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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9276/2023

ACPR/203/2024 du 18.03.2024 sur ONMMP/5046/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CALCUL DU DÉLAI;SOUPÇON;REMISE À LA POSTE;BOÎTE AUX LETTRES;TÉMOIN;PREUVE;FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES
Normes : CPP.90; CPP.310; CPP.396

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9276/2023 ACPR/203/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 18 mars 2024

 

Entre

A______ Sàrl, représentée par Me Cédric KURTH, étude Saint-Yves, boulevard James-Fazy 3, case postale 187, 1233 Bernex,

recourante,

 

en déni de justice et contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 décembre 2023 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 11 décembre 2023, A______ SÀRL recourt en déni de justice afin que le Ministère public accorde un traitement « célère » à sa plainte contre inconnu du 28 avril 2023.

La recourante a versé les sûretés en CHF 1000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

b. Par acte expédié le 3 janvier 2024 (selon le suivi des envois recommandés de la Poste et le cachet d’oblitération), mais qu’un témoin affirme par écrit au dos de l’enveloppe avoir déposé la veille dans une boîte aux lettres, A______ SÀRL recourt contre l'ordonnance du 14 décembre 2023, notifiée le 20 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte précitée.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la procédure au Ministère public pour l'ouverture d’une instruction, à confier « idéalement » à un autre Procureur que celui ayant statué.

La recourante a versé les sûretés en CHF 1000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En 2020, A______ SÀRL a ouvert action en paiement contre B______ SA, prise en sa qualité d’entreprise générale dont elle était sous-traitante, pour non-paiement de travaux de peinture et de pose de résine, d’une surface totale de 2'236 m2, qu’elle affirme avoir réalisés sur les balcons de la façade sud-ouest d’un immeuble de neuf étages, à Genève.

Avec sa réponse, B______ SA a produit une « pièce n° 3 », non datée, qui porterait récapitulation des surfaces traitées par la demanderesse : le total, inscrit à la main et paraphé par son administrateur, est de « 1769,97 » [m2], la différence correspondant selon elle à une surfacturation par A______ SÀRL.

B______ SA a produit ultérieurement ce qu’elle appelle un dossier complet des métrés (et A______ SÀRL, un cahier intégral des métrés), de trois pages, non signé et non daté ; la première page liste les travaux en façade sud-ouest de l’immeuble. Les 1'769,97 m2 de la pièce n° 3 s’y retrouvent, sous la même rubrique. S’y lit, en plus, un poste intitulé « résine des balcons sol 1,45+10 plinthe et 15 remontée fenêtre ».

Entendu comme témoin, le chef de chantier, employé de l’entreprise générale, a affirmé au Tribunal civil qu’il était l’auteur de ce « cahier », mais non de la pièce n° 3, et que les 1'769,97 m2 représentaient la superficie, qu’il avait personnellement mesurée, des plafonds peints par A______ SÀRL. Il ne pouvait s’expliquer pourquoi – ce chiffre représentant selon le document la somme des surfaces des étages du rez au septième, puis le neuvième – y manquaient les travaux accomplis par A______ SÀRL au huitième étage (ainsi que, sur le tableau relatif à l’application de résine, ceux réalisés à ce même étage).

b. Dans sa plainte pénale, A______ SÀRL estime que « des » faux dans les titres avaient été produits en justice pour diminuer ses métrés et l’accuser de surfacturation. Ainsi, la pièce n° 3, composée de trois tableaux consacrés à la façade sud-ouest de l’immeuble, résulterait d’un montage à partir du « cahier », ayant consisté à supprimer le récapitulatif consacré à la pose de résine sur les balcons ; ce récapitulatif ne retenait pas non plus que de tels travaux avaient été réalisés au huitième étage. Elle peinait à comprendre pourquoi seuls les tableaux la concernant étaient amputés de toute prestation au huitième étage.

