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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16790/2022

ACPR/111/2024 du 14.02.2024 sur ONMMP/3948/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 20.03.2024, 7B_332/2024
Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;SECRET D'AFFAIRES;DISPOSITIONS PÉNALES DE LA LCD
Normes : CPP.310; CP.162; LCD.23; LCD.3; LCD.4; LCD.5; LCD.6

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16790/2022 ACPR/111/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 14 février 2024

 

Entre

A______ et B______, C______ et D______ Sàrl, ______ [GE], représentés par Me Thomas BARTH, avocat, BARTH & PATEK, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12,

recourants,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 octobre 2023 par le Ministère public.

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 20 octobre 2023, B______ et A______, C______ et D______ Sàrl recourent contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée pour le premier et la deuxième nommée, respectivement les 10 et 11 octobre 2023, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte.

Les recourants concluent, avec suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction portant sur les art. 3 à 6 et 23 LCD, rende une ordonnance pénale ou renvoie les prévenus en jugement.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'500.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______ est titulaire de l'entreprise individuelle C______ et associé de D______ Sàrl, avec B______.

D______ Sàrl et C______ sont respectivement actives notamment dans la fabrication et le commerce de bijouterie et le commerce d'objets cadeaux.

a.b. E______ SA est une société active depuis 2014, ayant son siège à F______ (VD), dont le but est l'achat, la vente, l'exportation et l'importation d'articles de cadeaux en pierres fines, de minéraux et de bijouterie.

a.c. C______ et E______ SA possèdent chacune une boutique, située l'une en face de l'autre, au Centre commercial G______.

b.a. H______ a été engagée comme employée de vente de C______ dès le 1er avril 2014.

b.b. Le 18 juin 2015, elle a signé une clause de prohibition de faire concurrence, valable immédiatement et jusqu'à deux ans après la fin des rapports de travail. Il lui était notamment interdit d'utiliser et divulguer les fournisseurs de l'entreprise C______; de divulguer des informations et tout ce qui était lié aux articles vendus à des tiers ainsi que les connaissances apprises et acquises durant l'activité en qualité d'employé de l'entreprise C______; et de vendre des bijoux et minéraux dans un magasin similaire.

b.c. Le 28 août 2021, H______ a été licenciée avec effet immédiat.

c. Dès octobre 2021, elle a été engagée auprès de E______ SA.

d. Le 10 octobre 2022, A______ et B______, l'entreprise individuelle C______ et D______ Sàrl, ont déposé plainte contre H______ et E______ SA pour actes de concurrence déloyale.

C______ était spécialisée dans la fabrication, la confection et la réalisation artisanale de bijouterie, de joaillerie en pierres fines, avec une approche lithothérapeutique, pratiquée à l'aide d'un bol tibétain. Grâce à cette spécificité, l'entreprise avait développé une clientèle et rencontré un succès, envié de ses concurrents. Lors de son emploi auprès de C______, H______ avait appris tout le savoir-faire proposé et avait eu connaissance de la clientèle et de tous les fournisseurs. Les clients l'appréciaient beaucoup. Dès juin 2021, les relations avec son employée s'étaient détériorées. En août 2021, après que des images de vidéosurveillance eussent laissé penser que H______ avait dérobé un article, cette dernière avait été licenciée et une plainte pénale déposée à son encontre. Un mois après, H______ avait été engagée par E______ SA. Depuis, ladite société avait commencé à vendre les collections "best-seller" proposées par C______ et était hyperactive dans la lithothérapie. Par ailleurs, certains des fournisseurs de C______ avaient été contactés ou approchés par E______ SA. H______ avait également démarché des fidèles clients de C______, étant en possession du fichier client, qu'elle s'était approprié sans autorisation. En outre, une bonne partie des commerçants du centre commercial avait tourné le dos à C______ en raison des rumeurs lancées par H______, qui n'hésitait pas à les "narguer" depuis la boutique d'en face.

