Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/23690/2021

ACPR/685/2023 du 01.09.2023 sur OMP/9380/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CAPACITÉ D'ÊTRE PARTIE;PROTECTION DES DONNÉES;VIDÉOSURVEILLANCE
Normes : CPP.118; CPP.141; LPD.4

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23690/2021 ACPR/685/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 1er septembre 2023

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

C______, domicilié ______, représenté par Me Camille MAULINI, avocate, Collectif de défense, boulevard de Saint-Georges 72, 1205 Genève,

recourants,

contre les ordonnances de refus de retrait de pièces rendues les 12 et 22 mai 2023 par le Ministère public,

et

D______ SA, sise ______, représentée par Me Christian TAMISIER, avocat, TAMISIER CHARBONNET & ASSOCIÉS, 8 rue Saint-Léger, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 25 mai 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 mai 2023, notifiée le 15 mai 2023, par laquelle le Ministère public a refusé de retirer des images de vidéosurveillance du dossier de la procédure.

Le recourant conclut au constat d'une violation du droit à sa sphère privée, ainsi qu'au constat de l'illicéité et de l'inexploitabilité des vidéos et des photographies issues de la vidéosurveillance effectuée par D______ SA, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au retrait des photographies versées au dossier par D______ SA et au renvoi du dossier au Ministère public afin qu'il se prononce sur la demande de retrait des pièces obtenues "comme conséquence de la preuve illicite".

b. Par acte expédié le 2 juin 2023, C______ recourt contre l'ordonnance du 22 mai 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de retirer des images de vidéosurveillance du dossier de la procédure.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance entreprise, cela fait, au constat de l'illicéité et de l'inexploitabilité des vidéos et photographies issues de la vidéosurveillance de D______ SA et au retrait desdites vidéos et photographies, ainsi que de tout élément de procédure et pièces obtenues comme conséquence de la preuve illicite, sous suite de frais judiciaires et dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 3 décembre 2021, une plainte pénale a été déposée par D______ SA, représentée par E______, agissant pour son "mandant", du chef de dommages à la propriété, soit des graffitis apposés sur la façade du centre commercial de F______ à Genève, dont le texte est : "G______ COLLABO / GENEVE ANTIFA".

À cette plainte pénale était jointe une procuration du 29 novembre 2021 émanant de H______ SA, représentante "du propriétaire" I______ AG, donnant pouvoirs à E______ de D______ SA de, notamment, déposer des "plaintes", "délivrer toutes déclarations" et accomplir tous actes utiles ou requis en vue de la sécurité des bâtiments commerciaux et administratifs situés no. ______ et no. ______, route 2______ à J______, soit l'adresse du centre commercial de F______.

Étaient encore jointes à cette plainte pénale, des images de vidéosurveillance montrant deux personnes, dont l'une peignant le texte susévoqué sur la façade du centre commercial et l'autre se tenant à proximité. Ces images émanent d'une caméra de vidéosurveillance située en hauteur filmant l'extérieur du bâtiment soit : une partie de la façade, une porte d'accès (vraisemblablement pour véhicules au vu du signal d'interdiction de circuler apposé sur le mur jouxtant la porte), un trottoir, un marquage "stop" au sol, un passage pour piétons et la route se trouvant à proximité.

D______ SA a été considérée comme partie plaignante à la procédure par le Ministère public, ainsi que cela ressort du dossier et notamment du procès-verbal d'une audience du 8 juin 2023.

b. Les deux personnes figurant sur les images en question ont été identifiées comme étant C______ (peignant le graffiti) et A______ (se tenant à proximité). Une instruction pénale a été ouverte contre eux pour ces faits.

c. Par pli du 10 mai 2023, A______, agissant par l'entremise de son conseil, a demandé que soient retirées du dossier les images de vidéosurveillance produites par D______ SA. Selon lui, ces images montraient une grande partie du domaine public, ce alors qu'aucune autorisation n'avait été octroyée par l'autorité administrative. Les personnes filmées pouvaient en outre être identifiées, mais aucune information à ce sujet ne leur était communiquée. Seule une inscription sur la porte du centre commercial mentionnait faussement que la vidéosurveillance ne portait que sur les espaces intérieurs. La caméra n'était pas visible. Ces preuves étaient illicites et donc inexploitables.

