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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3072/2018

ACPR/465/2023 du 20.06.2023 sur OMP/19336/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : FARDEAU DE LA PREUVE;SOUPÇON;TIERS;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.105; CPP.197; CPP.267; CPP.434

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3072/2018 ACPR/465/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 20 juin 2023

Entre

 

A______ SA, comparant par Mes Guerric CANONICA, Bettina ACIMAN, Yaël HAYAT et Nicola MEIER, avocats, faisant élection de domicile en l'Étude Canonica Valticos de Preux, rue Pierre-Fatio 15, case postale 3782, 1211 Genève 3,

recourante

 

contre l’ordonnance rendue le 7 novembre 2022 par le Ministère public

 

et

 

B______, C______ et D______ Ltd, comparant par Me Pascal MAURER, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. a. Par actes expédiés au greffe de la Chambre de céans le 18 novembre 2022, A______ SA (ci-après : A______) recourt contre l’ordonnance du 7 précédent, notifiée le 8 novembre 2022, par laquelle le Ministère public a levé le séquestre frappant le compte bancaire de D______ Ltd auprès E______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement à la réforme de l’ordonnance querellée, en ce sens que ce séquestre est maintenu. Elle demandait aussi l’effet suspensif, lequel lui a été accordé le 22 novembre 2022 (OCPR/55/2022).

b. La recourante a payé les sûretés qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Sur plainte de A______, déposée au mois de février 2018, le Ministère public instruit une enquête contre différentes personnes – dont F______, G______ et H______ –, employés ou prestataires de services pour le groupe I______, des chefs de corruption d'agents publics étrangers (art. 322septies CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), respectivement de soustraction de données (art. 143 CP).

A______ allègue que les montants corruptifs perçus auprès de sociétés de négoce pétrolier étaient reversés « [à ses] employés en moyenne une semaine après la réception des fonds sur les comptes de I______ ou des sociétés panaméennes contrôlées par F______ et G______, et ce depuis ces mêmes comptes » (pièces PP 100'017 et 200'022). Elle met notamment en cause B______ [recte : B______], en qualité de directeur du trading pour l’Amérique latine et les Caraïbes chez j______, notamment pour avoir directement collaboré avec F______ et G______ en faisant verser sur les comptes des sociétés off-shore de ceux-ci les paiements destinés aux employés corrompus de A______ et en leur donnant une justification apparente par des contrats fictifs ; elle a produit un courriel du 9 février 2006 à B______, dont l’annexe décrit les prestations et services de k______ SA à j______ dans l’espoir de mettre un terme à une enquête douanière (« put an end to customs audit inquiry » ; pièces PP 100'597 s.).

b.        A______ a déclaré se constituer partie plaignante exclusivement au pénal. Contesté à deux reprises (ACPR/724/2018 du 4 décembre 2018 ; ACPR/798/2019 du 15 octobre 2019), ce statut lui a été définitivement reconnu par le Tribunal fédéral (arrêts 1B_554/2018 du 7 juin 2019 et 1B_549-1B_550-1B_553/2019 du 10 mars 2020).

c.         Formellement mis en prévention des infractions susmentionnées le 23 novembre 2020, F______ et G______, rejettent toutes les accusations portées contre eux. Ils n’avaient jamais payé de pot-de-vin à quiconque chez A______ pour obtenir des informations confidentielles (pièces PP 500'142, 500'149).

F______ soutient que le litige relève d’intérêts privés, exploité par des individus avec lesquels il est en conflit personnel (not. pièce PP 501'734). Il a expliqué avoir fait la connaissance de G______, actif dans le négoce pétrolier, après avoir quitté (en juin 2004) A______, pour laquelle il avait brièvement travaillé ; il avait acquis une société dormante préconstituée (« shelf company »), L______ Inc., puis en avait laissé la moitié des parts à G______, qui avait fait de même avec sa propre « shelf company », K______ SA., avant qu’ils n’acquièrent I______ INC. Ils avaient voué I______ INC., qu’ils étaient parvenus à faire enregistrer auprès de A______, au négoce international de pétrole, tandis que L______ Inc. et K______ SA se consacraient à la consultance dans ce domaine.

