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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4473/2023

ACPR/429/2023 du 06.06.2023 sur ONMMP/772/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.07.2023, rendu le 11.01.2024, REJETE, 7B_263/2023
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;DÉLAI;PLAINTE PÉNALE
Normes : CP.173; CP.174; CP.31; CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4473/2023 ACPR/429/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 6 juin 2023

 

Entre

 

A______, domicilié ______, comparant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 février 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 3 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 février 2023, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut à l'annulation de cette ordonnance et demande que sa plainte puisse "suivre son cours".

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ sont voisins dans l'immeuble, rue 1______ no. ______, à C______ [GE], appartenant à la Fondation HBM D______ (ci-après: la Fondation).

b. Le 23 août 2021, B______ a adressé un courrier à la Fondation dénonçant "la vie insupportable au no. ______ rue 1______". Dans sa lettre, il critique les agissements de plusieurs voisins, et y écrit qu'il y a "une personne au 4ème qui souffre, je pense, de la maladie dite de Diogène".

Sur demande de la Fondation, la régie E______ (ci-après: la régie) a informé celle-ci, le 20 septembre 2021, que A______ était le "Diogène" auquel faisait allusion B______.

c. À plusieurs reprises, entre octobre 2021 et mars 2022, la régie a requis l'accès au logement de A______, ce que ce dernier a refusé.

d. Le 9 mai 2022, la Fondation a signalé A______ au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après: le TPAE). Par décision du 15 juin 2022, l'autorité précitée a désigné un curateur d'office à A______ pour la procédure pendante devant elle. La cause a été classée, le 14 novembre 2022.

À l'issue de cette procédure, A______ a demandé, le 14 novembre 2022, l'autorisation de consulter le dossier. Par pli simple du 21 suivant, le TPAE l'a autorisé à le faire dans un délai de 7 jours suivant la réception de son courrier. Les pièces soumises à la Chambre de céans ne permettent pas d'établir à quelle date A______ a consulté le dossier.

e. Le 23 février 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour diffamation (art. 173 CP) et calomnie (art. 174 CP).

Il reproche au précité de l'avoir "lourdement" diffamé, en émettant publiquement le doute qu'il était un Diogène, soit qu'il ne disposait pas de toutes ses facultés mentales, et ce pour "satisfaire [ ] son désir de revanche". Cette dénonciation avait, de surcroît, eu des conséquences très désagréables pour lui, puisqu'une procédure avait été ouverte au TPAE, où son nom figurait désormais dans les archives. Or, le syndrome de Diogène semblait, pour la justice genevoise, constituer "le noyau" des maladies mentales. B______ l'avait en outre exposé à un regard différent de la part des bailleurs et de tous ceux qui avaient eu connaissance de la dénonciation. Sa vie (et sa sphère privée) avait été exposée à la vue de tous ceux qui étaient intervenus dans le dossier et avait été "évaluée".

De plus, il était certain, en raison de nombreux indices, d'avoir été l'objet, en son absence, d'une violation de domicile, en septembre 2021. La régie avait contesté avoir ordonné une quelconque inspection de son appartement, mais des indices troublants suggéraient le contraire.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que la plainte déposée par A______, le 23 février 2023, était tardive, ce dernier ayant eu connaissance, au plus tard le 15 juin 2022, de l'existence du courrier envoyé par B______ à la Fondation, soit à réception de "[sa] mise en examen en vue d'évaluer la nécessité d'une curatelle". Partant, il existait un empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir établi les faits de façon erronée.

À aucun moment dans sa plainte il n'avait indiqué avoir été informé le 15 juin 2022 du nom de celui qui l'avait "dénoncé" à la Fondation. Il n'en avait pas non plus été informé par son curateur, durant la procédure devant le TPAE. À sa demande, il avait été autorisé à consulter le dossier jusqu'au 29 novembre 2022, ce qu'il avait fait le 24 ou 25 novembre 2022 et, par conséquent, n'avait appris l'identité de B______ qu'à cette date. Sa plainte du 23 février 2023 avait donc été déposée dans les délais.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et - faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP - dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art.104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites par le recourant sont également recevables, la jurisprudence constante admettant leur production en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

1.3. Le recourant ne semble pas critiquer la décision en tant qu'elle n'est pas entrée en matière sur sa plainte pour violation de domicile. En tout état de cause, l'acte parait tardif, la violation alléguée ayant eu lieu en septembre 2021 tandis que la plainte a été déposée en février 2023. Il ne sera donc pas revenu sur ce point.

2.             Le recourant reproche au Ministère public une constatation erronée des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 198; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

3. 3.1. Selon l'article 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'un acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1, 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

3. 

3.1. 

