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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/11/2024

ACPR/144/2024 du 27.02.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 18.04.2024, 7B_450/2024
Recours TF déposé le 18.04.2024, rendu le 01.07.2024, REJETE, 7B_450/2024
Recours TF déposé le 17.04.2024, rendu le 01.07.2024, REJETE, 7B_450/2024
Descripteurs : AUTORITÉ JUDICIAIRE(TRIBUNAL);RÉCUSATION;PRESSION
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/11+12/2024 ACPR/144/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 27 février 2024

Entre

A______, représentée par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4, et B______, représenté par
Me Nicolas JEANDIN, avocat, Fontanet & Associés, Grand-Rue 25, case postale 3200, 1211 Genève 3,

requérants,

 

et

C______, D______ et E______, juges au Tribunal correctionnel, rue
des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

cités.

 


EN FAIT :

A. a. Par pli du 22 janvier 2024, que son défenseur affirme avoir posté la veille avant minuit à l’attention du Tribunal correctionnel, A______ a déposé une requête en récusation, précisée et complétée par pli daté du lendemain, contre les juges de ce tribunal appelés à la juger.

b. Par pli du 23 janvier 2024, B______ a déposé une requête semblable auprès du Tribunal correctionnel.

c. Le Tribunal correctionnel a transmis les deux demandes, en faisant spontanément savoir qu’il prendrait position d’ici au 1er février 2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Des membres de la famille A______/B______/F______/G______, composée de B______ (père), F______ (mère), G______ (fils) et A______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Par acte d’accusation du 14 février 2023, ils ont été renvoyés par-devant le Tribunal correctionnel. Le procès (initialement prévu du 2 au 6 octobre 2023, cf. ACPR/700/2023, puis du 20 au 23 novembre 2023, cf. ACPR/878/2023, ACPR/832/2023) a été reporté au 15 janvier 2024. Le tribunal serait composé des juges C______, D______ et E______.

c.              Les 11 et 12 janvier 2024, B______, par son défenseur, a demandé le report des débats pour raison de santé. Le 13 janvier 2024, son avocat a fait savoir que son propre état de santé l’empêcherait d’assister son client, et ce, jusqu’au 16 janvier 2024. Le 15 janvier 2024 au matin, l’avocat de A______ a écrit au Tribunal correctionnel qu’il n’était pas non plus en état de comparaître pour raison de santé, joignant quatre photographies d’un thermomètre indiquant des températures entre 37 et 38,4 oC, prises selon toute apparence au moyen d’un téléphone portable entre « hier » et « aujourd’hui » (sans autre précision).

d.             Selon le procès-verbal de l’audience du 15 janvier 2024, B______ n’a pas comparu. Son défenseur et celui de A______ étaient absents.

Après avoir entendu les parties présentes, et reçu en cours d’audience un certificat médical du défenseur de A______ (pièce COR 260), le Tribunal correctionnel a constaté l’absence de B______, ajourné les débats au surlendemain pour traiter des questions préjudicielles et décidé que de nouveaux débats se tiendraient à partir du 25 janvier 2024.

En dernière page, le procès-verbal comporte l’indication qu’il « est » remis par voie électronique aux défenseurs de B______ et A______.

e.              Le 19 janvier 2024, le défenseur de B______ a demandé à C______ de constater que ce procès-verbal était nul et non avenu, de révoquer les mandats de comparution pour décernés sur le siège, d’annuler l’audience du 25 janvier 2024 et de convoquer à des dates ultérieures des débats qui ne seraient pas interrompus. Si le Tribunal correctionnel traitait ces questions le 25 janvier 2024, B______ devait être dispensé de comparaître.

f.              À l’audience du 25 janvier 2024, le défenseur de B______, en l’absence de celui-ci, et A______, par son avocat, ont obtenu de plaider les présentes demandes en récusation. Sur quoi, le Tribunal correctionnel a décidé de rejeter ces requêtes (sic) et d’ouvrir une procédure par défaut à l’encontre de B______ et de F______ et a suspendu l’audience, leur réservant la possibilité de comparaître et d’être entendus.

g.             Un recours a été interjeté par tous les prévenus contre les déroulement, actes de procédure et « décisions » de l’audience du 15 janvier 2024. La Chambre de céans l’a déclaré irrecevable le 23 février 2024 (ACPR/141/2024).

C. a. Dans sa requête, A______ se plaint que l’audience du 15 janvier 2024 se fût ouverte sans son défenseur et que les parties eussent été acheminées à plaider non seulement sur le report des débats, mais aussi sur l’absence de deux prévenus. Le Tribunal correctionnel lui avait « communiqué ce jour » [comprendre : le 22 janvier 2024] que la validité de l’audience susmentionnée était confirmée, que « tout était maintenu » et que « l’argumentation » était écartée : ce faisant, les juges avaient démontré une volonté « jusqu’au-boutiste », qui se cumulait avec un grave passif entachant la procédure depuis l’envoi des premières convocations aux débats. Ce manque d’indépendance et de recul tombait sous le coup de l’art. 56 let. f CPP. Plusieurs « représentants » dans la salle, mais aussi la presse, avaient tourné en ridicule son défenseur.