Pour faire face au développement des affaires, ils ont constitué I______ Ltd, succursale de I______ INC., à M______ (Jersey), qui avait elle-même créé une succursale à Genève – ces trois entités formant « le groupe I______ », dont I______ INC. est la holding –.

Il ne leur a pas été posé de questions sur leurs liens avec B______.

d.        Le comptable externe de I______ INC. et l’animatrice du bureau genevois de la société ont été appréhendés et interrogés, à Genève, voire brièvement détenus, avec saisie de fichiers informatiques. Des commissions rogatoires internationales ont été décernées à Curaçao, en Espagne et aux États-Unis. Le représentant de la succursale de Genève de I______ Ltd (M______) a été entendu à titre de renseignements.

Ces différents actes de procédure n’ont pas amené d’éléments immédiatement utiles à la résolution du présent litige.

e.         Un détective privé, mis en œuvre aux États-Unis et «indirectement » mandaté par A______ (pièce PP 400'007) après que l’ex-épouse de F______ l’eut laissé accéder à un ordinateur utilisé par celui-ci (pièce PP 400'003), a été entendu par la police et par le Ministère public ; il affirme que G______ et F______ sont à l’origine de la fraude. Il affirme aussi avoir fourni toute documentation utile, notamment sous la forme de fichiers informatiques et d’une « combinaison d’informations et de renseignements » (pièce PP 401'005), qui devraient permettre au Ministère public de déterminer « s’il y a un cas pénal important » (pièce PP 501'205).

f.         Par ailleurs, un serveur informatique, utilisé par le comptable de I______ INC. à N______ [USA], a été transmis au Ministère public au printemps 2018. Les scellés qui y furent apposés à réception ont été levés, partiellement, par le Tribunal des mesures de contrainte, le 27 août 2018.

À teneur des ordonnances attaquées, les fichiers rendus accessibles n’ont pas été exploités à ce jour.

g.        Le 7 mai 2018, le Ministère public a ordonné la saisie de la relation bancaire détenue par un trust, D______ Ltd, dont bénéficiaient (pièces PP 385'180 s.) B______ et C______ (sœur du précédent, selon A______), auprès de E______, à ______[Tessin] (quelque USD 13'630'000.- saisis).

Cette ordonnance renvoie pour motivation à l’art. 263 CPP.

h.        La documentation obtenue de la banque montre que des transferts sur cette relation provenaient d’un compte de C______, compte qui avait lui-même été alimenté par des versements de I______ INC.,
L______ Inc. et K______ SA et est resté sans mouvement depuis avril 2010 (cf. pièce PP 3'011'031).

i.          Le 19 mai 2021, le Ministère public a interrogé O______, dont la société traitait avec I______ INC. en qualité d’agent d’expédition maritime (« shipping »). Il connaissait B______. Il avait réalisé pour la famille de celui-ci des opérations de change (« compensations ») en USD, lorsque le cours de la monnaie vénézuélienne s’était effondré ; telle était l’explication des transferts qu’il avait, lui aussi, fait créditer à l’époque sur le compte de C______. Ces mouvements de fonds n’avaient rien eu à voir avec I______ INC., F______ ou G______.

j.          Le 24 juin 2021, le Ministère public a prié A______ de verser au dossier la liste :

·                    des transactions présumées reposer sur de la corruption ;

·                    des courtiers et des sociétés de négoce avec lesquels elle était encore en relation d’affaires ;

·                    des sociétés de négoce qui avaient accédé à son serveur ;

·                    du personnel qu’elle avait licencié par suite des faits dénoncés (pièces PP 603'645 s.) ; et

·                    de ses signataires autorisés pour adjuger les appels d’offre.

