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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24894/2022

ACPR/118/2024 du 15.02.2024 sur OCL/1458/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.319; CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24894/2022 ACPR/118/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 15 février 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,


contre l'ordonnance de classement rendue le 27 octobre 2023 par le Ministère public,


et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 10 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 27 octobre 2023, notifiée le 31 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement de la procédure à son égard (chiffre 1 du dispositif), a laissé les frais de la procédure à la charge de l'État (chiffre 3) et l'a déboutée de ses conclusions en indemnisation (chiffre 4).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation du chiffre 4 dudit dispositif et à ce qu'une indemnité globale de CHF 6'959.63 lui soit octroyée. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation du chiffre précité et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 3 novembre 2022, D______ a déposé une plainte pénale contre inconnu pour brigandage, exposant avoir été agressé par deux individus, lesquels s'étaient emparés de divers objets lui appartenant d'une valeur totale de près de CHF 50'000.-.

À la suite de cet événement, il avait déclaré le sinistre auprès de [la compagnie d'assurances] C______.

b. Le 17 novembre 2022, D______ a consenti à ce qu'une perquisition soit menée à son domicile, ainsi que dans ses locaux professionnels. Lors de l'intervention de la police à son domicile, plusieurs objets déclarés volés avaient pu être retrouvés.

c. Le 30 novembre 2022, C______ a déposé une plainte pénale à l'encontre de D______ et de sa compagne, A______, pour tentative d'escroquerie et atteinte astucieuse aux intérêts pécuniaires d'autrui.

À la suite de la déclaration de sinistre signée, selon elle, par le couple, elle avait ouvert deux sinistres pour les biens prétendument dérobés. Or, le précité avait finalement admis ne jamais avoir été agressé, son préjudice se limitant à une veste volée dans son véhicule non fermé à clé.

d. Le 5 décembre 2022, le Ministère public a ouvert une instruction contre D______ pour tentative d'induction de la justice en erreur et tentative d'escroquerie au préjudice de C______.

e. Entendue par la police le 31 janvier 2023, A______, accompagnée par un avocat de choix, a précisé que seule la signature de D______ figurait sur l'avis de sinistre. Elle n'avait, pour sa part, rien signé.

S'agissant de sa situation personnelle, elle a indiqué travailler au sein de E______ en qualité de psychothérapeute. Elle était salariée, mais allait devenir indépendante.

L'audition a duré deux heures.

f. Le 13 février 2023, une instruction a été ouverte à son encontre par le Ministère public pour tentative d'escroquerie au préjudice de C______.

g. Le 27 avril 2023, D______ et A______ ont été entendus en qualité de prévenus par le Ministère public.

La précitée a précisé toujours travailler auprès de E______, mais à un taux de 40% en raison d'un arrêt de travail. À temps plein, elle percevait un revenu mensuel net d'environ CHF 8'850.-. Elle comptait bientôt s'établir en cabinet privé.

Lors de cette audition, laquelle a duré 1h40, la prévenue était accompagnée d'un avocat de choix.

h.        Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 19 juillet 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement en ce qui concernait les faits reprochés à A______. Pour le surplus, l'instruction se poursuivrait s'agissant de D______.

i. Par courrier du 21 août 2023, A______ a sollicité son indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 CPP.

Elle demandait tout d'abord une indemnité forfaitaire de CHF 400.- comprenant des frais de déplacement au VHP, respectivement au Ministère public et une perte de gain pour la durée des audiences des 31 janvier et 27 avril 2023.

Ensuite, et dans la mesure où elle avait eu recours aux services d'un avocat, elle demandait que ses honoraires (calculés sur la base d'un tarif horaire de CHF 350.-) soient indemnisés à hauteur de CHF 5'857.43, montant auquel devaient s'ajouter les honoraires liés à son intervention depuis le 19 juin 2023.

Elle concluait au versement d'une indemnité globale de CHF 6'959.63.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'aucun soupçon justifiant la mise en accusation de A______ n'était établi.

Si la première condition d'application de l'art. 429 CPP était réalisée, la prévenue étant au bénéfice d'un classement, force était de constater qu'elle n'apportait aucun élément à même d'établir le dommage allégué, se prévalant uniquement d'une indemnité forfaitaire. En tout état, aucune des trois conditions cumulatives de l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'était réalisée, "faute d'un caractère particulièrement complexe de la procédure, d'un engagement extraordinaire [de la] prévenu[e] et d'une contribution de ses démarches personnelles au classement".

D. a. Dans son acte de recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir rejeté ses conclusions en indemnisation.

S'agissant des frais de déplacement et de participation aux audiences, elle avait articulé un montant forfaitaire de CHF 400.- après avoir tenu compte de la durée des audiences et des déplacements, aller-retour, au volant de son véhicule privé entre son domicile et le VHP, respectivement le Ministère public. Tenant compte de la distance qui séparait son domicile des lieux d'audition, ainsi que du tarif de l'essence au litre, elle avait estimé le coût de ses déplacements à CHF 118.-. Par ailleurs, et dans la mesure où elle exerçait l'activité de psychothérapeute pour un salaire mensuel de CHF 8'850.-, son indemnisation pour sa participation aux audiences pouvait être estimée à CHF 295.-. Elle avait ainsi arrondi son dommage à CHF 400.-.

S'agissant de l'indemnisation de ses frais d'avocat, ce poste n'avait fait l'objet d'aucun examen. Le Ministère public ne l'avait pas non plus interpellée pour lui demander de documenter sa requête pour le cas où les notes d'honoraires produites n'établiraient pas suffisamment son dommage.