Par ailleurs, E______ SA avait complètement changé d'image en 2020 par de gros travaux de rénovation inspirés par le concept de vente de C______, soit par une ouverture complète sans vitrine sur le "mall" et vitrines amovibles sur roulettes, ainsi que divers produits comme la bijouterie en argent y compris la vente de bracelet/collier en cuir et des nouvelles collections d'articles pour homme. Ces changements avaient engendré une grande confusion dans la tête des clients qui demandaient régulièrement s'il s'agissait d'une seconde boutique de C______.

Ainsi, H______ et E______ SA avaient utilisé l'image, les techniques de vente, le savoir-faire que la première nommée avait appris auprès de C______ au profit de son nouvel employeur. Avant l'engagement de H______, E______ SA ne proposait pas de marchandises liées au bien-être, mais uniquement des bijoux en pierre et n'avait aucune approche holistique, énergétique ou spirituelle, en l'absence de formation et d'expérience dans le domaine. Désormais, ses boutiques proposaient exactement les mêmes articles avec la même méthode de fabrication, apprise par H______ auprès de C______.

Enfin, H______ avait cherché par tous les moyens à nuire à la réputation de C______, notamment en manipulant les faits sur son licenciement devant la clientèle et en les faisant passer pour des personnes malhonnêtes. La perte de clientèle fidèle liée aux agissements de H______ était estimée à 80%.

e. Le 1er décembre 2022, A______ et B______, l'entreprise individuelle C______ et D______ Sàrl, ont déposé un complément de plainte contre H______ et E______ SA pour concurrence déloyale.

Depuis le début de l'année 2021, C______ vendait les bijoux de la marque I______, avec l'approbation du distributeur/représentant en Suisse, lequel était donc connu de H______. Malgré que C______ était l'une des meilleures clientes de I______, les relations avec le représentant s'étaient détériorées, sans raison, jusqu'à ce que, le 10 novembre 2022, I______ l'informe que C______ n'était plus le distributeur exclusif de la marque et que désormais c'était E______ SA, laquelle leur avait également "subtilisé" leur "vendeuse choc".

À l'appui de leur plainte, ils ont produit divers documents dont un échange de courriels des 4 et 10 novembre 2022 avec le représentant de I______, dont il ressort que ce dernier avait mis fin aux relations commerciales les liant et au statut de représentant exclusif de la marque au motif que la boutique ne répondait plus à ses critères notamment à cause du refus de B______ d'exposer les produits I______ dans l'une des deux vitrines faisant face au centre commercial, ce qui était selon eux un prétexte.

f. Entendue par la police le 12 mai 2023, H______ a contesté les faits reprochés. Elle avait travaillé comme vendeuse pendant huit ans pour l'entreprise C______ avant d'être licenciée, pour un prétendu vol qu'elle n'avait pas commis. Par la suite, malgré plusieurs postulations, elle n'avait reçu qu'une réponse positive de la part de E______ SA, qu'elle avait acceptée, et avait commencé son emploi dès octobre 2021. Elle avait appris certaines techniques auprès de C______, comme le style ______, mais pour le reste elle était autodidacte et s'était formée par elle-même, y compris en lithothérapie, prérequis pour l'emploi auprès de C______. Elle avait donc déjà quelques connaissances dans ce domaine, qu'elle avait améliorées tout au long de son emploi auprès de cet employeur. Les techniques de fabrication utilisées chez C______ n'avaient rien à voir avec celles pratiquées chez E______ SA et elle avait dû être formée par son nouvel employeur. Elle finalisait les colliers et bracelets fabriqués dans la boutique, tandis que, chez C______, les colliers et bracelets étaient reçus déjà tout faits. Le représentant de la marque I______ avait, à la suite d'une rupture du lien de confiance avec C______, proposé d'exposer la marque chez E______ SA. Lorsqu'elle travaillait auprès de son ancien employeur, elle avait rencontré le représentant de la marque en question à deux ou trois reprises maximum et ils s'étaient uniquement salués. Certains des clients de C______ l'avait suivie chez E______ SA, appréciant la qualité de son accueil et son service. Elle n'avait jamais divulgué aucune information au sujet des fournisseurs et il n'existait pas de fichier clients chez C______. A______ et B______ s'acharnaient sur elle depuis deux ans.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré qu'au vu des éléments au dossier, en particulier les versions contradictoires des parties et l'absence d'élément de preuve objectif permettant d'en privilégier l'une ou l'autre, il n'existait aucun soupçon de commission d'une quelconque infraction de la part de H______.

