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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6392/2021

ACPR/448/2023 du 13.06.2023 sur OCL/1685/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;LÉSION CORPORELLE SIMPLE;ABUS D'AUTORITÉ
Normes : CPP.319; CP.123; CP.312

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6392/2021 ACPR/448/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 13 juin 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 19 décembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 2 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 décembre 2022, notifiée le 21 suivant, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte du 2 novembre 2020.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au constat d'une violation des art. 3 CEDH, 319 al. 1 CPP, 123 CP, 144 CP et 312 CP et au renvoi de la cause au Ministère public pour reddition d'ordonnances pénales contre C______ et D______ pour lésions corporelles simples (art. 123 CP) et abus d'autorité (art. 312 CP), subsidiairement, pour poursuivre l'instruction dans le sens des considérants et "statuer" sur ses prétentions civiles. Il demande aussi à être autorisé à compléter, "si besoin", ses écritures.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Durant la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2020, la centrale d'engagement et de coordination des alarmes (ci-après: CECAL) a été avisée de nombreux heurts et dégâts commis par des jeunes individus, à différents endroits du canton, dont la Servette.

b. Le 2 novembre 2020, A______, né en 2004, s'est présenté à la police pour déposer plainte contre les policiers l'ayant frappé le 31 octobre 2020.

En substance, il en ressort que, ce soir-là, accompagné de deux amis, il avait croisé "F______", lequel était lui-même accompagné de deux personnes. Plus tard, ils s'étaient retrouvés dans un parc. Alors qu'il quittait ce lieu avec trois amis, il avait vu "F______" mettre le feu à une poubelle. Le prénommé et ses amis l'avaient ensuite rejoint. Alors qu'ils marchaient à la rue Hoffmann, une camionnette de police était arrivée. Il avait fait demi-tour, pour ne pas avoir de problème. Quelques mètres plus loin, il avait vu deux personnes se diriger vers lui, qu'il pensait être des citoyens. À la hauteur d'un cabanon de chantier: l'un d'eux lui avait bloqué le chemin en l'attrapant à la gorge tandis que l'autre l'avait saisi par le bras gauche. Il avait ensuite été placé dans un espacement entre ledit cabanon et la clôture, et roué de coups de poings et de genoux. Il avait tenté d'écarter les bras en leur demandant de cesser, en vain. Puis, des policiers étaient arrivés sur des motos. Il avait appelé "au secours". Un des passagers lui avait donné un coup au flanc gauche. Il avait alors compris que les deux individus étaient des policiers en civil. Il avait encore reçu quelques coups de la part de ces derniers. Puis, l'un d'eux lui avait demandé de partir, ce qu'il avait fait.

Les policiers en civil ne s'étaient pas légitimés et ne portaient pas de brassard "police". Il n'avait pas eu de comportement agressif ni ne s'était pas opposé à son interpellation. Lors de cette intervention, la capuche de son pull avait été déchirée et il avait perdu sa boucle d'oreille.

Il a produit une copie d'un certificat attestant d'une incapacité totale de travail du 31 octobre au 9 novembre 2020, des photographies, dont une de sa lèvre inférieure, ainsi qu'un constat médical du 2 novembre 2020, dont l'examen clinique mettait en évidence une "plaie de 1 cm à la lèvre inférieur zone interne type dermabrasion post traumatique, contusion lombaire gauche, contusion temporomandibulaire gauche avec mobilité de l'articulation temporomandibulaire". Ces lésions, d'origine traumatiques, pouvaient avoir été causées par les sévices que le patient disait avoir subis.

c. Par pli du 25 novembre 2020, sous la plume de son conseil, A______ a complété sa plainte. Il a sollicité l'audition de G______, présent durant la soirée.

d.a. D’après le rapport dressé le 15 mars 2021 par l’Inspection générale des services (ci-après : IGS):

- le 31 octobre 2020 vers 23h30, un groupe de jeunes avait été signalé pour avoir incendié une poubelle à l'angle des rues Hoffmann et Schaub;

- cinq équipages de motards du maintien de l'ordre (ci-après: groupe d'intervention) – dont faisaient partie le passager H______, le pilote I______ et son passager J______ et le passager K______ – ainsi que deux inspecteurs de la police judiciaire en civil (ci-après: les inspecteurs), – soit C______ et D______ – s'étaient approchés des lieux;

