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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21865/2017

ACPR/141/2024 du 23.02.2024 ( TCO ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : NULLITÉ;MOYEN DE DROIT;CONDITION DE RECEVABILITÉ;OBJET DU RECOURS
Normes : CPP.393.al1.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21865/2017 ACPR/141/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 février 2024

Entre

A______, B______, C______ et D______, représentés par Mes Robert ASSAËL, Nicolas JEANDIN, Yaël HAYAT et Romain JORDAN, avocats, et faisant élection de domicile chez ce dernier, Étude MERKT [&] associés, rue Général-Dufour 15, case postale 5556, 1211 Genève 11,

recourants

 

contre les mandats de comparution décernés le 15 janvier 2024 par la Présidente du Tribunal correctionnel ; contre la « décision » du 15 janvier 2024 constatant l’absence de deux d’entre eux ; et « contre » l’audience du 15 janvier 2024


et


LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL,
rue des Chaudronniers 9, case postale 3715,
1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 25 janvier 2024, A______, B______, C______ et D______ (ci-après, ensemble : les consorts A___/B___/C___/D______) recourent contre : la « décision » rendue le 15 janvier 2024 par le Tribunal correctionnel ; l’audience du même jour tenue par ce tribunal ; et les mandats de comparution décernés contre eux le 15 janvier 2024 par la Présidente de la composition.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à la constatation de la nullité de l’audience visée, au retrait du dossier du procès-verbal tenu à cette occasion et à l’annulation des citations.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Des membres de la famille A___/B___/C___/D______, composée de B______ (père), A______ (mère), C______ (fils) et D______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Les consorts A___/B___/C___/D______ sont renvoyés par-devant le Tribunal correctionnel. Après des reports, les débats ont été convoqués pour le 15 janvier 2024.

c.              Les 11 et 12 janvier 2024, B______ et A______, par leurs défenseurs, ont demandé le report des débats pour raisons de santé. Le 13 janvier 2024, l’avocat du premier nommé a fait savoir que son propre état de santé l’empêcherait d’assister son client, et ce, jusqu’au 16 janvier 2024. Le 15 janvier 2024 au matin, l’avocat de D______ a écrit au Tribunal correctionnel qu’il n’était pas non plus en état de comparaître pour raison de santé, joignant quatre photographies d’un thermomètre indiquant des températures entre 37 et 38,4 oC, prises selon toute apparence au moyen d’un téléphone portable entre « hier » et « aujourd’hui » (sans autre précision).

d.             Selon le procès-verbal de l’audience du 15 janvier 2024, B______ et A______ ne se sont pas présentés. Les défenseurs de B______ et de D______ étaient absents.

e.              Après avoir entendu les parties présentes, et reçu en cours d’audience un certificat médical non daté du défenseur de D______ (pièce COR 260), le Tribunal correctionnel a constaté l’absence de B______ et A______, ajourné les débats au surlendemain pour traiter des questions préjudicielles et décidé que de nouveaux débats se tiendraient à partir du 25 janvier 2024.

f.              Par la suite, le Tribunal correctionnel a reporté l’audience prévue le 17 au 18, puis au 25 janvier 2024.

g.             Ce jour-là, en présence, notamment, des avocats de tous les prévenus, mais non de B______ et A______, des demandes de récusation, dont deux déposées peu auparavant, ont été plaidées contre les trois juges du Tribunal correctionnel (cf. aussi PS/1______/2024 ; PS/2______/2024 ; PS/3______/2024). Sur quoi, le Tribunal correctionnel a décidé de rejeter ces requêtes et d’ouvrir une procédure par défaut à l’encontre de B______ et de A______. En fin de journée, il a suspendu l’audience, réservant à ces derniers la possibilité de comparaître et d’être entendus.

