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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18122/2022

ACPR/434/2023 du 09.06.2023 sur ONMMP/4152/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;PROPORTIONNALITÉ;MONNAIE ÉLECTRONIQUE
Normes : CPP.310; CP.147

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18122/2022 ACPR/434/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 9 juin 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Joëlle DE RHAM-RUDLOFF, avocate, Etude Bellon & de Rham Avocats, rue Pierre-Fatio 12, case postale 3055, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 novembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 décembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 novembre 2022, notifiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte pour "vol de crypto-monnaie".

Le recourant conclut, sur mesures provisionnelles, à ce qu'il soit intimé au Ministère public de requérir auprès des sociétés B______/1______ (SUISSE) SA, B______/2______ (SUISSE) SA et D______ SA toutes informations relatives aux donneurs d'ordres des transactions litigieuses, respectivement de solliciter – par le biais de l'entraide judiciaire internationale et/ou la coopération policière avec la France, l'Irlande et les Seychelles – lesdites informations auprès des sociétés B______/3______ (FRANCE) SAS, B______/4______ LTD et G______ LTD.

Il conclut principalement, sous suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction pénale et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de lui impartir un délai "pour solliciter la mise en œuvre d'actes d'instruction".

b. Par ordonnance du 13 décembre 2022 (OCPR/61/2022), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande de mesures provisionnelles.

Elle a, en outre, astreint le recourant à verser les sûretés en CHF 1'200.-.

c. Ce dernier s'en est acquitté dans le délai imparti.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 26 août 2022, complété par courriel du 20 septembre 2022, A______ a déposé plainte pénale contre inconnu pour "vol de crypto-monnaie".

Il avait été dépossédé, le 22 mai 2018, de 1'585'500 H______ [nom de la crypto-monnaie] et de 821'296 I______ [nom de la crypto-monnaie] (communément abrégés en H______ et I______) se trouvant sur ses comptes de crypto-monnaies numériques dans les blockchains H______ et I______. Il soupçonnait que les auteurs s'étaient introduits dans son ordinateur pour y "dérober" sa phrase d'accès à ses comptes.

Les H______ avaient transité depuis son compte à une adresse identifiée dans le blockchain puis, une grande partie de celles-ci avait été transférée – au travers de trois transactions différentes des 1er et 2 novembre 2021 – sur un compte affilié à la plateforme d'échange B______. Les I______, quant à eux, avaient été réparties sur différentes adresses.

À l'appui de sa plainte, il a produit un CD-ROM contenant les transactions des I______ et H______ en format excel.

b. À teneur du rapport de renseignements du 17 novembre 2022 de la Brigade des cyber-enquêtes, toutes les démarches entreprises pour identifier le ou les auteurs des faits reprochés étaient restées vaines.

Contactée via Fedpol, B______ avait répondu que les transactions avaient été initiées par K______ LTD, un fournisseur de services utilisant son interface de programmation d'application (API). Elle n'avait en revanche pas d'accès à sa base de données [celle de K______ LTD].

En dépit de plusieurs tentatives de contact, K______ LTD restait inatteignable. Il apparaissait que cette dernière avait son siège aux Seychelles et que son site internet – hébergé en Russie – avait été enregistré auprès de la société américaine "L______.com", connue pour dissimuler les informations personnelles du propriétaire.

S'agissant des valeurs I______, la Brigade de criminalité informatique (BCI) avait exposé ne pas avoir de moyens techniques pour enquêter.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que, malgré une enquête de police, les auteurs n'avaient pas pu être formellement identifiés. À défaut donc de pouvoir orienter des soupçons vers un ou des auteurs, il ne pouvait pas procéder.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir constaté de manière erronée les faits et violé les art. 309 et 310 al. 1 let. b CPP. Le dommage causé, en l'espèce, était très important, puisque la valeur des crypto-monnaies volées s'approchait des CHF 600'000.- au moment des faits. Le rapport de la police était lacunaire, dans la mesure où celui-ci ne précisait pas l'entité de "B______" contactée, ni les moyens mis en œuvre. Par ailleurs, la Brigade des cyber-enquêtes aurait pu "facilement trouver" que le code source du site internet de K______ LTD permettait de remonter à la société M______ [incorporée en Irlande], laquelle offrait la possibilité d'être contactée en cas de fraude. Rien n'empêchait, de surcroît, de se renseigner sur l'identité de l'hébergeur dudit site en Russie. Par ailleurs, ses investigations privées avaient permis d'établir que ses valeurs I______ avaient été réparties, au travers de 33 transactions distinctes, sur différentes adresses, puis transité à plusieurs reprises, pour se retrouver, enfin, sur un compte affilié à la plateforme d'échange N______, laquelle appartenait à la société G______ LTD domiciliée aux Seychelles. Finalement, compte tenu de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, les sociétés énumérées dans ses conclusions – y compris D______ SA, active dans la gestion des blockchains H______ et I______ – pouvaient fournir des renseignements sur l'identité des titulaires des comptes ouverts auprès des plateformes d'échange de crypto-monnaies B______ et N______.