En annexe à ce courrier, A______ a produit deux photographies : l'une montrant un auvent publicitaire du centre commercial en question selon un angle qui ne permet pas de constater s'il s'agit du même lieu que celui figurant sur les images de vidéosurveillance litigieuses, puisque ni le signal "stop", ni la porte d'accès des véhicules ne sont visibles ; l'autre montrant la porte d'entrée du public sur laquelle se trouve l'inscription "Pour votre sécurité, vous entrez dans un espace placé sous vidéo-surveillance avec enregistrement", dite porte d'entrée ne se situant pas sous l'auvent en question.

d. Par pli du 17 mai 2023, C______, agissant par l'entremise de son conseil, a, à son tour, demandé que soient retirées du dossier les images de vidéosurveillance produites par D______ SA. Il a constaté que ces images montraient deux individus se tenant à la limite entre l'espace privé et l'espace public. Ces images avaient été recueillies alors que la vidéosurveillance n'avait pas été annoncée de manière adéquate : seule une indication à l'entrée du centre commercial était visible et elle ne visait que l'espace intérieur du bâtiment. En outre, la surveillance du domaine public à cet endroit était disproportionnée, car d'autres mesures moins incisives pouvaient être mises en place et aucun besoin de sécurité particulier n'était apparent, compte tenu de l'absence de vitrine à cet endroit. Une pesée des intérêts devait conduire à écarter ces images, compte tenu du peu de gravité de l'infraction considérée.

En annexe à ce courrier, C______ a produit, notamment, des photographies de la façade du centre commercial, soit de la porte d'entrée du public sur laquelle se trouve l'inscription déjà évoquée (c. supra), ainsi que d'autres vues montrant un auvent publicitaire au-dessus de ladite porte et la façade du centre commercial. Aucune des photographies produites ne montre le même lieu que les images de vidéosurveillance litigieuses, dès lors qu'aucun des éléments ne figurant sur celles-ci ne sont discernables.

C. a. L'ordonnance de refus de retrait de pièces concernant A______ retient que la caméra ayant filmé les images litigieuses était visible et se trouvait "sur" l'auvent du centre commercial. En outre, elle était située devant les entrées pour le personnel et pour les véhicules de livraison et braquée dans leur direction, ne filmant qu'une portion très réduite du domaine public. Ainsi, une pesée des intérêts en présence plaidait en faveur de l'utilisation de ces images au vu de la gravité des faits reprochés. Les images n'étaient donc ni illicites, ni inexploitables.

b. L'ordonnance de refus de retrait de pièces concernant C______ contient une motivation similaire, si ce n'est identique, à celle concernant A______.

D. a. Dans son recours, A______ complète sa présentation des faits en exposant que la caméra se trouvait "sous une structure" du centre commercial et filmait une entrée de garage. Il conteste cependant que la caméra était clairement reconnaissable pour les tiers, en particulier la nuit. Par ailleurs, les faits reprochés ne pouvaient pas être qualifiés de suffisamment graves pour justifier que ces images fussent maintenues au dossier, malgré leur illicéité. Ces preuves n'auraient pas pu être obtenues par des moyens licites.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de son ordonnance.

