Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/19071/2023

ACPR/167/2024 du 05.03.2024 sur ONMMP/4582/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : APPAREIL DE PRISE DE VUE ET/OU D'ENREGISTREMENT SONORE;IMMEUBLE;VOIES DE FAIT
Normes : CP.179quater; CP.129

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19071/2023 ACPR/167/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, 19, boulevard Helvétique, 1207 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 novembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 27 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits visés par la procédure.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ habitent dans la même maison, située no. ______, chemin 1______ à C______ [GE], dont ils sont copropriétaires, laquelle comporte deux appartements totalement séparés; une procédure civile en partage de la propriété en deux lots de PPE serait en cours.

Les frères A______/B______ sont en litige depuis de nombreuses années.

b. Par ordonnance du 21 août 2023, dans la P/2______/2023, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits visés dans la plainte déposée, le 30 juillet 2023, par B______ contre A______.

B______ reprochait à son frère, d'avoir, le 30 juillet 2023, dans la cour de leur maison, tiré le tuyau à air comprimé qu'il tenait, afin de le faire tomber, et l'avait menacé.

Entendu par la police, A______ a déclaré que son frère l'avait provoqué en lui soufflant de l'air au visage avec ledit tuyau. Il ne se souvenait pas d'avoir dit quelque chose. Il a ajouté être régulièrement provoqué par son frère et souvent hors champ des caméras.

À teneur du rapport de police du 6 août 2023, B______ a remis une clé USB des images de vidéosurveillance de la scène.

c. Les 4 et 5 septembre 2023, A______ a déposé une plainte datée du 16 août 2023 contre son frère pour voies de fait (art. 126 CPP) et violation du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vue (art. 179quater CP), lui reprochant ladite soufflette du 30 juillet 2023, en réaction de quoi il avait tiré sur le tuyau de l'appareil, événement survenu dans la cour de leur maison. Il a remis une clé USB des images de vidéosurveillance de la copropriété qui avait filmé la scène. Il avait appris que B______ avait remis à la police les images de l'incident tirées de ses caméras de sécurité.

d. La Chambre de céans a visionné les images produites par A______ à l'appui de sa plainte.

On peut voir sur la "vidéo n. 5", B______ tirer un tuyau à air comprimé en direction d'une [voiture de marque] D______ et A______ accourir vers lui et s'en saisir brutalement. On ne distingue aucun mouvement du premier – qui plus est avec le tuyau – en direction du visage du second.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que le plaignant ne donnait aucune explication permettant de retenir l'application de l'art. 179quater CP. Les voies de faits s'inscrivaient immédiatement après une énième altercation entre les parties; le plaignant avait lui-même eu une réaction inadéquate à l'égard du prévenu. Le comportement des parties apparaissait purement chicanier. Les faits pouvaient, en outre, être qualifiés de peu d'importance, eu égard aux circonstances d'espèce (art. 8 al. 1 et art. 310 al. 1 let. c CPP ; art. 52 CP).

D. a. Dans son recours, A______, qui précise que chacun des frères disposaient de caméras de vidéosurveillance propres lesquelles avaient pour vocation de protéger le propriétaire en cas de cambriolage ou de violation de domicile, allègue avoir découvert, à la lecture de l'ordonnance de non-entrée en matière du 21 août 2023 dans la P/2______/2023, que B______, qui avait filmé la scène au moyen de ses caméras, avait enregistré les images et les avait transmises à la police.

Les événements avaient eu lieu dans la cour intérieure de la copropriété, soit un lieu protégé par l'art. 179quater CP. Bien que les faits ne relevaient pas de son domaine secret, ils appartenaient à son domaine privé. Or, en date du 3 juillet 2016, lui et son frère avaient participé à une médiation dans le cadre de laquelle B______ s'était engagé sur l'honneur à ne plus utiliser les caméras de vidéosurveillance pour filmer son frère ou ses proches.

Il affirme, s'agissant des voies de faits, que pour éviter tout problème, il avait déplacé les véhicules dans la cour à la demande de son frère, lequel l'avait gratifié d'un coup d'air comprimé dans le visage. Pour toute réaction, il s'était contenté de tirer le tuyau de l'engin. Sa réaction n'était pas inadéquate.

b. Le Ministère public observe que même à admettre la réalisation de l'infraction à l'art. 179quater CP, il y avait lieu de ne pas entrer en matière en application de l'art. 52 CP.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et – faute de respect des réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a en principe qualité pour agir.

1.2. Les pièces nouvelles produites par le recourant devant la Chambre de céans sont recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 in fine).

2.             3.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1).

3.2. Une non-entrée en matière doit également être prononcée lorsqu'il peut être renoncé à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (art. 310 al. 1 let. c cum 8 al. 1 CPP). Tel est notamment le cas si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP).

