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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15331/2022

ACPR/637/2023 du 14.08.2023 sur ONMMP/880/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE;MONNAIE ÉLECTRONIQUE;AUTEUR(DROIT PÉNAL);INCONNU;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.310; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15331/2022 ACPR/637/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 14 août 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me Ghita DINSFRIEND-DJEDIDI, avocate, rue Robert-Céard 6, 1204 Genève,

recourante,

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 7 mars 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 mars 2023, A______ recourt contre l’ordonnance rendue le 7 précédent, communiquée par pli simple, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur les faits visés par sa plainte pénale.

Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de cette décision, le Procureur devant être invité à ouvrir une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En juillet 2022, A______ a déposé une plainte pénale documentée contre inconnus du chef d’escroquerie (art. 146 CP).

En substance, elle exposait avoir, en été 2021, investi CHF 12'000.- sur une plateforme de trading de devises en ligne, appartenant à une société incorporée en Afrique du Sud. Peu après, elle avait reçu un courriel l’informant que la licence dont bénéficiait cette société venait d’être retirée par l’organisme de réglementation du secteur financier sud-africain. Elle s’était alors "résignée" à avoir perdu la somme précitée. Quelques mois plus tard, elle avait été contactée par un dénommé B______, lequel lui avait affirmé être le consultant d’une entreprise rattachée au même groupe que la société détenant la plateforme sus-évoquée; il lui avait affirmé que cette entreprise tenait à rembourser les clients qui, comme elle, avaient été victimes d’un "broker frauduleux", lequel avait "détourné [leurs] investissement[s]". La restitution devant intervenir en crypto-monnaie (bitcoin), elle avait ouvert un compte sur une plateforme d’échange pour y recevoir l’argent. Entre février et juin 2022, plusieurs personnes lui avaient fait croire que, pour récupérer cet argent, il lui fallait avancer d'autres sommes, en bitcoin. Elle avait ainsi, à la suite de diverses manœuvres (échanges Whatsapp et téléphoniques avec B______, courriels et téléphones reçus de tiers ainsi que prises de contrôle de son ordinateur – auxquelles elle avait consenti – par le prénommé), progressivement payé l'équivalent d'EUR 65'000.-. Ces sommes devaient, aux dires de ses interlocuteurs, lui être restituées in fine en sus de ses CHF 12'000.-; or, elles ne l'avaient jamais été, non plus que son investissement initial. Elle n’avait réalisé qu’en été 2022 avoir été victime d’une escroquerie.

Elle savait que ses chances de récupérer son argent étaient "quasiment nulles". Néanmoins, elle souhaitait, en portant plainte, "freiner [l]es fraudeurs", supposant ne pas être la seule à "avoir été prise au piège".

b. Il résulte des investigations menées par la police, sur délégation du Ministère public (art. 309 al. 2 CPP), que : les CHF 12'000.- investis par la plaignante l’avaient été sur une "fausse plateforme", la société qui détenait celle-ci n’étant pas incorporée au Registre du commerce sud-africain; "les escrocs" avaient utilisé, pour certains de leurs échanges avec A______, un compte Whatsapp "jumelé" à deux raccordements sud-africains; un "processus de spoofing" [usurpation d’identité] ne pouvait être exclu à ce stade; les bitcoins versés par la prénommée avaient transité sur différentes adresses jusqu’à la plateforme d’échange C______, société incorporée aux Seychelles; pour obtenir le détail des transactions effectuées depuis cette plateforme, une commission rogatoire internationale était nécessaire.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que, malgré une enquête de police, les auteurs de l’infraction dénoncée n'avaient pas pu être identifiés. Seule une demande d’entraide aux Seychelles permettrait "très éventuellement" de faire avancer les investigations, toutefois sans grande chance de succès, les auteurs agissant généralement par le biais de prête-noms et d’intermédiaires (arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2). À défaut de pouvoir orienter des soupçons vers une ou des personnes déterminées, il ne pouvait procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ affirme avoir reçu le 8 mars 2023 l’ordonnance précitée.

