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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2825/2023

ACPR/336/2023 du 10.05.2023 sur OCL/441/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.06.2023, 7B_420/2023
Descripteurs : INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;DÉTENTION(INCARCÉRATION);TORT MORAL
Normes : CPP.429.letc; CP.51

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2825/2023 ACPR/336/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 10 mai 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 28 mars 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 11 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mars 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public, après avoir partiellement classé la procédure, a notamment refusé de lui allouer un montant à titre de réparation morale (chiffre 5 du dispositif).

Le recourant conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 13'400.- à titre de réparation du tort moral subi en raison de sa détention "injustifiée".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Le 6 février 2023, A______, né en 1988, a été placé en détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) jusqu'au 4 mai 2023, pour avoir, muni d’un couteau et avec le concours d’un tiers, agressé à deux reprises la même personne à son domicile, à Genève, et lui avoir dérobé un téléphone portable, des espèces et de la cocaïne.

Ressortissant algérien sans titre de séjour en Suisse, il est également prévenu de rupture de ban (art. 291 CP) pour avoir, entre le 12 janvier 2023, lendemain de sa dernière condamnation et le 4 février 2023, date de son interpellation, intentionnellement persisté à séjourner en Suisse, notamment à Genève, alors qu'il faisait l'objet d'une décision d'expulsion judiciaire prononcée le 2 octobre 2020 par la Chambre pénale d'appel et de révision, pour une durée de 8 ans.

Il répond également d'une violation de l'art. 19a LStup, pour avoir, entre le 12 janvier et le 4 février 2023, régulièrement consommé des stupéfiants, notamment du crack.

Il ne conteste pas les préventions de rupture de ban, de séjour illégal et de consommation illicite de stupéfiants.

b.             Après qu’une confrontation des prévenus avec la victime et la femme de celui-ci n’eut rien donné, le Ministère public a rendu l’avis de prochaine clôture, le 8 mars 2023, annonçant que l’accusation serait engagée contre A______ exclusivement des chefs de rupture de ban et de consommation illicite de stupéfiants.

c.              A______ a vainement demandé sa libération au Ministère public.

d.             Selon les précisions obtenues par le Ministère public auprès de l’Office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), A______ est démuni de documents d’identité et n’est pas formellement identifié. Dès lors, aucune décision n’avait été prise depuis le prononcé d’expulsion. Une demande de soutien en vue d’exécuter son expulsion serait présentée au Secrétariat d’État aux Migrations.

e.              Par ordonnance du 7 mars 2023, le TMC a refusé la mise en liberté de A______. Toutes les charges étaient suffisantes et graves, nonobstant l’issue de la confrontation. En particulier, le risque que le mis en cause ne disparaisse dans la clandestinité, alors qu’une expulsion était en force, était concret, tout comme le risque de réitération, qui pouvait se fonder sur le casier judiciaire du prénommé, connu sous quatre alias et condamné à dix reprises depuis 2011 (notamment deux fois pour contravention à la LStup et deux fois pour rupture de ban, la dernière en janvier 2023). Le recours interjeté par A______ a été rejeté le 21 mars 2023 (ACPR/204/2023, déféré au Tribunal fédéral).

f.              Par acte d'accusation du 5 avril 2023, le Ministère public a renvoyé A______ en jugement par-devant le Tribunal de police pour les infractions de rupture de ban et de consommation illicite de stupéfiants et a sollicité sa mise en détention pour des motifs de sûreté.

g.             Le 11 avril 2023, le TMC a ordonné la mise en détention de A______ pour des motifs de sûreté jusqu'au 4 juin 2023, considérant que les charges de rupture de ban étaient graves et suffisantes à teneur de la procédure pour justifier la mise en détention pour des motifs de sûreté, le prévenu se trouvant en Suisse de manière illégale, et persistant à y séjourner au mépris d'une décision d'expulsion judiciaire, sans collaborer avec les autorités chargées de son renvoi dès lors que son identité, et donc son pays d'origine, n'étaient toujours pas formellement établis. Il existait dès lors un risque de fuite et un risque de réitération. Si, certes, le seul délit dont il était prévenu était une rupture de ban, le prévenu présentait un risque de récidive élevé pour toutes sortes d'infractions, y compris des infractions mettant gravement en danger la sécurité publique.

h.             L'audience de jugement a été fixée au 10 mai 2023.

C.           Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que le prévenu étant renvoyé en jugement pour les infractions de rupture de ban et de consommation illicite de stupéfiants, sa détention avant jugement prétendument subie à tort ne pouvait – à ce stade de la procédure – faire l'objet d'une indemnisation, cette question ne devant être examinée qu'au terme de la procédure.

D. a. A l'appui de son recours, A______, qui soutient être de nationalité algérienne, estime qu'au vu du classement partiel de la procédure, sa mise en détention avant jugement ne pouvait pas être ordonnée, au vu de la seule infraction de rupture de ban qui lui était reprochée, sans autre crime ou délit en parallèle. La Directive sur le retour s'opposait à sa mise en détention pour des motifs de sûreté, faute de tentative de mesures coercitives contre lui pour exécuter son renvoi de Suisse. Ainsi, la seule infraction de rupture de ban ne pouvait justifier son maintien en détention, dans la mesure où il était d'ores et déjà exclu qu'en cas de condamnation, une peine privative de liberté soit prononcée à son encontre. L'indemnité devait être calculée à raison de CHF 200.- par jour, de son arrestation provisoire du 4 février 2023 au jour du dépôt du recours, avec intérêts à 5% par année dès son arrestation, soit CHF 13'400.-.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             En tant qu'il a trait à l'indemnité à titre de réparation du tort moral pour détention injustifiée (art. 429 al. 1 let. c CPP), le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des points d'une ordonnance de classement sujets à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé de l'indemniser pour les jours de détention subis depuis son arrestation provisoire le 4 février 2023.

