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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13218/2020

ACPR/530/2023 du 12.07.2023 sur OCL/58/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.319; CP.251

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13218/2020 ACPR/530/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juillet 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Mirolub VOUTOV, avocat, rue Pierre-Fatio 12, 1204 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 16 janvier 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 27 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a rejeté sa réquisition de preuve et classé la procédure à l'égard de B______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de rouvrir l'instruction de la cause et de procéder à une expertise graphologique.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 24 juillet 2020, A______ a déposé plainte contre B______ pour faux dans les titres (art. 251 CP).

Ce dernier, "administrateur" de la société C______ SÀRL, avait signé plusieurs documents, en son nom à lui [A______], pour les faire valoir dans une procédure prud'homale les opposant.

Les documents en question sont:

- un contrat de travail entre lui, employé, et C______ SÀRL, employeur, daté du 30 octobre 2015, prévoyant un salaire horaire brut de CHF 27.40, pour quarante heures de travail hebdomadaire;

- un avenant, daté du 3 janvier 2017, modifiant son salaire mensuel brut à CHF 4'789.-;

- un second avenant, daté du 30 août 2017, stipulant un salaire horaire brut de CHF 28.- dès le 1er septembre suivant.

Il produit avec sa plainte:

- un rapport d'expertise de D______ du 7 mars 2020, concluant, sur la base de copies, et non des originaux, qu'il n'était pas "le scripteur signataire des trois signatures apposées" sur les documents susmentionnés;

- une demande en paiement du 1er avril 2020 déposée par lui contre C______ SÀRL auprès du Tribunal des prud'hommes (C/1______/2019), dans le cadre de laquelle, tout en prétendant n'avoir pas signé le contrat de travail du 30 octobre 2015, il concluait au versement de divers montants impayés à titre de vacances/jours fériés ou treizièmes salaires notamment calculés "sur la base d'un salaire de Frs. 29.50";

- des fiches de salaire couvrant la période de septembre 2015 à mars 2019, à teneur desquelles le salaire "horaire" de A______ variait, parfois d'un mois à l'autre, et s'élevait à certaines occasions à CHF 29.50.

b. Entendu par la police le 17 janvier 2020, B______ a expliqué avoir engagé A______ en 2015 et que les relations de travail s'étaient dégradées avec le temps. Il avait reçu une lettre du Syndicat E______ lui listant plusieurs prétentions de A______ et précisant que ce dernier n'avait pas signé le contrat de travail. Il trouvait cela "bizarre" car les prétentions avancées se basaient sur son contenu. A______ avait bien signé ce contrat de travail et ses avenants.

c. Le 9 juin 2021, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière, retenant que A______ n'avait pas contesté le contenu des documents contractuels qu'il alléguait être faux dans la procédure prud'homale contre B______. Il n'existait ainsi pas de soupçon suffisant contre ce dernier.

Après le recours déposé par A______ contre cette ordonnance, le Ministère public l'a retirée, ce qui a été constaté par la Chambre de céans dans un arrêt du 10 août 2021 (ACPR/526/2021).

d. Le 6 avril 2022, le Ministère public a tenu une audience de confrontation.

B______ a confirmé ses déclarations à la police, précisant avoir engagé A______ en septembre 2015 et que les contrats litigieux avaient été convenus avec le précité avant la survenance de leur litige.

A______ a déclaré que B______ avait établi le contrat litigieux pour le déclarer à la "caisse" mais son contenu ne correspondait pas à ce qui avait été convenu oralement. Il avait mis "un montant plus haut que ce qui a[vait] été vraiment payé". En 2016, il avait demandé à B______ un contrat de travail pour le produire dans le cadre de sa demande "Papyrus". Celui ainsi obtenu, et utilisé auprès des autorités, était celui daté du 30 octobre 2015 mais il n'avait pas signé sa partie. Il l'avait reçu déjà signé en son nom et B______ n'avait pas voulu en établir un nouveau. S'il avait lui-même signé le contrat de travail et les avenants, il n'aurait pas déposé plainte pour faux dans les titres.

D______ a confirmé la teneur de son expertise.

e. Par courrier du 5 mai 2022, A______ a expliqué "l'avantage illicite tiré" par B______.

Avec les documents litigieux, le précité avait pu déclarer un salaire brut inférieur auprès des assurances sociales, diminuant ainsi la charge pour C______ SÀRL et le lésant lui, par des carences dans ses cotisations.

f. Par courriers des 5 mai et 14 septembre 2022, B______ a exposé, en substance, qu'il n'avait aucun intérêt à signer les contrats à la place de A______ et que les documents reflétaient les conditions négociées avec celui-ci.

Il a également produit un procès-verbal du 13 septembre 2022 du Tribunal des prud'hommes, dans la cause C/1______/2019, à teneur duquel A______ avait déclaré n'avoir pas produit le contrat du 30 octobre 2015 au moment de faire sa "demande de permis de travail".

g. Le 5 décembre 2022, A______ a produit des justificatifs de paiement en lien avec un loyer qu'il versait à B______ pour la sous-location d'un logement au mois de mai 2015. Cela démontrait que "la relation contractuelle" existait avant le mois de septembre 2015, contrairement à ce qu'affirmait le précité.

h. En réponse à l'avis de prochaine clôture, A______ a, le 9 décembre 2022, sollicité une expertise graphologique afin d'établir si le contrat de travail et les deux avenants avaient été signés par B______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rejette la réquisition de preuve de A______ au motif qu'une nouvelle expertise de ce type s'avérerait vaine et disproportionnée.