Il persiste à considérer que la caméra était visible et que l'information fournie était suffisante, étant donné l'inscription figurant sur la porte du centre commercial. Il était "évident" que la caméra avait été installée pour surveiller le bâtiment et vérifier les allées et venues du personnel et des livraisons, et non pas le domaine public, dont la portion filmée était d'ailleurs très réduite. Il existait donc un intérêt prépondérant à cette surveillance.

c. D______ SA, déclarant agir pour le compte de H______ SA et I______ AG, conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

Elle observe que "l'existence et les termes exacts de la vidéosurveillance" étaient clairement reconnaissables par l'ensemble des personnes présentes, au vu de l'emplacement de la caméra et du message de prévention apposé sur la porte d'entrée "très proche". La vidéosurveillance avait été installée dans un but légitime de protection des personnes, de sécurité, de prévention et d'élucidation d'infractions, en particulier d'actes de vandalisme fréquents à cet endroit. La portion surveillée du domaine public était petite et la surveillance de la propriété privée ne pouvait pas se faire autrement. La destruction des données récoltées intervenait "rapidement", seules quelques personnes spécifiquement désignées y ayant accès.

Elle produit un plan et cite des témoins à titre de moyens de preuve.

d. Le 6 juillet 2023, A______ a requis une prolongation de délai pour répliquer aux observations précitées, qui lui a été accordée pour le 14 juillet 2023.

Par courrier du 13 juillet 2023, reçu le lendemain par la Chambre de céans, il a requis une information complémentaire concernant D______ SA, soit que la Chambre de céans explicite si cette personne morale avait été invitée à intervenir en qualité de partie plaignante ou de tiers touché par des actes de procédure. Il a ainsi demandé un bref délai supplémentaire pour répliquer.

Informé par le greffe de la Chambre de céans du refus d'octroyer une prolongation de délai et de la possibilité offerte de consulter le dossier, A______ a, par courrier du 14 juillet 2023 anticipé par courriel, considéré que la décision de refus de prolongation paraissait nulle, car elle ne respectait pas les exigences légales. En outre, la demande de prolongation de délai était raisonnable. Subsidiairement, il a requis la notification d'une décision motivée à ce sujet.

E. a. Dans son recours, C______ complète sa présentation des faits : la caméra se trouvait "sur l'auvent" du centre commercial et filmait une entrée de garage. Il conteste cependant que la caméra était clairement reconnaissable pour les tiers et que l'information était suffisante. Le volume des données traitées demeurait inconnu, de même que le caractère systématique et indéterminé du traitement et de la taille du cercle des personnes pouvant y avoir accès. Enfin, l'infraction visée était de peu gravité.

b. Les observations du Ministère public et de D______ SA sont identiques à celles déposées dans le cadre du recours de A______, telles que résumées ci-dessus.

c. Dans sa réplique, C______ a contesté le fait que l'information aux usagers et la caméra soit située à proximité. Il s'agissait en réalité d'une distance d'environ 100 mètres.

Il produit trois photographies qui montrent la façade du centre commercial et sur lesquelles on voit deux auvents publicitaires. Selon lui, ces deux auvents, qui n'étaient pas présents à l'époque des faits litigieux, réduisaient le champ de vision de la caméra et démontraient l'absence d'utilité de l'appareil. Il a contesté les allégués de D______ SA sur le volume des données, leur traitement et le cercle des personnes y ayant accès et s'est opposé à l'audition des témoins cités.

EN DROIT :

1.             1.1. Les deux recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner deux ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des prévenus qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).

1.2. Vu la connexité évidente des recours, ils seront joints et traités en un seul arrêt.

1.3.1. Ont la qualité de partie le prévenu, la partie plaignante et le ministère public, lors des débats ou dans la procédure de recours (art. 104 al. 1 let. a, b et c CPP).

Les autres participants à la procédure, notamment les lésés (let. a) et les personnes qui dénoncent les infractions (let. b) ne se voient, eux, reconnaître la qualité de partie dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts que lorsqu'ils sont touchés dans leurs droits (art. 105 al. 2 CPP).

Le dénonciateur qui n'est ni lésé ni plaignant ne jouit ainsi d'aucun autre droit en procédure que celui d'être informé par l'autorité de poursuite pénale, à sa demande, sur la suite que celle-ci a donnée à sa dénonciation (art. 301 al. 1 et 2 CPP).

