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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/28142/2023

ACPR/231/2024 du 28.03.2024 sur OTMC/776/2024 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;RISQUE DE COLLUSION;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221; CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/28142/2023 ACPR/231/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 28 mars 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 14 mars 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 19 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 mars 2024, notifiée sur-le-champ, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné sa mise en détention provisoire jusqu'au 12 avril 2024.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa libération immédiate, subsidiairement avec des mesures de substitution, qu'il énumère.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né le ______ 2004, de nationalité suisse, a été arrêté le 12 mars 2024.

b. Il est prévenu d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP) et consommation de stupéfiants (art. 19a LStup).

Il lui est reproché d'avoir, à son domicile à Genève, dans la nuit du 3 décembre 2022, commis des actes d'ordre sexuel au préjudice de D______, née en 2004, alors qu'elle dormait et était sous l'emprise d'une forte consommation d'alcool, en particulier d'avoir mis un doigt dans le vagin de cette dernière.

Il est également soupçonné d'avoir, à Genève, à une date indéterminée, contraint E______ à subir un acte sexuel complet contre sa volonté, alors qu'elle était âgée d'environ 14 ans.

Il lui est en outre reproché d'avoir, à Genève, à tout le moins au cours de l'année 2022, fumé régulièrement du cannabis.

c. D______ a déposé plainte le 16 janvier 2024. Auparavant, elle s'était confiée à son ancienne formatrice auprès du Centre de formation professionnelle F______, pour qu'une semblable agression n'arrive pas à d'autres filles, sachant que A______ était apprenti en formation.

Le [Centre de formation professionnelle] F______ a dénoncé les faits au Procureur général le 22 décembre 2023. En annexe à la dénonciation figure un formulaire de "signalement d'une situation de maltraitance", dans lequel la formatrice expose que D______ était venue lui parler "à la suite de plusieurs discussions qu'elle a eues avec d'autres jeunes femmes sur les réseaux sociaux concernant M. A______ (apprenti en formation). […]". D______ l'avait informée "avoir subi des attouchements de la part de A______. Elle a[vait] ajouté que plusieurs jeunes filles à Genève se seraient faites violer par ce même apprenti".

d. Selon les informations de la police, A______, alors mineur, aurait été entendu pour désagréments causés par la confrontation à une acte d'ordre sexuel (art. 198 CP), en 2021.

En substance, G______ avait déposé plainte contre A______, qui était, à l'époque, le petit ami de H______. Ils avaient dormi tous trois dans le même lit. Au réveil, alors que H______ était sortie de la chambre, le précité avait touché et "tripoté" les fesses de G______, qui était en sous-vêtements dans le lit. S'était ensuivi un conflit lors duquel A______ avait injurié, bousculé et craché au visage de G______. Un rapport de renseignements avait été établi.

e. Dans sa plainte, D______ a expliqué que le 3 décembre 2022, après avoir fêté son anniversaire et bu beaucoup d'alcool, elle s'était retrouvée chez A______, un ami, alors qu'elle souhaitait rentrer chez elle. Au vu de son état d'alcoolémie, elle s'était endormie tout habillée sur son lit (à lui). Dans son sommeil, elle avait senti que A______ lui touchait la hanche et se rapprochait de sa partie intime. Lorsqu'il avait mis un doigt dans son vagin, elle s'était réveillée en sursaut.

Elle a déclaré que A______ avait, en outre, "violé" [E______], et eu un comportement inadéquat avec "I______" et "J______" [prénoms].

f. Contactée téléphoniquement par la police, E______ a déclaré avoir subi "plusieurs viols et agressions sexuelles" de la part de A______, de 2019 à 2023. Après discussion avec ses parents et en raison du fait qu'elle allait passer des examens importants en juin 2024, elle a annoncé qu'elle déposerait plainte après ses examens.

g. Au rapport d'arrestation (page 6) figure la transcription d'une vidéo [non versée au dossier] dans laquelle E______ s'adresse à A______ en ces termes, au sujet des événements intervenus entre lui et D______ le 3 décembre 2022 : "Et quand toi tu parles à D______ comme si de rien n'était, c'est comme la décrédibiliser. Genre c'est comme dire c'est pas elle la victime mais c'est toi la victime et tes propres actes alors que c'est faux A______. Genre c'est toi qui, qui l'a invitée chez toi à dormir (…) et t'as quand même réussi à abuser d'elle pendant la nuit. Le lendemain tu savais très bien ce que t'avais fait avec elle etc. l'attoucher sexuellement pendant qu'elle dormait, et elle, elle s'en souvenait pas tout de suite donc tu t'es dit que c'était bon et (…) dès qu'elle s'en est souvenue tout de suite, ah euh des pleurs et des regrets et des je sais pas quoi alors que tant qu'elle savait pas t'allais pas regretter. On est d'accord de ce que je dis ou pas ?".

