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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1715/2018

ACPR/66/2024 du 26.01.2024 sur OMP/17844/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Recours TF déposé le 28.02.2024, 7B_250/2024
Descripteurs : EXPERTISE MÉDICALE;EXPERTISE
Normes : CPP.182; CPP.183; CPP.189

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1715/2018 ACPR/66/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 26 janvier 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,


contre l'ordonnance de complément d'expertise rendue le 26 septembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 9 octobre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 26 septembre 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a
ordonné un complément d'expertise et désigné la Professeure C______, le Professeur D______ et la Doctoresse E______ en qualité d'experts.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée, au renvoi de la cause au Ministère public et à ce qu'il lui soit enjoint d'ordonner une contre-expertise et de la confier à un médecin FMH en 1______ [spécialité] et un médecin FMH en 2______ [spécialité] d'un autre canton. Il conclut également à ce qu'une indemnité de CHF 1'800.- (TVA en sus) lui soit allouée pour ses frais de défense.

b. Par ordonnance du 11 octobre 2023, la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours (OCPR/62/2023).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 25 janvier 2018, A______ a déposé plainte pénale pour lésions corporelles par négligence survenues entre le 25 octobre et le 4 novembre 2017, lors de ses différentes prises en charge à l'Hôpital de F______. Au terme de sa plainte, il a précisé se constituer partie plaignante au pénal et au civil.

En substance, il reprochait au personnel soignant de l'établissement précité de ne pas lui avoir prodigué de traitement convenable et adapté, ainsi que d'avoir mal effectué un geste médical sur sa personne, soit la pose d'une sonde urinaire, l'ensemble de ces négligences ayant mené à la dégradation sérieuse de son état de santé tant physique que psychologique.

a.b. Par courrier du 5 février 2018, A______ a apporté des précisions quant à la chronologie des faits et qualifié ses lésions de graves, au sens de l'art. 122 CP. Lors de ses consultations à l'Hôpital de F______, il aurait été vu notamment par une doctoresse du service de médecine 3______ [spécialité], un spécialiste en médecine 4______ [spécialité] et en médecine 5______ [spécialité], un spécialiste en médecine 4______ [spécialité], un [médecin] 1______, deux internes en médecine 4______, ainsi que par son médecin traitant.

Le placement d'une sonde urinaire, sa déviation et l'absence de remise en cause du traitement avaient eu pour conséquence d'aggraver brusquement son état de santé jusqu'à provoquer une grave insuffisance rénale qui avait mis sa vie en danger.

b. Le 4 décembre 2019, le Ministère public a demandé au Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) de lui proposer la nomination d'un médecin pour effectuer une expertise médicale dans le but de déterminer si la prise en charge de A______ par le personnel de l'Hôpital de F______ avait été conforme aux règles de l'art.

c. Le 18 décembre 2019, le CURML a informé l'autorité précitée que l'expertise serait prise en charge par C______, sa directrice, assistée par E______, médecin ______ au CURML-Lausanne, et D______, chef du département de médecine [3______] du CHUV, en qualité de co-expert.

d. Le 28 janvier 2020, A______ a indiqué qu'au regard de la problématique médicale, il était indispensable que l'un des experts soit [médecin] 1______, et le second, [médecin] 2______.

e. Le 10 février 2020, il a précisé souhaiter que lesdits experts soient extérieurs au canton de Genève pour des raisons d'impartialité.

f. Le 16 juin 2020, le Ministère public a adressé à A______ le projet de mandat d'expertise médicale qu'il entendait confier à C______, assistée par E______, et D______.

Selon le CURML, la suggestion de nommer un [médecin] 1______ et un [médecin] 2______ en qualité d'experts n'était pas indiquée en l'état au vu de la spécialisation des médecins qui pouvaient potentiellement être mis en cause. Cela étant, l'autorité intimée soulignait la possibilité, pour les experts, de consulter des spécialistes durant l'expertise, si nécessaire.

g. Le 31 août 2020, le Ministère public a notifié au plaignant l'ordonnance et le mandat d'expertise médicale confié aux précités.

h. Le 27 octobre 2021, le CURML a rendu son rapport d'expertise. En substance, les experts étaient parvenus aux conclusions suivantes:

