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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3072/2018

ACPR/469/2023 du 20.06.2023 sur OMP/19335/2022 ( MP ) , ADMIS

Recours TF déposé le 25.07.2023, rendu le 14.02.2024, ADMIS, 7B_366/2023
Descripteurs : SOUPÇON;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;ACTION PÉNALE PRIVÉE;PARTIE CIVILE;RETARD INJUSTIFIÉ;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.104; CPP.115; CPP.119; CPP.197; CPP.267; CPP.382

république et

canton de AB______[Suisse]

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3072/2018 ACPR/469/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 20 juin 2023

Entre

 

A______ SA, comparant par Mes AF______, AG______, AH______ et AI______, avocats, faisant élection de domicile en l'Étude AJ______, Genève,

recourante,

 

contre les ordonnances rendues le 7 novembre 2022 par le Ministère public,

 

et

 

B______ et C______ INC., comparant par Mes Jean-Marc CARNICÉ et Guglielmo PALUMBO, avocats, Bianchischwald Sàrl, rue Jacques-Balmat 5, case postale 5839, 1211 Genève 11,

D______, comparant par Mes Daniel TUNIK et Jean-René OETTLI, avocats, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de AB______[Suisse], route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par actes expédiés au greffe de la Chambre de céans le 18 novembre 2022, A______ SA (ci-après : A______) recourt contre les dix ordonnances du 7 précédent, notifiées le 8 novembre 2022, par lesquelles le Ministère public a levé les séquestres frappant des comptes bancaires de B______, D______ et C______ INC.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement à la réforme des ordonnances querellées, en ce sens que ces séquestres sont maintenus. Elle demandait aussi l’effet suspensif, lequel lui a été accordé le 22 novembre 2022 (OCPR/55/2022).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Sur plainte de A______, déposée au mois de février 2018, le Ministère public instruit une enquête contre différentes personnes – dont B______, D______ et E______ –, employés ou prestataires de services pour le groupe C______, des chefs de corruption d'agents publics étrangers (art. 322septies CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), respectivement de soustraction de données (art. 143 CP).

A______ allègue que les montants corruptifs perçus auprès de sociétés de négoce pétrolier étaient reversés « [à ses] employés en moyenne une semaine après la réception des fonds sur les comptes de C______ ou des sociétés panaméennes contrôlées par B______ et D______, et ce depuis ces mêmes comptes » (pièce PP 100'022). L’un de ses cadres supérieurs corrompus serait F______, alias F______. Chez G______, le trader compromis s’appellerait H______ [recte : H______].

b.        A______ a déclaré se constituer partie plaignante exclusivement au pénal. Contesté à deux reprises (ACPR/724/2018 du 4 décembre 2018 ; ACPR/798/2019 du 15 octobre 2019), ce statut lui a été définitivement reconnu par le Tribunal fédéral (arrêts 1B_554/2018 du 7 juin 2019 et 1B_549-1B_550-1B_553/2019 du 10 mars 2020).

c.         Formellement mis en prévention des infractions susmentionnées le 23 novembre 2020, B______ et D______ rejettent toutes les accusations portées contre eux. Ils n’auraient jamais payé de pot-de-vin à quiconque chez A______ pour obtenir des informations confidentielles (pièces PP 500'142, 500'149).

B______ soutient que le litige relève d’intérêts privés, exploité par des individus avec lesquels il est en conflit personnel (not. pièce PP 501'734). Il a expliqué avoir fait la connaissance de D______, actif dans le négoce pétrolier, après avoir quitté (en juin 2004) A______, pour laquelle il avait brièvement travaillé ; il avait acquis une société dormante préconstituée (« shelf company »), I______ Inc., puis en avait laissé la moitié des parts à D______, qui avait fait de même avec sa propre « shelf company », J______ SA., avant qu’ils n’acquièrent C______ INC. Ils avaient voué C______ INC., qu’ils étaient parvenus à faire enregistrer auprès de A______, au négoce international de pétrole, tandis que I______ Inc. et J______ SA se consacraient à la consultance dans ce domaine.

B______ et D______ ont recruté E______, qui avait travaillé longtemps chez A______ et dont l’arrivée chez C______ INC. avait marqué l’essor de l’activité de négoce. Selon eux, il était arrivé que E______ perçût sa rémunération (salaire, bonus et participations) sur le compte de sa société K______ Inc. (dont elle est l’ayant droit économique pour moitié, pièce PP 325'076) par le débit des comptes de I______ Inc. ou de J______ SA.

