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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1461/2024

ACPR/95/2024 du 09.02.2024 sur OTMC/157/2024 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : DÉTENTION(INCARCÉRATION)
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1461/2024 ACPR/95/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 9 février 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de mise en détention provisoire rendue le 18 janvier 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 29 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 précédent, notifiée sur-le-champ, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné sa mise en détention provisoire jusqu'au 16 avril 2024.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa mise en liberté, subsidiairement au profit de mesures de substitution. Il conclut préalablement à pouvoir compléter le recours dès réception de son dossier médical, requis auprès de l'unité médicale de la prison.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né en 1998, de nationalité espagnole et titulaire d'un permis C, a été arrêté le 16 janvier 2024. Il est prévenu de vol (art. 139 ch. 1 CP) et consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup).

Il lui est reproché d'avoir, à Genève, le 16 janvier 2024, dérobé trois colis qui se trouvaient sur la charrette d'un facteur, lequel a retrouvé le prévenu en train de les ouvrir et les a récupérés. Le prévenu est, ensuite, retourné dérober deux autres colis sur ladite charrette qui ont également été retrouvés. Il est également prévenu d'avoir détenu un résidu de crack de 0.1gr, drogue qu'il consomme à raison de deux fois par semaine.

La police a en outre trouvé un GPS, de provenance douteuse, dans son sac à dos.

b. Le prévenu, qui avait refusé de répondre aux questions de la police, a déclaré au Procureur, n'avoir dérobé qu'un seul paquet et n'avoir pas été seul lors des faits. Le sac dans lequel le GPS avait été trouvé ne lui appartenait pas. Il n'avait pas d'explications concernant ses agissements; il se souvenait de très peu de choses; avant les faits il avait très peu dormi et avait pris quatre ou cinq Rivotril et de l'alcool, ce qu'il ne faisait jamais. Il avait une consommation occasionnelle de crack, soit une fois chaque trois jours.

Il avait vécu en couple durant six ans et s'était séparé de sa compagne un an auparavant; une procédure pour violence conjugale était en cours. Il avait dû quitter leur appartement et s'était retrouvé dans la rue où il avait connu le crack; il cherchait l'adrénaline qu'il avait trouvé dans cette vie-là. Aujourd'hui, il réalisait qu'il était "dans la merde" et voulait revenir à sa vie d'avant. Son père l'assistait dans ses démarches, il le poussait "vers le bien". Il devait changer ses fréquentations. Il avait déjà essayé un sevrage à la Clinique D______. Il voulait avoir un travail – il avait un CFC de maçon mais ne travaillait plus depuis l'été 2023 – ce qui ferait qu'il ne penserait même plus à la drogue; il n'avait vécu cette vie à consommer du crack que depuis quatre ou cinq mois; il pouvait revenir à sa vie d'avant et n'avait pas besoin d'un traitement pour la remettre en place.

c. À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, il a été condamné en 2016 pour dommages à la propriété et consommation de stupéfiants et en 2017 pour rixe. Il fait en outre l'objet d'une procédure ouverte le 8 octobre 2021 (P/1______/2021) pour menaces et lésions corporelles simples, une autre, ouverte le 14 décembre 2023 (P/27347/2023), pour vol et une troisième, ouverte le 14 janvier 2024 (P/2______/2024) pour infraction à l'art. 19 LStup.

C.           Dans son ordonnance querellée, le TMC a retenu l'existence de charges suffisantes, les allégations du prévenu prétendant n'avoir volé qu'un seul colis n'étant pas crédibles face à celles du facteur. Le risque de fuite était concret, A______ était actuellement sans revenu et sans domicile fixe, vivant à droite et à gauche et débutant ainsi une vie de vagabond. Bien qu'au bénéfice d'un permis C, il pourrait être tenté de fuir au vu de la peine encourue. Ce risque était renforcé par la peine-menace et concrètement encourue.

Le risque de collusion devait être retenu, le prévenu devant être confronté aux facteurs et à l'agent de police municipale qui l'avaient interpellé.

Le risque de réitération n'était pas exclu, le prévenu ayant été arrêté à trois reprises en l'espace d'un mois, la dernière fois le 13 janvier 2024 avait donné lieu à une condamnation non encore entrée en force pour infraction à l'art. 19 LStup. Le prévenu semblait être à la dérive, sa consommation régulière de crack n'étant vraisemblablement pas étrangère à la péjoration de sa situation. L'accélération de l'ouverture des procédures pénales à son encontre inquiétait.

Aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre les mêmes buts que la détention au vu des risques retenus.

Il a ordonné la détention provisoire de A______ pour une durée de 3 mois, le prévenu faisant l'objet de plusieurs procédures qui seront toutes jointes.

D.           a. Dans son recours, A______ conteste le risque de fuite. Il était titulaire d'un permis C, vivait depuis ses 15 ans à Genève où se trouvaient son père et sa sœur. Sa vie avait basculé à la suite de la séparation avec son ex-compagne. Bien que son problème d'addiction l'ait maintenu dans la rue, il disposait toujours d'une adresse chez son père, qui l'aidait et l'accompagnait depuis plusieurs mois afin d'améliorer sa situation personnelle et son état de santé auprès de médecins. Il avait sollicité l'aide du [centre d'aide sociale] E______ et de l'Hospice général, pour reprendre sa vie en main. Il s'était toujours tenu à disposition des autorités judiciaires, en particulier dans le cadre de la P/1______/2021. Malgré plusieurs procédures, les dernières ouvertes entre décembre 2023 et janvier 2024 pour des faits essentiellement liés à sa consommation de stupéfiants, il n'avait jamais quitté le territoire ni tenté de se soustraire aux autorités de poursuite pénale. Les faits de la présente procédure ne pouvaient être considérés comme particulièrement graves, eu égard au contexte dans lequel ils avaient eu lieu, soit sous l'influence de l'alcool et de Rivotril, ainsi qu'à leurs conséquences, les postiers ayant récupérés les colis.

Faute d'avoir démontré un danger concret et sérieux pour la manifestation de la vérité, un risque de collusion ne saurait être retenu à son égard. En outre, il n'avait aucun souvenir des faits, ne connaissait pas les postiers ni l'agent de police, que le Ministère public prévoyait d'entendre le 9 février 2024, et n'avait aucun moyen de les contacter. En tout état, une détention de trois mois n'était pas justifiée.

Le prétendu risque de réitération devait être relativisé à la lumière de sa situation globale. Le vol de colis ne constituait pas une atteinte au patrimoine d'autrui mettant sérieusement en danger la sécurité des potentiels lésés. Il n'avait pas d'antécédents spécifiques, étant relevé que ses arrestations entre décembre 2023 et janvier 2024 étaient quasi-exclusivement dues à son addiction aux stupéfiants.

Il propose plusieurs mesures de substitution. Sa détention provisoire n'apparaissait pas susceptible de pallier la situation dans laquelle il se trouvait. Son état de santé psychique était délétère; il avait tenté de mettre fin à sa vie le 24 janvier 2024 par intoxication médicamenteuse.

En tout état, sa détention n'apparait ni justifiée par le cas d'espèce, ni par les besoins de l'instruction pénale.

La durée de sa détention apparaissait disproportionnée au regard de la nature et les suites de la procédure et contraire au principe de célérité exigeant que les causes des personnes prévenues se trouvant en détention soient traitées de manière prioritaire.

b. Le Ministre public conclut au rejet du recours. Il confirme le risque de collusion. En outre, des investigations complémentaires devraient être menées afin d'établir l'origine du GPS trouvé dans le sac à dos.

Le recourant avait multiplié les arrestations au cours des dernières semaines: le 24 juillet 2023 (P/3______/2023; ordonnance de non-entrée en matière); le 13 décembre 2023 (P/27347/2023, pour vol qui sera jointe à la présente) et le 13 janvier 2024 (P/4______/2024; ordonnance pénale du 14 janvier 2024 pour infraction à la LStup à laquelle le recourant a formé opposition). Il semblait être à la dérive et ses arrestations ne faisaient que confirmer un ancrage certain dans la délinquance. Il minimisait ses problèmes d'addiction. Ces éléments concrétisaient un risque de réitération particulièrement important. L'admission de ces deux risques pouvaient dispenser la Chambre de céans d'examiner le risque de fuite.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance sans autres observations.

d. Le recourant persiste dans ses conclusions. Il produit son dossier médical auprès de [l'unité] F______, qu'il venait de recevoir et qui attestait qu'il avait pris plusieurs comprimés d'anxiolytiques forts, du Rivotril ainsi que de la méthadone car il avait des idées noires. Or, le principe de proportionnalité exigeait qu'il soit tenu compte de son état de santé, ainsi que du risque pour sa vie, en cas de mise en détention.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Le rapport de [l'unité] F______ produit à réception devant la juridiction de céans à l'appui des observations est également recevable, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

Cette admission scelle le sort des conclusions préalables.