c. Le 16 mai 2023, A______ SÀRL a demandé à connaître le numéro de la procédure pénale et le nom du magistrat qui en était chargé ; elle étendait sa plainte à l’entrave à l’action pénale, dès lors que B______ SA avait eu connaissance de sa plainte.

d. L’administrateur de B______ SA a été entendu par la police, le 28 septembre 2023. Il a résumé le différend en un « conflit de métrés », précisant que A______ SÀRL avait obtenu gain de cause par-devant le Tribunal civil, mais que B______ SA avait interjeté appel.

e. Le 1er décembre 2023, A______ SÀRL a protesté auprès du Ministère public qu’elle n’avait eu aucun « retour » de sa part, alors que la Cour de justice était saisie d’un appel. Elle demandait l’accès au dossier.

f. Le 11 décembre 2023, A______ SÀRL a déposé un recours en déni de justice.

C. Dans sa décision de non-entrée en matière, le Ministère public considère que le litige s'inscrit dans un contexte purement civil, que les déclarations des parties sont contradictoires et que la question de savoir si « les pièces litigieuses » sont des titres au sens de la loi peut rester ouverte. L’entrave à l’action pénale n’était pas punissable, en raison de « l’autofavorisation ».

D. a. À l'appui de son recours en déni de justice, A______ SÀRL estime qu’elle aurait dû être informée de l’avancement du traitement de sa plainte pénale. À défaut, elle était empêchée de défendre ses intérêts au civil, puisqu’elle avait dû se résoudre à produire un mémoire de réponse caviardé de tout élément relatif à la procédure pénale, ce que les juges d’appel n’avaient pas accepté.

b. À l'appui de son recours contre le refus d’entrer en matière, daté du 2 janvier 2024 et qui comporte, en première page, la mention « Office de poste fermé, déposé dans boîte aux lettres, anticipé par e-fax », A______ SÀRL se plaint d’une décision soudaine, rendue en violation de son droit d’être entendue et sans avoir été immédiate au sens de la loi. Or, le « cahier des métrés » montrait que « l’extrait produit » était le fruit d’un montage au moyen de suppressions. Il était « indéniable pour tout juriste » (sic) qu’il s’agissait de titres. On ne se trouvait pas dans la configuration d’un délit « entre quatre yeux », mais d’un délit matériel, au sujet duquel le Ministère public avait lourdement erré. Une procédure civile avait opposé le maître de l’ouvrage à B______ SA, précisément au sujet des métrés.

Selon elle, il conviendrait, à la diligence, « idéalement », d’un autre Procureur – mais elle s’en rapporte à justice sur cette question –, d’en ordonner l’apport et d’interroger un ancien administrateur de B______ SA.

A______ SÀRL ne reprend pas l’accusation d’entrave à l’action pénale.

L’enveloppe d’expédition de son recours comporte, au recto, le sceau postal du 3 janvier 2024 et, au verso, l’inscription manuscrite suivante : « Déposé à l’Office postal de C______ [GE] (fermé) le 2 janvier 2024 à 17h.30 dans boîte aux lettres », suivie de la signature et des nom et prénom d’un « témoin ».

L’acte a aussi été transmis par messagerie non-sécurisée, le 2 janvier 2024 à 16h.54, à l’adresse générique du greffe. Par réponse automatique, celui-ci a rappelé à l’expéditeur qu’un acte de procédure transmis par voie électronique devait être assorti d’une signature électronique valable, à peine d’irrecevabilité, et que son courriel n’était pas une communication électronique qualifiée, au sens de l’art. 110 al. 2 CPP.

c. Après réception des sûretés, le défenseur de A______ SÀRL a été invité à fournir l’identité complète et l’adresse du témoin dont le nom apparaît sur l’enveloppe remise à la Poste. Dans le délai imparti, le défenseur a fourni les coordonnées du témoin, la photocopie de la carte d’identité suisse de celui-ci – venant à échéance en 2026, mais annulée par perforation –, ainsi que l’accusé de réception de son courriel par le greffe ; il s’est plaint de formalisme excessif et d’une mise en doute heurtant la « loyauté attendue (CPP 3 II a) », au motif que les sûretés avaient déjà été versées.

d. Sur quoi, les causes ont été gardées à juger.