C. a. Dans leur mémoire, les consorts A___/B___/C___/D______ affirment que la voie du recours leur est ouverte, dès lors que les décisions du Tribunal correctionnel du 15 janvier 2024 (let. B.e. ci-dessus) étaient des actes de procédure leur causant un préjudice irréparable, tout comme les mandats de comparution, décernés sur ces entrefaites.

Le hasard ayant « malheureusement voulu » que deux défenseurs tombassent malades, l’absence de ceux-ci – avocats de choix, en situation de défense obligatoire – empêchait de tenir l’audience et devait conduire à la nullité absolue « du jugement », car l’art. 336 al. 5 CPP avait été violé. Le tribunal aurait dû se limiter à constater l’absence des deux avocats et à ajourner l’audience ; son procès-verbal devait être écarté du dossier en application de l’art. 141 CPP. La nullité de l’audience entraînait celle des citations émises pour les audiences ultérieures.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Les recourants prétendent agir, « par souci de simplification de la procédure » (cf. première page de l’acte de recours), par l’avocat formellement constitué pour un seul d’entre eux, sans fournir de preuve de cette délégation ou substitution. Au vu de l’issue du recours, la question n’a pas à être abordée plus avant.

2.             Pour le même motif, il n’y a pas à s’interroger sur la qualité pour agir de C______, qui a comparu le 15 janvier 2024, était assisté par son avocat et ne fait valoir aucun préjudice juridique propre issu des décisions ou actes qu’il conteste.

3.             Les recourants tiennent pour nuls l’audience du 15 janvier 2024 et le procès-verbal tenu à cette occasion.

3.1.       Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire ; l'illégalité d'une décision ne constitue pas par principe un motif de nullité; elle doit au contraire être invoquée dans le cadre des voies ordinaires de recours (ATF 149 IV 9 consid. 6.1). La nullité absolue ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou, du moins, facilement décelables, et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit (ATF 147 IV 93 consid. 1.4.4) ; entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 145 IV 197 consid. 1.3.2).

3.2.       À cette aune, les recourants ne sauraient être suivis.

La « décision » dont ils se plaignent globalement est un procès-verbal d’audience, au sens des art. 77, 79, 142 al. 1 et 341 CPP. Le seul passage du texte qui pourrait s’assimiler à une décision au sens de la loi (sur cette notion, Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 393) est, en réalité, un constat, celui de l’absence de deux prévenus (p. 4). Or, si on les comprend bien (acte de recours ch. 29), les recourants demandent eux-mêmes que cette partie-là soit, non pas frappée de nullité, mais, tout au contraire, maintenue. Leur grief tombe par conséquent à faux.

Le déroulement de la suite de l’audience, tel qu’il est reflété par le procès-verbal, ne comporte pas de décision.

Que le Tribunal ait annoncé de nouveaux mandats de comparution n’est pas encore la décision proprement dite, qui pourrait être détachée de l’acte formel qui a suivi sur-le-champ, l’émission, voire la notification à personne, des citations elles-mêmes. Peu importe, au demeurant, puisque les recourants n’ont pas manqué d’attaquer celles-ci (cf. consid. suivant). La véracité ou l’authenticité de cette déclaration d’intention du tribunal n’est pas mise en doute ; preuve en soit qu’aucun des recourants ne demande de rectification ou correction de ce point (cf. art. 79 CPP). On ne voit par conséquent pas ce qui rendrait celui-ci « nul ».

Enfin, toutes les autres dispositions prises dans la foulée relèvent, à l’évidence, de la conduite du procès et ont été prononcées par l’autorité compétente pour ce faire (de sorte qu’une nullité pour incompétence fonctionnelle de l’autorité intimée n’entre pas en considération). Si ces dispositions emportaient une violation du droit, et notamment de l’art. 336 al. 5 CPP sur l’ajournement imposé par l’absence du défenseur obligatoire, les (deux) recourants concernés ne seraient pas privés d’obtenir la correction du vice ainsi invoqué en attaquant le jugement qui sera rendu au fond. On ne voit pas, et les (autres) recourants ne démontrent pas, quel fut leur préjudice juridique personnel, individuel.