Pour faire face au développement des affaires, ils ont constitué C______ Ltd, succursale de C______ INC., à L______ (Jersey), qui créera elle-même une succursale à AB______[Suisse] – ces trois entités formant « le groupe C______ », dont C______ INC. est la holding –.

Il ne leur a pas été posé de questions sur leurs liens avec H______ ou F______.

d.        Le comptable externe de C______ INC. et l’animatrice du bureau ______[nom de la ville] de la société ont été appréhendés et interrogés, à AB______[Suisse], voire brièvement détenus, avec saisie de fichiers informatiques. Des commissions rogatoires internationales ont été décernées à Curaçao, en Espagne et aux États-Unis. Le représentant de la succursale de AB______[Suisse] de C______ Ltd (L______) a été entendu à titre de renseignements.

Ces différents actes de procédure n’ont pas amené d’éléments immédiatement utiles à la résolution du présent litige.

e.         Un détective privé, mis en œuvre aux États-Unis et «indirectement » mandaté par A______ (pièce PP 400'007) après que l’ex-épouse de B______ l’eut laissé accéder à un ordinateur utilisé par celui-ci (pièce PP 400'003), a été entendu par la police et par le Ministère public ; il affirme que D______ et B______ sont à l’origine de la fraude. Il affirme aussi avoir fourni toute documentation utile, notamment sous la forme de fichiers informatiques et d’une « combinaison d’informations et de renseignements » (pièce PP 401'005), qui devraient permettre au Ministère public de déterminer « s’il y a un cas pénal important » (pièce PP 501'205).

f.         Par ailleurs, un serveur informatique, utilisé par le comptable de C______ INC. à AA______ [USA], a été transmis au Ministère public au printemps 2018. Les scellés qui y furent apposés à réception ont été levés, partiellement, par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC), le 27 août 2018.

À teneur des ordonnances attaquées, les fichiers rendus accessibles n’ont pas été exploités à ce jour.

g.        Dès le 19 février 2018, le Ministère public a ordonné successivement la saisie des relations bancaires détenues à AB______[Suisse], AC______[Suisse] ou AD______[Suisse] par :

·         B______ : auprès de M______(quelque USD 620'000.- saisis) et (sous le pseudonyme N______) auprès de O______(quelque USD 50'000.- saisis) ;

·         D______ : auprès de Z______ (près de USD 3 millions saisis) ;

·         C______ INC. : auprès de P______ (quelque USD 4'600'000.- saisis) ;

·         I______ Inc. : auprès de P______ (USD 164'000.- saisis) ;

·         J______ SA : auprès de P______ (environ USD 100'000.- saisis) ;

·         Q______Corp., dont B______ et D______ sont les ayants droits économiques et signataires : auprès de P______ (environ USD 19'000.- saisis) ;

·         R______SA, dont D______ est l’ayant droit économique et signataire : auprès de P______ (environ USD 605'000.- saisis) ;

·         S______, fille (née en 1983) de D______ : auprès de P______ (EUR 1'709'000.- saisis).

Ces ordonnances, identiques, renvoient pour motivation à l’art. 263 CPP.

h.        Le 24 juin 2021, le Ministère public a prié A______ de verser au dossier la liste :

·                    des transactions censées reposer sur de la corruption ;

·                    des courtiers et des sociétés de négoce avec lesquels A______ était encore en relation d’affaires ;

·                    des sociétés de négoce qui avaient accédé à son serveur ;

·                    du personnel qu’elle avait licencié par suite des faits dénoncés (pièces PP 603'645 s.) ; et

·                    de ses signataires autorisés pour adjuger les appels d’offre.

i.          Le même jour, le président du conseil d’administration de A______ a rappelé au Ministère public que la société était constituée partie plaignante au pénal [uniquement], expliquant que les intérêts civils avaient été confiés à un cabinet d’avocats américains. Assurant le Ministère public de sa volonté de coopérer, il promettait de livrer aussi vite que possible la documentation demandée.

j.          A______ s’est exécutée le 23 août 2021, en tant que ses règles internes de conservation (d’une durée de dix ans) le lui permettaient. La liste d’entreprises ayant remporté des appels d’offre et celle des dirigeants ayant adjugé ceux-ci suivraient, de même que les pièces étayant l’intrusion informatique. Le calcul du dommage n’était pas encore possible et dépendrait de démarches ultérieures du cabinet d’avocats américain.