1.3.2. À teneur de l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil.

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2; 141 IV 454 consid. 2.3.1).

Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie. Les personnes subissant un préjudice indirect ou par ricochet ne sont donc pas lésées et sont des tiers n'ayant pas accès au statut de partie à la procédure pénale (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1).

1.3.3. En l'espèce, le recourant A______ remet en cause la qualité de partie plaignante de D______ SA au stade de sa réplique et ce, alors qu'il n'a jamais soulevé cette question devant le Ministère public. Celui-ci avait pourtant enregistré cette société comme partie plaignante à la procédure dès l'ouverture de celle-ci, et l'a même récemment convoquée à une audience en cette qualité. Il s'ensuit qu'il n'appartient pas à la Chambre de céans de se prononcer, pour la première fois et en l'absence de décision formelle du Ministère public sur ce point. De toute manière, au vu de l'issue du litige, cette question se révèle sans portée et peut être laissée indécise.

2.             La question litigieuse porte sur la validité des images de vidéosurveillance versées à la procédure.

2.1.1. L'art. 141 CPP règle la question de l'exploitation des moyens de preuve obtenus illégalement. Selon l'art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves.

Le Code de procédure pénale ne réglemente pas explicitement l'hypothèse des preuves illicites recueillies par des particuliers. De jurisprudence constante, de telles preuves ne sont exploitables que si elles pouvaient être recueillies licitement par des autorités de poursuite pénale et, en outre, qu'une pesée des intérêts plaide en faveur de leur utilisation dans la procédure (ATF 147 IV 16 consid. 1.1; 146 IV 226 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.1 et les références citées).

2.1.2. L'utilisation, par des particuliers, de caméras à des fins de protection des personnes ou de prévention d'actes de vandalisme tombe sous la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1) lorsque les images tournées montrent des personnes qui peuvent être identifiées. Selon l'art. 4 al. 2 LPD, le traitement de données doit être effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité. La collecte de données personnelles et en particulier les finalités du traitement doivent être reconnaissables pour la personne concernée (art. 4 al. 4 LPD). La violation de ces principes constitue une atteinte à la personnalité (art. 12 al. 2 let. a LPD).

2.1.3. En principe, les particuliers ne peuvent installer des systèmes de vidéosurveillance que pour surveiller les biens-fonds dont ils sont propriétaires (Fiche informative du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) "Vidéosurveillance effectuée par des particuliers").

Un système de vidéosurveillance privé qui filme l'espace public sera généralement jugé disproportionné et, donc, illicite. En effet, les particuliers ne pourront pas invoquer leurs intérêts en matière de sécurité pour surveiller l'espace public, dès lors que la tâche d'assurer la sécurité et l'ordre publics relève de la compétence des autorités (ATF 147 IV 16 consid. 3.1 au sujet de la sécurité du trafic). Pour des raisons de praticabilité, le préposé fédéral à la protection des données considère toutefois que les particuliers peuvent étendre leur surveillance sur une portion du domaine public lorsque celle-ci est petite et que la surveillance du terrain privé ne peut pas se faire par d'autres moyens (Fiche informative du PFPDT "Vidéosurveillance de l'espace public effectuée par des particuliers" précitée; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3).

2.1.4. La vidéosurveillance doit être transparente, c'est-à-dire clairement reconnaissable (art. 4 al. 4 LPD). Pour que cette disposition soit respectée, il faut que la personne concernée puisse compter avec le traitement des données et son but ou qu'elle soit concrètement informée (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.1 destiné à la publication). Les personnes doivent être informées qu'elles sont filmées avant qu'elles ne pénètrent dans le champ de la caméra. Tant la grandeur des informations données (par exemple des autocollants) que le champ de la caméra sont des éléments déterminants pour juger si les personnes peuvent voir la caméra avant d'entrer dans son champ et donc déterminer si la collecte de données est reconnaissable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.6.1).