3.1.       Selon l'art. 429 al. 1 let. c CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

3.2.       À teneur de l'art. 51 CP, le juge impute sur la peine la détention avant jugement subie par l'auteur dans le cadre de l'affaire qui vient d'être jugée ou d'une autre procédure. Un jour de détention correspond à un jour-amende.

L'atteinte à la liberté personnelle que représente la privation de liberté avant jugement est un préjudice qui trouve sa réparation dans l'imputation de la durée de celle-ci sur la peine prononcée ou, en cas d'acquittement, dans une indemnité (ATF 117 IV 404 consid. 2a ; 113 IV 118 consid. 2b). La question de l'indemnisation d'une détention injustifiée ne se pose donc, en principe, que si une imputation suffisante de cette détention sur une autre sanction, au sens de l'art. 51 CP, n'est plus possible. Tel est le cas lorsque le nombre de jours de détention dépasse celui des jours-amende prononcés (arrêt du Tribunal fédéral 6B_558/2013 du 13 décembre 2013 consid. 1.6 in fine).

3.3.       La Directive 2008/115/CE – dite "Directive sur le retour" – pose le principe de la priorité des mesures de refoulement sur le prononcé d'une peine privative de liberté du ressortissant d'un pays tiers qui est en séjour illégal (ATF 147 IV 232 consid. 1.2 ; 143 IV 249 consid. 1.5 et 1.9). Un tel genre de peine ne peut entrer en ligne de compte que lorsque toutes les mesures raisonnables pour l'exécution de la décision de retour ont été entreprises (ATF 147 IV 232 consid. 1.2). Les principes dégagés de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, examinés par le Tribunal fédéral sous l'angle du séjour illégal, doivent être transposés à la rupture de ban au sens de l'art. 291 CP (ATF 147 IV 232 consid. 1.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1092/2021 du 23 mai 2022 consid. 3.1 et la référence citée). Cette disposition punit d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton. Ainsi, la Directive sur le retour n’est pas applicable aux ressortissants des pays tiers qui ont commis, outre le séjour irrégulier, un ou plusieurs autres délits en dehors du droit pénal sur les étrangers (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2022 du 2 septembre 2022 consid. 1.1.2). Ces considérations sont applicables à la détention provisoire (ATF 143 IV 264 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_31/2022 du 11 février 2022 consid. 2.1).

3.4.       En l'espèce, le recourant estime que la "Directive sur le retour" trouve application à sa situation, dans la mesure où la Suisse ne l'avait pas soumis à des mesures coercitives pour exécuter son renvoi et où la seconde infraction pour lequel il est renvoyé en jugement – soit la consommation illicite de stupéfiants – n'est puni que de l'amende (cf. art. 19a LStup), ne constituant ainsi ni un crime ni un délit passible d'une peine privative de liberté (cf. art. 10 al. 2 et 3 CP).

Il ne conteste toutefois pas que son identité et sa nationalité ne sont pas formellement établies pour l’autorité d’exécution. Du reste, son casier judiciaire révèle quatre alias. Dans ces conditions, on ne voit pas ce que, depuis le prononcé de l’expulsion, l’OCPM aurait pu et dû tenter auprès de la représentation d’Algérie en Suisse en vue de son renvoi vers un pays tiers, au sens de la Directive sur le retour. De plus, vu ses nombreux antécédents, il apparaît vraisemblable que celle-ci puisse ne pas trouver application dans son cas.

Peu importe en tout état, dans la mesure où il est question ici de détention avant jugement et que ce type de détention est admissible aussi lorsque l’une des peines encourues est une peine pécuniaire. Dans le cas de l’art. 291 CP, ce n’est en tout cas ni au juge de la détention ni au Ministère public – après avoir partiellement classé la procédure et procédé au renvoi en jugement pour le surplus – d’empiéter sur les prérogatives du juge du fond en estimant que, dans l’alternative des sanctions prévues par cette disposition légale, la situation personnelle du recourant – en récidive, sur point – appellerait le choix d’une peine pécuniaire plutôt que d’une peine privative de liberté. La Chambre de céans a d'ailleurs eu l'occasion de trancher dans le même sens sur un précédent recours du recourant (ACPR/204/2023 précité consid. 3.2).

Il s'ensuit que la question d'une indemnisation du recourant pour le tort moral qu'il aurait subi en raison de sa détention avant jugement "injustifiée" est prématurée.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). Il est renvoyé sur ce point à la décision susmentionnée de la Chambre de céans (consid. 8).

6.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

6.1.       Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_648/2022 du 19 janvier 2023 et 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

6.2.       En l'occurrence, le grief lié à la Directive sur le retour était manifestement infondé – s'agissant d'un motif déjà rejeté – et le recours n'avait, ainsi, aucune chance de succès. Il s'ensuit que les conditions d'une défense d'office devant l'autorité de recours ne sont pas réunies. Aucune indemnisation ne sera ainsi allouée à ce titre à l'avocat du recourant.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.

Refuse de le mettre au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la présence instance.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son défenseur, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2825/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

500.00