- la prise en charge médicale du 25 octobre 2017 n'était pas conforme aux règles de l'art, dans la mesure où un toucher rectal, alors qu'il était indiqué devant des symptômes d'infection urinaire et afin de poser un diagnostic, n'avait pas été réalisé;

- la prise en charge médicale des 27 et 28 octobre 2017 pouvait être considérée comme conforme aux règles de l'art;

- la prise en charge médicale des 30 et 31 octobre 2017 n'était pas conforme aux règles de l'art dans la mesure où, à la suite de la persistance de douleurs chez le patient, dans le contexte d'une prostatite aiguë et face à l'apparition d'une insuffisance rénale aiguë, il existait une indication pour des examens complémentaires, soit notamment une imagerie complémentaire et un bilan sanguin, lesquels n'avaient pas été réalisés;

- la prise en charge médicale du 4 novembre 2017 pouvait être considérée comme conforme aux règles de l'art.

À la question de savoir si, à son arrivée aux HUG, le plaignant était en danger de mort, les experts avaient répondu par la négative.

i. Lors de leur audition le 13 juillet 2022, les experts ont confirmé les conclusions de leur rapport, précisant que, dans le cas de A______, aucun problème n'était lié à la pose de la sonde urinaire. En revanche, il y avait bien eu des manquements au niveau de sa prise en charge.

Au sujet de leurs expériences en 1______ et en 2______, D______ a indiqué avoir exercé durant une année en 2______ entre 1985 et 1986; C______ et E______ ne disposaient, quant à elles, d'aucune spécialisation ni expérience dans ces domaines. Comme pour toutes les expertises au CURML, le rôle du médecin légiste était de veiller à avoir les éléments nécessaires et de faire le lien avec le Ministère public.

j. Par courrier du 25 avril 2023, complété par pli du 2 juin 2023, le plaignant a demandé à ce qu'une contre-expertise soit ordonnée par le Ministère public. À l'appui de cette requête, il a produit deux expertises privées, la première du Professeur G______, spécialiste FMH en 2______, et la seconde du Professeur H______, spécialiste FMH en 1______ opératoire.

Dans son rapport, le Professeur H______ a listé onze manquements aux règles de l'art, dont huit étaient attribuables aux [médecins] 3______/5______ et trois [au médecin] 1______, ainsi que la commission de plusieurs erreurs lors de la prise en charge du patient. Il concluait qu'à la suite de sa prise en charge à l'Hôpital de F______, A______ avait souffert d'une insuffisance rénale gravissime, laquelle était liée aux manquements des règles de bonne pratique qu'il avait listées. L'expertise du CURML était "entachée d'imprécisions et d'erreurs, du fait en partie de l'absence dans le groupe d'experts de certains spécialistes indispensables à l'évaluation pertinente d'une telle situation: l'un en 1______ et l'autre en 2______".

Selon le Professeur G______, la vie de A______ avait été en danger au moment de son admission aux urgences.

k. Le 12 juin 2023, le Procureur a adressé au plaignant un projet de complément d'expertise, nommant les mêmes experts judiciaires que précédemment.

l. Par courrier du 20 juin 2023, A______ a informé le Ministère public de son opposition catégorique à ce que le complément d'expertise soit confié aux mêmes experts, ceux-ci n'étant ni [médecin] 1______ ni [médecin] 2______.

m. Par acte déposé le 22 juin 2023, il a demandé la récusation des experts, laquelle a été refusée par décision du 21 septembre 2023 (ACPR/730/2023).

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public considère, au vu du rapport d'expertise du 27 octobre 2021, du procès-verbal d'audience du 13 juillet 2022, des déterminations écrites du plaignant du 2 juin 2023 et des expertises privées produites à son appui, que l'expertise judiciaire devait être complétée (art. 189 CPP).

À cette fin, l'autorité a chargé les mêmes experts de répondre à des questions complémentaires, soit celles de savoir (1) qui étaient les personnes responsables de la prise en charge médicale de A______ non conforme aux règles de l'art, (2) les conséquences de ces manquements sur son état de santé, (3 et 4) la probabilité que ses séquelles physiques et psychologiques puissent être attribuées à la prise en charge médicale non conforme aux règles de l'art et, finalement, (5) si les expertises privées appelaient une modification du rapport d'expertise du 27 octobre 2021.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir désigné des experts qui ne possédaient pas les connaissances et les compétences nécessaires pour répondre aux questions du complément d'expertise. Ils n'avaient en effet aucune formation en 1______ ou en 2______ ni même une quelconque pratique dans ces domaines. Compte tenu du contexte du litige, ce choix était incompréhensible.