k.        Entendus au printemps et à l’automne 2021, les représentants de A______ ont, en bref, renvoyé aux explications qu’avait données ou que donnerait encore leur enquêteur ; ils ont évoqué la taille, relativement petite, de C______ INC., par rapport à ses concurrents dans le négoce mondial de pétrole, pour être parvenue ce nonobstant à être enregistrée officiellement comme un partenaire commercial de A______ ; cette habilitation avait été traitée par un service spécialement consacré à ces questions au sein de l’entreprise. Ils n’avaient pas entendu parler qu’un serveur « clone » eût été installé au sein de A______ ni que des recherches eussent été menées à ce sujet. L’intervention des prévenus au sein de A______ après qu’ils eurent quitté l’entreprise relevait de la concurrence déloyale en matière d’appels d’offres (pièce PP 500'958 ; cf. pièce n° 29 annexée à la plainte pénale = pièce PP 100'420).

l.          Le 10 février 2022, A______ a fait parvenir au Ministère public copie des contrats de travail l’ayant liée à F______ (entre 2003 et 2018) et à la femme de celui-ci (entre 2003 et 2017). Leurs salaires respectifs n’ont jamais dépassé l’équivalent de quelque USD 2'500.- par mois, alors que, selon A______, J______ SA leur a versé, sur le compte de Y______ Inc. dont F______ est l’ayant droit économique, une fois USD 100'000.-, en 2011, et USD 20'000.- par mois à titre de consultant, en 2014 : la plaignante y voit autant de paiements corruptifs.

m.      Les 21 et 22 février 2022, F______ a été entendu en qualité de prévenu de corruption d’agents publics étrangers, blanchiment d’argent et soustraction de données, notamment pour s’être vu offrir des avantages indus alors qu’il était employé de A______ « et/ou » pour avoir offert, promis ou octroyé de tels avantages à des employés de celle-ci.

F______ a commencé à travailler pour A______ en 2003 et continué jusqu’en 2018, où il affirme avoir donné sa démission (et non été licencié) d’une co-entreprise réunissant A______ et une compagnie pétrolière américaine, parce qu’un jeune moins expérimenté l’avait supplanté. Il a quitté le Venezuela en raison de la situation générale du pays. Il n’a pas occupé de fonction dirigeante, dans un département lié au négoce du pétrole ou dans un autre département de A______ ; tout au plus, comme d’autres, recevait-il les appels d’offres et informait-il ensuite les gagnants, choisis par un comité dont il n’a jamais été membre. Il ne pouvait rien influencer. Ses contacts avec certains offrants tels que T______ n’étaient pas différents de ceux qu’il avait avec d’autres négociants. Il ignorait tout d’un serveur « clone » dissimulé chez A______. Il affirmé que tout le monde, au Venezuela, se livrait à des opérations de change, en raison de l’inflation galopante. Il avait géré le patrimoine de son père, issu principalement d’une usine, expropriée pour l’équivalent en monnaie locale de USD 3'500'000.-. Sa femme a travaillé aussi pour A______, mais dans les services administratifs. Il a développé des liens d’amitié avec B______ dès 2003 et avait tout au plus entendu parler de D______. Le premier nommé l’a aidé à constituer une société off-shore [U______Corp.] pour ses opérations de change et lui fournissait des dollars via I______ Inc. et J______ SA [jusqu’en 2006, sur un compte de U______Corp. à Curaçao].

De la même façon, Y______ Inc. a reçu en Suisse des fonds de J______ SA, d’abord sur un compte précédant celui ouvert à la banque V______, puis à quatre reprises dans cette banque, entre juillet 2013 et juin 2015.

Les références mentionnées sur d’autres transferts n’évoquent rien de précis à F______.

Les messages électroniques de 2005 lui ont été présentés, mais il n’a pas la moindre idée de qui était F______. Il n’a vu, dans certains termes évoquant des effacements ou des suppressions, et en l’absence d’autres éléments (chiffres, comptes, transactions), que l’expression d’une volonté de discrétion dans un pays qui exerçait un contrôle des changes.

Pour le surplus, il a refusé de répondre à toute question de A______.

n.        Convoqué pour être entendu contradictoirement, à titre de renseignements (art. 178 let. d CPP), H______ a comparu le 24 février 2022, mais refusé de répondre à la quasi-totalité des questions, invoquant le Ve amendement à la Constitution des États-Unis, en raison d’une demande d’entraide présentée par ce pays à la Suisse.

