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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10727/2023

ACPR/918/2023 du 22.11.2023 sur ONMMP/2659/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL);SOUPÇON
Normes : CPP.310; CP.181; CP.144

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10727/2023 ACPR/918/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 novembre 2023

 

Entre

A______ et B______, domiciliés ______ [GE], représentés par Me Jessica JACCOUD, avocate, Mattenberger & Associés, rue de la Madeleine 35, case postale 763, 1800 Vevey,

recourants,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 30 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 17 juillet 2023, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 30 juin 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte du 17 mai 2023.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction et procède aux actes "nécessaires", soit en particulier leur audition ainsi que celles de C______ et D______. Ils sollicitent aussi la jonction de la présente procédure à la P/1______/2022.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'500.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______, A______ et leur enfant âgé de huit ans occupent un appartement, propriété de la société E______ SA, au sein d'une copropriété sise no. ______, chemin 2______ à F______ [GE].

b. Depuis leur emménagement, leurs relations avec certains copropriétaires, dont D______ et C______, sont conflictuelles et ont donné lieu à diverses plaintes de part et d'autre.

Ainsi, le 30 septembre 2022, C______ a déposé plainte contre A______, lui reprochant de lui avoir roulé sur le pied avec sa voiture. Le 3 octobre suivant, cette dernière a déposé une contre-plainte pour dénonciation calomnieuse. Le 2 décembre 2022, A______ a déposé une nouvelle plainte pour contrainte, reprochant à certains copropriétaires d'avoir conditionné le sursis ou l'abandon de leurs démarches civiles visant à l'expulser, ainsi que sa famille, de leur logement moyennant un retrait de plaintes. Enfin, la famille [de] A______ s'est encore plaint de se faire réveiller la nuit par une corne de brume, dont le bruit provenait de l'appartement de C______. Ces complexes de faits sont traités dans le cadre de la P/1______/2022, laquelle est en cours d'instruction.

c. Le 17 mai 2023, les époux A______/B______ ont adressé une nouvelle plainte pénale au Ministère public pour contrainte et tentative de dommages à la propriété, expliquant avoir découvert, dans leur jardin, un appât de "mort aux rats".

Sur les images de la vidéosurveillance – se trouvant sur une clé USB –, il apparait que ledit appât avait été jeté le 16 mai 2023 à 16h28 et 27 secondes, depuis l'intérieur de la copropriété, en direction de leur chien qui se trouvait dans le jardin.

Ils se constituaient partie plaignante au civil et au pénal et tenaient, à disposition du Ministère public, l'appât en question, aux fins de recherches d'empreintes digitales et ADN.

d. La séquence, d'une durée de cinquante-huit secondes, a été versée à la procédure. L'on y voit le chien des époux couché dans le jardin. Puis, l'animal semble entendre des bruits et se lève. Il se dirige vers la palissade qui se trouve sur sa droite puis en direction du fond du jardin, hors du champ couvert par la caméra. Un petit paquet blanc est alors lancé par-dessus ladite palissade, dans le jardin des époux.

Des photographies dudit paquet figurent aussi sur le support informatique. Il y est inscrit notamment "appât rodenticide anticoagulant".

e. Selon le rapport de renseignements du 8 juin 2023, après s'être rendue sur les lieux, la police n'était pas en mesure d'établir l'identité de la personne ayant jeté ce produit toxique, aucune caméra ne filmant l'endroit du départ du jet. Le film fourni ne permettait pas non plus de déterminer qui était l'auteur des faits.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public décide de ne pas entrer en matière dès lors qu'il n'existait aucun élément susceptible d'orienter les soupçons. En effet, l'auteur des faits n'a pas pu être formellement identifié, que ce soit au moyen de la vidéo transmise ou des investigations de la police.