L'expertise judiciaire n'était au demeurant pas clair et contenait des contradictions et des erreurs mises en évidence par les expertises privées. Dans ces circonstances, une contre-expertise devait être ordonnée et confiée à un [médecin] 1______ et un [médecin] 2______ choisis hors du canton de Genève.

b. Le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours.

A______ tentait tardivement de remettre en cause les compétences des experts qui avaient pourtant rendu un rapport d'expertise médicale deux ans plus tôt et été entendus par l'autorité sans objection de celui-ci.

Quoi qu'il en soit, les expertises privées ne remettaient nullement en cause la validité et les conclusions du rapport d'expertise médicale rendu sur mandat du Ministère public, mais appelaient uniquement des précisions à ce dernier. En effet, ils ne pouvaient décrédibiliser le rapport du 27 octobre 2021 dans la mesure où ils allaient nécessairement dans le sens souhaité par le plaignant. Dans ces circonstances, renoncer à un complément d'expertise et ordonner en lieu et place une contre-expertise serait injustifié et disproportionné.

Enfin, les compétences des experts mandatés ne pouvaient être remises en cause, dès lors qu'ils avaient été désignés par le CURML et que les autorités de poursuite pénale ne pouvaient substituer leur appréciation à celle de cet établissement qui faisait autorité en matière de choix d'experts.

c.a. Par courrier du 4 octobre 2023, C______ a informé l'autorité intimée que E______ avait quitté le CURML le 31 octobre 2021, de sorte que la Doctoresse I______, médecin ______ au CURML-Lausanne, les assisterait pour le complément d'expertise.

c.b. Le 20 octobre 2023, D______ et C______ ont confirmé être en mesure de répondre aux questions stipulées dans l'ordonnance de complément d'expertise du 26 septembre 2023.

d. Dans sa réplique du 31 octobre 2023, le recourant persiste intégralement dans les termes et conclusions de son recours.

Il ne tentait pas tardivement de remettre en cause les compétences des experts, dès lors qu'il avait sollicité, en date des 28 janvier et 10 février 2020 déjà, qu'un [médecin] 1______ et un [médecin] 2______, choisis tous deux en dehors du canton de Genève, soient désignés comme experts. De plus, ce n'était qu'au cours de leur audition que le recourant avait appris que les experts désignés par le Ministère public n'avaient aucune expérience dans ces domaines.

Finalement, le fait que les experts aient été désignés par le CURML ne signifiait pas qu'ils disposaient nécessairement des compétences requises ni que le Procureur devait renoncer à sa propre analyse.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant considère que les experts désignés dans l'ordonnance querellée ne présentaient pas les connaissances et les compétences nécessaires pour répondre aux questions du complément d'expertise et que, l'expertise du 27 octobre 2021 n'étant de surcroît pas claire, contenant des contradictions et des erreurs, une contre-expertise devait être ordonnée.

2.1.  Le ministère public et les tribunaux ont recours à un ou plusieurs experts lorsqu'ils ne disposent pas des connaissances et des capacités nécessaires pour constater ou juger un état de fait (art. 182 CPP).

L'expertise judiciaire se définit comme une mesure d'instruction nécessitant des connaissances spéciales ou des investigations complexes, confiée par le juge à un ou plusieurs spécialistes pour qu'il l'informe sur des questions de fait excédant sa compétence technique ou scientifique. L'expert apporte donc son aide à l'autorité en constatant et appréciant l'état de fait grâce à ses connaissances particulières, en aidant l'autorité à tirer les conclusions techniques des constatations qu'elle aura elle-même faites et en éclairant l'autorité sur les principes généraux relevant de son domaine de compétence (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1 et 4 ad art. 182).

2.2.  À teneur de l'art. 183 al. 1 CPP, seule peut être désignée comme expert une personne physique qui, dans le domaine concerné, possède les connaissances et les compétences nécessaires.

L’expert doit avoir des connaissances spécialisées dans le domaine requis par l'expertise. Il n'est ainsi pas possible, par exemple, de nommer un médecin généraliste pour répondre à une question relevant de la cardiologie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 2 ad. art. 183).