k.        Le même jour, le président du conseil d’administration de A______ a rappelé au Ministère public que la société était constituée partie plaignante au pénal [uniquement], expliquant que les intérêts civils avaient été confiés à un cabinet d’avocats américains. Assurant le Ministère public de sa volonté de coopérer, il promettait de livrer aussi vite que possible la documentation demandée.

l.          A______ s’est exécutée le 23 août 2021, en tant que ses règles internes de conservation (d’une durée de dix ans) le lui permettaient. La liste d’entreprises ayant remporté des appels d’offre et celle des dirigeants ayant adjugé ceux-ci suivraient, de même que les pièces étayant l’intrusion informatique. Le calcul du dommage n’était pas encore possible et dépendrait en tout état de démarches ultérieures du cabinet d’avocats américain.

m.      Entendus au printemps et à l’automne 2021, les représentants de A______ ont, en bref, renvoyé aux explications qu’avait données ou que donnerait encore leur enquêteur ; ils ont évoqué la taille, relativement petite, de I______ INC., par rapport à ses concurrents dans le négoce mondial de pétrole, pour être parvenue ce nonobstant à être enregistrée officiellement comme un partenaire commercial de A______ ; cette habilitation avait été traitée par un service spécialement consacré à ces questions au sein de l’entreprise. Ils n’avaient pas entendu parler qu’un serveur « clone » eût été installé au sein de A______ ni que des recherches eussent été menées à ce sujet. L’intervention des prévenus au sein de A______ après qu’ils eurent quitté l’entreprise relevait de la concurrence déloyale en matière d’appels d’offres (pièce PP 500'958 ; cf. pièce n° 29 annexée à la plainte pénale = pièce PP 100'420).

n.        Convoqué pour être entendu contradictoirement le 24 février 2022, à titre de renseignements (art. 178 let. d CPP), B______ a comparu, mais refusé de répondre à la quasi-totalité des questions, invoquant le Ve amendement à la Constitution des États-Unis, en raison d’une demande d’entraide présentée par ce pays à la Suisse.

o.        Dès le 7 juin 2022, D______ Ltd a demandé la levée du séquestre frappant ses avoirs. Son compte abritait de l’argent d’un trust dont les bénéficiaires étaient la famille B______/C______. Hormis des investissements et frais de gestion, aucun débit n’avait été exécuté en faveur de tiers.

p.        Le 22 juillet 2022, A______ s’y est opposée, produisant force pièces, réunies dans douze classeurs, et formulant ou réitérant sept réquisitions de preuve, notamment des ordres de dépôt ou de perquisitions dans des sociétés de négoce pétrolier. Les ordres de dépôt déjà décernés par le Ministère public avaient permis de mettre au jour un nombre « colossal » de flux, et pour un montant total encore plus élevé que celui estimé dans la plainte. Les explications données par les prévenus à ce sujet n’étaient pas sérieuses ; ils n’avaient jamais produit de preuve de transactions licites. Leur argumentaire à l’appui de la levée des séquestres était essentiellement formel. La durée de la procédure était imputable à eux seuls. Le mécanisme corruptif qu’ils avaient mis en œuvre s’apparentait à celui de l’affaire [de corruption politique dite] P______ [au Brésil], dans lequel était impliqué B______.

A______ a annexé à ces déterminations plus de septante contrats qu’elle avait passés avec I______ INC. pendant la période visée dans sa plainte. Son service juridique s’attelait à y identifier ceux qu’elle supposait entachés de corruption.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public estime que les investigations menées, et notamment l’audition de O______, avaient rendu plausible l’origine des montants parvenus sur le compte de D______ Ltd (des opérations de change). Par conséquent, les conditions d’une confiscation ultérieure des avoirs saisis n’étaient pas remplies et ne pourraient pas l’être à l’issue de l’instruction.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reprend en substance son argumentaire du 22 juillet 2022.