- quatre membres du groupe de jeunes avaient été interpellés puis auditionnés; l'un avait reconnu avoir mis le feu à une poubelle; un rapport de renseignements avait été établi;

- le cinquième membre dudit groupe – identifié ultérieurement comme étant A______ –, n'avait ni été identifié ni interpellé lors de ladite intervention; la force avait toutefois été utilisée sur le prénommé pour tenter, en vain, de le maîtriser;

- aucun document n'avait été rédigé concernant l'usage de la force lors de l'intervention sur le précité;

- aucune caméra de vidéosurveillance ne filmait l'endroit où A______ prétendait avoir été interpellé.

d.b. L'IGS a entendu les deux inspecteurs et quatre membres du groupe d'intervention. Il ressort ce qui suit des auditions:

i. La mission des deux inspecteurs, le soir des faits, était de localiser et renseigner leurs collègues sur la progression des jeunes et leurs activités. Vers 23h40, un groupe avait été signalé aux environs des rues Schaub et Hoffmann, pour avoir mis le feu à une poubelle. À l'arrivée du fourgon de police, quatre individus avaient été interpellés. Le cinquième – ultérieurement identifié comme étant A______ – avait fait demi-tour et était parti en courant dans leur direction.

D______ a déclaré s'être placé face au fuyard et avoir crié "Halte police, arrête-toi". Après avoir tenté de l'esquiver, le jeune homme l'avait percuté. Le choc avait été violent: D______ et A______ avaient heurté le container de chantier se trouvant à proximité [déclarations de D______, C______]. D______ avait tenté de saisir le jeune homme, qui se débattait. C______ y était parvenu, précisant avoir saisi le jeune homme par les habits, à la hauteur du torse, s'être légitimé en disant "police". Puis, pour éviter de prendre des coups, il s'était mis sur le côté et avait tenté d'opérer un contrôle du cou avec l'avant-bras, sans succès. D______ avait pris un coup sur le haut du corps et avait chuté. C______, constatant que son collègue se trouvait au sol, avait tiré le jeune homme, par ses vêtements, afin qu'il ne puisse pas lui donner d'autres coups. Le groupe d'intervention était arrivé; l'un d'eux avait repoussé le jeune avec son E______ [bâton tactique] [déclarations de C______]. C______ avait finalement relâché A______ [déclarations de D______, C______], l'inspecteur expliquant l'avoir fait "par dépit", dans la mesure où, depuis 18 heures, des jeunes gens prenaient la fuite dans "tous les sens" et, s'ils parvenaient à les interpeller, ces derniers contestaient être les auteurs des déprédations. De plus, selon les souvenirs de l'inspecteur, il avait été annoncé, sur les ondes, que les salles de rétention étaient complètes et qu'il ne fallait plus arrêter personne, sauf pour des cas "graves". Comme le jeune homme n'avait pas été identifié, ils n'avaient pas établi de rapport [déclarations de D______, C______].

Les inspecteurs ont reconnu qu'ils ne portaient pas leurs brassard "police". Ils ont contesté avoir porté des coups à A______, admettant toutefois avoir pu le blesser accidentellement lorsqu'ils tentaient de le maîtriser.

ii. La mission du groupe d'intervention était d'appuyer le dispositif mis en place pour interpeller les jeunes gens ayant mis le feu à la poubelle aux environs de la rue Schaub.

Arrivés sur les lieux, les policiers ont vu deux inspecteurs, en civil, tenter d'interpeller un jeune qui se débattait fortement [déclarations de I______, J______, H______, K______]. H______ a précisé que l'interpellation avait eu lieu "avec force". I______ était resté concentré sur l'"extérieur", pour assurer leur sécurité. Un des inspecteurs tenait le jeune par un bras, lequel avait donné un coup de pied, au thorax de l'autre inspecteur, qui était tombé [déclarations de J______, K______]. J______ avait saisi le bras droit du jeune, qui se débattait toujours ; l'inspecteur s'était relevé et avait pris sa place. K______ s'était approché et avait porté des coups "en pique" avec son E______ au niveau du bas ventre du jeune homme, ce qui l'avait calmé [déclarations de K______, I______ et J______]. Parallèlement, les membres du groupe d'intervention s'étaient positionnés pour barrer le chemin à des jeunes qui s'approchaient [déclarations de J______, H______ et K______].