 

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recours en déni de justice est recevable, pour n’être soumis à aucun délai et avoir pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), par une partie plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui a un intérêt juridiquement protégé à obtenir la constatation qu’elle demande (et, cas échéant, les mesures propres à la réparer).

3.             Le recours est ouvert contre les ordonnances de non-entrée en matière rendues par le Ministère public (art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP).

3.1.       En l’espèce, la recourante a qualité pour contester une telle décision, dans la mesure où l’utilisation alléguée de faux dans un procès civil pourrait faire obstacle au paiement de la créance dont elle plaide le bien-fondé et l’exigibilité (art. 382 al. 1 CPP ; cf. ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3).

3.2. Reste à savoir si ce recours a été exercé en temps utile.

En effet, son dépôt à temps dans une boîte aux lettres de la Poste Suisse n’est pas attesté par le cachet postal, puisque celui-ci porte la date du lendemain de l’expiration du délai de recours (art. 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP), mais prétendument par l’inscription manuscrite, au verso de l’enveloppe, « Déposé à l’Office postal de C______ (fermé) le 2 janvier 2024 à 17h.30 dans boîte aux lettres », avec signature d’un témoin dont l’identité complète n’a été fournie qu’ultérieurement, sur demande de la Direction de la procédure.

3.2.1. La recourante semble s’étonner, sous l’angle du principe de la bonne foi de l’autorité (art. 3 al. 2 let. a CPP), que des interrogations sur le respect du délai ne fussent nées qu’après qu’elle eut versé les sûretés demandées par la Direction de la procédure. L’argument ne porte pas. Des sûretés sont exigibles de la partie plaignante (art. 383 al. 1 CPP). En demander à réception d’un acte ne saurait signifier que le recours concerné serait déjà considéré recevable ; cela ferait fi des conditions, distinctes, de recevabilité. Il n’est en tout cas pas illogique que ces conditions ne soient examinées qu’après qu’une cause formelle de non-entrée en matière (art. 383 al. 2 CPP) a été dissipée.

3.2.2. Selon l’art. 90 al. 2 CPP, le délai qui expire un samedi, un dimanche ou un jour férié en vertu du droit cantonal est reporté le premier jour qui suit. Dans le canton de Genève, le 2 janvier n’est pas un jour férié officiel (art. 1 al. 1 de la loi sur les jours fériés, LJF ; J 1 45) et n’est pas non plus assimilé à un dimanche (arrêt du Tribunal fédéral 7B_32/2023 du 6 septembre 2023 consid. 4.3.2.).

Aux termes de l'art. 396 al. 1 CPP, le recours contre les décisions notifiées par écrit ou oralement est motivé et adressé par écrit, dans le délai de dix jours, à l'autorité de recours. Selon l'art. 91 al. 1 CPP, le délai est réputé observé si l'acte de procédure est accompli auprès de l'autorité compétente au plus tard le dernier jour du délai. Les écrits doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai à l'autorité pénale, à La Poste Suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

Le délai est sauvegardé si l'acte est remis le dernier jour du délai à minuit. La preuve de l'expédition d'un acte de procédure en temps utile incombe à la partie, respectivement à son avocat. La date du dépôt d'un acte de procédure est présumée coïncider avec celle du sceau postal. La partie qui prétend avoir déposé son acte la veille de la date attestée par le sceau postal a cependant le droit de renverser cette présomption par tous moyens de preuve appropriés. L'avocat qui se contente de déposer son pli dans une boîte postale n'est pas sans savoir le risque qu'il court que ce pli ne soit pas enregistré le jour même de son dépôt, mais à une date ultérieure. S'il souhaite renverser la présomption résultant du sceau postal apposé sur l'enveloppe ayant contenu un acte de procédure, on est en droit d'attendre de lui qu'il indique spontanément – et avant l'échéance du délai de recours – à l'autorité compétente avoir respecté le délai, en présentant les moyens probatoires en attestant. Les parties doivent donc produire les preuves du dépôt en temps utile avant l'expiration du délai de recours, ou à tout le moins les désigner dans l'acte de recours, ses annexes, ou encore sur l'enveloppe (ATF 147 IV 526 consid. 3.1).