Dans son complément du lendemain, A______ produit les photos, toutes datées d’« hier 23 :56 », d’une inscription (« Plus aucun casier n’est libre »), d’une enveloppe recommandée adressée au Tribunal correctionnel et d’une boîte aux lettres indéterminée.

b. Les juges de la composition concernée du Tribunal correctionnel, sous la plume de C______, présidente, expliquent que, le 15 janvier 2024, les débats avaient été « uniquement ouverts » et que la direction de la procédure avait suivi l’art. 339 al. 1 CPP. Aucuns débats ne s’étaient tenus ; aucune question préjudicielle n’avait été traitée ; aucune audition n’avait eu lieu. L’absence des défenseurs de A______ et de B______ avait conduit à ajourner les débats. La requête devait être déclarée irrecevable.

c. Après avoir demandé une prolongation de délai, A______ réplique que sa requête n’est pas tardive, les faits litigieux s’étant déroulés du 15 « au 18 janvier 2024 ». Sur treize pages, elle revient sur l’évolution de la procédure depuis l’émission des premiers mandats de comparution en vue de jugement et reprend des comptes rendus parus dans la presse par suite de l’audience du 15 janvier 2024. Elle souligne s’être trouvée seule ce jour-là pendant 2h.45, sans défenseur, exposée à la chronique judiciaire et sans que le tribunal n’ait jamais « recadré » les interventions de ses parties adverses.

D. a. Dans sa requête, B______, se référant à « une communication » du 22 janvier 2024, affirme que la tenue de l’audience du 15 précédent relevait d’une « grossière erreur ». En dépit de sa requête du 19 janvier 2024, qu’il avait « balayée », le Tribunal correctionnel avait persisté à convoquer les parties pour une nouvelle audience, alors que les débats n’avaient pas encore été valablement ouverts. Cet « acharnement dépass[ait] l’entendement » et, cumulé avec d’autres procédés « viciés », imposait la récusation sur le fondement de l’art. 56 let. f CPP.

b. En bref, les juges de la composition concernée du Tribunal correctionnel, sous la plume de C______, reprennent les arguments qu’ils ont présentés sur la requête de A______. L’avocat du requérant avait demandé à plaider sur les conséquences de son absence et celle de son client, mais se plaignait, tout à coup, que l’occasion lui en fût donnée. La requête était irrecevable, subsidiairement infondée.

c.B______ réplique que le cumul de « postures » du tribunal suscite chez lui la crainte que « la messe était dite ».

EN DROIT :

1.             Parties à la procédure, en tant que prévenus (art. 104 al. 1 let. a CPP), les requérants ont qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP). La Chambre de céans est compétente pour connaître de leurs demandes (art. 59 al. 1 let. b CPP). Le rejet préalable de celles-ci par le Tribunal correctionnel est sans effet sur sa saisine (cf. arrêt du Tribunal fédéral 7B_937/2023 du 27 décembre 2023 consid. 2.3). Il est expédient de joindre les requêtes et de statuer par une seule décision.

2.             Par des formulations elliptiques ou ambiguës, les requérants allèguent qu’une « communication » du Tribunal correctionnel leur serait parvenue le 22 janvier 2024 et les avait conduits à agir en récusation immédiatement.

Cette communication – dont ils ne disent rien de plus – ne paraît pas se confondre avec des mandats de comparution ou avis d’audience décernés après l’audience du 15 janvier 2024. Autant qu’on les comprenne, à peine peut-on supputer que ladite communication pourrait avoir consisté dans la transmission par voie électronique à leurs avocats du procès-verbal de l’audience du 15 janvier 2024 – mais une semaine plus tard, et non sur-le-champ, comme la teneur de celui-ci l’exprime –.

Le dossier remis à la Chambre de céans ne permet pas de s’en assurer. En particulier, le pli du défenseur de B______ du 19 janvier 2024 laisse penser que le procès-verbal de l’audience du 15 précédent était déjà en sa possession à cette date. Si tel était le cas, le délai de six ou sept jours admis en jurisprudence (p. ex. arrêt du Tribunal fédéral 1B_95/2021 du 12 avril 2021 consid. 2.1.) pour être conforme à l’art. 58 al. 1 CPP (que les requérants n’invoquent pas), serait encore respecté.

Il n’y a pas à épiloguer davantage.

En effet, indépendamment de la force probante discutable des photos produites par l’un des requérants, les conclusions en irrecevabilité prises par les cités ne se fondent pas sur une éventuelle tardiveté des deux requêtes. Il convient donc d’entrer en matière.

3.             Invoquant l’art. 56 let. f CPP, les requérants affirment, en substance, que, depuis qu’ils sont chargés de les juger, les cités ne cesseraient de faire montre de partialité contre eux et que le déroulement de l’audience du 15 janvier 2024 en serait la dernière illustration.

