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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12318/2020

ACPR/948/2023 du 07.12.2023 sur ONMMP/1145/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 25.01.2024, 7B_77/2024
Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);AVOCAT;HONORAIRES;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;POLICE
Normes : Cst.29; CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12318/2020 ACPR/948/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié Police, case postale 236, 1211 Genève 8, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 12 avril 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 29 avril 2022 au Ministère public, qui l'a transmis à la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 avril 2022, communiquée par pli simple, au motif qu'elle était muette sur la question de son indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, au paiement de CHF 3'293.85 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Une plainte a été déposée, le 10 juillet 2020, par un tiers contre A______, policier, pour un usage disproportionné de la force lors d'une interpellation dans le cadre de la manifestation "Critical Mass".

Le plaignant lui reprochait de l'avoir bousculé de son vélo, le faisant chuter au sol et lui causant "des lésions, notamment au coude".

b. En présence de son avocat, A______ a été auditionné, le 8 octobre 2020, par l'Inspection générale des services (ci-après: IGS), où il a relaté les circonstances de l'intervention litigieuse, confirmant la version exposée dans un rapport de renseignements de la police.

c. Le plaignant a également été entendu par l'IGS.

d. La plainte déposée contre A______ a d'abord fait l'objet d'une non-entrée en matière, confirmée par la Chambre de céans (ACPR/864/2022 du 12 décembre 2022). Le recours formé contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral (arrêt 7B_10/2023 du 6 septembre 2023).

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a considéré qui ni les lésions corporelles simples, ni l'abus d'autorité n'étaient réalisés, infractions qui étaient, à titre subsidiaire, couvertes par la mission du policier dès lors que A______ avait interpellé le plaignant après que celui-ci eut enfreint plusieurs règles de la circulation routière. Les frais de la procédure étaient laissés à la charge de l'État.

D. a. Dans sa lettre valant recours, A______ reproche au Ministère public de ne pas l'avoir préalablement interpellé au sens de l'art. 429 al. 2 CPP pour pouvoir statuer, dans l'ordonnance querellée, sur son indemnité.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. A______ n'avait fait l'objet que d'une audition par l'IGS, au cours de laquelle il avait dû restituer le déroulement de l'intervention et expliquer l'usage de la contrainte soit, en somme, "la narration de ses fonctions au quotidien". Pour ce faire, l'assistance d'un avocat n'était pas nécessaire et le conseil de A______ n'était d'ailleurs pas intervenu au cours de l'audition. Un policier n'avait pas à craindre que le récit de ses activités puisse être considéré comme suspicieux. A______ ne prétendait pas avoir souffert, à titre personnel ou professionnel, de la procédure et son conseil n'avait sollicité aucun acte d'instruction. Dans ces circonstances et au regard de la jurisprudence, l'assistance d'un avocat ne devait pas être considérée comme un exercice raisonnable des droits de la défense. À titre subsidiaire, l'indemnité réclamée devait être diminuée.

c. Dans sa réplique, A______ fait grief au Ministère public de vouloir réparer, par ses observations, l'omission de statuer sur son indemnité dans l'ordonnance querellée. Sur le fond, la procédure présentait des difficultés factuelles importantes, au vu notamment des versions contradictoires des parties en lien avec l'intervention. L'activité de son conseil avait plusieurs buts, même si son défenseur n'était pas intervenu au cours de son audition ou n'avait pas sollicité d'actes d'instruction. La gravité des faits reprochés – soit un crime – pouvait légitimement lui faire craindre des répercussions sur sa vie professionnelle et personnelle, surtout en considérant le contexte social prévalant à l'époque et le contexte "politiquement délicat" entourant la "Critical Mass". Pour le surplus, la diminution de l'indemnité réclamée proposée par le Ministère public ne se justifiait guère.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner les conséquences économiques accessoires d’une ordonnance de non-entrée en matière, points sujets à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2, 81 cum 320 al. 1 et 393 al. 1 let. a CPP; art. 128 LOJ/GE), et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à ce qu’il soit statué sur ses prétentions en indemnisation au sens de l’art. 429 CPP (art. 115 cum 382 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir omis, dans l'ordonnance querellée, de traiter de la question de son indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP.