3.2.3. En application de ces principes, la recourante était soumise à la règle de l'art. 91 al. 2 CPP, selon laquelle le délai de recours est observé par la remise du mémoire à La Poste Suisse au plus tard le dernier jour du délai, étant précisé qu'un acte de recours transmis par voie électronique ne peut être considéré comme déposé régulièrement s'il n'est pas muni d'une signature certifiée (art. 91 al. 3 et 110 al. 2 CPP). Si l'expéditeur fait valoir qu'il a déposé la lettre la veille, il lui appartient de le prouver. La preuve peut être rapportée par tous moyens appropriés, en particulier en faisant appel à des témoins (ATF 142 V 389 consid. 2.2; 124 V 372 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_157/2020 du 7 février 2020 consid. 2.3 = SJ 2020 I 232).

3.3. En l’occurrence, la circonstance invoquée par la recourante, soit la fermeture du bureau de poste de C______ le 2 janvier 2024, n’est pas abordée dans la motivation du recours – qui ne traite d’ailleurs d’aucune question de recevabilité –, mais par une simple mention à côté de la date, dans l’en-tête de l’acte (« Office de poste fermé, déposé dans boîte aux lettres, anticipé par e-fax »).

Quoi qu’il en soit, la fermeture du bureau de poste n’est pas pertinente, comme on va le voir.

Le sceau postal apposé sur l'enveloppe contenant le recours porte la date du 3 janvier 2024. Le verso de l’enveloppe comporte, avec la signature d’un témoin, la mention que le recours aurait été déposé la veille, soit le 2 janvier 2024 à 17h.30, dans une boîte aux lettres (dont il n’est pas explicitement affirmé qu’elle serait celle du bureau de poste de C______). L’avocat de la recourante avait également transmis auparavant une copie de son recours par courriel au greffe de l’autorité de recours, soit le 2 janvier 2024 à 16h.54 ; mais un tel mode de procéder ne respecte pas les exigences de forme requises pour un recours (cf. ATF 148 IV 445 consid. 1.3.1 ;
142 IV 299 consid. 1.1) et ne permet pas davantage de prouver que le pli contenant le recours original aurait été déposé dans une boîte aux lettres le même jour avant minuit.

Dans ces conditions, il ne se pose, là non plus, aucun problème de protection de la bonne foi, contrairement à ce qu’allègue la recourante. C’est d’autant plus vrai que son avocat a reçu quasi-instantanément – et en tout cas avant l’expiration du délai de recours, qui était le 2 janvier 2024 à minuit – un e-mail responsif du greffe l’avisant que l’envoi de son recours par messagerie électronique devait être conforme à l’art. 110 al. 2 CPP, sous peine d’irrecevabilité. Cette exigence ne pouvait échapper à un mandataire professionnellement qualifié.

Exiger la preuve du respect du délai de recours ne témoigne d’aucun formalisme excessif (cf. ATF 149 IV 97 consid. 2.1.). Cette preuve doit être rapportée avant l'échéance de celui-ci, suivant la jurisprudence récente : il est ainsi exclu d’interpeller son auteur ou que l'on procède à d'autres mesures d'instruction (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_46/2022 du 25 janvier 2022 consid. 2).

Ainsi, il est hautement douteux que le recours contre la non-entrée en matière ait été exercé en temps utile : les coordonnées complètes du témoin n’ont pas été fournies avec l’acte de recours ni avant l’expiration du délai ; elles ne l’ont été qu’après interpellation de l’auteur du recours ; et, qui plus est, la copie de la pièce d’identité transmise à cette occasion ne permet pas de s’assurer avec certitude de l’existence du témoin qui a signé, puisqu’elle comporte une oblitération par perforation qui la fait apparaître invalide ou annulée.