À l'appui de son recours, A______ produit diverses pièces, parmi lesquelles:

-                        les taux de change des H______ et I______ en USD du 22 mai 2018 tirés du site internet "https://O______.com/currencies/H______/" ;

-                        des renseignements sur le site "https://P______" "https://N______.com/______/wallet/withdraw" permettant, selon lui, de démontrer que ses valeurs I______ étaient arrivées sur un compte de la plateforme N______ ;

-                        des extraits des registres du commerce de Zoug et du Tessin relatifs aux sociétés B______/1______ (SUISSE) SA, B______/2______ (SUISSE) SA et D______ SA ;

-                        divers articles tirés des sites internet de B______ et N______ expliquant leurs politiques en matière de protection des données et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ;

-                        un document intitulé "Privacy Policy" tiré du site internet de D______ SA aux termes duquel cette dernière supprime automatiquement les données de ses clients au plus tard douze mois après leur collecte.

b. Dans ses observations, le Ministère public se rapporte à son ordonnance querellée et conclut au rejet du recours, sans autres développements.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les faits nouveaux et les pièces nouvelles produites par le recourant sont également recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             Le recourant reproche au Ministère public une constatation inexacte et erronée des faits. Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 198; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-avant.

Partant, ce grief sera rejeté.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir donné suite à sa plainte.

3.1.       Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).

3.2.       Même s'il est admis que les éléments constitutifs de l'infraction dénoncée sont réunis, une non-entrée en matière peut se justifier lorsque les charges sont manifestement insuffisantes, et si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments utiles à la procédure. Tel est le cas lorsque l'identité de l'auteur de l'infraction ne peut vraisemblablement pas être découverte et qu'aucun acte d'enquête raisonnable ne serait à même de permettre la découverte des auteurs de l'infraction. Il en va ainsi, par exemple, si les investigations possibles doivent se dérouler, sur commissions rogatoires, dans un pays étranger pour tenter de découvrir les auteurs de l'infraction. Cela pourrait concerner notamment des détenteurs d'adresses IP, voire de bitcoin, celles-ci pouvant vraisemblablement être localisées dans d'autres contrées, voire ne plus exister actuellement. Il sied dans un tel cadre de mettre en balance les intérêts en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2; ACPR/195/2023 du 16 mars 2023 consid. 2.3).

3.3.       En l'espèce, les informations recueillies par les investigations de la Brigade des cyber-enquêtes, et celles du recourant, n'ont pas permis d'établir l'identité du ou des malfaiteurs.

À cela s'ajoute qu'aucun acte complémentaire n'apparaît susceptible d'apporter des éléments utiles. En effet, la plateforme B______ a d'ores et déjà été sollicitée et les informations communiquées n'ont pas permis d'aboutir à une piste concrète, K______ LTD – en dépit de plusieurs tentatives de contact – étant restée inatteignable. En outre, aucun élément ne permet de retenir qu'une requête auprès d'autres sociétés B______ incorporées en Suisse, France et Irlande apporterait davantage d'informations à cet égard, rien ne laissant à penser que les valeurs dérobées seraient transférées sur un compte affilié à une plateforme exploitée par les sociétés précitées. De surcroit, on ne voit pas en quoi D______ SA – active dans la gestion des blockchains H______ et I______ – pourrait communiquer des renseignements sur l'identité des titulaires des comptes qui ne sont pas ouverts auprès d'elle mais auprès de B______ et N______, soit d'autres sociétés. Quoi qu'il en soit, à supposer que l'auteur aurait fait appel, en mai 2018, aux services liés au site internet de D______ SA, tout porte à croire que cette dernière aurait supprimé les données collectées, dans la mesure où, d'après sa politique de confidentialité, elle ne les conserve que douze mois après leur collecte. Il paraît enfin vain de solliciter M______ pour obtenir des informations sur le site internet de K______ LTD, dans la mesure où rien ne laisse penser que l'auteur des faits lui aurait transmis des données pouvant mener à son identification. Ce d'autant que le recourant ne prétend pas que la première nommée serait – en tant qu'intermédiaire financier – tenue de vérifier l'identité des personnes qui contractent avec elle, encore moins celle des ayants droit économiques des sociétés cocontractantes.

Les autres actes d'enquête évoqués par le recourant seraient des commissions rogatoires en Russie, Seychelles et Irlande – pays d'hébergement du site internet de K______ LTD, respectivement d'incorporation des sociétés N______, G______ LTD et M______ –. À cet égard, une demande d'entraide internationale est difficilement réalisable. (cf. www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer.html). En effet, il n'existe aucun traité avec les Seychelles, ce qui ne permet même pas de garantir qu'une telle demande serait reçue ni encore moins qu'une réponse y serait donnée. Pour la Russie et l'Irlande, la durée pour obtenir les informations souhaitées, qui plus est sans certitude de succès, peut être particulièrement longue, allant jusqu'à onze mois. Durant ce laps de temps, l'auteur des faits peut transmettre les valeurs dérobées sur d'autres adresses ou même les utiliser dans le cadre d'échanges par le biais de divers services liés à ce commerce, de sorte que son identification resterait, au bout du compte, impossible. En tout état de cause, on peut sérieusement douter de l'efficacité des mesures sollicitées, puisque les transferts frauduleux remontent à mai 2018.

Enfin, la nature des crypto-monnaies étant très volatile, il est difficile d'établir le réel dommage subi, qui peut fortement fluctuer en fonction du cours d'une monnaie virtuelle. Quoi qu'il en soit, le dommage n'est qu'un critère parmi d'autres pour apprécier la proportionnalité des actes d'instruction à mettre en œuvre. Au vu de ce qui précède, il paraît disproportionné et excessif de procéder à des commissions rogatoires qui n'ont que très peu de chances d'aboutir.

Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte, étant précisé que la procédure pourra être reprise en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2).

4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18122/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

-

CHF

Total

CHF

1'200.00