n. 18 ad art. 179).

8.5. L'art. 84 al. 4 CP précise que l'examen du contenu de la correspondance et des écrits de l'avocat n'est pas permis.

Les autorités pénitentiaires peuvent ouvrir la lettre d'un avocat à un détenu si elles ont des motifs plausibles de penser qu'il y figure un élément illicite non révélé par les moyens normaux de détection. Toutefois, elles ne doivent que la décacheter, sans la lire. Il y a lieu de fournir des garanties appropriées pour en empêcher la lecture, par exemple l'ouverture de l'enveloppe en présence du détenu (arrêts de la CEDH Laurent c. France du 24 août 2018 § 44 et Campbell c. Royaume-Uni du 25 mars 1992 § 48).

8.6. Selon l'art. 85 CP, les effets personnels et le logement du détenu peuvent être inspectés pour des raison d'ordre et de sécurité de l'établissement (al. 1). Le détenu soupçonné de dissimuler des objets interdits sur lui ou à l'intérieur de son corps peut être soumis à une fouille corporelle. Celle-ci doit être exécutée par une personne du même sexe. Si elle implique un déshabillage, elle se fera en l'absence d'autres détenus. L'examen de l'intérieur du corps doit être effectué par un médecin ou un autre membre du personnel médical (al. 2).

8.7. L'art. 40 al. 3 RRIP prévoit le contrôle du courrier expédié et reçu par les détenus. Il peut également être contrôlé par le directeur de la prison.

8.8. En l'espèce, s'agissant des fouilles cellulaire et corporelle, comme retenu ci-dessus, elles ont été ordonnées et exécutées de manière conforme aux normes applicables, de sorte qu'il n'y a pas de place pour un quelconque abus d'autorité les concernant.

S'agissant de l'examen de la correspondance du recourant, y compris celle avec son avocat, il apparait douteux, au vu des circonstances du cas présent, que les art. 84 al. 4 et 179 CP trouvent application. En effet, il est rappelé que le contrôle dénoncé est intervenu dans le cadre d'une fouille cellulaire complète, au cours de laquelle l'ensemble des documents retrouvés doit être vérifié. Dès lors, bien que les courriers échangés avec le conseil bénéficient d'un statut privilégié, une vérification du contenu de l'enveloppe était nécessaire. La présence du détenu ne permettrait en rien de lui déléguer une telle tâche, en raison de la nature même de celle-ci. Au demeurant, aucun élément au dossier, hormis les allégations du recourant, qui ne sont confirmées par aucune preuve objective, ne permet de soupçonner les agents d'avoir outrepassé un éventuel "examen du contenu" proscrit.

En tout état de cause, l'examen litigieux est intervenu dans le cadre d'une fouille ordonnée en raison de soupçon à l'encontre du prévenu d'agissements notamment contraires au règlement de l'établissement pénitentiaire. Ainsi, au regard des circonstances du cas d'espèce, ce contrôle était dicté par un intérêt public, à savoir la sécurité de l'établissement pénitentiaire et autorisé au sens de l'art. 14 CP. A fortiori, ce comportement n'est pas non plus constitutif d'un quelconque abus d'autorité.

Partant, la décision querellée ne prêt pas le flanc à la critique.

9.             Justifiée, ladite ordonnance sera donc confirmée et le recours rejeté.

10.         Le recourant sollicite d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire, que MC______ et Me D______ soient nommés en qualité de défenseur d'office et qu'une indemnité, correspondant à 6 heures d'activité pour une avocate collaboratrice et une heure pour un associé soit fixée.

10.1. À teneur de la nouvelle teneur de l'art. 136 CPP – entrée en vigueur le 1er janvier 2024 –, sur demande, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente si elle ne dispose pas des ressources suffisantes et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (al. 1 let. a); et à la victime, pour lui permettre de faire aboutir sa plainte pénale, si elle ne dispose pas des ressources suffisantes et que l'action pénale ne paraît pas vouée à l'échec (al. 1 let. b). L'assistance judiciaire comprend notamment l'exonération des frais de procédure (al. 2 let. b) et la désignation d'un conseil juridique gratuit, lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante ou de la victime l'exige (al. 2 let. c). Lors de la procédure de recours, l'assistance judiciaire gratuite doit faire l'objet d'une nouvelle demande (al. 3).

10.2. La teneur actuelle de l'art. 136 CPP, en particulier, la let. b a été adoptée après que le Tribunal fédéral ait accordé l'assistance judiciaire à une victime uniquement pour lui permettre de faire aboutir sa plainte pénale. Dans le cas en question, le lésé avait porté plainte contre trois fonctionnaires de police notamment pour lésions corporelles et s'était constitué partie plaignante sur le plan pénal. Il n'avait, par contre, pas pu faire valoir de prétentions civiles ni donc se constituer partie sur le plan civil. L'assistance judiciaire lui avait ainsi été exceptionnellement octroyée directement en application de l'art. 29 al. 3 Cst. Autrement, il n'aurait pas eu accès à la procédure judiciaire, pourtant garantie par la Constitution ou, en d'autres termes, se verrait refuser la défense effective de ses droits (arrêt du Tribunal fédéral 1b_355/2012 du 12 octobre 2012 consid 5.1; Message du Conseil Fédéral FF 2019 6386).

