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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/105/2023

ACPR/831/2023 du 25.10.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 30.11.2023, rendu le 27.12.2023, IRRECEVABLE, 7B_937/2023
Descripteurs : JUGE DU FOND;RÉCUSATION;COMPOSITION DE L'AUTORITÉ
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/105/2023 ACPR/831/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 25 octobre 2023

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

requérante


et


C
______, juge au Tribunal correctionnel, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715,
1211 Genève 3

citée

 


EN FAIT :

A. a. Par acte posté le 25 septembre 2023, A______ requiert du Tribunal correctionnel la récusation de C______, juge faisant partie de la composition appelée à la juger.

b. La Direction de la procédure du Tribunal correctionnel a transmis la requête à la Chambre de céans.

c. Il n’a pas été requis d’observations.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Des membres de la famille D______/A______, composée de D______ (père), A______ (mère), E______ (fils) et F______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Par acte d’accusation du 14 février 2023, complété et corrigé le 15 août 2023, ils ont été renvoyés par-devant le Tribunal correctionnel. Le procès a été fixé du 2 au 6 octobre 2023. Le tribunal serait composé, notamment, de la juge C______.

c.              Pendant le cours de l’instruction préliminaire, D______ a été assisté par l’avocat G______.

d.             Le 20 septembre 2023, l’avocat H______ a annoncé au Tribunal correctionnel qu’il succédait à G______ et qu’il ferait parvenir une procuration sous peu.

e.              C______ a observé que H______ était, conjointement avec des tiers, le bailleur de son appartement et qu’un litige pourrait survenir au sujet de travaux de surélévation en cours sur l’immeuble. Elle soulevait la question d’interdire à cet avocat de postuler pour la défense de D______.

f.              Après avoir consulté les parties et H______, qui a assuré que ses relations avec C______ avaient toujours été très cordiales et sans la moindre inimitié, la Direction de la procédure du Tribunal correctionnel a, le 25 septembre 2023, interdit à ce dernier de postuler pour la défense de D______ et nommé d’office G______.

g.             Cette décision est frappée d’un recours conjoint de D______ et H______, lesquels font notamment valoir qu’« à la vérité », ils ne voyaient pas qui eût pu tirer avantage de la récusation de C______, à l’exception du prévenu susmentionné, qui ne l’avait pas réclamée. Dans le mémoire de recours, l’avocat précise notamment être copropriétaire avec deux autres personnes de l’immeuble dans lequel loge la juge susmentionnée, mais que la gestion en a été confiée à une gérance immobilière.

C. a. Dans sa requête, A______ soutient qu’en ayant évoqué la possibilité d’interdire à H______ de postuler, C______ laissait entendre qu’elle pourrait se trouver « elle-même dans une telle situation » et que, dès lors, son objectivité serait compromise. Sa récusation s’imposait.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenue (art. 104 al. 1 let. a CPP), la requérante a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du tribunal de première instance (art. 59 al. 1 let. b CPP). Au surplus, l’acte paraît avoir été déposé sans délai, au sens de l’art. 58 al. 1 CPP, soit dans les quelques jours après que la citée eut fait connaître qu’elle est locataire de l’avocat de l’un des prévenus et qu’un litige de droit du bail pourrait les opposer l’un à l’autre.

2.             La requérante invoque l’art. 56 let. f CPP.

2.1.       Un magistrat est récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque « d'autres motifs », notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH (ATF
144 I 234 consid. 5.2 p. 236; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 148 IV 137 consid. 2.2). Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d'influence des parties (ATF 144 I 159 consid. 4.3). Un rapport de dépendance entre le juge et une personne intéressée à l'issue de la procédure, telle qu'une partie ou son mandataire, peuvent, selon leur nature et leur intensité, fonder un soupçon de partialité (ATF 117 Ia 170 consid. 3b ; 116 Ia 135 consid. 3c ;
92 I 271 consid. 5) ; un tel motif de récusation n’existe que dans des circonstances spéciales, qui ne peuvent être admises qu'avec retenue (ATF 139 I 121 consid. 5.1). Le lien doit, par son intensité et sa qualité, être de nature à faire craindre objectivement qu'il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision (ATF 144 I 159 consid. 4.4). Est déterminant le point de savoir si, objectivement, l'issue du procès reste ouverte (ATF 142 III 732 consid. 4.2.2 i.f.).