Dans la mesure, toutefois, où la Chambre de céans n’a récemment pas fait cas de pareilles lacunes de l’avocat de la recourante dans ce domaine (cf. ACPR/97/2024 ; ACPR/507/2023), il y a lieu d’entrer en matière. L’avocat est cependant averti que, si de nouveaux manquements dans le respect exhaustif des prescriptions et exigences de preuve jurisprudentielles susmentionnées devaient être constatés à l’avenir, ils ne seront plus tolérés et conduiront d’emblée à l’irrecevabilité du recours, c’est-à-dire sans autre mesure d’instruction.

4.             Les deux recours seront traités au moyen d’une unique décision de la Chambre de céans.

5.             Il n’y a pas à considérer comme une demande formelle de récusation le chef de conclusion sollicitant la désignation d’un autre Procureur. Il ne résulte ni de la formulation utilisée ni des motifs de l’acte de recours que la recourante verrait dans la non-entrée en matière l’expression d’un des soupçons prévus à l’art. 56 CPP – disposition légale qu’elle n’invoque même pas – ; elle exprime un souhait, tout en s’en rapportant à justice. Or, ce n’est évidemment pas à la Chambre de céans, même si elle est compétente en matière de récusation (art. 59 al. 1 let. b CPP), de rechercher elle-même et d’office si le magistrat devrait être récusé, qui plus est pour la seule hypothèse où elle admettrait le recours.

6.             À teneur de l'art. 310 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a). Le ministère public doit être certain que les faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 et les références citées). En d'autres termes, il doit être évident que les faits dénoncés ne tombent pas sous le coup de la loi pénale (ibid.).

Le principe « in dubio pro duriore » découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_417/2017 du 10 janvier 2018 consid. 2.1.2 ; 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2). En cas de doute, il appartient donc au juge matériellement compétent de se prononcer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 20 novembre 2016 consid. 2.1.2).

Une non-entrée en matière vise aussi des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

7.             La recourante soutient, si on la comprend bien, que la pièce n° 3 serait un faux intégral, infraction dont la compréhension serait à la portée de « n’importe quel juriste ».

7.1.       Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre. Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L'art. 251 ch. 1 CP vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l'auteur réel du document ne correspond pas à l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 142 IV 119 consid. 2.1 ; 138 IV 130 consid. 2.1). Un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue, et son destinataire pouvoir s'y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (ATF 146 IV 258 consid. 1.1 ; ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2). Il peut s'agir, par exemple, d'un devoir de vérification qui incombe à l'auteur du document ou de l'existence de dispositions légales, comme les art. 958a ss CO, qui définissent le contenu du document en question. En revanche, le simple fait que l'expérience montre que certains écrits jouissent d'une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l'on se fie à de tels documents (ATF 146 IV 258 consid. 1.1 ; 142 IV 119 consid. 2.1 et les références citées).

Les factures ne sont pas des titres, même munies d'une quittance, dans la mesure où elles ne contiennent en règle générale que de simples allégations de l'auteur concernant la prestation due par le destinataire (ATF 142 IV 119 consid. 2.2 ;
138 IV 130 consid. 2.2.1 ; 125 IV 17 consid. 2/aa; 121 IV 131 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1096/2015 du 9 décembre 2015 consid. 3.3.2).

7.2.       En l’espèce, la recourante n’a pas produit de facture avec sa plainte. Pour autant qu’on la comprenne, elle semble soutenir que le cahier des métrés serait un « faux intégral » et que la « pièce n° 3 » serait elle aussi fausse (pour avoir été extraite de celui-ci et comporter la même omission des travaux au huitième étage). Sous le prétexte lapidaire que le caractère de titre de ces documents serait « indéniable » pour tout juriste, elle se dispense du moindre développement juridique sur leur nature, matérielle ou intellectuelle, ainsi que sur leur aptitude à prouver la véracité des chiffres (surfaces) qu’ils énoncent.