2.3.  Selon l'art. 189 CPP, la direction de la procédure fait, d'office ou à la demande d'une partie, compléter ou clarifier une expertise par le même expert ou désigne un nouvel expert si l'expertise est incomplète ou peu claire (let. a), si plusieurs experts divergent notablement dans leurs conclusions (let. b) ou si l'exactitude de l'expertise est mise en doute (let. c).

2.3.1. L'expertise doit être considérée comme incomplète ou peu claire notamment lorsqu'elle ne répond pas à toutes les questions posées, n'est pas fondée sur l'ensemble des pièces transmises à l'expert, fait abstraction de connaissances scientifiques actuelles ou ne répond pas aux questions de manière compréhensible ou logique. Si le juge se fonde sur une expertise dont les conclusions apparaissent douteuses sur des points essentiels et qu'il renonce à recueillir des preuves complémentaires, il peut commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer l'art. 9 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2018 du 26 octobre 2018 consid. 1.1).

2.3.2. L'expertise devra être complétée, respectivement actualisée, si, en raison d'une modification de l'état de fait, il y a lieu de s'attendre à ce que les réponses de l'expert soient différentes du résultat de l'expertise déjà établie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_272/2012 du 29 octobre 2012 consid. 2.3.4).

2.3.3. Si elle ne sert pas de base au jugement, l'expertise privée peut servir à mettre en lumière les lacunes d'une expertise judiciaire existante ou les contradictions émergeant de ses conclusions, et ainsi à obtenir la nomination d'un second expert. L'expertise privée ne suffit en principe pas à justifier que le juge s'écarte d'une expertise judiciaire. Si elle parvient à jeter le doute quant à la qualité de l'expertise judiciaire, le magistrat doit nommer un second expert; il ne peut pas se baser sur elle pour s'écarter des conclusions d'une expertise judiciaire (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 20 et 20a ad art. 182).

2.3.4. L’on conclut du texte de la loi qu’il n’y a pas de droit à une contre-expertise, mais que celle-ci dépend de la réalisation de l’une des trois conditions énumérées par la loi. Le refus d’ordonner une contre-expertise n’est pas en soi inéquitable. De surcroît, la partie qui se prévaut du fait qu’une expertise est incomplète, peu claire ou inexacte doit argumenter sa position; une réclamation d’ordre général ne suffit pas. Il en va de même si elle invoque des contradictions entre deux expertises (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 19a ad. art. 189).

2.3.5. Choisir de faire compléter une expertise existante ou de nommer un nouvel expert est une question d’appréciation qu’il appartient à la direction de la procédure de trancher. Un complément d’expertise ou une clarification de celle-ci pendant la procédure de première instance se justifie notamment lorsque l’expertise est réalisée pendant la procédure préliminaire et que de nouvelles connaissances acquises plus tard pourraient être importantes pour l’expert; on lui demande alors de clarifier ses réponses au vu de ces nouveaux éléments. Mais la direction de la procédure peut également demander lesdits compléments et précisions à un nouvel expert ou à plusieurs nouveaux experts, le cas échéant spécialistes de domaines connexes à celui du premier expert, afin d’offrir un éclairage nouveau sur certains aspects du travail de ce dernier. L’on nommera un nouvel expert si l'expertise existante est clairement insuffisante et inutilisable, ou si des doutes sont apparus quant aux compétences du premier expert (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 21 ad art. 189).

2.4.       En l'espèce, le litige porte sur la question de savoir si les experts désignés dans l'ordonnance querellée possèdent les connaissances et les compétences nécessaires pour rendre le complément d'expertise décidé par le Ministère public ou s'il se justifie d'ordonner une nouvelle expertise, respectivement de nommer de nouveaux experts à cette fin.

Selon le recourant, seuls un [médecin] 1______ et un [médecin] 2______ disposeraient des compétences nécessaires pour répondre aux questions posées en lien avec sa prise en charge à l'Hôpital de F______. Malgré plusieurs demandes formulées en ce sens au cours de l'instruction, le Ministère public n'a pas désigné d'experts dans ces domaines de spécialisation et le plaignant n'a pas recouru contre le mandat d'expertise initial.