o.        Dès le 23 mars 2022, par une requête fouillée, B______ et D______ ont demandé la levée de tous les séquestres frappant leurs avoirs. Pendant quatre ans, A______ s’était montrée incapable d’illustrer le moindre appel d’offres fallacieux, taisant – voire niant – notamment qu’une plainte pénale déposée au Venezuela à raison des mêmes faits s’était soldée par un classement, définitif. Les pièces fournies par A______ étaient probablement issues d’un ordinateur volé à B______ ; et les représentants de A______ entendus en procédure n’avaient fait que renvoyer aux investigations conduites sur ces données mal acquises par le détective privé américain. Cet enquêteur, mis en œuvre par un individu douteux et par l’ex-femme de B______, était proche d’un trust de recouvrement d’avoirs de A______, constitué aux États-Unis à des fins lucratives auxquelles il était intéressé. Rien ne montrait qu’un serveur informatique « clone » aurait été installé au sein même de A______, au Venezuela. Les soupçons nécessaires au maintien prolongé d’un séquestre ne s’étaient pas renforcés. Le Ministère public avait été induit en erreur, et la justice instrumentalisée.

p.        Le 22 juillet 2022, A______ s’est opposée à la requête, produisant force pièces, réunies dans douze classeurs, et formulant ou réitérant sept réquisitions de preuve, notamment des ordres de dépôt ou de perquisitions dans des sociétés de négoce pétrolier. Les ordres de dépôt déjà décernés par le Ministère public avaient permis de mettre au jour un nombre « colossal » de flux, et pour un montant total encore plus élevé que celui estimé dans la plainte. Les explications données par les prévenus à ce sujet n’étaient pas sérieuses ; ils n’avaient jamais produit de preuve de transactions licites. Leur argumentaire à l’appui de la levée des séquestres était essentiellement formel. La durée de la procédure était imputable à eux seuls. Le mécanisme corruptif qu’ils avaient mis en œuvre s’apparentait à celui de l’affaire [de corruption politique dite] W______ [Brésil].

A______ a annexé à ces déterminations plus de septante contrats qu’elle avait passés avec C______ INC. pendant la période visée dans sa plainte. Son service juridique s’attelait à y identifier ceux qu’elle supposait entachés de corruption.

q.        Le 22 novembre 2022, B______, D______ et C______ INC. ont demandé au Ministère public d’ordonner le classement de la procédure.

r.         Le 25 mai 2023, le Ministère public a rendu deux ordonnances relatives au versement au dossier de pièces (fichiers ou documents) sur lesquelles le TMC avait préalablement levé les scellés, notamment le 27 août 2018 (cf. let. B.f. supra).

C. Dans les décisions querellées, rédigées en termes identiques, le Ministère public, après avoir récapitulé les principaux développements de son instruction et rappelé les conditions des art. 197, 263 et 267 CPP, met en évidence le classement des poursuites ouvertes au Venezuela. Ses interrogations sur les transactions illicites n’avaient reçu aucune réponse, car les contrats communiqués par A______ étaient encore à l’examen par les juristes de celle-ci. La participation d’autres sociétés de négoce pétrolier que C______ INC. n’était toujours pas étayée. Cela étant, des fichiers électroniques saisis à AB______[Suisse] n’avaient pas encore été exploités, de même que ceux contenus dans « l’image » du serveur de A______ à AE______[Venezuela], faute de critères de tri suffisamment sélectifs. Six supports informatiques devaient encore être examinés en vue de versement au dossier. Les soupçons initiaux n’avaient pas « totalement et définitivement » disparu, mais les éléments réunis en l’état, soit après quatre ans et demi d’instruction, ne renforçaient pas la perspective d’une confiscation des valeurs patrimoniales saisies.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reprend, en substance, son argumentaire du 22 juillet 2022.

Elle fait valoir que les soupçons d’infractions pénales se sont renforcés, quand bien même une multitude d’investigations resterait à entreprendre – ce que le Ministère public admettait lui-même –. Selon doctrine et jurisprudence, elle n’avait pas à identifier chaque contrat entaché de corruption ; seul, un rapport de connexité suffisait, au sens de l’art. 322septies CP. Elle avait pu désigner deux de ses employés mêlés à la fraude, dont F______, ainsi que des négociants externes, dont H______, le cas échéant, à travers sa société X______ Ltd [les avoirs des trois prénommés font l’objet de recours séparés]. Les prévenus n’avaient fourni aucune explication plausible et sérieuse sur les flux suspects, qu’ils justifiaient par des opérations de change et de compensation, et refusaient de répondre à ses questions. Des mises en prévention complémentaires avaient été notifiées, dues à la seule initiative du Ministère public. On ne pouvait donc plus limiter l’enquête au seul groupe C______.

Par ailleurs, A______ reprend son parallèle avec l’affaire W______, dans laquelle serait impliqué Antonio H______ et qui présenterait des similitudes « flagrantes » avec la présente cause.