Aussitôt le jeune maitrisé, le groupe d'intervention a quitté les lieux, mais I______ et K______ ont constaté que le jeune n'était plus avec les inspecteurs à leur départ.

K______ avait entendu le mot "police" mais ignorait qui l'avait prononcé, étant précisé qu'il était possible que ce soit lui, par réflexe, au moment de l'usage de la force.

Les quatre membres du groupe d'intervention n'ont pas vu de coups qui auraient été donnés par les inspecteurs à A______.

d.c. Également entendu par l'IGS, G______, ami de longue date de A______, a expliqué que, le soir des faits, deux inspecteurs en civil se trouvaient à proximité d'eux. Lorsque le fourgon de police était arrivé, A______ avait reculé et un ami avait quitté les lieux. Les policiers descendus dudit fourgon avaient contrôlé les quatre personnes restantes, dont il faisait partie, avant de les emmener au poste de police. Les inspecteurs en civil s'étaient dirigés vers A______: l'un d'eux avait attrapé ce dernier par le cou et l'avait placé derrière un container. Il ne les avait plus vu et ne savait pas ce qu'il était advenu de lui. Ces policiers ne s'étaient pas légitimés et ne portaient pas des brassards "police".

e. Le 1er juillet 2021, le Ministère public a ordonné l'ouverture d'une instruction contre K______, C______ et D______ pour lésions corporelles simples et abus d'autorité.

f. Informé du prochain classement de la procédure, A______ – qui plaide au bénéfice de l’assistance judiciaire et est assisté d'un conseil juridique gratuit – s’y est opposé, requérant l’administration de preuves complémentaires.

Il a produit deux enregistrements, à savoir un message qu'il avait lui-même transféré à un ami, attestant de l'"état de choc" dans lequel il se trouvait après son "interpellation", ainsi qu'une vidéo ayant circulé sur les réseaux sociaux, sur laquelle on distingue une personne à terre recevoir des coups.

Dans le premier enregistrement, A______, face caméra, la bouche ensanglantée et essoufflé, dit: "sur la vie de ma mère les flics, ces fils de pute, je vais me rattraper ( ) ils m'ont éclaté ces chiens. Ils m'ont tapé avec leur gun, ils m'ont mis des coups de pieds, ils ont déchiré ma veste. Putain!". La seconde, dont l'origine est inconnue, est de courte durée et de mauvaise qualité. L'on y voit deux motos arriver, puis des individus en habits foncés, gesticulant. Aucun coup n'est toutefois visible sur ledit enregistrement.

g.a. Le 24 janvier 2022, au Ministère public, A______ a confirmé sa plainte, précisant que, lorsqu'il était passé devant les inspecteurs, il marchait "normalement", bien qu'il n'exclue pas avoir couru "quelques foulées" pour s'éloigner du groupe. Il contestait être entré en collision avec l'un d'eux et s'être débattu, expliquant avoir voulu se protéger.

g.b. Les prévenus ont maintenu leurs déclarations.

Les deux inspecteurs ont ajouté ne pas avoir donné de frappe de stabilisation. Selon D______, A______ lui avait "foncé droit dedans".

K______ a précisé que le coup de pied donné par le précité à D______ avait déclenché son intervention. Il avait maitrisé ses "coups" et était allé "crescendo", dans la mesure où au début, ceux-ci n'avaient pas d'effet.

h.a. Les membres du groupe d'intervention ont confirmé leurs précédentes déclarations.