Pour le surplus, les faits dénoncés s'inscrivaient dans le cadre d'un litige à caractère civil, ayant trait au droit des contrats, ce qui justifiait de ne pas entrer en matière. La question de la clause de non-concurrence relevait d'une problématique de droit civil, laquelle devait par conséquent être tranchée par la justice civile.

Enfin, s'agissant de la confusion qui aurait été créée à la suite du changement d'image opéré en 2020 par E______ SA, H______ n'y travaillait pas encore à cette époque et la plainte déposée en novembre 2022 était, en tout état, manifestement tardive sur ce point.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______, C______ et D______ Sàrl considèrent que leur droit à une enquête effective – et partant leur droit d'être entendu – a été violé par le Ministère public, ainsi que le principe in dubio pro duriore. L'autorité précédente n'avait pas procédé à une enquête suffisamment étendue, en ne sollicitant pas de la police une observation, une investigation et des recherches secrètes, une audience de confrontation, et une audition de témoins ou tout autre acte d'instruction utile, en particulier l'audition de E______ SA. Or, les plaintes avaient également été déposées à l'encontre de celle-ci et les faits dénoncés s'étaient produits dans son magasin. E______ SA les avait donc également commis par l'intermédiaire de H______, ou, à tout le moins, par complicité. Par ailleurs, les faits dénoncés relevaient bien du droit pénal, notamment de l'art. 162 CP, compte tenu de la clause de prohibition de faire concurrence signée par H______.

b. Dans ses observations, le Ministère public s'en rapporte à justice s'agissant de la recevabilité du recours et conclut au rejet de celui-ci, persistant intégralement dans sa décision.

c. Les recourants n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la raison individuelle C______, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

En revanche, la qualité pour recourir de A______ et B______, en leur nom propre, et D______ Sàrl, apparaît douteuse. Cela étant, cette question peut rester ouverte, le recours s'avérant infondé.

2.             Les recourants reprochent à leur ancienne vendeuse d'avoir révélé les techniques spécifiques qu'ils lui avaient apprises, ainsi que leur fichier clients et leurs fournisseurs, à son nouvel employeur situé en face et concurrent direct; et, à celui-ci d'avoir utilisé ces informations à son profit. Ils reprochent en outre à H______ de les avoir dénigrés auprès de la clientèle et des commerçants du centre commercial, ainsi que d'avoir invité un des fournisseurs de son précédent employeur à rompre son contrat avec lui pour en faire bénéficier son nouvel employeur.

Les recourants allèguent encore des actes de concurrences déloyales au sens de l'art. 23 LCD, sans toutefois spécifier quels articles mentionnés dans cette disposition seraient violés. On peine ainsi à voir quels comportements dénoncés pourraient être constitutifs d'agissements déloyaux au sens des art. 4 et 5 LCD, soit dans le cadre de l'incitation à violer ou résilier un contrat ou de l'exploitation d'une prestation d'autrui.

2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

2.2. Une ordonnance de non-entrée en matière doit également être rendue lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple lorsque le délai pour déposer plainte prévu par l'art. 31 CP n'a pas été respecté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_848/2018 du 4 décembre 2018 consid. 1.5).