Sur le fond, la clôture de la procédure l’empêchait aussi bien de voir identifiés les auteurs de l’escroquerie dénoncée que de leur réclamer le remboursement de son préjudice, soit CHF 157'000.- – à savoir les CHF 12'000.- initialement investis, majorés d'EUR 65'000.- (somme qu’elle avait empruntée, en 2022, à des proches), auxquels s’ajoutait le crédit de CHF 80'000.- environ qu’elle avait dû contracter pour rembourser ces derniers –. L’envoi de commissions rogatoires en Afrique du Sud (en vue de déterminer les titulaires des raccordements "jumelé[s]" au compte Whatsapp) et aux Seychelles (afin d’obtenir des informations de C______) était parfaitement envisageable. Ces démarches ne pouvaient être considérées comme vouées à l’échec avant même d’avoir été tentées. Elles étaient, du reste, proportionnées aux intérêts en jeu, qu’il s’agisse des siens propres, compte tenu de l’ampleur de son dommage, ou de ceux de "la société", d’autres personnes ayant pu être lésées par les mêmes agissements.

b. Invité à se déterminer, le Procureur persiste, pour l’essentiel, dans les termes de sa décision, ajoutant que la condition de l’astuce, propre à l’escroquerie, faisait défaut, A______ ayant agi "avec une légèreté et une imprudence difficilement compréhensibles".

c. Dans sa réplique, la prénommée souligne avoir bien été victime de tromperies astucieuses, rappelant qu’elle était, à l’époque des faits, "en état de détresse profonde", la somme de CHF 12'000.- venant de lui être subtilisée.

d. Le Ministère public n’a pas dupliqué.

EN DROIT :

1. 1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) contre une ordonnance de non-entrée en matière, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 cum 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP), par la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2.1. Seul celui qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation/la modification d’un prononcé a qualité pour quereller celui-ci (art. 382 CPP).

Dit intérêt doit être juridique et direct. Le recourant est ainsi tenu d’établir que l’ordonnance attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut, conséquemment, en déduire un droit subjectif. La violation d'un intérêt relevant d'un autre sujet de droit ne confère pas la qualité pour agir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_505/2019 du 26 juin 2019 consid. 2.2).

1.2.2. En l’espèce, la recourante se prévaut d’un intérêt, tant privé (le sien propre) que public (celui des potentielles autres victimes de l’escroquerie dénoncée), à voir poursuivre la procédure.

Si elle est habilitée à se plaindre du préjudice causé à son patrimoine (art. 115 cum 382 CPP), elle ne peut, en revanche, invoquer l’atteinte subie par des tiers, le choix de mettre ou non en œuvre l’action pénale les concernant appartenant exclusivement au Ministère public.

L’acte est donc recevable dans la mesure précisée ci-dessus.

2. 2.1.1. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le procureur rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont manifestement pas réunis (let. a), respectivement qu’il existe des empêchements de procéder (let. b).

2.1.2. Une telle décision peut se justifier même si les conditions du crime/délit sont réalisées, pour autant qu'aucun acte d'enquête raisonnable ne permette d’en découvrir l’auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2).

Il sied alors de mettre en balance les intérêts en jeu (ibidem), le principe de proportionnalité s'appliquant à toutes les activités étatiques (art. 5 al. 2 Cst féd.), y compris aux investigations pénales (ACPR/888/2021 du 16 décembre 2021, consid. 3.2 in fine; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd. Bâle 2019, n. 10d ad art. 310).

2.1.3. Lorsque, pour tenter d’identifier l'auteur de l’infraction, des actes d’instruction doivent se dérouler, sur commissions rogatoires, à l’étranger, les critères à prendre en compte dans la pesée des intérêts sont les suivants : la perspective que la demande d’entraide internationale aboutisse (ACPR/434/2023 du 9 juin 2023, consid. 3.3, ACPR/251/2023 du 6 avril 2023, consid. 2.3, ACPR/195/2023 du 16 mars 2023, consid. 2.4 ainsi qu’ACPR/888/2021 précité, consid. 3.3, tous rendus en matière de crypto-monnaies); l’utilité des informations susceptibles d’être obtenues pour découvrir l’auteur (ibidem) – ce qui implique, lorsqu’il est question de bitcoins, que l’intéressé ait échangé cette monnaie virtuelle en valeurs "réelles" sur une plateforme (une telle démarche nécessitant qu’il communique son identité, contrairement à ce qui prévaut quand il crée/utilise des adresses afin de percevoir, puis de transférer, les bitcoins illicitement soustraits [ACPR/888/2021 précité, lettre B.d.a de la partie EN FAIT et consid. 3.3]) –; la quotité du dommage subi par le plaignant – étant relevé que des préjudices de CHF 12'000.- (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 précité) et CHF 61'450.- (ACPR/888/2021 précité, consid. 3.3) ont été jugés insuffisants pour justifier, à eux seuls, l’envoi de commissions rogatoires –.