Entendu comme témoin, H______ n'a pas pu expliquer pourquoi il avait dit que ses collègues tentaient d'interpeller le prénommé "avec force"; J______ n'avait pas le souvenir que A______ appelait à l'aide. Pour lui, il tentait de se soustraire au contrôle. Selon eux, ce soir-là, ils n'avaient pas reçu d'instructions relatives au manque de place en cas d'interpellation.

h.b. G______ est revenu sur ses déclarations, expliquant n'avoir rien vu de l'interaction entre les inspecteurs et son ami. A______ était venu le chercher le soir des faits et lui avait envoyé une vidéo sur laquelle il avait le visage en sang et lui avait expliqué que les policiers lui avaient occasionné des blessures. Il ne se souvenait toutefois plus de ce que son ami lui avait dit ce soir-là.

i. Ont été versés à la procédure:

- un rapport de l'IGS sur le E______ et sa doctrine d'engagement, dont il ressort que la zone visée par K______ (bas-ventre) fait partie des zones cibles vertes, soit avec un degré minimum de lésions;

- l'ordre de service DERS I 1.08 "Usage de la contrainte", dans sa teneur au moment des faits, selon lequel l'usage de la contrainte doit être proportionnel à l'action de la personne interpellée et conforme aux lois et au code de déontologie (ch. 1). Lorsque la contrainte est exercée sans utilisation de la force, il y a lieu de l'indiquer dans la rubrique "usage de la contrainte" du rapport de renseignements ou d'arrestation, ou, à défaut, dans l'instruction au journal P2000 (ch. 2). Lorsque le policier fait usage de la contrainte et de la force, un rapport doit, dans tous les cas, être établi avec la description détaillée de l'attitude de la personne interpellée ainsi que l'usage de la force employée (ch. 3).

j. Lors de l'audience du 19 mai 2022, les parties ont été invitées à mettre à jour l'état de frais de leurs conseils et leurs prétentions en indemnisation.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public retient qu'aucun coup n'avait été asséné par les inspecteurs. Ainsi, l'origine de la blessure à la lèvre et de la contusion temporomandibulaire gauche présentées par A______ n'était pas établie, celles-ci pouvant résulter de la collision entre le prénommé et D______ ou le cabanon de chantier. Dans l'hypothèse où ces lésions auraient néanmoins été infligées par les inspecteurs, elles l'auraient été alors que ces derniers tentaient de maîtriser le plaignant. Vu sa résistance physique, les policiers n'avaient eu d'autre choix que de faire usage de la force. À cette aune, la réaction du policier était proportionnée (art. 200 CPP) et licite (art. 14 CP).

La contusion de la lombaire gauche avait pu être occasionnée par les coups de E______ assénés par K______, qui n'avait eu d'autre choix, face au comportement récalcitrant et à la résistance physique du jeune homme, que d'utiliser la force pour le calmer. L'usage de la force était légitime et proportionné. Ainsi, ladite lésion était couverte par la mission du prévenu (art. 14 CP).

L'infraction d'abus d'autorité était aussi exclue. Au vu de leurs soupçons et de la fuite de A______, D______ et C______ étaient légitimés à lui barrer la route afin de l'interpeller (art. 215 al. 1 CPP). Le jeune homme avait néanmoins "foncé" sur D______ puis s'était débattu fortement, contraignant C______ à le saisir par ses habits et tenter de réaliser un contrôle du cou. A______ avait asséné un coup de pied au thorax de D______, le faisant chuter. Vu le comportement opposant du jeune homme, K______, arrivé entretemps, était légitimé à lui asséner quelques coups de E______. Dans ces circonstances, les policiers étaient autorisés à exercer une légère contrainte, laquelle était nécessaire et proportionnée. Les gestes accomplis étaient légitimes et proportionnés, au vu de la résistance de A______ (art. 200 CPP). En outre, rien ne permettait de retenir que les policiers auraient eu l'intention de dissimuler l'usage de la force lors de l'interpellation du plaignant en n'établissant pas de rapport ou d'inscription dans le journal des évènements. Quant au fait que C______ l'aurait laissé partir "par dépit", les éléments constitutifs de l'abus d'autorité faisaient aussi défaut.

Le Ministère public a aussi écarté les infractions d'exposition (art. 127 CP), d'omission de prêter secours (art. 128 CP), ainsi que de dommage à la propriété (art. 144 CP).

Vu l’issue du litige, chacun des prévenus se verrait allouer des dépens (art. 429 al. 1 let. a CPP).