Elle fait valoir que les soupçons d’infractions pénales se sont renforcés, quand bien même une multitude d’investigations resterait à entreprendre – ce que le Ministère public admettait lui-même –. Selon doctrine et jurisprudence, elle n’avait pas à identifier chaque contrat entaché de corruption ; seul, un rapport de connexité suffisait, au sens de l’art. 322septies CP. Elle avait pu désigner deux de ses employés mêlés à la fraude, ainsi que des négociants externes, dont B______ et la sœur de celui-ci (le cas échéant, à travers D______ Ltd). Les prévenus n’avaient fourni aucune explication plausible et sérieuse sur les flux suspects, qu’ils justifiaient par des opérations de change et de compensation, et refusaient de répondre à ses questions. Des mises en prévention complémentaires avaient été notifiées, dues à la seule initiative du Ministère public. On ne pouvait donc plus limiter l’enquête au seul groupe I______.

Par ailleurs, A______ reprend son parallèle avec l’affaire P______, dans laquelle serait impliqué B______ B______ et qui présenterait des similitudes « flagrantes » avec la présente cause.

Elle soutient qu’une durée de quatre ans ne pouvait signifier que la procédure s’éterniserait. L’origine en serait alors à rechercher chez les prévenus, exclusivement. Or, le Ministère public en faisait supporter les conséquences à la partie plaignante, qui n’avait eu que très tardivement accès au dossier.

b. B______, C______ et D______ Ltd proposent de rejeter le recours, renvoyant pour l’essentiel à leurs déterminations du 7 juin 2022 et rappelant l’accès limité au dossier qui leur avait été accordé.

A______ n’opposait aucun argument ni aucune contre-analyse aux développements de l’ordonnance attaquée et renvoyait à des parutions sur internet sans lien avec les faits dont elle se plaignait ; elle reprochait à B______ d’avoir fait usage de son droit de se taire, alors que ni lui ni sa sœur ni aucun membre de sa famille n’étaient employés de la plaignante.

c. Le Ministère public propose de déclarer le recours irrecevable, faute pour A______ de s’être constituée partie plaignante aussi au civil. Sur le fond, il s’en tient à la motivation de sa décision.

d. A______ réplique que, selon la jurisprudence, la limitation au pénal de sa constitution de partie plaignante ne la privait pas de la qualité pour agir contre une levée de séquestres pénaux.

e. B______, C______ et D______ Ltd n’ont pas dupliqué.

E. A______ a attaqué simultanément toutes les décisions de levée de séquestre rendues parallèlement par le Ministère public.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 267) et émane de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), définitivement reconnue comme telle (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_554/2018 du 7 juin 2019 ; ACPR/724/2018 du 4 décembre 2018).

1.2. Le Ministère public fait valoir que la recourante n’aurait pas d’intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), au motif qu’elle s’était uniquement constituée partie plaignante demanderesse au pénal (art. 119 al. 2 let. a CPP).

1.2.1. Au sens de l'art. 382 al. 1 CPP – disposition générique en matière de qualité pour recourir (ATF 139 IV 78 consid. 3.1 p. 80) –, l'exigence de l'intérêt juridiquement protégé n'a pas à s'interpréter dans un sens étroit ; elle n'impose pas la prise effective de conclusions civiles dans la procédure pénale. Le CPP reconnaît au lésé une vocation strictement pénale à intervenir dans la procédure pénale. Le cas échéant, la partie plaignante peut faire valoir ultérieurement ses prétentions. Qui plus est, le rôle procédural que lui autorise l'art. 119 al. 2 let. a CPP sous-tend un intérêt juridique indépendamment de toute prétention civile : il suffit d'être lésé, c'est-à-dire une personne dont les droits – soit les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la propriété, l'honneur, etc. – ont été touchés directement (art. 115 al. 1 CPP) par une infraction (ATF 139 IV 78 consid. 3.3.3 p. 82). Elle pourrait toutefois n’avoir aucun intérêt juridiquement protégé à recourir si la décision prise s’avérait sans lien avec d’éventuelles prétentions civiles (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 11 ad art. 382).