Quant à F______, qui avait fui le Venezuela dès l’ouverture des poursuites en Suisse, des courriels pour le moins douteux établissaient ses contacts avec B______ et D______ ; il avait reçu, en provenance de J______ SA ou I______ Inc., des sommes d’argent importantes sur les comptes de Y______ Inc. ou U______Corp., que lui ou des membres de sa famille détenaient. Ses explications ne concordaient pas avec celles de B______.

Elle soutient qu’une durée de quatre ans ne pouvait signifier que la procédure s’éternisait. L’origine en serait alors à rechercher chez les prévenus, exclusivement. Or, le Ministère public en faisait supporter les conséquences à la partie plaignante, qui n’avait eu que très tardivement accès au dossier.

b. Au terme d’une réponse détaillée, B______, D______ et C______ INC. proposent de rejeter les recours. Ceux-ci avaient été rédigés à l’aveuglette, à l’appui d’une plainte « désuète » et démentie par l’état de l’instruction ; ils passaient sous silence l’abandon des poursuites au Venezuela. A______, par des représentants peu au fait de l’instruction pénale helvétique, voire déjà de l’existence de celle-ci, avait refusé de s’exprimer en audience sur les propres pièces qu’elle avait produites. L’audition contradictoire de son prétendu détective, répudié lorsque la procédure civile américaine dans le cadre de laquelle il avait été mandaté avait commencé à « pécloter » (sic), avait tourné à la confusion de A______.

En réalité, les soupçons s’étaient effondrés. Aucune donnée confidentielle n’avait été exploitée. Aucun accès indu dans l’informatique de A______, et notamment pas par E______, n’était établi. Aucun paiement corruptif n’avait été identifié. L’argumentaire de la recourante visant H______ s’épuisait dans des coupures de presse sur l’affaire W______. F______ n’avait jamais été en situation d’influencer l’attribution de marchés ni même de dévoiler des informations confidentielles. Ses opérations de change n’avaient rien d’insolite dans un pays comme le Venezuela. Le dommage « pharaonique » invoqué par A______ n’avait pas trouvé de concrétisation. Du reste, C______ INC. ne s’était vu attribuer que 12 % des adjudications entre octobre 2016 et mars 2017 et avait même renoué ses relations commerciales avec A______ après le classement de la procédure pénale vénézuélienne. Il était choquant que septante contrats eussent été produits après quatre ans de procédure, et non avant la formulation des graves accusations visant les prévenus. Or, des flux financiers, aussi importants fussent-ils, ne suffisaient pas à eux seuls pour établir la relation d’équivalence exigée en droit de la corruption. A______, quoi qu’il en soit, n’en désignait pas un qui eût été illicite.

Le corollaire en était la levée des saisies pénales, qui perduraient sans nécessité.

La demande de prononcer un classement, voire la poursuite de l’instruction par l’exploitation de supports électroniques, pouvaient être traitées indépendamment.

c. Le Ministère public propose de déclarer les recours irrecevables, faute pour A______ de s’être constituée partie plaignante aussi au civil. Sur le fond, il s’en tient à la motivation de ses décisions.

d. A______ réplique que, selon la jurisprudence, la limitation au pénal de sa constitution de partie plaignante ne la privait pas de la qualité pour agir contre une levée de séquestres pénaux.

e. B______, D______ et C______ INC. ont renoncé à dupliquer.

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne des ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 267) et émane de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), définitivement reconnue comme telle (arrêt du Tribunal fédéral 1B_554/2018 du 7 juin 2019 ; ACPR/724/2018 du 4 décembre 2018).

1.2. Le Ministère public fait valoir que la recourante n’aurait pas d’intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP), au motif qu’elle s’était uniquement constituée partie plaignante demanderesse au pénal (art. 119 al. 2 let. a CPP) et plaidait au civil aux États-Unis.

1.2.1. Au sens de l'art. 382 al. 1 CPP – disposition générique en matière de qualité pour recourir (ATF 139 IV 78 consid. 3.1 p. 80) –, l'exigence de l'intérêt juridiquement protégé n'a pas à s'interpréter dans un sens étroit ; elle n'impose pas la prise effective de conclusions civiles dans la procédure pénale. Le CPP reconnaît au lésé une vocation strictement pénale à intervenir dans la procédure pénale. Le cas échéant, la partie plaignante peut faire valoir ultérieurement ses prétentions. Qui plus est, le rôle procédural que lui autorise l'art. 119 al. 2 let. a CPP sous-tend un intérêt juridique indépendamment de toute prétention civile : il suffit d'être lésé, c'est-à-dire une personne dont les droits – soit les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la propriété, l'honneur, etc. – ont été touchés directement (art. 115 al. 1 CPP) par une infraction (ATF 139 IV 78 consid. 3.3.3 p. 82). Elle pourrait toutefois n’avoir aucun intérêt juridiquement protégé à recourir si la décision prise s’avérait sans lien avec d’éventuelles prétentions civiles (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 11 ad art. 382).