2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 p. 41 ; ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; ATF 135 I 265 consid. 4.3 p. 276).

Une violation du droit d’être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours qui jouit d'un plein pouvoir d'examen. Cela vaut également en présence d'un vice grave lorsqu’un renvoi à l’instance précédente constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de ladite partie à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1135/2021 du 9 mai 2022 consid. 1.1).

2.2. En l'espèce, le Ministère public ne conteste pas l'omission reprochée et l'ordonnance querellée ne traite effectivement pas de l'éventuelle indemnité due au prévenu.

Cela étant, dans le cadre de ses observations, l'autorité précédente a développé les raisons pour lesquelles elle considère que le prévenu n'a pas droit à une indemnisation pour l'exercice raisonnable de ses droits. Ainsi, dès lors que le recourant a pu, à son tour, se déterminer sur ces observations et que la Chambre de céans dispose d'un plein pouvoir de cognition, en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP), le vice affectant l'ordonnance querellée sera considéré comme réparé.

3.             Le recourant conclut au versement d'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP pour la procédure préliminaire.

3.1. En cas de refus d'entrer en matière, le prévenu peut prétendre à l’octroi de dépens au sens de l’art. 429 al. 1 let. a CPP (ATF 139 IV 241 consid. 1).

Encore faut-il que l'assistance d'un avocat ait été nécessaire. Pour déterminer si tel est le cas, l’on gardera à l'esprit que le droit pénal (matériel et de procédure) est complexe et représente, pour des personnes qui ne sont pas habituées à procéder, une source de difficultés; celui qui se défend seul est susceptible d'être moins bien loti. L’on doit donc tenir compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait et/ou en droit, de la durée de la procédure ainsi que de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 p. 47; arrêt du Tribunal fédéral 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1). Par rapport à un crime ou à un délit, ce n'est qu'exceptionnellement que l'assistance d'un avocat sera considérée comme non nécessaire; cela pourrait, par exemple, être le cas lorsque la procédure fait immédiatement l'objet d'un classement après une première audition (ATF 142 IV 45 consid. 2.2 p. 48; arrêt du Tribunal fédéral 6B_938/2018 du 28 novembre 2018 consid. 1.1).

Dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du recours à un avocat, le Tribunal fédéral estime qu'il doit être tenu compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait ou en droit, de la durée de la procédure et de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu. Par rapport à un délit ou à un crime, ce n'est qu'exceptionnellement que l'assistance d'un avocat peut être considérée comme ne constituant pas un exercice raisonnable des droits de la défense. Cela pourrait par exemple être le cas lorsque la procédure fait immédiatement l'objet d'un classement après une première audition (ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5 p. 203 s.; arrêt du Tribunal fédéral 6B_387/2013 du 8 juillet 2013 consid. 2.1 non publié aux ATF 139 IV 241).

3.2. Selon la casuistique jurisprudentielle fédérale et cantonale, l’intervention d’un avocat n’avait pas lieu d’être dans les occurrences suivantes:

- une affaire de dommages à la propriété où le prévenu et un tiers avaient été entendus par la police, le ministère public ayant rendu, à cette suite, une ordonnance de non-entrée en matière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1121/2014 du 29 janvier 2015 consid. 3.2 et 3.3);

- une procédure ouverte pour atteinte à l’honneur ayant donné lieu à deux audiences d’instruction et une tentative de conciliation, avant d’être classée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_458/2014 du 25 septembre 2014 consid. 2.4);

- un cas de dommages à la propriété clos par une ordonnance de non-entrée en matière, après une seule audition du prévenu par la police (arrêt du Tribunal fédéral 6B_387/2013 consid. 2.2 non publié aux ATF 139 IV 241);