3.3. Le recourant se prévaut d'une violation de l'art. 179quater CP.  

3.3.1. Selon l'art. 179quater CP, celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, aura observé avec un appareil de prise de vues ou fixé sur un porteur d'images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.  

Sont protégés les faits qui se déroulent dans la sphère privée au sens étroit, c'est-à-dire qui ne peuvent être perçus sans autre par tout un chacun. Pour délimiter la sphère privée au sens étroit des autres domaines, il convient d'examiner si l'on peut sans autre - c'est-à-dire sans surmonter un obstacle physique ou juridico-moral - prendre connaissance des événements concernés. Fait partie de la sphère privée au sens étroit le domaine privé protégé dans le contexte de la violation de domicile (art. 186 CP), soit une maison, un appartement, une pièce fermée d'une maison ou une place, une cour ou un jardin clos aux environs immédiats d'une maison. Si l'auteur pénètre physiquement dans le domaine privé protégé par l'art. 186 CP pour y observer un fait au moyen d'un appareil de prise de vues ou pour le fixer sur un porteur d'images, il remplit les conditions de l'infraction prévue à l'art. 179quater CP. Conformément au sens et au but de cette disposition, l'observation ou l'enregistrement d'un fait se déroulant dans la sphère domestique au moyen d'un appareil de prise de vues est également punissable si l'auteur n'a pas à franchir physiquement la limite de cette sphère. L'art. 179quater CP protège aussi les environs immédiats d'une habitation, indépendamment du fait qu'ils soient clos ou non au sens de l'art. 186 CP et, si tel est le cas, sans égard au fait que l'observation puisse se dérouler sans effort ou seulement après avoir franchi un obstacle physique. Selon la jurisprudence, fait donc partie du domaine privé au sens étroit non seulement ce qui se passe dans la maison elle-même, mais aussi ce qui se déroule dans ses environs immédiats, utilisés par les habitants comme une surface appartenant encore à la maison ou reconnaissables comme tels par des tiers. Cet environnement comprend notamment la zone située juste devant la porte d'entrée d'une maison d'habitation. L'habitant d'une maison qui franchit le seuil de sa porte d'entrée, par exemple pour venir y chercher un objet déposé à cet endroit ou relever son courrier, reste dans la sphère privée au sens étroit ( Privatsphäre im engeren Sinne) – dans tous les cas protégée par l'art. 179quater CP – même s'il se trouve dans un espace public jouxtant la sphère privée ( privatöffentlicher Bereich). Il en va de même pour celui qui franchit le seuil de sa porte d'entrée pour saluer ou accueillir quelqu'un (ATF
118 IV 41 consid. 4e; voir cependant ATF 137 I 327 consid. 6.1 p. 336; arrêts 6B_56/2021 du 24 février 2022 consid. 2.2.3; 6B_569/2018 du 20 mars 2019 consid. 3.3).  

L'art. 179quater al. 1 CP ne trouve cependant pas application lorsque les faits se déroulent devant l'entrée et sur le palier d'un immeuble comportant plusieurs logements et opposent les habitants de cet immeuble entre eux. Il s'agit en effet d'un espace utilisé de manière égale par les différents habitants de l'immeuble et sur lequel aucun ne dispose d'un droit exclusif. En conséquence, dans leurs relations internes, les habitants de l'immeuble ne bénéficient pas dans ces espaces de la même protection de leur sphère privée que celle qui prévaut dans leur appartement ou à proximité de l'entrée d'une maison individuelle sur laquelle une personne dispose un droit exclusif. Dans ces espaces communs, les habitants de l'immeuble ne peuvent pas se prévaloir de l'art. 179quater al. 1 CP les uns contre les autres (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1149/2013 du 13 novembre 2014 consid. 1.3; 6B 1171/2022 du 19 octobre 2023consid. 2.1).

3.3.2. En l'espèce, les frères A______/B______ vivent dans la même habitation et disposent également de la cour intérieure; qui plus est, tous les deux ont posé des caméras de vidéosurveillance.

Ainsi, conformément à la jurisprudence susmentionnée, les copropriétaires, et en particulier le recourant, ne peuvent se prévaloir de la protection de l'art. 179quater CP. Le recourant est particulièrement mal venu d'invoquer la violation de cet article, lui qui a produit une clé USB ayant enregistré la même scène que son frère. L'accord passé lors de la médiation ne rend pas pénal la violation de celui-ci.

3.4.1. S'agissant des voies de fait reprochées au mis en cause, force est de relever que les images de vidéosurveillance ne laissent pas voir que le recourant aurait été souffleté avec le tuyau à air pulsé. Aucune infraction à l'art. 126 CP ne peut ainsi être retenue.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée, sans recours à l'art. 52 CP.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19071/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00