1.2.2. En l’espèce, les prévenus sont soupçonnés de corruption d’agents publics étrangers (art. 322septies CP). Les dispositions réprimant la corruption, au sens large, d'agents publics (art. 322ter ss. CP; Titre 19 du CP) visent à protéger l'objectivité et l'impartialité du processus décisionnel étatique, de même que la confiance de la collectivité dans l'objectivité et la non-vénalité de l'action de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 6B_220/2022 du 31 octobre 2022, destiné à la publication, consid. 1.2). La recourante, société quasi étatique entièrement détenue par l’État du Venezuela (arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2021-1B_602/2021-1B_603/2021 du 6 septembre 2022 consid. 2.4.), est donc lésée dans ses intérêts juridiques par la corruption présumée de l’un ou l’autre de ses employés, telle que la réprime, en Suisse, l’art. 322septies al. 1 CP. En outre, la décision attaquée est susceptible d’empêcher le juge du fond de confisquer et de lui allouer les valeurs saisies, si elle décidait de prendre des conclusions civiles dans la suite de la procédure. Rien ne s’oppose, en effet, à ce que le lésé se constitue partie plaignante en deux temps (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 8 ad art. 119).

A______ a par conséquent qualité pour recourir. Le chiffrage de son dommage n’est pas nécessaire.

1.3. Peu importe que non seulement D______ Ltd ait déposé des observations, mais aussi ses ayants droit économiques conjointement avec elle : sa qualité de tiers touché (art. 105 al. 1 let. f CPP) lui conférait à elle seule le droit d’être entendue.

2.             La recourante conteste la levée des séquestres en vigueur.

2.1.       Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP), qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

L’origine ou l’utilisation criminelle de biens est un motif qui justifie leur saisie provisoire, à titre conservatoire (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 7 ad art. 263).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées) ; comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit, car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les références).

Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués ou restitués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). Les probabilités d'une confiscation doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 96).

2.2.       À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit. Le séquestre ne peut être levé que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (ATF 140 IV 133 consid. 4.2.1 ; 139 IV 250 consid. 2.1).

Un séquestre doit aussi être levé si la mesure devient disproportionnée, ce qui est, en particulier, le cas lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247; arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2021 du 19 avril 2022 consid. 2.1). La situation s'examine notamment au vu du stade de l'enquête, de la complexité de l'affaire, du nombre de parties, des éléments d'extranéité et des mesures d'instruction en cours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_117/2022 du 18 mai 2022 consid. 4.1.).

2.3.       L’art. 322septies al. 1 CP punit – au titre de la corruption active d’agents publics étrangers – celui qui aura offert, promis ou octroyé un avantage indu à une personne agissant pour un État étranger ou une organisation internationale en tant que membre d’une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire, en tant qu’expert, traducteur ou interprète commis par une autorité, ou en tant qu’arbitre ou militaire, en faveur de cette personne ou d’un tiers, pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation.

2.4.       En l'espèce, se référant à l’art. 267 CPP, le Ministère public laisse entendre, d’une part, que « le » motif, non précisé, à l’origine des séquestres aurait « disparu » ; mais, d’autre part, il concède qu’il resterait des investigations – dûment énumérées – à entreprendre et, même, que les soupçons initiaux n’auraient pas « totalement et définitivement » disparu.

En premier lieu, et indépendamment de la contradiction que comporte cette motivation, la Chambre de céans n’a pas à deviner quel était « le » motif du séquestre, i.e. si son fondement reposait sur la provenance délictueuse, directe et immédiate, des avoirs concernés ou sur leur valeur de remplacement ou de compensation.