2.             Le recourant ne conteste pas les charges, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir, mais à renvoyer, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art. 82 al. 4 CPP; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), qui expose les indices pesant sur le prévenu.

Le Ministère public n'ayant pas ordonné la jonction avec les autres procédures en cours auxquelles il fait référence, la Chambre de céans ne peut tenir compte de celles-ci dans l'appréciation des charges et des risques.

3.             Si le TMC a retenu un risque de fuite, le Ministère public semble y avoir renoncé dans ses observations.

3.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire peut être ordonnée s'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite. Le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit, ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître un tel risque non seulement possible, mais également probable. Le fait que le risque de fuite puisse se réaliser dans un pays qui pourrait donner suite à une requête d'extradition de la Suisse n'est pas déterminant pour nier le risque de fuite. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (arrêt du Tribunal fédéral 1B_291/2023 du 13 juin 2023 consid. 5.1. et les réf.).

3.2. En l'espèce, le risque de fuite n'est pas concret. Le recourant titulaire d'un permis C a son centre de vie à Genève et ni le Ministère public ni le TMC n'évoque qu'il pourrait être tenté de retourner en Espagne. Les difficultés qu'il rencontre à la suite de sa rupture sentimentale et de sa consommation de drogue, qui l'ont mené à vivre dans la rue, ne sont pas des motifs suffisants pour envisager qu'il décide de fuir la Suisse, la peine menace qu'il encourrait s'il était reconnu coupable des faits reprochés, n'étant pas incitative vu l'absence de gravité. En outre, il semble avoir pris les mesures pour reprendre sa vie en main et pourrait loger chez son père.

Ce risque ne peut être retenu.

4.             Il en va de même s'agissant du risque de collusion. Rien ne permet de penser que le prévenu voudrait influencer les postiers ou les policiers, qu'il ne connait pas.

5.             Le recourant conteste que le risque de réitération retenu puisse justifier, sous l'angle du principe de la proportionnalité, sa mise en détention provisoire.

5.1.       Pour admettre un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, au premier chef les délits de violence (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 et les références). Plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences sont élevées quant au risque de réitération. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_668/2021 du 4 janvier 2022 consid. 4.1).

5.2.       Se prononçant sur les infractions contre le patrimoine, le Tribunal fédéral a retenu que si celles-ci perturbent la vie en société en portant atteinte à la propriété, le cas échéant de manière violente, elles ne mettent pas systématiquement en danger l'intégrité physique ou psychique des victimes. En présence de telles infractions, une détention n'est ainsi justifiée à raison du risque de récidive que lorsque l'on est en présence d'infractions particulièrement graves (ATF 146 IV 136 consid. 2.2; 143 IV 9 consid. 2.7; arrêts du Tribunal fédéral 1B_112/2020 du 20 mars 2020 consid. 3.1; 1B_43/2020 du 14 février 2020 consid. 2.1). L'admission de l'atteinte grave à la sécurité implique pour les infractions contre le patrimoine que les lésés soient touchés de manière particulièrement grave, respectivement atteints de manière similaire à une infraction réalisée avec des actes de violence (ATF 146 IV 136 consid. 2.2).

5.3. En l'espèce, il est reproché au recourant d'avoir dérobé des colis sur un chariot de postier, lesquels ont tous été récupérés. Il n'a pas d'antécédents du même genre et la procédure ouverte pour vol, qui n'avait pas conduit à une détention provisoire, n'a pas été jointe à la procédure. Ainsi, même à retenir cette dernière procédure, la gravité de ces actes ne saurait, au vu des principes jurisprudentiels sus-rappelés, justifier une mise en détention provisoire.

6.             Ainsi, aucun risque ne justifiant la détention provisoire, il n'y a pas lieu d'ordonner des mesures de substitution à celle-ci. Cela étant, le recourant serait bien inspiré de vivre chez son père afin de retrouver du travail et d'envisager un suivi thérapeutique afin de mettre un terme à sa consommation de stupéfiants.

7.             Le recours sera dès lors admis et la mise en liberté du recourant ordonnée avec effet immédiat.

8.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

9.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office, la procédure n'étant pas terminée (art. 135 al. 2 CPP).

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et ordonne la mise en liberté immédiate de A______ s'il n'est détenu pour une autre cause.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, préalablement par courriel, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Communique le dispositif de l'arrêt à la prison de B______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

 

 

Olivia SOBRINO

 

Le président :

 

 

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.