"Un procès est dénué de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre et qu’elles ne peuvent être considérées comme sérieuses. En revanche, il ne l’est pas lorsque les chances de succès et les risques d’échec sont à peu près égaux ou lorsque les premières ne sont que de peu inférieures aux seconds. L’élément déterminant réside dans le fait que l’indigent ne doit pas se lancer, parce qu’il plaide aux frais de la collectivité, dans des démarches vaines qu’une personne raisonnable n’entreprendrait pas si, disposant de moyens suffisants, elle devait les financer de ses propres deniers" (ATF 138 III 218 consid. 2.2.4). Ces conditions s’appliquent par analogie dans le contexte de la plainte pénale (arrêt du Tribunal fédéral 1B_355/2012 précité consid. 5.4; Message du Conseil Fédéral FF 2019 6387).

L’al. 2 est complété à la suite de l’adaptation de l’al. 1. Un conseil juridique gratuit doit être désigné lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante ou de la victime est nécessaire. Cette exigence de nécessité signifie que l’affaire présente des difficultés de fait ou de droit auxquelles la personne concernée ne pourrait pas faire face seule, car cela rendrait impossible une défense adéquate et efficace de ses intérêts. Cette question doit être tranchée au vu de l’ensemble des circonstances concrètes, qui comprennent la gravité de l’atteinte, les difficultés de fait et de droit liées au cas ainsi que la capacité de la personne concernée de se repérer dans la procédure, notamment en considération de sa condition physique et psychique (arrêt du Tribunal fédéral 1B_355/2012 précité consid. 5.5; Message du Conseil Fédéral FF 2019 6387).

10.3. Selon l'art. 133 al. 1 CPP – applicable par renvoi de l'art. 137 CP –, le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure compétente au stade considéré.

Dans la plupart des cas, la nomination d'un défenseur d'office selon les art. 132 et 133 CPP ne visera que la désignation d'un seul avocat. Dans des cas exceptionnels (complexité particulière), la mise en oeuvre de l'art. 127 al. 2 CPP (droit à plusieurs conseil juridiques) peut requérir la désignation, sur requête ou d'office, de deux ou plusieurs défenseurs d'office (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 18a ad art. 133).

En principe, la nomination porte sur un seul avocat d'office. Il serait concevable qu'en présence d'une affaire complexe la direction de la procédure nomme deux ou plusieurs avocats d'office (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, n. 14 ad art. 133).

10.4. In casu, la condition d'indigence apparaît remplie, le recourant bénéficiant de prestations de l'Hospice général.

En outre, conformément à la nouvelle norme applicable et au vu des faits dénoncés – qui mettent en cause des fonctionnaires et touchent notamment la sphère privée du recourant, voire son intégrité physique et psychique –, de la situation du recourant, des différents développements ci-dessus, la situation juridique délicate ne rendait pas déraisonnable un examen de la cause par l'autorité de recours et, pour ce faire, l'assistance d'un conseil.

Cela étant, en l'absence d'une complexité particulière, nullement allégué par ailleurs, un seul avocat sera nommé en qualité de défenseur d'office, soit MC______.

Partant, l'assistance judiciaire sera accordée au recourant et MC______ sera nommé en qualité de défenseur d'office.

Au vu des différentes écritures adressées à la Chambre de céans (le recours, le courrier du 10 janvier 2024 et la réplique), l'indemnité réclamée correspondant à six heures d'activités pour une collaboratrice et une heure pour un associé apparaît raisonnable et sera accordée, au tarif applicable soit respectivement CHF 150.- et CHF 200.- de l'heure (art. 16 al. 1 let. b et c RAJ). Ainsi, une indemnité totale de CHF 1'189.10 TVA à 8.1% incluse (taux applicable pour une activité dès le 1er janvier 2024) lui sera octroyée.

11.         En conséquence, le recourant sera exonéré des frais de la cause (art. 136 al. 2 let. b CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Octroie l'assistance judiciaire gratuite à A______ pour la procédure de recours et désigne MC______ à cet effet.

Alloue à MC______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'189.10 TVA (8.1% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui ses conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Par ailleurs, le Tribunal pénal fédéral connaît des recours du défenseur d'office contre les décisions de l'autorité cantonale de recours en matière d'indemnisation (art. 135 al. 3 let. a CPP et 37 al. 1 LOAP).

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).