A______ répond : "oui, on est d'accord".

h. Entendu par la police, A______ a expliqué que D______ était, au départ, une amie, mais qu'il était tombé amoureux d'elle sans arriver à le lui avouer. Le soir du 3 décembre 2022, il voulait lui déclarer sa flamme et lui avait dit, durant la soirée, qu'il voulait "plus" avec elle. Lorsqu'ils étaient dans le lit, lui contre elle "en cuillère", il lui avait caressé le bras, l'épaule et la hanche, ainsi que le ventre. Elle n'avait pas réagi. Lorsqu'il s'était rapproché du bas-ventre, elle lui avait enlevé la main. Comme elle ne voulait pas, il avait arrêté. Il ne lui avait pas mis le doigt dans le vagin. En aucun cas il ne l'avait forcée.

Concernant G______ et H______, ils avaient eu une relation sexuelle à trois. Le lendemain matin, ils s'étaient disputés, car il avait touché les fesses de la première alors que la seconde s'était absentée. G______ l'avait giflé et il lui avait craché dessus. Elle avait déposé plainte.

Avec I______, dont il ignorait le nom de famille, ils s'étaient embrassés sur son bateau (à lui). Il voulait "baiser", mais elle ne voulait pas. Elle l'avait masturbé et ils s'étaient endormis. Il ne l'avait nullement contrainte, mais elle l'avait accusé auprès de ses amis de l'avoir forcée.

S'agissant de E______, il avait été en couple avec elle, de ses 12 ans à ses 19 ans. C'était "l'amour fou", elle était "la femme de [s]a vie". C'est avec elle qu'il avait eu sa première relation sexuelle, c'était à tous deux leur première fois. Il avait beaucoup bu et ne se souvenait pas de ce qui s'était réellement passé, c'est elle qui le lui avait raconté le lendemain. Elle lui avait dit qu'il l'avait "violée". Elle lui avait fait une fellation, il n'avait pas pu résister et il s'était "branlé sur elle". Sur question de la police, il a précisé qu'il avait mis son pénis dans son vagin. Il n'y avait pas eu d'"autres abus envers elle". C'est elle qui lui avait mis dans la tête qu'il l'avait violée.

Quant à J______, dont il ne se souvenait pas du nom de famille, il l'avait embrassée et celle-ci avait été raconter qu'il l'avait forcée à l'embrasser alors que tel n'était pas le cas.

i. Entendu par le Ministère public le 13 mars 2024, A______ a déclaré être suivi, depuis novembre 2023, par un psychiatre et une psychologue, une fois par semaine pour chaque praticien, pour ses addictions au cannabis et au sexe. Il avait eu une addiction au sexe de 14 ans à 18 ans. Depuis, il n'avait plus de problème de cet ordre. Il pensait à bien se comporter pour faire plaisir à sa famille et pensait à ses études. Il suivait un traitement de sevrage au cannabis.

Peu avant novembre 2023, il avait eu une altercation avec E______, dans la rue, car il était jaloux. Il l'avait poussée et elle était tombée sur la route. La police était intervenue, il avait refusé d'obtempérer, avait pris la fuite et s'était retrouvé en "garde à vue". Il pensait avoir agi ainsi car il était sous l'emprise de l'alcool et du cannabis. Il s'était excusé auprès de E______ et avait pris la décision de consulter. E______ lui ayant dit qu'elle ne souhaitait plus qu'il l'approche, il avait respecté sa volonté.

Sur question du Procureur, qui lui demandait pourquoi il avait évoqué, avec D______, un "viol" commis au préjudice de E______ s'il considérait que c'était faux, il a répondu "parce que E______ me l'a raconté". C'était cette dernière qui lui avait dit qu'il l'avait forcée et "qu'heureusement qu'elle était de dos sinon elle n'aurait jamais pu [lui] pardonner". Sur question, il a précisé que c'était une pénétration vaginale. Il était fou amoureux d'elle. Sept jours plus tard ils avaient eu leur "vraie première relation consentie".

Il a contesté avoir commis des actes d'ordre sexuel répréhensibles au préjudice de "I______" ou "J______".

j. S'agissant de sa situation personnelle, A______, âgé de 19 ans, est en dernière année de CFC de ______. Il a déjà effectué des stages en entreprises. L'examen oral était le 22 mars 2024 [manqué en raison de sa détention] et l'écrit sera le 5 juin 2024. Il envisage ensuite de faire une maturité professionnelle. Il vit chez ses parents, à Genève.