Finalement, les conditions de l'art. 429 al. 1 let. a CPP ne lui étaient pas applicables dès lors qu'elle n'avait pas assuré elle-même sa défense. Elle avait fait appel à un mandataire professionnel, ce qui se justifiait dans la mesure où elle avait été "traumatisée" par le comportement de la police lors de la perquisition effectuée à son domicile. Son choix se justifiait également au vu de la prévention pénale dont elle faisait l'objet et de la peine encourue.

b. Le Ministère public conclut à l'admission du recours s'agissant du traitement de l'indemnité selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, et à son rejet, pour le surplus, sous suite de frais.

Les faits reprochés à la recourante ayant fait l'objet d'un classement, il se justifiait d'entrer en matière sur sa demande d'indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP. L'absence d'indemnisation dans le cas d'espèce s'expliquait par un oubli de l'autorité que cette dernière s'engageait à corriger à l'issue de la procédure de recours.

S'agissant de l'indemnité sollicitée sous l'angle de l'art. 429 al. 1 let. b CPP, celle-ci devait être refusée, la recourante n'ayant ni démontré ni justifié une quelconque perte de salaire ou de gain.

c. Dans sa réplique, la recourante rappelle que ses conclusions portent sur une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, laquelle comprend ses frais de déplacement et de participation aux audiences, ainsi que ses frais d'avocat.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu au bénéfice d'une ordonnance de classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF
138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires de ce conseil, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1).

2.2. En l'espèce, le Ministère public a admis avoir omis d'indemniser la recourante pour ses frais d'avocat. La cause lui sera dès lors retournée pour ce faire.

3. 3.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. b CPP, le prévenu au bénéfice d'une ordonnance de classement a le droit d'obtenir une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale.

Cette disposition vise essentiellement des pertes de salaires et de gains liées à l'impossibilité de réaliser une activité lucrative en raison du temps consacré à la participation aux audiences ou d'une mise en détention avant jugement. Elle concerne également l'éventuelle atteinte à l'avenir économique consécutive à la procédure, de même que les autres frais liés à la procédure, comme les frais de déplacement ou de logement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_814/2017 du 9 mars 2018 consid. 1.1.1; 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 4.1.1 non publié aux ATF 142 IV 163 et les références citées).

Il appartient au lésé de prouver non seulement l'existence et l'étendue du dommage, mais aussi le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action (arrêts du Tribunal fédéral 6B_118/2016 du 20 mars 2017 consid. 5.1; 6B_1026/2013 du 10 juin 2014 consid. 3.1).

3.2. En l'espèce, la recourante prétend avoir subi un dommage économique du fait des deux audiences auxquelles elle a dû participer.

Or, la précitée ne prouve pas l'existence des dommages allégués.

En effet, et s'agissant tout d'abord des déplacements, elle ne produit aucun document ou justificatif – que ce soit par-devant le Ministère public ou au stade du recours –, qui permettrait d'établir qu'elle aurait effectivement utilisé son véhicule privé pour se rendre aux audiences des 31 janvier et 27 avril 2023 au lieu des transports publics pour lesquels elle pouvait éventuellement être au bénéfice d'un abonnement.

S'agissant ensuite du manque à gagner dont elle semble se prévaloir, force est de constater que la recourante n'a produit aucune pièce permettant d'établir ce dommage. Quoi qu'il en soit, et dans la mesure où la précitée a indiqué, au cours de la procédure, être salariée au sein de E______, on peine à voir quel dommage elle aurait pu subir du fait de sa participation aux audiences. En effet, n'ayant manifestement pas acquis le statut d'indépendante entre sa première et sa seconde audition, elle n'a vraisemblablement subi aucune perte de salaire; du moins ne l'établit-elle pas.

Dans ces circonstances, les prétentions de la recourante fondées sur l'art. 429 al. 1 let. b CPP seront rejetées et la décision du Ministère public confirmée.

4.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être partiellement admis. Partant, le chiffre 4 du dispositif de la décision querellée sera annulé et la cause retournée au Ministère public pour qu'il statue sur les prétentions en indemnité de la recourante, selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP exclusivement.

5.             La recourante, qui succombe partiellement, supportera la moitié des frais de la procédure, fixés à CHF 900.-, soit CHF 450.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), le solde étant laissé à la charge de l'État.

6.             6.1. La recourante, prévenue, qui a partiellement gain de cause, a requis le défraiement de son conseil pour l'instance de recours, sans toutefois justifier ni chiffrer ses prétentions.

Cela étant, l'autorité pénale examine d'office ce poste (art. 429 al. 2 CPP).

6.2.       Eu égard à l'activité déployée et au peu de difficulté de la cause, quelle que soit l'ampleur des écritures de la recourante dont l'argumentaire juridique tient sur une page et demie, une indemnité correspondant à deux heures d'activité au tarif horaire de CHF 350.- pratiqué par son conseil apparaît justifiée.

Un montant de CHF 753.90, TVA (7.7%) incluse, lui sera ainsi alloué.

6.3. Conformément à l'art. 442 al. 4 CPP, la créance de l'État fondée sur les frais de procédure sera compensée à due concurrence avec le montant alloué à la recourante à titre d'indemnité.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule le chiffre 4 du dispositif de l'ordonnance querellée.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur la demande d'indemnité de A______ fondée sur l'art. 429 al. 1 let. a CPP.

Rejette le recours pour le surplus.

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours fixés à CHF 900.-, soit CHF 450.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 753.90 TTC, pour la procédure de recours.

Dit que le montant des frais mis à la charge de A______ (CHF 450.-) sera compensé à due concurrence avec l'indemnité qui lui est allouée.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 


 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24894/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00