Selon l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. La détermination du dies a quo se fait en tenant compte des circonstances du cas d'espèce. Le délai pour porter plainte ne commence à courir que lorsque le lésé a connu l'infraction et l'auteur de celle-ci (ATF 130 IV 97 consid. 2).

2.3. L'art. 162 CP punit, sur plainte, quiconque révèle un secret de fabrication ou un secret commercial qu'il est tenu de garder en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, et quiconque utilise cette révélation à son profit ou à celui d'un tiers.

2.3.1. Le secret commercial englobe les informations qui peuvent jouer un rôle sur le résultat commercial, notamment les fournisseurs et les clients, l'organisation interne – à l'exclusion toutefois d'un cartel illicite –, les stratégies commerciales et les plans d'entreprise, les listes de clients et autres relations commerciales (ATF 142 II 268 consid. 5.2.4; ATF 109 Ib 47 consid. 5c; 103 IV 283 consid. 2b).

2.3.2. Le comportement punissable visé par l'art. 162 al. 1 CP consiste à rendre le secret accessible à un tiers non autorisé. Il est ainsi nécessaire que l'auteur soit tenu au secret, c'est-à-dire que l'information lui ait été confiée par une personne autorisée et qu'il doive, en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, la maintenir secrète (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 23 ss ad art. 162).

2.3.3. L’article 162 al. 2 CP appréhende quant à lui le fait, pour le tiers à qui le secret est directement ou indirectement communiqué, d’utiliser, en sa faveur ou en faveur d’un tiers, une révélation caractérisant un comportement typique et illicite réalisé par une personne astreinte au secret au sens de l’alinéa premier. "Utiliser " signifie en l’espèce exploiter le secret de façon à en tirer un avantage pécuniaire, sans qu’un résultat précis sur ce point ne soit nécessaire (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op cit., n.11 ad art. 162).

2.4.1. L'art. 23 LCD permet, sur plainte, le prononcé de sanctions pénales contre des actes de concurrence déloyale définis aux art. 3 à 6 de cette loi. Les dispositions pénales de la LCD doivent être interprétées de manière restrictive (arrêt du Tribunal fédéral 6B_156/2012 du 11 octobre 2012).

Pour qu'il y ait concurrence déloyale au sens de l'art. 23 LCD, il ne suffit pas que le comportement apparaisse déloyal au regard de la liste d'exemples figurant aux art. 3 à 8 LCD; il faut encore, comme le montre la définition générale de l'art. 2 LCD, qu'il influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. Autrement dit, il doit influencer le jeu de la concurrence, le fonctionnement du marché. L'acte doit être objectivement propre à avantager ou désavantager une entreprise dans sa lutte pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de marché. L'acte doit être dirigé contre le jeu normal de la concurrence et propre à influencer le marché; il doit être objectivement apte à influencer la concurrence. Il n'est en revanche pas nécessaire que l'auteur ait la volonté d'influencer l'activité économique. La LCD ne protège donc pas la bonne foi de manière générale, mais tend seulement à garantir une concurrence loyale (ATF 126 III 198, consid. 2c).

2.4.2. Selon l’art. 3 LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, dénigre autrui, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (let. a); ou prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui (let. d).

2.4.2.1. Dénigrer signifie s'efforcer de noircir, de faire mépriser (quelqu'un ou quelque chose) en disant du mal, en attaquant, en niant les qualités. Un propos est dénigrant lorsqu'il rend méprisable le concurrent et ses marchandises, notamment. Tout propos négatif ne suffit pas : il doit revêtir un certain caractère de gravité (ATF 122 IV 33, JdT 1998 IV 27, consid 2c).

2.4.2.2. Le comportement visé par l'art. 3 al. 1 let. d LCD suppose qu'un risque de confusion soit créé de la perspective du public entre deux prestations (V. MARTENET / P. PICHONNAZ (éds), Commentaire romand de la Loi contre la concurrence déloyale, Bâle 2017, n. 11 ad art. 3 al. 1 let. d).