Au stade du recours, il suffit de constater que le Tribunal correctionnel a précisément utilisé au procès-verbal le verbe ajourner, qui signifie différer ou reporter, et qu’il a fixé – en le modifiant encore deux fois – le terme de cet ajournement, en faveur d’une date qui se situait à la fin des empêchements de santé allégués par les défenseurs de B______ et D______, puisque l’audience du 25 janvier 2024 s’est tenue. La question de savoir si l’absence réitérée de ceux-ci et l’ouverture formelle à leur encontre d’une procédure par défaut est étrangère à l’objet du litige et échapperait, en tout état, au recours fondé sur l’art. 393 al. 1 let. b CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., p. 2500, n. 40 ad art. 393). On observera que le Tribunal correctionnel a réservé aux deux prénommés la possibilité de comparaître et d’être entendus par la suite.

Pour le surplus, l’appointement de nouveaux débats n’est pas, non plus, sujet à recours (ibid.). De toute façon, à bien lire la motivation de leur recours, les recourants expriment plutôt leur approbation d’une telle décision d’ajournement et sa consignation au procès-verbal (ch. 29).

4.             Les recourants estiment irréparable le préjudice juridique que leur causeraient les mandats décernés le 15 janvier 2024, dès lors qu’ils ne pourraient plus s’opposer à une procédure par défaut.

4.1.       Comme jugé dans l’arrêt de la Chambre de céans rendu entre les mêmes recourants (ACPR/832/2023 du 25 octobre 2023 consid. 2.2. ; ACPR/700/2023 du 11 septembre 2023 consid. 2.1. et les références), la citation des parties aux débats (art. 331 al. 4 CPP) s’assimile à un mandat de comparution qui procède avant tout de la conduite et du bon déroulement de la procédure, soit de tâches expressément assignées à la direction de la procédure aux termes de l'art. 62 CPP. Pour être un « formell-verfahrensleitender Entscheid », ayant pour objet l'organisation concrète des débats, la citation des parties aux débats n’est pas susceptible de recours au sens de l’art. 393 al. 1 let. b CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_569/2011 du 23 décembre 2011 consid. 2.).

4.2.       À la lumière de ces principes, les recourants ne démontrent pas mieux qu’auparavant l’existence d’un préjudice irréparable. Leur situation procédurale est la même qu’à réception des mandats décernés pour les audiences successivement convoquées pendant l’automne 2023.

Rien ne laisse discerner qu’ils seront privés de l’assistance de leurs défenseurs de choix, même sous le régime de la défense obligatoire, aux audiences que le Tribunal correctionnel a prévues et reconvoquées. Leur situation n’est pas comparable à celle, qu’ils invoquent pourtant, examinée dans l’arrêt du Tribunal fédéral 1B_324/2016 du 12 septembre 2016 (consid. 3.2.), ne serait-ce que parce que les mandats de comparution qui leur ont été décernés ne peuvent en aucun cas s’assimiler à un refus de reporter une audience, qui était en jeu dans cette décision.

Pour le surplus, c’est une fois rendu le jugement à intervenir sur le fond que devra être attaquée une éventuelle violation des dispositions sur le défaut. Une fois le jugement par défaut notifié, le condamné a, en effet, la possibilité soit de demander un nouveau jugement, aux conditions de l'art. 368 CPP, soit de faire appel, soit de faire les deux (art. 371 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1042/2020 du 1er décembre 2021 consid. 1.1.).

Dès lors, tout préjudice juridique irréparable doit être dénié.

5.             Par conséquent, le recours s’avère irrecevable sous tous ses aspects.

6.             Les recourants, qui succombent, assumeront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Condamne solidairement B______, A______, C______ et D______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur commun conseil, et au Tribunal correctionnel.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

 

P/21865/2017

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00