D. a. À l'appui de leur recours, les époux A______/B______ reprennent tout d'abord en détails le contexte dans lequel s'inscrivait leur plainte, expliquant être la cible de nombreuses incivilités et actes de vandalisme depuis août 2022 au sein de la copropriété (arrachage d'essuie-glace, vol de caméra et décorations de jardin, dispersion de leurs affaires sur le palier, vol de chaussures, dépôt d'excréments dans leur boîte aux lettres, jet de nourriture et de punaises de bureau sur le trampoline du jardin, agressions verbales répétées).

Le jet d'un appât de "mort aux rats", corroboré par les images de la vidéosurveillance, était constitutif de menaces et dommages à la propriété, le risque que le chien s'en saisisse étant réel. Cet épisode, en lien avec les autres atteintes, était aussi constitutif de tentative de contrainte, voire de contrainte, s'ils finissaient par quitter leur logement. Compte tenu de l'historique conflictuel entre voisins, le Ministère public ne pouvait se contenter de dépêcher la police sur les lieux mais devait, à tout le moins, interpeller les voisins directs ou encore récupérer l'appât jeté, actes d'enquêtes qui apparaissaient proportionnés au regard de la gravité de l'atteinte subie.

En outre, le Ministère public ne pouvait pas dissocier ces faits de ceux instruits dans le cadre de la P/1______/2022, dès lors qu'ils s'inscrivaient dans la lignée d'une série d'atteintes appartenant au même complexe de faits; ce, bien que l'on ne puisse établir avec certitude l'identité de l'auteur. La présente procédure devait donc être jointe à la procédure précitée.

b. Par pli du 31 juillet 2023, les époux A______/B______ ont transmis à la Chambre de céans un tirage de la lettre adressée le même jour au Ministère public, de laquelle il ressort que de nouveaux sachets de "mort aux rats" avaient été projetés dans leur jardin dans la nuit du 27 juillet 2023 aux alentours de 21 heures. Des clous avaient aussi été retrouvés sur le trampoline. Ils demandaient que leur missive soit versée à la P/1______/2022 dans la mesure où les atteintes subies relevaient du même complexe de faits.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais, exposant s'en tenir aux développements contenus dans l'ordonnance querellée.

d. Les époux A______/B______ n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites devant la Chambre de céans sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort notamment de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).

2.2. Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310). Parmi les motifs de fait, on trouve l'impossibilité d'identifier l'auteur (op.cit. n.9a ad 310; cf. aussi ACPR/918/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4.1 et ACPR/744/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3.1.).

2.3. En l'espèce, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière au motif qu'il n'était pas possible d'établir l'identité de l'auteur ayant jeté le sachet de "mort aux rats" dans le jardin des recourants.

Or, cette décision paraît prématurée, à tout le moins en l'absence d'une enquête de voisinage, eu égard à la gravité des faits dénoncés et leurs potentielles conséquences. En effet, le jet de sachets de "mort aux rats" dans un jardin où pourraient se trouver des enfants, respectivement des animaux, n'est pas anodin, ce d'autant plus que cet acte semble s'être répété.

Il appartiendra donc au Ministère public de compléter l'enquête (art. 309 al. 2 CPP), soit à tout le moins de procéder, ou faire procéder, à l'audition des voisins vivant à proximité des recourants, avant de décider de la suite à donner à la procédure.

Pour le surplus, les recourants sollicitent la jonction des procédures. Or, il n'appartient pas à la Chambre de céans de se prononcer sur cette question faute de décision préalable du Ministère public sur ce point.

3.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause retournée au Ministère public afin qu'il procède au complément d'enquête susmentionné, voire ouvre une instruction.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP), de sorte que le montant de CHF 1'500.- versé par les recourants à titre de sûretés leur sera restitué.

5.             Les recourants, parties plaignantes qui obtiennent gain de cause, ont requis le versement d'une équitable indemnité au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), mais, faute de l'avoir chiffrée et justifiée, il ne leur en sera point allouée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 30 juin 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ et B______ l'avance de frais qu'ils ont effectuée en CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).