Cela étant, la question du caractère reconnaissable peut être laissée ouverte s'il existe un intérêt privé prépondérant (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.1 destiné à la publication).

2.1.5. La vidéosurveillance doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD). Ce principe exige tout d'abord que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude). Il faut aussi que le but visé ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). Enfin, le principe de la proportionnalité interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (proportionnalité au sens étroit) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_881/2022 du 2 février 2023 consid. 5.2 destiné à publication; ATF 147 IV 145 consid. 2.4.1; 146 I 70 consid. 6.4). Ainsi, la vidéosurveillance doit être pratiquée que si d'autres mesures moins attentatoires à la vie privée, comme un verrouillage supplémentaire, le renforcement des portes d'entrées ou un système d'alarme, s'avèrent insuffisantes ou impraticables (cf. Fiche informative du PFPDT "Vidéosurveillance effectuée par des particuliers" précitée ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.6.2).

2.1.6. L'art. 13 al. 1 LPD prévoit qu'une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 12 LPD est illicite s'il n'existe pas de motif justificatif, à savoir le consentement de la victime ou un intérêt prépondérant privé ou public. Ces motifs justificatifs, dans le cadre pénal, doivent toutefois être retenus avec une grande prudence, notamment lorsque les atteintes à la personnalité concernent un grand nombre de personnes ou un nombre indéterminé de personnes (ATF 147 IV 16 consid. 2.3; 138 II 346 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3).

Il s'agit ainsi de procéder à une pesée des intérêts du cas d'espèce entre l'intérêt privé au traitement des données et l'intérêt à la protection des données de la personne visée. L'intérêt de la personne qui traite les données englobe aussi celui des tiers et dépend du but du traitement des données. Le traitement de données pour assurer sa propre sécurité ou pour éviter la commission d'infractions peut représenter un intérêt digne de protection (arrêt du Tribunal fédéral 6B_536/2009 du 12 novembre 2009 consid. 3.7). Un but sécuritaire est donné lorsqu'il tend à la protection de personnes ou de biens (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.2 destiné à la publication). Selon la jurisprudence, un tel but existe lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité et de prévenir ou élucider des infractions dans un parking public d'un aéroport international (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.3 destiné à la publication). Cela étant, il ne peut être retenu qu'un but sécuritaire est donné lorsque l'on ignore tant la nature du commerce dans lequel se trouve la caméra que la valeur des marchandises vendues. Encore faut-il qu'aucune autre mesure de protection moins incisive (comme un système d'alarme ou une porte de protection) ne puisse être mise en place (arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.6.2).

2.2. En l'espèce, il s'agit d'examiner si les images de vidéosurveillance communiquées à l'appui de la plainte pénale sont le résultat d'une surveillance licite, étant souligné qu'elles émanent d'un particulier et non d'une autorité.

Il est incontestable que l'utilisation de la caméra de vidéosurveillance tombe sous le coup de la législation sur la protection des données. Il ressort des images de surveillance elles-mêmes qu'elles filment une partie du domaine public, à savoir une portion d'une route ou d'un trottoir se trouvant à l'extérieur où tout un chacun peut déambuler sans restriction, qu'il soit ou non client du centre commercial adjacent. Par ailleurs, les personnes figurant sur les images sont reconnaissables.

Cela dit, il ressort des différentes prises de position des parties et du Ministère public, ainsi que des pièces figurant au dossier, plusieurs contradictions qui empêchent l'établissement des faits pertinents pour traiter du litige.