D. a. Dans son recours, A______ précise d'emblée que le comportement de K______ n'était pas constitutif d'une infraction pénale, considérant que ce dernier se trouvait sous l'emprise d'une erreur sur les faits pour avoir pensé que l'intervention de ses collègues était légitime.

Il reproche au Ministère public d'avoir privilégié la version des policiers, alors que les enregistrements produits permettaient de corroborer sa version. En outre, G______ était revenu sur ses déclarations en raison de l'écoulement du temps. Par ailleurs, la version des inspecteurs était incohérente: alors même qu'il était dans son intérêt de ne pas entrer en contact avec eux, D______ avait déclaré qu'il lui aurait "foncé droit dedans", alors que le policier se serait préalablement légitimé. Ce dernier s'était d'ailleurs contredit, ayant expliqué, précédemment, l'avoir percuté car il s'était mis sur son passage. Il paraissait aussi étonnant que les policiers, présents en nombre, l'aient brièvement maitrisé et ne l'aient pas auditionné avant de le relâcher, sans procéder aux inscriptions usuelles. Enfin, l'explication donnée quant au manque de place n'était pas plausible. La maxime in dubio pro duriore devait ainsi conduire à une mise en accusation des prévenus.

L'origine des lésions était établie, le certificat médical mentionnant que celles-ci pouvaient avoir été causées par les sévices dénoncés. Il n'avait aucun intérêt à dénoncer des violences policières, alors qu'aucune procédure n'avait été engagée contre lui. Le devoir de fonction ne justifiait pas les agissements des inspecteurs, qui auraient pu procéder à son audition sans recours à la force, dès lors qu'il s'éloignait du lieu de l'incendie.

Le fait de rouer de coups "un mineur" qui s'éloignait du lieu de l'infraction représentait un usage disproportionné de la contrainte et constitutif d'abus d'autorité. L'absence d'inscription au journal ne pouvait pas s'expliquer par sa non-identification et un tel manquement constituait un indice en faveur d'un usage excessif de la contrainte. Cette non-inscription lui portait préjudice, dans la mesure où les actes n'avaient pas pu être portés à la connaissance des autorités policières compétentes, conformément à la directive "usage de la force, moyens de contrainte et fouille", dans sa teneur au 19 novembre 2021, qu'il cite.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les conclusions visant l'annulation du classement sont recevables (art. 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP). Tel n'est, en revanche, pas le cas des conclusions en constatation de la violation des art. 123, 144 et 312 CP, les conclusions constatatoires ayant un caractère subsidiaire et n'étant recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues (ACPR/94/2022 consid. 3 et les références citées).

1.3. Le classement de la procédure à l'égard de K______ n'étant pas contesté, point n'est besoin d'y revenir.

Par ailleurs, la Chambre de céans constate que le recourant ne remet pas en cause l'ordonnance de classement querellée en tant qu'elle concerne le chef de dommage à la propriété, dès lors qu'il ne développe aucun argument visant à démontrer la réalisation de cette infraction. Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

2.             Le recourant demande à pouvoir compléter son recours.

Or, il est communément admis en procédure que la motivation d'un recours doit être entièrement contenue dans l'acte de recours lui-même, qui ne saurait dès lors être complété ou corrigé ultérieurement (ATF 134 II 244 consid. 2.4.2 et 2.4.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2011 du 7 décembre 2010 consid. 5; ACPR/373/2022 du 27 mai 2022 consid. 3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 385), de sorte que sa demande sera rejetée.

3.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

4.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir classé sa plainte s'agissant des lésions corporelles simples et de l'abus d'autorité reprochés aux deux inspecteurs.

4.1.  Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b) ou lorsque des faits justificatifs empêchent de retenir une infraction contre le prévenu (let. c).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

4.2.  Se rend coupable de lésions corporelles simples celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé (art. 123 ch. 1 CP).

Le comportement de l'auteur de l'infraction doit être la cause naturelle et adéquate des lésions corporelles simples subies par la victime (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, n. 16 ad art. 123 CP). L'infraction est intentionnelle, cette intention devant porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction, le dol éventuel étant toutefois suffisant (ATF 119 IV 1 consid. 5a; ATF 103 IV 65 consid. 1.2).