Selon le certificat médical établi le 14 mars 2024 par la Dre K______, A______ était, au moment de son arrestation, pris en charge, en raison d'une grande fragilité en lien avec un état anxio-dépressif important, par un psychiatre et une psychologue. Le suivi mis en place depuis "quelques mois" [en novembre 2023 selon l'ordonnance annexée] avait été intensifié les dernières semaines, ce qui avait permis une certaine amélioration de son état.

À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ n'a pas d'antécédents judiciaires.

k. Lors de son audition devant le TMC, le 14 mars 2024, A______ s'est engagé à ne pas contacter la plaignante et les autres personnes concernées par la procédure. Il a précisé que depuis que D______ avait posté une "story" fin novembre/début décembre 2023, où elle l'accusait de "certaines choses", il n'avait plus eu de contact avec elle. Il s'est par ailleurs engagé à poursuivre ses études et son suivi psychothérapeutique.

l. Par mandats d'actes d'enquête des 19 et 22 mars 2024, le Ministère public a invité la police à entendre E______, G______ et H______ sur les actes qu'elles auraient subis de la part de A______.

C.           Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu que les faits étaient graves et les charges suffisantes, au vu des déclarations de D______, de l'enregistrement de la conversation entre le prévenu et E______, aux propos de celle-ci retranscrits dans le rapport d'arrestation, aux déclarations de la formatrice ayant recueilli les confidences de D______ et aux aveux partiels du prévenu s'agissant de E______.

Le risque de collusion était très concret vis-à-vis de E______, qui n'avait pas encore été entendue. Ce risque existait aussi vis-à-vis de D______, vu leurs déclarations contradictoires, une audience de confrontation devant avoir lieu. Il était accru par les liens d'amitié ou sentimentaux qui liaient ou avaient lié les parties. Un risque de collusion existait aussi avec les autres victimes potentielles, notamment les dénommées "G______, I______ et J______", avec lesquelles le prévenu ne devait pas communiquer pour éviter toute influence et pression, au risque de compromettre la recherche de la vérité. Au vu de l'intensité de ce risque, à ce stade initial de l'enquête, une interdiction de contact était insuffisante.

Le risque de réitération était tangible malgré l'absence d'antécédents judiciaires du prévenu, déjà poursuivi en 2021 pour désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel et aurait une addiction au sexe. Des mesures de substitution seraient toutefois propres à pallier ce risque, notamment par le biais d'un suivi psychologique et sexologique, ainsi qu'en addictologie, sous la surveillance du Service de probation et d'insertion (ci-après : SPI)

D.           a. Dans son recours, A______ invoque en premier lieu l'absence de charges suffisantes. Il n'avait aucun souvenir du viol au préjudice de E______, les faits étant au demeurant de la compétence du Tribunal des mineurs. Il conteste par ailleurs avoir touché les parties intimes de D______. Les gestes qu'il avait eus à l'égard de cette dernière dans la nuit du 3 décembre 2022 ne justifiaient pas une mise en détention. L'enregistrement auquel se référait le TMC ne figurait pas au dossier, de sorte que cette autorité ne pouvait fonder des charges suffisantes sur une pièce manquante.

Il conteste, en outre, l'existence d'un risque de collusion. Il n'avait plus de contact avec la plaignante. Ils avaient de toute façon déjà parlé des événements ensemble. Quant aux faits qui lui étaient reprochés à l'égard de E______, en mars 2019, ils remontaient à cinq ans. Par ailleurs, cette dernière avait annoncé souhaiter attendre avant de déposer plainte, ce qui démontrait qu'elle ne craignait pas des représailles ou pressions de sa part. Il ne connaissait pas les noms de famille des autres personnes mentionnées par le TMC et n'avait pas de moyen de les contacter. Au surplus, il était exclu de retenir un risque de collusion abstrait à leur égard, sans le moindre indice concret. Quoi qu'il en soit, il s'engageait à ne pas entrer en contact avec les jeunes femmes mentionnées dans la procédure.

Il conteste également tout risque de réitération et propose, à titre de mesure de substitution, de poursuivre son suivi psychothérapeutique. Il produit, à cet égard, l'attestation médicale du Dr L______, psychiatre, qui certifie le suivre depuis novembre 2023, avec M______, psychologue, à raison de deux fois par semaine.

Enfin, A______ invoque une violation du principe de la proportionnalité au vu des circonstances du cas d'espèce, la détention provisoire ayant des conséquences "terribles" pour lui.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il existait un risque de collusion et de récidive. Une audience de confrontation avec la plaignante était prévue le 3 avril 2024, mandat ayant en outre été donné à la police d'entendre E______.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste la compétence du Ministère public s'agissant des faits ayant eu lieu durant sa minorité.