En effet, le visionnage des images de vidéosurveillance permet d'identifier plusieurs éléments du décor (façade, porte d'accès, marquage au sol) qui devraient permettre de localiser la caméra précisément, au besoin à l'aide de la société de sécurité qui en assure l'utilisation. Or, cela n'a pas été fait. Le Ministère public a affirmé, dans ces différentes décisions et écritures, que la caméra était visible et fixée "sur" un auvent et qu'elle se trouvait devant les entrées pour le personnel et pour les livraisons. Ces faits ont été pour l'essentiel contestés par les recourants. Ceux-ci soutiennent, certes, que la caméra est fixée "sous une structure" ou "sur un auvent", mais qu'elle ne serait pas visible et filmerait l'entrée d'un garage. Quant à la société de sécurité, elle a écrit que la vidéosurveillance avait été installée dans un but légitime de protection des personnes, de sécurité, de prévention et d'élucidation d'infractions, en particulier d'actes de vandalisme fréquents à cet endroit. Ces différents points de vue ne sont pas réconciliables en l'état, puisque l'entrée d'un garage, par hypothèse ouvert au public, ne remplit pas la même fonction qu'un accès pour les employés et des livreurs. Dans le même ordre d'idée, la société de sécurité semble plutôt soutenir qu'il faudrait protéger le bâtiment contre des actes de vandalisme - lesquels ne sont pas clairement définis -, mais non pour protéger les clients, le personnel ou les livreurs comme l'invoque le Ministère public, ce qui n'est pas la même chose.

Les différentes images et plans produits devant le Ministère public, et jusqu'à la procédure de recours, ne sont pas d'une grande aide sur ce point. Montrant certes le même bâtiment sous différents angles, les photographies ne permettent pas de se faire une idée précise de la configuration des lieux et, surtout, ne résolvent pas la question de savoir quels accès sont filmés par la caméra et dans quel but.

Ainsi, conformément à la jurisprudence, il s'agit de définir dans un premier temps le but de la vidéosurveillance, ce que le dossier ne permet pas à ce stade. À cette fin, il faudra donc déterminer avec précision la configuration des lieux, la fonction des portes d'accès qui sont visibles et leur destination, ainsi que l'endroit précis où se trouve la caméra. Il s'agira aussi d'inviter le propriétaire du bâtiment concerné, respectivement ses mandataires, à expliciter le but sécuritaire invoqué. Une fois ces points éclaircis, il sera possible de déterminer si la vidéosurveillance est justifiée par un intérêt privé prépondérant, soit par exemple assurer la sécurité des personnes et des biens, et si aucune autre mesure moins incisive n'est envisageable.

Cas échéant, il s'agira d'examiner si la vidéosurveillance est reconnaissable, visible, apparente et suffisamment discernable par les usagers. Sur cet aspect encore, les différentes prises de position des parties à la procédure de recours sont difficilement conciliables (visibilité ou non de la caméra, présence ou non à proximité d'une information suffisante) et ne peuvent être départagées au moyen des photographies éparses qui sont produites.

La société de sécurité a aussi abordé la question de la durée de conservation des images et de leur accessibilité à un cercle restreint de personnes. De simples allégués dans une procédure de recours ne sont pas suffisants pour retenir que ces points sont établis à satisfaction de droit pour juger de la proportionnalité de la surveillance. Il s'agira au contraire d'obtenir des preuves objectives.

Compléter le dossier sur tous ces points ne saurait incomber à la Chambre de céans. Il y a donc lieu d'admettre le recours et de renvoyer la cause au Ministère public afin qu'il complète l'instruction dans le sens des considérants, puis se prononce à nouveau.

3.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, les ordonnances querellées seront annulées.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             A______ plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire, il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP), le défenseur d'office, la procédure n'étant pas terminée.

6.             C______ est assisté d'un défenseur de choix, qu'il y a lieu d'indemniser, aucun état de frais n'ayant été produit.

En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Au vu de l'ampleur limitée du recours, il lui sera alloué une indemnité forfaitaire de CHF 1'500.- TVA comprise.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Ordonne la jonction des recours.

Admet les recours de A______ et C______.

Annule les ordonnances de refus de retrait de pièces rendues les 12 et 22 mai 2023 et renvoie la cause au Ministère public afin qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à C______, à la charge de l'Etat une indemnité de CHF 1'500.-, (TVA 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et à l'intimée, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).