2.2. In casu, il résulte du dossier que la recourante a été amenée à effectuer des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires, après avoir été induite en erreur par diverses tromperies. La question de savoir si celles-ci revêtent ou non un caractère astucieux souffre de demeurer indécise, au vu des considérations qui suivent.

2.3. L'enquête de police n'a pas permis de découvrir les auteurs de l’infraction. L'on ne voit pas quel acte d'instruction, en Suisse, rendrait possible leur identification et la recourante n'en propose aucun.

Par conséquent, seules des commissions rogatoires en Afrique du Sud et aux Seychelles pourraient, éventuellement, faire avancer la procédure.

2.3.1. Des demandes d'entraide dans ces deux pays sont toutefois difficilement envisageables (cf. www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer.html).

En effet, il n'existe aucun accord en la matière avec ces États. Rien ne garantit donc que de telles demandes y seraient reçues et encore moins traitées.

Ces démarches n'ont donc guère de chances d'aboutir.

2.3.2. À supposer que l'Afrique du Sud réponde tout de même à l’une de ces commissions rogatoires, il est peu probable que l'obtention des noms des titulaires des raccordements téléphoniques ayant servi à contacter la recourante, permette d'identifier leurs réels utilisateurs.

En effet, les auteurs prennent généralement soin de dissimuler leurs traces, soit en fournissant, aux entreprises de téléphonie, de fausses coordonnées, soit en usurpant des raccordements existants.

Or, rien ne laisse penser, ici, que les personnes impliquées auraient agi de façon moins prudente. Au contraire, elles ont, pour éviter que l'on ne remonte jusqu’à elles, tant recouru à de fausses société et plateforme en ligne que multiplié les transferts de bitcoins sur des adresses successives.

Partant, les chances de découvrir, via une telle commission rogatoire, les auteurs de l'infraction sont extrêmement ténues. La recourante en convient d’ailleurs, ayant qualifié, dans sa plainte, les perspectives de récupérer son argent de "quasiment nulles".

2.3.3. L'envoi d'une demande d'entraide aux Seychelles, pays où les bitcoins litigieux ont été versés sur des adresses appartenant à C______, ne se révèlerait guère utile.

En effet, un détenteur d'adresses de ce type n'a nul besoin, pour les utiliser, de transmettre des informations sur son identité.

Par conséquent, il faudrait, pour obtenir des renseignements potentiellement pertinents, que les personnes impliquées aient échangé lesdits bitcoins en monnaie "réelle" sur la plateforme seychelloise. Or, aucun élément du dossier ne permet de considérer que tel aurait été le cas.

Par ailleurs, un peu plus d'une année s'est écoulée depuis la commission de l'infraction. Aussi, les adresses concernées pourraient ne plus exister et les auteurs avoir continué de transmettre la crypto-monnaie dans d'autres contrées ou encore l’avoir utilisée, sans nécessairement la retirer, dans le cadre d'échanges par le biais des services liés à ce commerce.

Il s'ensuit que les chances de découvrir les personnes impliquées, moyennant une telle commission rogatoire, sont particulièrement restreintes. La recourante en est consciente, comme déjà dit.

2.3.4. Le dommage résultant directement de l’infraction s'élève, non à CHF 157'000.-, mais à CHF 12'000.- et EUR 65'000.-, sommes que la recourante a été progressivement amenée à verser, par les auteurs, entre les étés 2021 et 2022.

Ce montant est, certes, plus élevé que celui de l'affaire objet de l'ACPR/888/2021 – arrêt dans lequel la Chambre de céans a estimé qu’un préjudice de CHF 61'450.- était impropre à justifier, à lui seul, l'envoi de commissions rogatoires à l'étranger –. Il reste toutefois insuffisant pour justifier les démarches procédurales sus-évoquées, lesquelles, on l’a vu, n’ont que très peu de chances d’aboutir, respectivement de permettre l’obtention d’informations utiles.

2.4. À cette aune, les investigations envisageables, par le biais de demandes d'entraide internationale, dans deux pays différents, apparaissent disproportionnées et excessives au regard du complexe de faits, du dommage subi par la recourante ainsi que des chances de succès très limitées desdites démarches.

Il s’ensuit que la non-entrée en matière déférée est justifiée. La procédure pourra, le cas échéant, être reprise en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 précité).

Partant, le recours se révèle infondé.

3. La plaignante succombe intégralement (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).

Elle assumera, en conséquence, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

 

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF.

 

Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/15331/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00