3.1.       Les principes applicables à l’art. 56 let. f CPP ont été rappelés dans des décisions suffisamment récentes de la Chambre de céans sur de précédentes requêtes des mêmes requérants contre les mêmes cités (ACPR/833/2023 du 25 octobre 2023 consid. 3.1. et ACPR/701/2023 du 11 septembre 2023 consid. 3.1.) pour qu’il y soit renvoyé sans inutile redite.

3.2.       Le Tribunal fédéral a déjà jugé (p. ex. arrêt 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.1.) que, lorsque seule l'accumulation de plusieurs incidents fondait l'apparence d'une prévention, il devait être tenu compte, dans l'examen de l'éventuel caractère tardif d'une requête de récusation, du fait que le requérant ne puisse réagir à la hâte et doive, le cas échéant, attendre afin d'éviter le risque que sa requête soit rejetée. Il devait ainsi être possible, en lien avec des circonstances nouvellement découvertes, de faire valoir des faits déjà connus si seule une appréciation globale permettait d'admettre un motif de récusation, bien qu'en considération de chaque incident pris individuellement, la requête n'aurait pas été justifiée. Si plusieurs occurrences fondaient seulement ensemble un motif de récusation, celle-ci pouvait être demandée lorsque, de l'avis de l'intéressé, la dernière de ces occurrences était la « goutte d'eau qui faisait déborder le vase ». Dans un tel cas, l'examen des événements passés, dans le cadre d'une appréciation globale, n'est admise que pour autant que la dernière occurrence constitue en elle-même un motif de récusation ou, à tout le moins, un indice en faveur d'une apparence de prévention

Cependant, même s'il est admis que la partie qui demande la récusation d'un magistrat puisse se prévaloir, au moment d'invoquer une suspicion de prévention, d'une appréciation globale des erreurs qui auraient été commises en cours de procédure, il ne saurait pour autant être toléré qu'une répétition durable de l'accusation de partialité apparaisse comme un moyen de pression sur le magistrat pour l'amener progressivement à se conformer aux seules vues de la partie.

3.3.       En l’espèce, telle est la situation rencontrée.

L’acte d’accusation a été déposé au Tribunal correctionnel le 14 février 2023. Depuis le mois d’août 2023, les requérants, que ce soit en commun ou tour à tour, ont déposé, les présentes non comprises, sept demandes de récusation – comportant autant d’accusations de partialité –. Leurs griefs visaient, tour à tour ou indistinctement, la Direction de la procédure et les trois juges composant le Tribunal correctionnel appelé à les juger.

Pas un n’a été accueilli (ACPR/701/2023 ; ACPR/833/2023 ; ACPR/849/2023 ; ACPR/878/2023 [deux requêtes] ; ACPR/955/2023 ; ACPR/956/2023). Pas une des décisions qui ont été déférées au Tribunal fédéral n’a, non plus, été accueillie à ce jour (arrêts 7B_677/2023 ; 7B_937/2023 ; la cause 7B_1/2024 est pendante à la date du présent arrêt).

On ne saurait donc admettre que les requêtes présentement examinées s’inscriraient dans une configuration dite de la « goutte d'eau qui fait déborder le vase ». On doit, au contraire, s’en tenir aux seuls griefs se rapportant au déroulement de l’audience du 15 janvier 2024.

Or, les erreurs de procédure prétendument commises lors cette audience pourraient être corrigées, le cas échéant, par les voies de droit ordinaires. Que les griefs formulés par les deux requérants n’aient pas été jugés recevables à ce stade sous l’angle du recours, au sens de l’art. 393 al. 1 let. b CPP (ACPR/141/2024 susmentionné), ne signifie pas que toute voie de droit leur serait fermée pour obtenir la réparation des vices dont ils se plaignent et que la récusation serait le seul correctif.

Contrairement à ce qu’ils semblent laisser entendre, la police de l’audience, même à teneur des articles de presse sur lesquels ils s’appuient, notamment en réplique, n’a pas été défaillante ni partiale. Qu’à cette occasion les interventions publiques de leur contradicteurs, au nom des parties plaignantes ou du Ministère public, leur aient fortement déplu ne saurait être imputé aux cités ; pas plus que ceux-ci ne sauraient être tenus pour responsables du sentiment des requérants d’avoir été tournés en ridicule à raison des justificatifs des absences médicales, non d’eux-mêmes, mais de leurs défenseurs.

En d’autres termes, rien, dans le déroulement de l’audience du 15 janvier 2024, ne démontre de parti pris des cités contre les requérants, dont les demandes successives en récusation prennent toutes les apparences de pressions répétées sur le Tribunal correctionnel pour l’amener, dans la composition considérée, à se conformer strictement à leurs vues.

4.             Les requérants, qui succombent, assumeront, chacun par moitié, les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les requêtes.

Les rejette.

Condamne A______ à la moitié des frais de l’instance, soit en ce qui la concerne à CHF 1'000.-.

Condamne B______ à la moitié des frais de l’instance, soit en ce qui le concerne à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux requérants, soit pour eux leurs défenseurs respectifs, C______, D______ et E______.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/11+12/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

1'905.00

Total

CHF

2'000.00