La recourante semble partir de cette dernière idée, dans la mesure où son argumentaire en droit cite quasi exclusivement des décisions relatives à la créance compensatrice, au sens de l’art. 71 al. 3 CP ; mais elle ne s’en explique pas. Dans sa plainte comme dans la lettre de ses avocats qui l’accompagne, l’on ne trouve nulle allégation que la saisie pénale qu’il convenait de prononcer sur des comptes ou biens en Suisse était nécessaire parce que le produit direct de la corruption dénoncée n’était plus disponible. Au contraire, la plainte comporte la simple énumération de nombreuses banques auprès desquelles I______ INC., les prévenus F______ et G______ et leurs sociétés de domicile (et eux seuls) détiendraient des avoirs, sans mise en évidence du moindre mouvement financier illicite qui aurait concerné les intimés. La requête séparée de séquestre qui assortit la plainte ne vise aucun bien qui leur appartiendrait.

Lorsque la recourante allègue, dans la plainte, que les montants « promis » étaient reversés « [à ses] employés ( ) après la réception des fonds sur les comptes de I______ ou des sociétés panaméennes contrôlées par F______ et G______, et ce depuis ces mêmes comptes » (pièce PP 100'022), elle ne parvient pas, ce faisant, à incriminer les fonds reçus par les intimés B______/C______, qui n’entrent pas dans ce cas de figure.

La recourante n’allègue aucun lien de C______ avec elle ou avec ses collaborateurs, mais dénonce B______ – qui n’était pas son employé ni ne l’a été – en pointant sa qualité de responsable régional d’une grande multinationale de négoce pétrolier. Or, le parallèle qu’elle esquisse avec une affaire touchant cette entreprise et un autre pays de la même zone géographique est inopérant, quand bien même l’affaire concernerait le prénommé et la même matière première.

Les intimés sont fondés à objecter que le compte saisi n’a connu aucun mouvement au débit, hormis ceux qui s’apparentent à de la gestion patrimoniale.

N’y change rien l’allégation de la recourante selon laquelle B______ faisait transiter sur les comptes des sociétés off-shore de G______ et F______ les paiements destinés aux employés corrompus de A______, après leur avoir donné une justification apparente par des contrats fictifs. La teneur de la pièce qu’elle produit à l’appui, soit un courriel du 9 février 2006 à B______, n’a rien d’un contrat fictif, mais présente les caractéristiques d’une simple attestation unilatérale de K______ SA relative aux prestations et services fournis à j______, attestation apparemment demandée par celle-ci pour mettre un terme à une enquête douanière dont on ne sait rien de plus – et notamment pas le lien avec la recourante –.

L’instruction a, certes, montré que des transferts provenant de I______ INC., K______ SA et L______ Inc. étaient arrivés sur le compte bénéficiant à C______ – et auquel a accès B______ –, avant d’en repartir sur la relation visée par l’ordonnance attaquée. Mais ces flux ne donnent pas à eux seuls d’indication sur la corruption d’employés de la recourante, et aucun des deux prénommés n’est prévenu d’aucune infraction. Quant à la prévention détaillée de corruption qui a été notifiée à G______ et F______, elle mentionne presque exclusivement l’implication de sociétés du groupe I______.

Les indices que les avoirs saisis sur le compte de D______ Ltd seraient issus de la corruption de fonctionnaires étrangers ne se sont donc pas renforcés depuis la date des séquestres litigieux. La recourante ne soutient pas en avoir trouvé dans l’un ou l’autre des quelque septante contrats qu’elle a versés au dossier à la fin juillet 2022.

Le dossier ne montre pas – et la recourante ne dit pas comment établir, si la relation concernée restait saisie – les indices que d’autres comptes, maîtrisés directement ou indirectement par B______, auraient connu des débits équivalant aux montants crédités sur le compte séquestré, débits qui seraient susceptibles d’avoir été des paiements corruptifs.

De pareils indices auraient pu appuyer l’existence d’opérations de compensation, au sens qu’en donne la CDB 20 de l’Association suisse des banquiers (https://www.swissbanking.ch/_Resources/Persistent/b/b/5/6/bb567395296e7938825156ac506c7319d6c9651b/ASB_Convention_CDB_2020_FR.pdf), c’est-à-dire d’opérations qui, par leur nature (arrêt du Tribunal pénal fédéral ______ du 18 septembre 2008 consid. 3.2.2), impliquent une occultation du paper trail.