2.1. À teneur de l'art. 3 al. 2 DPMin (RS 311.1) lorsque plusieurs infractions commises avant et après l’âge de 18 ans doivent être jugées en même temps, le Code pénal est seul applicable en ce qui concerne les peines. Il en va de même pour les peines complémentaires (art. 49 al. 2 CP) prononcées pour un acte commis avant l’âge de 18 ans. Lorsqu’une mesure est nécessaire, l’autorité de jugement ordonne celle qui est prévue par le code pénal ou par la présente loi, en fonction des circonstances. Lorsqu’une procédure pénale des mineurs est introduite avant la connaissance d’un acte commis après l’âge de 18 ans, cette procédure reste applicable. Dans les autres cas, la procédure pénale relative aux adultes est applicable.

2.2. En l'occurrence, le recourant étant poursuivi tant pour un acte commis – en décembre 2022 – alors qu'il était déjà âgé de 18 ans, que pour des faits survenus alors qu'il était mineur, la compétence du Ministère public est acquise.

3.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes.

3.1.       Pour qu'une personne soit placée en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, il doit exister à son égard des charges suffisantes ou des indices sérieux de culpabilité, susceptibles de fonder de forts soupçons d'avoir commis une infraction (art. 221 al. 1 CPP). L'intensité de ces charges n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables. Au contraire du juge du fond, le juge de la détention n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge ni à apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2).

3.2.       En l'espèce, le recourant est – notamment – prévenu d'acte d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP). Les déclarations cohérentes et constantes de la plaignante, qui s'est confiée à plusieurs personnes, paraissent crédibles, de sorte que même si le recourant conteste avoir touché les parties intimes de la précitée, dans la nuit du 3 décembre 2022, il existe en l'état des soupçons suffisants de la commission de cette infraction. S'agissant d'un crime (art. 10 al. 2 CP), la première condition visée à l'art. 221 al. 1 CP est réalisée. Point n'est ainsi besoin d'examiner les autres charges retenues contre lui.

4.             Le recourant conteste l'existence d'un risque de collusion et propose, s'il devait être retenu, des mesures de substitution à la détention provisoire.

4.1.       Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

4.2. Selon le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst., concrétisé par l'art. 237 al. 1 CPP), le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si elles permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (al. 2 let. g). Cette interdiction ne peut en principe porter que sur des personnes déterminées (arrêts 1B_485/2019 du 12 novembre 2019 consid. 3.4.2; 1B_121/2019 du 8 avril 2019 consid. 4.4).

4.3. En l'espèce, le TMC a retenu un risque de collusion à l'égard de la plaignante, de E______, de G______, ainsi que des dénommées "I______" et "J______".

Les faits dénoncés par la plaignante ont eu lieu en décembre 2022, soit il y a plus d'une année. Le recourant en a parlé avec la plaignante et avec E______ (à teneur de la transcription figurant sous B.g. supra). La plaignante s'est, quant à elle, confiée à son ancienne formatrice, dont le résumé et les déclarations figurent au dossier, et en aurait parlé sur les réseaux sociaux. Le risque de collusion s'est donc, depuis les faits, fortement atténué. S'il paraît nécessaire que le recourant et la plaignante n'en re-parlent pas d'ici à l'audience fixée au 3 avril prochain, une interdiction de contact paraît suffisante, au vu de la perte d'intensité du risque.

Les faits concernant E______ ne figurent pas au dossier, faute de déposition de cette dernière, qui a pourtant été invitée, par la police, à s'exprimer. Il paraît donc disproportionné de maintenir le recourant en détention pour un risque de collusion sur des faits qui ont eu lieu il y a cinq ans, alors que le recourant – et la lésée – étaient âgés de 14 ans, qu'ils ont évoqués ensemble depuis lors à maintes reprises, que la lésée semble avoir divulgués autour d'elle et dont le recourant dit ne pas se souvenir. Ici également, une interdiction de contact paraît suffisante, compte tenu de l'affaiblissement du risque de collusion.