Or, ces deux documents ne sont pas aptes à prouver un fait ayant une portée juridique, à savoir qu’eux seuls représentaient la réalité des travaux qu’elle a facturés à l’entreprise générale. Ils ne font que récapituler des métrés du point de vue de celle-ci. Aucune assurance objective n’en garantit la véracité. Pour leur destinataire – le juge civil –, ils ne représentaient que des allégués de la défenderesse, auxquels il ne pouvait se fier sans autre. D’ailleurs, la recourante signale en passant avoir obtenu « largement gain de cause » en première instance, montrant par-là que le juge civil a plutôt accordé foi à ses propres allégués qu’aux objections de surfacturation de sa partie adverse, fondées sur ces tableaux.

Même à en déduire que leur auteur apparent – l’entreprise générale – y avait porté des indications non conformes à la réalité, le caractère mensonger de celles-ci n’en ferait pas des faux intellectuels, faute de crédibilité accrue à leur conférer (ou à l’un plutôt qu’à l’autre). Que leurs contenus soient dissemblables, voire inconciliables ou tronqués, plaiderait plutôt contre une telle hypothèse. Une valeur probatoire accrue de la pièce n° 3 ne résulte pas non plus du paraphe apposé par l’administrateur de l’entreprise générale ; du reste, la recourante ne le prétend pas.

Faute d’aptitude à prouver, aucun de ces tableaux récapitulatifs de métrés ne peut donc être qualifié de titre, et donc encore moins de faux intellectuel.

8.             Le recours contre l’ordonnance de non-entrée en matière s'avère infondé et doit être rejeté.

9.             Cette issue rend sans objet le recours en déni de justice, puisque celui-ci tendait à obtenir un traitement « célère » de la plainte pénale du 28 avril 2023 et que la non-entrée en matière l’a presque immédiatement suivi. Reste à déterminer si un retard eût pu être reproché à l’autorité précédente.

9.1.       Le sort des frais d’un recours en déni devenu sans objet doit en principe être tranché par une décision sommairement motivée, en tenant compte de l'état de choses existant avant le fait qui met fin au litige, ainsi que de l'issue probable de celui-ci (ATF 125 V 373 consid. 2a). Si l'issue probable de la procédure n'apparaît pas évidente, il y a lieu de recourir aux critères généraux de la procédure civile, d'après lesquels les frais et dépens seront supportés en premier lieu par la partie qui a provoqué la procédure devenue sans objet ou chez qui sont intervenues les causes qui ont conduit à ce que cette procédure devienne sans objet (cf. arrêts du Tribunal 1C_181/2023 du 14 septembre 2023 consid. 2. et 1C_423/2018 du 30 juin 2023 consid. 2.1.).

9.2.       Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. On ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 ; 130 I 312 consid. 5.2). Le caractère raisonnable du délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes (ATF
135 I 265 consid. 4.4).

9.3.       En l’occurrence, un retard injustifié n’eût pas été retenu par la Chambre de céans. Il n’apparaît pas que le Ministère public ait laissé le dossier de côté, mais bien plutôt que la recourante avait – ouvertement – hâte d’obtenir un développement de la procédure pénale pour pouvoir s’en prévaloir dans la cause civile pendante. Or, l’issue de celle-ci en première instance lui a, apparemment, été en grande partie favorable. Un retard injustifié n’est pas davantage constitué parce que le procès civil était toujours pendant, mais en appel, à la date de dépôt du recours en déni de justice, fût-ce avec le risque d’une infirmation du premier jugement.

10.         De ce qui précède, il résulte que la recourante succombe dans toutes ses conclusions. Par conséquent, elle supportera l’intégralité des frais envers l'État. Ceux-ci seront fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Déclare sans objet le recours en déni de justice et raye la cause du rôle.

Rejette le recours contre l’ordonnance de non-entrée en matière du 14 décembre 2023.

Condamne A______ Sàrl aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9276/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00