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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2498/2022

ACPR/316/2023 du 04.05.2023 sur OCL/1639/2022 ( MP ) , ADMIS

Recours TF déposé le 19.06.2023, 7B_681/2023
Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;COMPÉTENCE RATIONE LOCI;ABUS DE CONFIANCE;BLANCHIMENT D'ARGENT
Normes : CPP.313.al1.letd; CP.3; CP.8; CP.138; CP.305bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2498/2022 ACPR/316/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 4 mai 2023

 

Entre

A______ S.R.L., ayant son siège ______, Panama, comparant par Me B______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 13 décembre 2022 par le Ministère public,

et

C______, domicilié ______ France, comparant par Mes Grégoire MANGEAT et Fanny MARGAIRAZ, avocats, passage des Lions 6, case postale, 1211 Genève 3,

D______, domiciliée c/o E______, ______, Bermudes, comparant par Me Philippe GRUMBACH, avocat, rue Saint-Léger 6, case postale 181, 1211 Genève 4,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 23 décembre 2022, A______ S.R.L. (ci-après : A______ SRL) recourt contre l’ordonnance rendue le 13 précédent, notifiée le lendemain, aux termes de laquelle le Ministère public a, notamment : rejeté ses réquisitions de preuve (ch. 1 du dispositif); classé sa plainte pénale déposée le 1er février 2022 contre E______ LIMITED (ci-après : E______ LTD), C______, D______ et F______ des chefs d’abus de confiance et blanchiment d’argent (ch. 2); levé le séquestre ordonné sur le compte détenu par G______ LTD (ci-après : G______ LTD) dans les livres de la banque H______ SA (ci-après : la banque H______; ch. 3).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 6'300.45, préalablement, à l’octroi de l’effet suspensif à son recours, et, sur le fond, à l’annulation de la décision attaquée, le Procureur devant être invité à poursuivre l’instruction, le séquestre ordonné sur la relation bancaire précitée devant, par surcroît, être maintenu.

b. Le 28 décembre 2022, la Direction de la procédure a fait droit à la demande d’effet suspensif, maintenant ledit séquestre jusqu’à droit jugé sur le recours, et a requis, et obtenu, de A______ SRL le paiement de sûretés (CHF 4'000.-; OCPR/63/2022).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______ SRL est une personne morale de droit panaméen (PP 100'027), active dans le négoce de valeurs mobilières (PP 100’032).

a.b.a. E______ LTD, incorporée aux Bermudes (PP 100'033), offre des services en matière de courtage et d’investissements (PP 100'041 n. 2, 2ème phrase). Elle dispose de personnel dans ce dernier pays et à I______ [Royaume-Uni] (PP 100'042 n. 7).

a.b.b. Elle est notamment administrée (PP 100’033) par D______ (anciennement D______; PP 100’094), qui en est l’ayant droit économique (PP 100’042 n. 7), et par C______, qui en est aussi le directeur général (PP 100'042 n. 7 et PP 100’100).

Aux dires de A______ SRL, F______ serait un organe de fait de E______ LTD et disposerait d’une mainmise sur celle-ci (PP 100'005 n. 9).

a.b.c. C______ – de nationalité suisse et domicilié en France voisine depuis 2018 à tout le moins (PP 100'035) – administre, en parallèle de E______ LTD, trois personnes morales situées à Genève (PP 100'035 à 100’039).

a.c. Le 16 mai 2014, A______ SRL et E______ LTD ont conclu un contrat de dépôt ("Corporate Custodian Agreement"; PP 100'123 et ss).

Dans cet accord (PP 100'126 et s. ainsi que 100’134), la seconde s'est engagée envers la première à : détenir ses titres et liquidités (art. 2); conserver séparément ces valeurs de ses propres actifs, respectivement des avoirs détenus pour le compte d’autres clients (art. 3.1.1); ouvrir une relation de dépôt appropriée auprès d’une banque approuvée par A______ SRL (art. 3.1.3); ne pas vendre ses titres sans son accord (art. 3.1.4 [selon l’interprétation de cette clause faite par les juridictions civiles bermudiennes, dans une affaire opposant E______ LTD à un tiers ayant conclu une convention similaire : PP 100'073 n. 86]); suivre les instructions de A______ SRL pour les opérations financières listées dans le contrat (art. 3.1.5, 3.1.9 et 3.1.12 à 3.1.14); après la résiliation de la convention, restituer, dès que possible ("[a]s soon as possible"), à A______ SRL les valeurs confiées (art. 11.5.1.1).

a.d.a. À cette suite, E______ LTD a ouvert un compte (n° 3______) au nom de A______ SRL en ses livres (PP 100’100).

C______ était la personne de contact de la déposante (PP 100’100).

Celle-ci a versé USD 23 millions à tout le moins, en titres et en espèces, sur cette relation (PP 100'145 et 100’153). L’on ignore auprès de quelle(s) banque(s) ceux-ci ont été déposés, avec son accord.

E______ LTD a établi des relevés mensuels (PP 500’003).

b.a. G______ LTD (anciennement J______ LTD) est située aux Bahamas (PP 100’107).