1.2.2. En l’espèce, les prévenus, intimés, sont soupçonnés, notamment, de corruption d’agents publics étrangers (art. 322septies al. 1 CP). Les dispositions réprimant la corruption, au sens large, d'agents publics (art. 322ter ss. CP; Titre 19 du CP) visent à protéger l'objectivité et l'impartialité du processus décisionnel étatique, de même que la confiance de la collectivité dans l'objectivité et la non-vénalité de l'action de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 6B_220/2022 du 31 octobre 2022, destiné à la publication, consid. 1.2). La recourante, société quasi étatique entièrement détenue par l’État du Venezuela (arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2021-1B_602/2021-1B_603/2021 du 6 septembre 2022 consid. 2.4), est donc lésée dans ses intérêts juridiques par la corruption présumée de l’un ou l’autre de ses employés, telle que la réprime, en Suisse, l’art. 322septies al. 1 CP. En outre, la décision attaquée est susceptible d’empêcher le juge du fond de confisquer et lui allouer les valeurs saisies, si elle décidait de prendre des conclusions civiles dans la suite de la procédure. Rien ne s’oppose, en effet, à ce que le lésé se constitue partie plaignante en deux temps (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 8 ad art. 119).

A______ a par conséquent qualité pour recourir. Le chiffrage de son dommage n’est pas nécessaire.

1.3. La qualité d’ayants droit économiques des intimés, pour les comptes dont ils ne sont pas titulaires, ne paraît pas devoir faire obstacle à la recevabilité de leurs observations. Le Ministère public avait de toute façon notifié les décisions attaquées non pas aux sociétés off-shore concernées, mais aux intimés personnellement. Par ailleurs, à la fois titulaires de certaines relations et prévenus, c’est-à-dire participants à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et 105 al. 1 let. f CPP), les intimés ont le droit d’être entendus.

En revanche, D______ ne peut représenter sa fille, S______, qui est majeure.

2.             Non seulement la motivation des décisions attaquées, mais aussi la teneur des observations des intimés (communes à tous les recours) s’inscrivent dans un même arrière-plan. Aussi les recours seront-ils joints. La cause sera tranchée par un seul arrêt.

3.             La recourante conteste la levée des séquestres.

3.1.       Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP), qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

L’origine ou l’utilisation criminelle de biens est un motif qui justifie leur saisie provisoire, à titre conservatoire (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 7 ad art. 263).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées) ; comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit, car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les références).

Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués ou restitués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). Les probabilités d'une confiscation doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 96).

3.2.       À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit. Le séquestre ne peut être levé que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (ATF 140 IV 133 consid. 4.2.1 ; 139 IV 250 consid. 2.1).

Un séquestre doit aussi être levé si la mesure devient disproportionnée, ce qui est, en particulier, le cas lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247; arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2021 du 19 avril 2022 consid. 2.1). La situation s'examine notamment au vu du stade de l'enquête, de la complexité de l'affaire, du nombre de parties, des éléments d'extranéité et des mesures d'instruction en cours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_117/2022 du 18 mai 2022 consid. 4.1.).

3.3.       L’art. 322septies al. 1 CP punit – au titre de la corruption active d’agents publics étrangers – celui qui aura offert, promis ou octroyé un avantage indu à une personne agissant pour un État étranger ou une organisation internationale en tant que membre d’une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire, en tant qu’expert, traducteur ou interprète commis par une autorité, ou en tant qu’arbitre ou militaire, en faveur de cette personne ou d’un tiers, pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation. L’art. 322septies al. 2 CP – au titre de la corruption passive d’agents publics étrangers – celui qui, dans les mêmes qualités que ci-dessus, aura sollicité, se sera fait promettre ou aura accepté, en sa faveur ou en faveur d’un tiers, un avantage indu pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation.

3.4.       En l'espèce, se référant à l’art. 267 CPP, le Ministère public laisse entendre, d’une part, que « le » motif, non précisé, à l’origine des séquestres aurait « disparu » ; mais, d’autre part, il concède qu’il resterait des investigations – dûment énumérées – à entreprendre et, même, que les soupçons initiaux n’auraient pas « totalement et définitivement » disparu.

En cela, les ordonnances querellées sont empreintes d’une contradiction irréductible.