Cela étant, et dans la mesure où le Ministère public a ordonné un complément d'expertise à la suite de la communication, par le plaignant, d'expertises privées rédigées par des spécialistes dans les domaines concernés, force est de constater que leur contenu a convaincu ladite autorité que l'expertise judiciaire du 27 octobre 2021 pouvait être incomplète, lacunaire et/ou inexacte sur certains points.

Aux termes de l'ordonnance querellée, le Ministère public a demandé aux mêmes experts de répondre à des questions complémentaires, soit notamment d'évaluer dans quelle mesure les expertises privées appelleraient une modification de leur rapport initial.

Or, dans la mesure où les précités ne possèdent aucune compétence dans les domaines de spécialisation concernés, à savoir 1______ et la 2______, à l'exception d'une année de pratique en 2______ pour D______ il y a presque 40 ans, l'on peine à voir comment ceux-ci pourraient être aptes à se prononcer sur les rapports rendus par le Professeur H______, spécialiste FMH en 1______ opératoire, et le Professeur G______, spécialiste FMH en 2______. Cela est d'autant plus vrai que, selon le premier, l'expertise judiciaire serait entachée d'imprécisions et d'erreurs, précisément en raison de l'absence de spécialistes dans le groupe d'experts.

À la lecture comparée des expertises judiciaire et privées, force est d'admettre que certaines conclusions, pourtant pertinentes pour l'issue du litige, divergent. Ainsi, si le Professeur H______ liste au total onze manquements aux règles de l'art lors de la prise en charge du recourant des 25, 28, 30, 31 octobre et 4 novembre 2017 – manquements qu'il relie à l'insuffisance rénale grave dont le recourant a souffert –, l'expertise judiciaire ne constate, quant à elle, de manquements que lors de la prise en charge des 25, 30 et 31 octobre 2017, sans toutefois en tirer de conclusion claire. En outre, et à la question de savoir si le recourant se trouvait en danger de mort à son arrivée aux urgences, les experts ont répondu par la négative, contrairement au Professeur G______. Dans ces circonstances, force est d'admettre que l'expertise judiciaire est à tout le moins incomplète et/ou imprécise. Malgré ce constat, il n'apparaît pas pour autant qu'elle serait clairement insuffisante et inutilisable, de sorte qu'un complément d'expertise paraît suffisant.

Cela étant, vu le contexte spécifique du litige et les problématiques soulevées dans ce cadre, les experts désignés par le Ministère public devront s'adjoindre des spécialistes, à savoir un [médecin] 1______ et un [médecin] 2______, idéalement basés hors du canton de Genève, et dont les noms devront être soumis préalablement au recourant, afin que ce dernier puisse faire valoir ses observations. Une telle configuration devrait ainsi permettre de compléter l'expertise du 27 octobre 2021 et de lui apporter toutes modifications et précisions nécessaires.

Compte tenu de ce qui précède, l'ordonnance de complément d'expertise sera annulée et renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

3.             Partant, le recours sera partiellement admis, la contre-expertise ayant été refusée, et la cause renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

4.             L'admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             Le recourant, qui a partiellement gain de cause, a requis une indemnité pour la procédure de recours de CHF 1'800.-, correspondant à 4h00 d'activité d'un chef d'Étude au tarif horaire de CHF 450.-/heure, TVA en sus.

5.1.  En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnités dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse à l'autorité pénale ses prétentions, qu'elle doit chiffrer et justifier.

Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013 consid 3.1 et 3.2).

5.2. En l'espèce, le montant réclamé par le recourant apparaît excessif compte tenu de ses écritures, à savoir douze pages (pages de garde et conclusions comprises) de recours, dont la majeure partie ne fait que reprendre son courrier du 2 juin 2023 et les expertises produites à son appui, et seulement deux pages concernent la discussion juridique, ainsi que deux pages de réplique.

Une indemnité de CHF 1'453.95, TVA à 7.7% incluse, correspondant à 3h00 d'activité d'un chef d'Étude au tarif usuel apparaît raisonnable dans la mesure où le développement juridique concernant les faits pour lesquels il obtient partiellement gain de cause tient sur une page et demie dans son acte de recours, la réplique n'apportant, à cet égard, rien de nouveau.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public afin qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'453.95 (TVA à 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique, pour information, au CURML.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).