L'imitation, tout comme l'exigence qu'un risque de confusion soit créé, impliquent par définition qu'une comparaison doit être effectuée avec une autre prestation, laquelle est délivrée par un autre concurrent. D'une part, la prestation imitée est déjà offerte sur le marché, en sorte qu'elle dispose d'une priorité factuelle. Celle-ci n'est cependant pas suffisante pour que l'imitation soit pertinente sous l'angle de la concurrence déloyale; cette priorité factuelle doit se doubler d'une priorité juridiquement protégée, à savoir reposer sur une cause qui légitime juridiquement la protection de la priorité. D'autre part, la prestation imitée doit présenter certains traits qui permettent de l'individualiser, à savoir de la rapporter à un concurrent particulier; c'est-à-dire que la prestation doit présenter des signes distinctifs, ceux-là même qui font l'objet de la protection légale et lui confèrent son originalité (V. MARTENET / P. PICHONNAZ (éds), op. cit., n. 13 ad art. 3 al. 1 let. d).

Le résultat du comportement visé consiste dans un risque de confusion. L'appréciation est objective: le comportement doit être objectivement apte à générer la confusion. Le fait qu'une confusion se soit effectivement produite est sans pertinence pour admettre ou nier le risque de confusion (ATF 118 II 322 consid. 3 JdT 1993 I 357); la confusion peut en effet avoir d'autres causes ou résulter du hasard. L'autorité judiciaire dispose d'une marge d'appréciation considérable (V. MARTENET / P. PICHONNAZ (éds), op. cit., n. 41 art. 3 al. 1 let.d).

2.4.3. Aux termes de l'art. 4 let. a LCD, agit de façon déloyale aussi celui qui, notamment, incite un client à rompre un contrat en vue d'en conclure un autre avec lui. On ne peut toutefois parler de rupture de contrat au sens de cette disposition que lorsqu'un contrat est violé. La résiliation d'un contrat, qui est conforme aux clauses contractuelles, ne constitue donc pas une violation du contrat, mais au contraire, l'utilisation d'un droit prévu par le contrat (ATF 133 III 431 consid. 4.5 ; 129 II 497 consid. 6.5.6).

2.4.4. Agit de façon déloyale celui qui, notamment, exploite ou divulgue des secrets de fabrication ou d'affaires qu'il a surpris ou dont il a eu indûment connaissance d'une autre manière (art. 6 LCD).

2.5. À titre liminaire, il sied de relever que les deux boutiques concernées commercialisent le même type de produits – notamment des bijoux et des pierres –, qu'elles se situent dans le même centre commercial et l'une en face de l'autre. Elles sont ainsi en concurrence directe, étant précisé que E______ SA est active depuis 2014, soit bien avant le licenciement de H______.

Pour que l'art. 162 CP soit enfreint, faut-il encore que les informations divulguées constituent un secret. À cet égard, la seule spécificité avancée par les recourants est la vente de pierres à des fins de lithothérapie. Or, non seulement cette pratique ne constitue pas un secret de fabrication mais encore les recourants ne détiennent aucune exclusivité sur celle-ci. Les recourants affirment également utiliser un bol tibétain. Toutefois, ils n'allèguent aucunement détenir un quelconque monopole sur cet article ou ce procédé. Ainsi, même à retenir que E______ SA serait active dans la lithothérapie depuis l'engagement de H______, on ne décèle aucune violation de l'art. 162 CP.

Les autres divulgations reprochées à H______ ne contreviennent pas non plus à l'art. 162 CP, dans la mesure où, sans autre spécification quant au savoir-faire, à la technique ou même au procédé qui auraient été révélés par la prénommée à son nouvel employeur, on ne peut valablement retenir que ceux-ci seraient constitutifs d'un secret protégé pénalement. A fortiori, à cet égard, E______ SA ne peut donc pas non plus avoir enfreint l'art. 162 al. 2 CP.