De surcroît, l’énonciation même des investigations encore réalisables, voire expressément prévues, tend à montrer que subsiste la perspective d’une confiscation des valeurs patrimoniales touchées. Ainsi, pour ne citer qu’eux, ni le serveur informatique de C______ INC. obtenu depuis AA______ [USA] ni les appareils saisis à AB______[Suisse] n’ont été exploités, même de façon embryonnaire. Or, ce matériel est en mains de l’autorité pénale. Sans doute l’absence de mots-clé est-elle de nature, comme s’en plaint le Ministère public, à compliquer la ségrégation des fichiers électroniques pertinents. S’agissant de corruption d’agents publics étrangers, l’étape la plus évidente, si ce n’est la plus expédiente, paraît tout de même de se faire fournir les noms des employés qui, au sein de la partie plaignante, sont soupçonnées d’avoir été achetés par les prévenus. La recourante allègue en effet, dans sa plainte, que les montants « promis » étaient reversés « [à ses] employés ( ) après la réception des fonds sur les comptes de C______ ou des sociétés panaméennes contrôlées par B______ et D______, et ce depuis ces mêmes comptes » (pièce PP 100'022). Cette allégation tend par ailleurs à éclairer le sort qui pourrait être réservé aux fonds séquestrés, à savoir compenser, au sens de l’art. 71 al. 1 et 3 CP, les valeurs patrimoniales qui ont directement servi à corrompre des employés de la recourante. Ultérieurement, les représentants de celle-ci, lors de leurs auditions, ont livré moult détails sur les processus décisionnels, les organigrammes et les services concernés. Ces renseignements contribuent à resserrer quelque peu le périmètre des personnes physiques à identifier ; des e-mails, avec des noms, ont été mis en exergue.

Certes, se réfugier, comme le fait la recourante, derrière le rapport d’équivalence nécessaire en droit de la corruption (cf. M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 19 ad art. 322ter) ne suppléera pas à plus long terme à la nécessaire mise en évidence d’actes viciés précis et de flux de fonds précis, ne serait-ce que pour chiffrer le montant de l’éventuelle créance compensatrice.

Si la jurisprudence n’exige pas de preuve concrète d’un pacte de corruption pour chaque avantage indument perçu ni pour chaque contre-prestation litigieuse, la preuve d’une telle connexité peut être recherchée sur des critères objectifs, tels que le montant de l’avantage, la proximité dans le temps entre prestation et contre-prestation, la fréquence des contacts entre les suspects, la relation entre le domaine d’activité du corrupteur et la fonction de l’agent public (op. cit., n. 21 ad art. 322ter).

À cet égard, la mise en évidence, par la recourante, de la petite taille du groupe C______ sur le marché du pétrole, en comparaison avec celle d’autres négociants et courtiers, n’est pas dénuée de pertinence. Tout comme ne l’est pas non plus le fait que C______ INC., selon les intimés, ne se serait vu attribuer « que » 12 % des adjudications de A______ entre octobre 2016 et mars 2017 : cette proportion représente tout de même près d’une transaction sur huit, qui plus est, sur un seul semestre, alors que le Venezuela traversait une période d’instabilité et une crise constitutionnelle (cf. les mesures prises sur ces entrefaites par la communauté internationale, telles que les récapitule l’arrêt du Tribunal fédéral 1B_601-602-603/2021, précité, consid. 3.4).

Reliés les uns aux autres, ces éléments peuvent être considérés comme suffisamment insolites pour intéresser l’autorité pénale et appuyer le maintien des séquestres.

Les intimés paraissent aussi avoir joué un rôle différent de celui d’autres prévenus ou quasi-prévenus (au sens de l’art. 178 let. d CPP).

Seuls anciens collaborateurs de la recourante dont des avoirs sont touchés par la procédure pénale en cours en Suisse, F______ et E______ ont occupé, qui au sein de la recourante, qui au sein de C______ INC., des positions décisionnelles qui paraissent avoir été subordonnées, quand bien même leurs salaires, primes ou intéressements s’avèrent substantiels.

Quant à H______, il n’est ni allégué ni établi qu’il aurait travaillé pour la recourante ou instigué les intimés.

À l’inverse, les intimés sont les créateurs du groupe C______ ; ils ont recruté E______. La plainte pénale en fait les véritables concepteurs d’un système corruptif. Le détective privé les place au centre du dispositif frauduleux. Ils se situent à un autre niveau de responsabilité.

La position du Ministère public et l’état du dossier permettent donc de considérer que les charges d’actes corruptifs restent suffisantes, en ce sens qu’elles ne se sont pas amoindries avec l’écoulement du temps depuis le prononcé des saisies.