- un cas de gestion déloyale et de violation de la LCD, clos après l'audition unique du prévenu par la police, au cours de laquelle celui-ci n'avait qu'à se prononcer sur l'exercice d'une activité concurrente, sans que sa version des faits "aurait pu être considérée comme d'emblée peu crédible" (ACPR/232/2022 du 7 avril 2022 consid. 2.3);

- une affaire de diffamation, considérée comme simple en fait et en droit, dès lors que le prévenu n'avait dû que se déterminer sur les motifs pour lesquels il s'était exprimé comme il l'avait fait, respectivement les raisons qu'il avait de tenir de bonne foi pour vrais ses allégués (ACPR/748/2019 du 25 septembre 2019 consid. 3.2);

- une non-entrée en matière pour dénonciation calomnieuse, où la prévenue, auditionnée par la police, devait expliquer les raisons pour lesquelles elle pensait que son ex-époux disposait des ressources nécessaires pour s'acquitter des contributions d'entretien qu'elle l'avait accusé de n'avoir pas versé, ce qui n'impliquait aucun développement juridique particulier (ACPR/176/2019 du 6 mars 2019 consid. 3.2).

3.3. En l'espèce, les peines-menaces afférentes aux infractions anciennement reprochées au recourant (art. 123 et 312 CP) qualifiaient celles-ci de crimes, revêtant ainsi une certaine gravité.

Pour autant, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte alors que le recourant n'avait été auditionné par l'IGS qu'à une seule reprise. À cette occasion, ce dernier a relaté, comme il a pu être habitué à le faire dans le cadre de ses fonctions, le déroulement de l'intervention litigieuse, au demeurant déjà exposé dans un rapport de renseignements. Ses explications sont ainsi restées purement factuelles, sur un événement bien précis, sans considération juridique. Il n'avait pas de raison de penser que ses déclarations seraient remises en doute.

En outre, de par son métier, il a dû être sensibilisé – voire même déjà confronté – à l'IGS, si bien qu'il doit en connaître la mission. Il sait ainsi qu'en qualité d'organe d'enquête interne à la police, cette autorité est tenue de mener une enquête face à une dénonciation contre un membre des forces de l'ordre. Son audition représentait ainsi une tâche parmi d'autres relevant de son cahier des charges en tant que policier et, au stade où en était la procédure, les soupçons qui pesaient sur lui demeuraient abstraits. Il n'avait donc pas de raison de craindre des répercussions sur sa carrière. Enfin, le recourant n'a allégué aucun impact particulier de la procédure sur sa vie personnelle et la plainte déposée contre lui n'a pas abouti; elle n'a même pas dépassé le stade des investigations policières.

Dans ces circonstances, en comparaison avec les jurisprudences précitées, le recours à un avocat ne peut être considéré comme constituant un exercice raisonnable des droits de défense du recourant; les honoraires du conseil de ce dernier ne sauraient donc être assumés par l'État.

4.             Infondé, le recours doit, partant, être rejeté.

5.             Bien que le recourant succombe, il lui a fallu recourir pour obtenir une décision sur ses prétentions en indemnisation, le Ministère public ayant omis de statuer à ce propos.

Les frais de la procédure de recours seront donc laissés à la charge de l’État.

6.             Le prévenu peut, corrélativement (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2), prétendre au versement de dépens pour l'instance de recours.

Il chiffre à CHF 600.- TTC les honoraires de son avocat, correspondant à 1 heure et 30 minutes d’activité d'avocat-stagiaire au tarif horaire de CHF 250.-, et 30 minutes d'activité d'un chef d'étude, facturées au tarif horaire de CHF 450.-.

Cette quotité apparaît raisonnable au regard des circonstances de l’espèce, de sorte qu’il sera fait droit à sa conclusion.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 600.- TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).