4.3.1. L'art. 312 CP réprime les membres d'une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge.

Cette disposition protège, d'une part, l'intérêt de l'État à disposer de fonctionnaires loyaux qui utilisent les pouvoirs qui leur ont été conférés en ayant conscience de leur devoir et, d'autre part, l'intérêt des citoyens à ne pas être exposés à un déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire. L'incrimination pénale doit être interprétée restrictivement, compte tenu de la formule très générale qui définit l'acte litigieux. L'auteur n'abuse ainsi de son autorité que lorsqu'il use de manière illicite des pouvoirs qu'il détient de sa charge, c'est-à-dire lorsqu'il décide ou contraint en vertu de sa charge officielle dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire. L'infraction peut aussi être réalisée lorsque l'auteur poursuit un but légitime, mais recourt pour l'atteindre à des moyens disproportionnés (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa et b et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1351/2017 du 18 avril 2018 consid. 4.2).

Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel, ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou le dessein de nuire à autrui (arrêt du Tribunal fédéral 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.1). Il faut admettre que l'auteur nuit à autrui dès qu'il utilise des moyens excessifs, même s'il poursuit un but légitime. Le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_579/2015 du 7 septembre 2015 consid. 2.2.1 et 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.3.3). La jurisprudence retient un dessein de nuire dès que l'auteur cause par dol ou dol éventuel un préjudice non négligeable (arrêts du Tribunal fédéral 6B_987/2015 du 7 mars 2016 consid. 2.6 ; 6B_831/2011 du 14 février 2012 consid. 1.4.2 ; 6S_885/2000 du 26 février 2002 consid. 4a/bb ; ATF 99 IV 13).

4.3.2. Aux termes de l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du présent code ou d'une autre loi. En ce qui concerne le devoir de fonction, c'est le droit cantonal qui détermine, pour les agents publics cantonaux, s'il existe un devoir de fonction et quelle en est l'étendue (ATF 121 IV 207 consid. 2a).

4.3.3. L'art. 200 CPP précise que la force ne peut être utilisée qu'en dernier recours pour exécuter les mesures de contrainte; l'intervention doit être conforme au principe de la proportionnalité.

En effet, la justice ne peut se contenter de la bonne volonté des intéressés pour faire exécuter les mesures de contrainte. Lorsque le fait d'ordonner une telle mesure n'est pas suffisant pour assurer le résultat voulu, la justice doit, à certaines conditions, pouvoir recourir à la force. L'art. 200 CPP fait ainsi office de base légale à l'exécution des mesures de contrainte par la force (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. ., n. 2 et 3 ad art. 200).

4.4. En l'espèce, il n’est pas contesté que les blessures présentées par le recourant, à savoir celle à la lèvre et la contusion temporomandibulaire gauche, établies par la documentation médicale produite, constituent des lésions corporelles simples.

Si le recourant soutient que, alors qu'il marchait "normalement", les prévenus lui auraient bloqué le chemin et lui auraient asséné des coups de poings et de genoux sur tout le corps, ces derniers ont, de manière concordante, contesté lui avoir porté des coups dans ces circonstances.

Il ressort de l'instruction, en particulier des déclarations de l'ensemble des policiers entendus, que leur intervention, ce soir-là, avait pour but d'interpeller des jeunes, signalés comme ayant mis le feu à une poubelle aux environs des rues Schaub et Hoffmann. Après avoir localisé ces jeunes, les prévenus ont constaté que, à l'arrivée du fourgon de police, un de ses membres – identifié par la suite comme étant le recourant – tentait de prendre la fuite en courant. Le recourant a d'ailleurs reconnu avoir pu, à tout le moins, courir "quelques foulées". Puis, les prévenus ont expliqué que le recourant était entré en collision avec D______, ce qui les avait projetés les deux contre un cabanon de chantier. Sur ce point, le fait que le recourant ait délibérément percuté l'inspecteur, qu'il ait préalablement tenté de l'éviter ou encore que ce soit les prévenus qui lui aient barré le chemin ne change rien, dans la mesure où, compte tenu des circonstances sus-décrites, ces derniers étaient en droit de l'appréhender, notamment pour déterminer s'il était l'auteur des faits visés par leur intervention (art. 215 al. 1 CPP). Après ce heurt, les prévenus ont tenté de maitriser le recourant qui, contrairement à ses affirmations, s'est fortement débattu, ce qui a été confirmé par l'ensemble des policiers entendus. C'est d'ailleurs cette forte agitation qui a poussé J______ et K______ à intervenir, étant précisé qu'ils ont tous les deux confirmé avoir vu le recourant donner un coup de pied à D______ au niveau du thorax. Enfin, contrairement à ce que soutient le recourant, les prévenus ont également affirmé, de manière constante et concordante, s'être légitimés, et l'ensemble des policiers entendus a déclaré ne pas avoir vu les prévenus lui porter de coups de poings ou de genoux.