Par ailleurs, et pour le même motif – quand bien même les intimés ont demandé une décision de classement, postérieurement aux ordonnances attaquées –, la procédure contre eux n’apparaît pas sur le point de se clore par un abandon des poursuites, faute de quoi le Ministère public l’eût prononcé en même temps que la levée des séquestres (cf. art. 320 al. 2, 1ère phrase, CPP). C’est si vrai que le Ministère public a montré dans l’intervalle, par ses ordonnances du 25 mai 2023, qu’il entend poursuivre ses investigations.

3.5.       La durée de l’instruction ne change rien à ce qui précède.

On ne saurait soutenir que la procédure s’éterniserait.

L’instruction a été ouverte en 2018 et conduite sans désemparer depuis lors, autant que l’autorisait la liquidation des contestations procédurales survenues dans l’intervalle. On ne discerne pas de temps mort. Les intimés n’en pointent d’ailleurs aucun. Cinq années de procédure n’atteignent pas une durée excessive dans une cause présentant autant d’éléments d’extranéité, principalement avec le Venezuela et les États-Unis. Il a été admis qu’une durée de six ans, en elle-même importante, peut s'expliquer par la complexité de la cause, son caractère international, ainsi que par l'attitude des États étrangers, si l'instruction n'a pas connu de retards inadmissibles (arrêt du Tribunal fédéral 1B_312/2010 du 8 décembre 2010 consid. 4.2.).

Or, si les séquestres se prolongeaient indûment, un délai pourrait être fixé au Ministère public pour procéder aux actes nécessaires et clôturer l'enquête. Cette faculté n'est cependant pas toujours ouverte lorsque le retard dépend de résultats de commissions rogatoires à l'étranger (arrêt du Tribunal fédéral 1B_193/2016 du 18 juillet 2016 consid. 4.1.), a fortiori lorsque l’obtention de preuves dans l’État à solliciter, ici au Venezuela, est réputée difficile (https://www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer/laenderindex.html, page Venezuela consultée le 16 juin 2023).

On n’en est cependant pas là, en l’espèce.

Des éléments encore inexploités sont en mains du Ministère public. La recourante peut produire spontanément, et s’y est d’ailleurs engagée, toute pièce probante, qui plus est sans être liée aux règles sur l’entraide pénale internationale. Ses intérêts civils sont représentés aux États-Unis, avec lesquels la coopération judiciaire est d’autant moins problématique qu’un traité d’assistance judiciaire lie cet État à la Suisse.

4.             4.1 Les soupçons à l’appui de corruption active de fonctionnaires étrangers étant suffisants, il est inutile d’examiner les charges à l’appui d’un éventuel blanchiment de cet argent, pas plus que celles d’une éventuelle soustraction de données, dont le résultat ne serait de toute façon pas l’obtention de valeurs patrimoniales, mais d’informations protégées (cf. art. 143 al. 1 CP).

4.2. Il n’est pas non plus nécessaire de se pencher sur l’accusation – formulée en audience d’instruction, sans plainte complémentaire ni extension de l’instruction – d’éventuels actes de concurrence déloyale commis au Venezuela, dont les fonds séquestrés en Suisse seraient par hypothèse le résultat.

5.             Ces considérations scellent le sort des recours, qui doivent être admis.

6.             La recourante, qui a gain de cause, ne supportera pas de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.             Elle réclame, relevé d’activité à l’appui, l’indemnisation de ses frais d’avocat, en quelque CHF 10'700.-, représentant vingt heures d’activité augmentées de la TVA. Il n’apparaît pas qu’une rubrique ou l’autre soit excessivement facturée, et la complexité du dossier, sous l’angle de l’enchevêtrement des actes et documents, peut expliquer le temps important consacré au recours.

Aussi le montant précité sera-t-il alloué, exception faite de la TVA, qui n’est pas due (ATF 141 IV 344 consid. 4.1 p. 346), et sera mis à la charge des intimés, solidairement (art. 418 CPP), dans la mesure où ils ont combattu les conclusions de la recourante et succombent intégralement (art. 428 al. 1, 1ère phrase, CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les admet et annule les ordonnances du Ministère public nos OMP/19335/2022, OMP/19342/2022, OMP/19349/2022, OMP/19364/2022, OMP/19366/2022, OMP/19368/2022, OMP/19370/2022, OMP/19372/2022, OMP/19373/2022 et OMP/19376/2022.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.

Alloue à A______ SA, pour ses frais de défense en procédure de recours, une indemnité de CHF 7'000.- TTC, à la charge de B______, D______ et C______ INC., débiteurs solidaires.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son conseil principal), aux intimés (soit, pour eux, leurs avocats respectifs) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).