B______ contestait les faits reprochés et affirmait avoir remis les documents litigieux à A______ pour signature. Ce dernier, niant avoir signé le contrat de travail, avait déclaré l'avoir produit avec sa demande de permis de séjour. Les déclarations des parties étaient ainsi contradictoires et aucun élément objectif ne permettait de corroborer une version plutôt qu'une autre. La conclusion de l'expertise privée du 7 mars 2020 devait être nuancée par le fait qu'elle se fondait sur des copies, et non sur des documents originaux, et qu'elle n'établissait pas encore que B______ était l'auteur des signatures.

D. a. Dans son recours, A______ soutient avoir subi une atteinte, par la production, auprès du Tribunal des prud'hommes, des documents litigieux, signés à sa place par un tiers, soit "très probablement" B______. En outre, il avait démontré qu'une relation contractuelle existait entre eux avant septembre 2015, contrairement aux affirmations du précité, lequel cherchait "à manipuler les faits afin que sa version soit retenue par le Ministère public et par le Tribunal des prud'hommes". Une nouvelle expertise pouvait permettre, à moindre frais, de déterminer si B______ était l'auteur des signatures litigieuses. Vu que des indices existaient de la commission de faux dans les titres, il n'était pas disproportionné d'ordonner un tel acte d'instruction.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recours a été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir.

2.2. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Tel est, en particulier, le cas du lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 p. 78).

Il incombe à la partie recourante d'alléguer les faits qu'elle considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir lorsque celle-ci n'est pas d'emblée évidente (arrêts du Tribunal fédéral 1B_339/2016 du 17 novembre 2016 consid. 2.1; 1B_242/2015 du 22 octobre 2015 consid. 4.2 et les références citées).

2.3. Le faux dans les titres (art. 251 CP) peut porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier s'il vise à nuire à une personne. Tel est le cas lorsqu’un document est présenté à un individu qui pourrait prendre des dispositions sur cette base (ATF 148 IV 170 consid. 3.5.1 p. 187-188), respectivement quand le faux constitue l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine (arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2021 du 13 janvier 2023 consid. 3.1.2).

2.4. En l'espèce, le recourant allègue être lésé par les documents litigieux dans le cadre de la procédure civile, alors qu'il les a lui-même produits à la juridiction prud'homale et qu'il a utilisé le contrat de travail pour sa demande de permis de séjour.

Dans ces circonstances, on peut douter que le recourant ait suffisamment établi son intérêt juridique à contester l'ordonnance querellée. La question peut toutefois souffrir de rester indécise, compte tenu de ce qui suit.

3.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir classé la procédure et rejeté sa réquisition de preuve.

3.1. Selon l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la cause lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), respectivement quand les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette décision doit être prise en application du principe "in dubio pro duriore", selon lequel une procédure ne peut être close que s'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables (ATF 146 IV 68 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_516/2021 du 20 décembre 2022 consid. 2.4.1).

3.2. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.

Cette disposition vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l'auteur réel du document ne correspond pas à l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2 p. 14 s.).

3.3. En l'espèce, le recourant prétend n'avoir jamais signé le contrat de travail du 30 octobre 2015 et les deux avenants consécutifs. Il affirme également que le contenu de ces documents ne refléterait pas les accords convenus oralement avec le prévenu. Ce dernier conteste l'une et l'autre de ces accusations.

En l'état, il est impossible de déterminer qui est réellement le signataire des documents litigieux puisque les versions des deux protagonistes sont contradictoires. L'expertise privée produite par le recourant, portant sur des copies et n'ayant au demeurant la valeur que d'un simple allégué (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 359), ne permet pas de trancher la question.

On peut toutefois constater que le prévenu n'avait pas de réel intérêt à fabriquer les documents dans leur teneur actuelle.

En effet, si le recourant a affirmé que l'intéressé y avait inscrit des montants plus élevés que ceux qu'il avait perçu, force est toutefois de constater que les salaires horaires bruts mentionnés dans les trois documents litigieux sont, la plupart du temps, inférieurs à ceux stipulés dans les fiches de salaire et notamment celui de CHF 29.50, sur lequel il fonde sa demande en paiement. Par ailleurs, le recourant a également soutenu que le prévenu cherchait, par ce biais, à diminuer les charges sociales de sa société. Cette affirmation – contradictoire avec la précédente – semble sans portée, dès lors que les cotisations sociales sont prélevées sur les salaires effectivement versés, lesquels ne coïncidaient pas à ceux stipulés contractuellement.

Faute d'intérêt à agir de la sorte, on peut ainsi douter que le prévenu ait signé à la place du recourant.

En outre, au cours de son audition, ce dernier a admis avoir utilisé, en 2016, le contrat de travail litigieux pour sa demande de permis de séjour "Papyrus" et produit ce même document à l'appui de sa demande en paiement adressée au Tribunal des prud'hommes.

Le recourant a encore expliqué que, s'il avait lui-même signé lesdits documents, il n'aurait pas porté plainte pour faux dans les titres.

Ces éléments laissent à penser que, malgré ses dénégations à ce sujet, le recourant connaissait, ou à tout le moins, acceptait le contenu des différents contrats. Leur teneur apparaît donc couverte par son consentement préalable. Pour cette raison, vouloir identifier le réel auteur s'avère vain puisque c'est la nature même de faux qui fait défaut en l'occurrence.

En résumé, en l'absence d'élément permettant d'établir que le prévenu aurait signé, à la place du recourant, les documents litigieux et que ceux-ci ne seraient pas conformes à la réalité, il n'existe pas de prévention pénale suffisante à l'égard du précité.

À titre superfétatoire, l'existence d'une relation contractuelle – de type bail à loyer – antérieure au contrat de travail est sans pertinence pour la cause et inefficace à remettre en cause la force probante des déclarations du prévenu.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13218/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'200.00