Dans une telle constellation, c’est une chose que de rejeter, comme le fait la recourante, les explications des intimés fondées sur des opérations de change ; c’en est une autre que de présumer dans ces opérations des paiements corruptifs. Le fardeau de la preuve ne repose pas sur les intimés.

L’énumération par le Ministère public des investigations encore réalisables, voire expressément prévues, ne laisse aucunement discerner que celles-ci prendraient cette direction et que leur issue serait susceptible d’asseoir la perspective d’une confiscation des valeurs patrimoniales touchées. La recourante ne le soutient du reste pas.

3.             Dès lors, la question de savoir si l’argent saisi serait le produit d’un blanchiment de la corruption ne se pose pas.

4.             4.1. Point n’est besoin de se prononcer sur les charges à l’appui d’une éventuelle soustraction de données, puisque le résultat de cette infraction n’est pas l’obtention de valeurs patrimoniales, mais d’informations protégées, comme l’exprime le texte de l’art. 143 al. 1 CP.

4.2. Par ailleurs, rien ne laisse supposer que l’accusation – formulée en audience d’instruction, sans plainte complémentaire ni extension de l’instruction – d’éventuels actes de concurrence déloyale commis au Venezuela expliquerait l’origine des fonds séquestrés en Suisse. L’acte de recours ne contient aucun développement à ce sujet.

5.             Ces considérations scellent le sort du recours, qui doit être rejeté.

6.             La recourante, qui n’a pas gain de cause, assumera les frais de l’instance (art. 428 al. 1 CPP), arrêtés à CHF 2'000.- (art. 13 al. 1 let. b RTFMP).

7.             7.1. L’intimée Q______, tiers saisi qui a gain de cause au sens des art. 428 al. 1 et 434 al. 1 CPP, réclame l’indemnisation de ses frais d’avocat, en CHF 3'150.-, correspondant à sept heures d’activité au tarif de CHF 450.-/h. (chef d’étude).

Certes, aux termes de l’al. 2 de la seconde disposition précitée, cette indemnité peut en principe être fixée – et allouée – exclusivement par le Ministère public pendant la procédure préliminaire, si le cas est clair. Toutefois, rien n’empêche qu’elle le soit aussi sur recours, selon l’art. 421 al. 2 let. c CPP, applicable aussi aux indemnités (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 1 ad art. 421). Il convient de faire usage de cette faculté, en l’espèce, puisque la situation rencontrée est claire et que la présente décision met définitivement hors de cause un tiers touché, au sens de l’art. 105 al. 1 let. f CPP.

Le montant des honoraires réclamés ci-dessus paraît dans un rapport raisonnable avec les observations produites et correspond au tarif admis par la Cour pénale (ACPR/131/2022 du 25 février 2022 consid. 6.1.). Aussi sera-t-il alloué à l’intimée susmentionnnée, à la charge de la recourante.

7.2. Ce qui précède ne vaut pas pour B______, en tant qu’autre participant à la procédure (art. 105 al. 1 let. d CPP). S’étant exprimé conjointement avec le tiers saisi directement touché par l’acte attaqué, il n’a pas droit à une indemnité distincte et supplémentaire.

7.3. C______, à qui l’ordonnance litigieuse n’a pas été notifiée et qui n’a pas été invitée à présenter des observations, n’a pas droit à une indemnisation.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours formé contre l’ordonnance n° OMP/19336/2022 rendue le 7 novembre 2022 par le Ministère public.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, fixés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées et le sort du solde, renvoyé aux décisions sur les recours interjetés simultanément.

Alloue à D______ Ltd, pour ses frais de défense en procédure de recours, une indemnité de CHF 3'150.- TTC, à la charge de A______ SA.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son conseil principal), aux intimés (soit, pour eux, leur avocat) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/3072/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

-

CHF

Total

CHF

2'000.00