Il en va de même des "victimes potentielles" visées par l'ordonnance querellée. Selon les éléments figurant au dossier (cf. B.e. supra), tant G______ que le recourant ont été entendus en 2021 – alors que ce dernier était mineur – sur les faits dénoncés par la première, qui concernaient une contravention (art. 198 CP). Maintenir le recourant en détention pour une prétendue collusion en lien avec cet événement serait à tout le moins exorbitant. Quant aux dénommées "I______" et "J______", les faits les concernant, non datés, sont peu précis, de sorte qu'on ignore même s'ils atteignent la gravité d'un délit. Ils reposent en l'état sur ce qu'en a dit la plaignante, soit un ouï-dire. Cette dernière paraît en outre avoir discuté avec plusieurs personnes, sur les réseaux sociaux, des agissements prêtés au recourant, de sorte que, ici également, l'éventuel risque de collusion paraît s'être fortement atténué. Il s'ensuit qu'une interdiction de contact avec les prénommées suffit à pallier le risque résiduel.

5.             Le recourant conteste le risque de réitération et propose des mesures de substitution.

5.1. L'existence d'un risque de récidive tel que défini à l'art. 221 al. 1 let. c CPP permet d'ordonner la détention provisoire s'il y a lieu de craindre que le prévenu fortement soupçonné d'un crime ou d'un délit ne compromette sérieusement et de manière imminente la sécurité d'autrui en commettant des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.

L'art. 221 al. 1bis CPP est un nouvel alinéa entré en vigueur le 1er janvier 2024 et qui permet d'ordonner "exceptionnellement" la détention provisoire lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave et s'il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre. Le but de cette nouvelle réglementation entrée en vigueur le 1er janvier 2024 est de codifier la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière (ATF 146 IV 136 consid. 2.2 ; 143 IV 9 consid. 2.3.1 ; 137 IV 13 consid. 3-4), qui permettait déjà de tenir compte d'un risque de récidive pour ordonner la détention, même si le prévenu n'avait pas été condamné antérieurement (Message du Conseil fédéral précité, p. 6395 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2). Il est ainsi possible de se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours pour retenir un risque de récidive, si le prévenu est fortement soupçonné – avec une probabilité confinant à la certitude – de les avoirs commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1).

5.2. En l'occurrence, si le recourant conteste avoir touché le sexe de la plaignante et d'avoir forcé sexuellement qui que ce soit, il a admis, lors de ses auditions, avoir eu une addiction au sexe, qu'il estime désormais sous contrôle en raison du suivi psychiatrique qu'il a entamé en novembre 2023. Au vu des faits reprochés au recourant par la plaignante, voire par E______, et les situations problématiques dans lesquelles le recourant s'est retrouvé à plusieurs reprises avec des jeunes femmes, il y a lieu de retenir un risque de réitération, qui peut toutefois être pallié par le suivi thérapeutique déjà entamé, voire un suivi complémentaire en sexologie que le SPI – auquel le recourant sera soumis –, pourra le cas échéant proposer.

6.             Au vu des considérants qui précèdent, le recours sera admis et la libération du recourant ordonnée au profit des mesures de substitution précitées.

7.             L'admission du recours ne donne pas lieu au paiement de frais, qui seront laissés à la charge de l'État.

8.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et ordonne la libération immédiate de A______, s'il n'est retenu pour une autre cause, sous les mesures de substitution suivantes :

a) interdiction de contacter, sous quelque forme que ce soit, par l'oral ou l'écrit : D______, E______, G______, ainsi que les dénommées "I______" et "J______".

b) obligation de se soumettre, dès sa libération, à un traitement psychiatrique et/ou contre les addictions, à la fréquence proposée par le Service de probation et d'insertion;

c) obligation de produire en mains du Service de probation et d'insertion, chaque mois, puis aux intervalles requis par ledit service, un certificat attestant de la régularité du suivi psychiatrique/thérapeutique;

d) obligation de suivre les règles ordonnées par le Service de probation et d'insertion.

Ordonne à A______ de se présenter au Service de probation et d'insertion, route des Acacias 82, 1227 Carouge/Acacias (tél. 022 546 76 50), au plus tard le 2 avril 2024 à 15 heures.

Dit que les mesures de substitution mentionnées ci-dessus sont ordonnées pour une durée de 6 mois, soit jusqu'au 28 septembre 2024, à charge de la Direction de la procédure d'en requérir la prolongation si elle l'estime nécessaire.

Charge la Direction de la procédure, en l'état le Ministère public, du suivi des mesures de substitution en collaboration avec le Service de probation et d'insertion.

Rappelle à A______ qu'en application de l'article 237 al. 5 CPP, le Tribunal des mesures de contrainte peut, en tout temps, révoquer les mesures de substitution, en ordonner d'autres ou prononcer la détention provisoire si des faits nouveaux l'exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, préalablement par e-fax, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, au Service de probation et d'insertion.

En communique la page de garde et le dispositif à la prison de B______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Messieurs Christian COQUOZ et
Christian ALBRECHT, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.