3.2. Une ordonnance de non-entrée en matière doit également être rendue lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple lorsque le délai pour déposer plainte prévu par l'art. 31 CP n'a pas été respecté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_848/2018 du 4 décembre 2018 consid. 1.5).

Selon l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai court du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction.

3.3. L'art. 173 ch. 1 CP réprime, sur plainte, le comportement de celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, ou aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.

La personne dont l'honneur est visé n'a pas à être désignée, il suffit qu'elle soit reconnaissable, soit identifiable (ATF 124 IV 262 consid. 2a ; 117 IV 27 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1126/2020 du 10 juin 2021 consid. 3.1).

Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 315 s.). Un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3; 137 IV 313 consid. 2.1.3).

Est notamment attentatoire à l'honneur le fait de détourner de leur sens médical ou purement scientifique des termes pour les utiliser afin de déprécier le caractère de la personne visée, comme "psychopathe", "mongol" ou "idiot" par exemple. Lorsqu'elle est utilisée dans un sens médical, l'assertion selon laquelle une personne serait malade nerveusement ou psychiquement n'est en revanche pas en soi attentatoire à l'honneur, dans la mesure où le fait de souffrir d'une maladie, dont la personne n'est pas responsable, ne la rend pas méprisable. Il n'est ainsi pas pénalement répréhensible d'affirmer de quelqu'un qu'il est malade des nerfs, qu'il a séjourné dans un asile d'aliénés ou qu'il est faible d'esprit. Tel n'est en revanche pas le cas lorsque la maladie résulte d'un comportement que la personne pouvait maîtriser et qui tend à jeter le soupçon sur elle de mener une vie dissolue, telle une maladie sexuelle par exemple, ou lorsque l'assertion est utilisée pour dépeindre quelqu'un comme étant grincheux, anormal, de caractère inférieur ou comme un excentrique antisocial (arrêt du Tribunal fédéral 6B_582/2020 du 17 décembre 2020 consid. 3.2 et les références citées ; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 20 Intro aux art. 173 à 178 CP et les références citées).

3.4. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation (art. 173 CP), dont elle se distingue en cela que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses et que l'auteur doit avoir eu connaissance de la fausseté de ses allégations.

3.5. En l'espèce, à teneur des pièces produites, il apparait que le recourant n'a pris connaissance de l'identité du mis en cause qu'à la consultation du dossier du TPAE, soit le 24 ou 25 novembre 2022 selon ses dires, ou au plus tard sept jours après la réception du courrier du 21 novembre 2022 de l'autorité citée. La communication n'ayant pas impliqué un accusé de réception, la Chambre de céans retiendra que le recourant a eu connaissance de l'auteur de la lettre litigieuse entre le 24 et le 29 novembre 2022.

Partant, la plainte du 23 février 2023 a été déposée dans le délai légal.

3.6. Cela étant, les propos du mis en cause ne remplissent pas les éléments constitutifs de la diffamation (art. 173 CP).

Le mis en cause a écrit à la propriétaire de l'immeuble qu'il y avait "une personne au 4ème qui souffre, je pense, de la maladie dite de Diogène". Ces propos s'inscrivent dans le contexte d'une missive, rédigée certes sur un ton exaspéré, mais qui avait pour but d'amener la Fondation à réagir aux situations problématiques rencontrées dans l'immeuble locatif. Le syndrome de Diogène est une affection psychique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_836/2017 du 20 avril 2018). Ainsi, malgré le ton de la lettre, le mis en cause a utilisé le terme au sens médical, pour alerter sur une circonstance de fait, sans le détourner ni y ajouter un jugement dépréciatif.

D'ailleurs, la Fondation, destinataire de la lettre, a également interprété ces propos dans leur sens médical puisqu'elle a signalé le recourant au TPAE.

Par conséquent, malgré le caractère désagréable, pour le recourant, de la démarche de son voisin, les propos de ce dernier n'ont pas porté atteinte à son honneur.

Le recourant semble par ailleurs reprocher au mis en cause de l'avoir "dénoncé" sans fondement. On ajoutera, par souci d'exhaustivité, que la dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) ne vise que la démarche visant à ouvrir une procédure pénale contre la personne dénoncée, ce qui n'était pas le but de la démarche du mis en cause.

4.             Compte tenu de ce qui précède, la non-entrée en matière sera confirmée, par substitution de motifs.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État. Dans la mesure où le recours a été déposé parce que l'ordonnance querellée avait retenu à tort la tardivité de la plainte, les frais seront fixés en totalité à CHF 200.-, comprenant un émolument pour le présent arrêt (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de procédure de recours, arrêtés à CHF 200.-.

Dit que ce montant sera prélevé à due concurrence sur les sûretés versées.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde, en CHF 700.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4473/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

115.00

 

 

 

Total

CHF

200.00