Au vu de ce qui précède, les blessures présentées par le recourant résultent manifestement de l'intervention des prévenus, soit plus précisément du heurt consécutif à l'appréhension du recourant par D______, ou encore des tentatives de ces derniers de le maitriser, que ce soit en le saisissant par le bras, les habits, ou encore par un contrôle du cou. Le rapport médical, qui fait état de lésions traumatiques, ne contient pas d'élément permettant de considérer que les blessures constatées auraient été infligées dans les circonstances relatées par le recourant lui-même plutôt que celles décrites par les policiers (prévenus et témoins).

Pour le surplus, les enregistrements produits ne permettent pas d'arriver à une autre conclusion. En effet, le premier n'apporte pas d'élément supplémentaire aux déclarations du recourant et rien n'indique que le second porte sur les faits dénoncés. Quoiqu'il en soit, hormis l'arrivée de deux motos et une forte agitation, aucun coup n'est mis en évidence sur cet enregistrement, contrairement à ce que soutient le recourant. S'agissant de G______, ce dernier est revenu sur ses déclarations pour finalement admettre qu'il n'avait pas assisté aux faits.

En conséquence, l'intervention des policiers s'est limitée à la neutralisation du recourant, lequel avait tenté de se soustraire à un contrôle de police effectué ensuite d'un incendie perpétré par un groupe de jeunes, dont il faisait partie. Le recourant n'ayant pas obtempéré aux injonctions de la police et celle-ci ayant dû procéder fermement pour tenter de le maîtriser, pour des motifs avérés, ses plaies et contusions ont été provoquées dans le cadre de mesures licites et proportionnées. Les actes autorisés par la loi n'étant pas punissables (art. 14 CP), il n'existe pas de prévention pénale suffisante de lésions corporelles.

Le recourant invoque également un abus d'autorité, mais les faits retenus ne révèlent pas d'acte par lequel les prévenus auraient abusé des pouvoirs qui leur étaient conférés puisque, compte tenu de la situation et devant la résistance opposée par le recourant, ils ont été contraints d'employer la force, pour tenter de le maitriser. Ainsi, la contrainte était rendue nécessaire par l'attitude du recourant. Aucun élément du dossier ne permet de penser que les policiers auraient violé le principe de la proportionnalité.

Enfin, même si, contrairement aux directives, aucun rapport sur l'usage de la contrainte n'a été rédigé après l'intervention, cette omission ne suffit pas à fonder un abus d'autorité. Il apparait en effet que, après une enquête complète, l'emploi de la force était justifié par la situation. L'on ne saurait en outre déduire, du comportement des prévenus, un quelconque dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou encore de nuire à autrui.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             La procédure étant close (art. 135 al. 2 CPP), il convient de fixer l'indemnisation du conseil juridique gratuit pour son activité.

6.1. À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 138 CPP, le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif est édicté à l'art. 16 RAJ (E 2 05 04); il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. En l'espèce, l'avocate du recourant invoque six heures d'activité pour la rédaction du recours.

Compte tenu de l'ampleur de l'écriture de recours, qui comprend 4 pages consacrées à la discussion juridique, et de l'issue du recours, qui a été rejeté, l'indemnité sera fixée à CHF 861.60, correspondant à 4 heures d'activité au tarif horaire de CHF 200.-, TVA à 7.7% comprise.

Les frais de la procédure de recours resteront à la charge de l'État (art. 20 RAJ ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_215/2018 du 14 juin 2018 consid. 1.2).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 861.60 (TVA 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).