2.2.       L'apparence de partialité a ainsi été admise alors qu'existait un procès pendant entre le juge et l'avocat d'une partie ; lorsque l'avocat a précédemment mené un procès civil contre le magistrat, il faut en juger selon les circonstances et rechercher notamment s'il en résulte de fortes tensions personnelles (arrêt du Tribunal fédéral 5A_756/2008 du 9 septembre 2009 consid. 2.1.). La circonstance que l'avocat d'une partie mène, par ailleurs, un procès contre le juge en tant que mandataire – et non pas en son propre nom – ne suffit pas à fonder une apparence de partialité dudit magistrat ; il faut, là aussi, en juger selon les circonstances et rechercher notamment s'il en résulte de fortes tensions personnelles (arrêt précité, renvoyant à un arrêt du Tribunal fédéral P.58/1986 du 10 avril 1986 consid. 2c non disponible sur internet). Sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux, on ne saurait en effet suivre une argumentation qui verrait dans le moindre lien entre un juge et une partie une apparence de prévention et conduire à la récusation du magistrat concerné (ATF 144 I 159 consid. 4.4).

2.3.       Cela étant, la requérante ne fait pas la démonstration que la situation exposée par la citée montrerait, chez cette dernière, un risque de manquer – à son détriment – à l’impartialité ou à d’autres devoirs d’un magistrat.

À vrai dire, pour autant qu’on comprenne son grief tel qu’il est formulé, la requérante semble reprocher uniquement à la citée d’avoir laissé entendre, si ce n’est admis, qu’elle serait récusable, mais que, pour avoir été la première à œuvrer dans le dossier, c’est H______ qui devrait renoncer à son mandat. La citée a toutefois formulé une hypothèse, à savoir que, si la constitution de H______ faisait naître une cause de récusation en raison d’un conflit latent en droit du bail, ce ne serait pas à elle de se déporter. Quoi qu’il en soit, le CPP ne laisse pas à sa discrétion le soin de décider si elle doit être récusée pour motif d’inimitié (art. 56 let. f CPP), ni même à la Direction de la procédure du tribunal auquel elle appartient, mais à l’autorité de recours, seule compétente pour trancher (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 57) et ce, même si l’intéressée ne s’opposerait pas à la requête la visant (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1127), voire se reconnaîtrait prévenue (ATF 116 Ia 28 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_94/2019 du 15 mai 2019 consid. 2.4).

Or, en l’espèce, l’avocat concerné n’est pas celui de la requérante ; celle-ci n’est pas non plus la bailleresse de la citée. Aucun procès n’est pendant entre la citée personnellement et l’avocat personnellement. Il n’est pas allégué, et rien ne permet de croire non plus, qu’un procès quelconque les aurait opposés par le passé. La requérante ne prétend pas non plus avoir été partie à un procès contre la citée. De son côté, le prévenu défendu par l’avocat récemment constitué n’a pas demandé de récusation ; dans le recours qu’il a interjeté contre l’interdiction de postuler, il se demande même qui y aurait eu avantage, à part lui. Dans sa prise de position du 25 septembre 2023, son avocat se targue de relations « très cordiales », dénuées d’inimitié, avec la juge mise en cause par l’épouse de son client.

Sous l’angle du critère décisif à prendre en considération, soit, selon la jurisprudence, le danger de fortes tensions inter-personnelles, force est de conclure, en l’état, que les travaux de surélévation évoqués par la citée ne semblent même pas avoir atteint le stade de simples tensions personnelles avec l’avocat, pris en sa qualité de bailleur. Celui-ci n’est que l’un de trois co-bailleurs. Leurs relations avec les locataires apparaissent avoir été déléguées, au demeurant de façon usuelle, à une gérance immobilière. Enfin, dès lors qu’aucun procès ayant cet objet n’est pendant par-devant le tribunal compétent, le risque qu’un jugement défavorable à la citée puisse venir affecter l’impartialité attendue d’elle n’est pas concret. D'après la jurisprudence, tous les magistrats judiciaires ont le devoir et la capacité de s'élever au-dessus des contingences, de considérer impassiblement les causes qui leur sont soumises et de statuer en toute sérénité. Pour le surplus, les deux domaines juridiques concernés – le droit pénal et le droit du bail –, tout comme les faits qui sont sous-jacents à chacun, ne présentent aucun rapport d’interdépendance.

L'impartialité subjective d'un magistrat se présumant jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_177/2023 du 24 mai 2023 consid. 2.4.2.), la requérante échoue donc à établir que la situation rencontrée en l’espèce, qui ne la touche pas directement, rendrait moins ouverte pour elle l’issue du procès à venir.

3.             Il n’y a pas matière à récusation, et la requête est rejetée.

4.             La position de la citée étant connue, et les moyens invoqués contre elle, d’emblée infondés, il n’y avait pas à lui demander de prendre préalablement position (arrêt du Tribunal fédéral 1B_196/2023 du 27 avril 2023 consid. 4 et les références ; F. AUBRY GIRARDIN, Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n. 19 ad art. 36).

5.             La requérante, qui succombe, assumera les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la requête.

Condamne A______ aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la requérante (soit pour elle son avocat), à C______ et au Tribunal correctionnel.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/105/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00