Pour ce qui est de l'appropriation des fichiers clientèle et fournisseurs par l'ancienne employée, au vu des dénégations de cette dernière et de l'absence d'élément de preuve objectif permettant de corroborer la version des recourants, il n'existe pas de soupçon suffisant à son égard, étant précisé qu'elle avait un statut d'employée de vente. Quand bien même elle aurait eu accès à des données clients ou fournisseurs, rien n'indique qu'elle en ait fait usage pour les inviter à rompre leurs relations commerciales avec les recourants au profit de son nouvel employeur.

S'agissant plus particulièrement de la marque I______, les éléments au dossier – échanges de courriels entre les recourants et le représentant de la marque et les déclarations de H______ – mettent en évidence que I______ ne souhaitait plus travailler avec les recourants, en raison d'un désaccord, et que la marque s'était adressée à E______ SA pour diffuser ses produits. Partant, le fait que H______ avait déjà rencontré le représentant de la marque I______ du temps où elle travaillait pour les recourants, n'est pas de nature, non plus, à laisser supposer un comportement déloyal ou contraire à l'art. 162 CP.

Partant, les comportements dénoncés, faute d'élément constitutif objectif, ne réalisent pas l'infraction de l'art. 162 CP ni, a fortiori, celle de l'art. 6 LCD.

S'agissant de cette dernière disposition, il est incontestable que H______ a eu connaissance de la marchandise vendue par les recourants durant ses nombreuses années à leur service dans le cadre normal et usuel des relations de travail, et non de manière indue; les éléments constitutifs de l'art. 6 LCD ne sont donc manifestement pas non plus remplis à cet égard (cf. dans ce sens ATF 133 III 431 consid. 4.5, JdT 2008 I 34).

En ce qui concerne l'art. 3 LCD, il n'est aucunement établi que la mise en cause aurait dénigré la marchandise des recourants auprès de la clientèle et/ou des autres commerçants du centre commercial.

Quant à la confusion dénoncée en lien avec le changement d'image de E______ SA, comme expliqué par les recourants, celui-ci serait intervenu en 2020, de sorte que la plainte, déposée en octobre 2022, est tardive. À titre superfétatoire, il est relevé que, dans les circonstances sus-décrites, une telle transformation, à savoir l'ouverture complète de la boutique sur le centre commercial et l'installation de vitrines amovibles sur roulettes, même à considérer qu'elle aurait été inspirée par les recourants, ne suffit pas à créer une confusion au sens de l'art. 3 al. 1 let. d LCD. En effet, de tels aménagements ne sont pas propres aux recourants et les caractéristiques de la marque C______, tels le style, les couleurs de la boutique et l'enseigne, sont visiblement différents de ceux de E______ SA (photographies de présentation des boutiques sur le site internet du centre commercial : https://G______.ch/?s=C______ et https://G______.ch/?s=E______). Que certains clients aient demandé aux recourants si E______ SA était une seconde boutique n'y change rien.

Enfin, au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que le Ministère public a considéré que la question de la clause de prohibition de faire concurrence signée par H______ relevait, tout au plus, du droit civil et doit être tranchée par les autorités concernées. Son éventuelle violation par l'intéressée ne suffit pas d'emblée à fonder une prévention suffisante d'infraction à la LCD, faute d'un comportement déloyal spécifique.

Partant, les comportements dénoncés ne tombent pas non plus sous le coup de l'interdiction de la concurrence déloyale au sens de la LCD.

3.             Aucun acte d'enquête n'est propre à modifier ce constat, en particulier l'audition des animateurs de E______ SA. Le grief de la violation du droit à une enquête effective, et partant du droit d'être entendu, tombe ainsi à faux.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne B______ et A______, C______ et D______ Sàrl aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/16790/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00