E______ LTD y détient une relation (n° 1______), laquelle comporte un sous-compte intitulé "K______ 2______" (PP 600'163 n. 3).

À une date inconnue, cette dernière société a nanti ("pledged") en faveur de G______ LTD l’intégralité des valeurs déposées sur cette relation en garantie d’un prêt (PP 600'165 n. 10, 2ème phrase).

b.b. G______ LTD a été administrée, à compter du mois de mars 2021, par F______, entre autres (PP 100’120).

En automne de cette même année, l’autorité bahaméenne compétente a désigné un administrateur à G______ LTD pour assurer sa gestion quotidienne et la protection de ses clients (PP 100'108 et ss, 100'121 et 301’003).

b.c. D’après cet administrateur, qui disposait des relevés, pour le mois de novembre 2021, aussi bien du "K______ 2______" que du compte n° 3______ détenu par A______ SRL dans les livres de E______ LTD, nombre de titres inclus dans ces deux relations correspondaient les uns aux autres ("match"; PP 600'163 n. 2 et n. 3 ainsi que 600'166 et ss).

c.a. La banque H______, société incorporée à Genève, fournit à G______ LTD des services de banque correspondante et de banque dépositaire depuis 2018, en application d’un accord les liant ("Service Level Agreement"; PP 301'132 et 301’135, recto, n. 3.1 ["correspondant banking and cash management services"] et n. 3.2 ["custody business"]).

À cet effet, celle-ci dispose d’une relation (n° 4______) au sein de celle-là (PP 3'000'000 et ss notamment).

c.b. En décembre 2021, nombre de titres inclus dans cette relation étaient identiques (libellés et quantités) à ceux déposés par A______ SRL auprès de E______ LTD (constat résultant de la comparaison des relevés de comptes établis par ces institutions pour ce mois, notamment, PP 3'000'467, verso, et ss ainsi que 100'146 et ss).

c.c. Aux dires de la banque H______, l’ensemble des titres confiés par ses clients est détenu en dépôt par L______ AG, à M______ (ci-après : L______; PP 301’127).

d. Le 6 décembre 2021, A______ SRL a requis de E______ LTD la restitution d’une partie de ses valeurs, en vain (PP 100'157 à 100’162).

Le 17 du même mois, A______ SRL a écrit à E______ LTD, lui reprochant d’avoir transféré à G______ LTD, à son insu et sans droit, lesdites valeurs, information qu’elle tenait de C______, lequel avait rencontré l'un de ses représentants, à I______, le 13 précédent (PP 100’161 à 100’164).

e.a. Par courriels du 20 décembre 2021, E______ LTD, soit pour elle C______, a instruit G______ LTD de vendre nombre de titres inclus dans le "K______ 2______" (PP 600'008 à 600'013), afin de rembourser son prêt (PP 600'164 n. 9).

Cet ordre a été exécuté par cette dernière société (PP 600'166 et ss), qui l’a, semble-t-il, à son tour, répercuté à la banque H______, qui s’y est conformée (dès le 21 suivant; PP 3'000'467, verso, et ss). Le dossier ne comporte aucun relevé établi par L______.

e.b. Les titres (libellés et quantités) vendus correspondent à ceux remis par A______ SRL a E______ LTD, pour partie du moins (constat résultant de la comparaison entre les pièces PP 600'166 et ss, 3'000'467, verso, et ss ainsi que 100'146 et ss).

f.a. Le 1er février 2022, A______ SRL a porté plainte (PP 100'003 et ss) contre E______ LTD, C______, D______ et F______ pour abus de confiance et blanchiment d'argent, acte qu’elle a complété le 11 avril suivant (PP 600'005 et ss).

En substance, elle y reprochait à C______ d’avoir utilisé sans droit les titres qu’elle avait déposés auprès de E______ LTD, en, notamment: les transférant à son insu à des sous-dépositaires; "participant" à leur nantissement en faveur de G______ LTD; les vendant pour partie et lui occasionnant, de ce fait, un préjudice de l’ordre de USD 14 millions. D______ et F______, détenteurs (in)directs de E______ LTD, avaient racheté G______ LTD dans le courant de l’année 2021; le prêt contracté par E______ LTD auprès de cette dernière banque était destiné à financer cette acquisition; en nantissant ses propres avoirs pour garantir ledit prêt, les prénommés avaient utilisé sans droit ses valeurs, aux fins de s'enrichir.

f.b. Le 16 février 2022, le Ministère public a ordonné le séquestre du compte détenu par G______ LTD auprès de la banque H______ à hauteur d’USD 24 millions (PP 301'000 et s.).

Celle-ci s’est exécutée, précisant que G______ LTD était une contrepartie bancaire, ce qui signifiait que la relation saisie n’était pas un compte "personnel" ou rattaché à la banque, mais une relation dite "technique", utilisée par la titulaire pour le trafic de paiement de ses clients (PP 301'003 et s.).

f.c. Le Procureur a tenu une audience le 25 mai 2022.

f.c.a. A______ SRL, soit pour elle son représentant, a confirmé sa plainte, ajoutant que, lors de la réunion tenue à I______ [Royaume-Uni] le 13 décembre 2021, C______ avait "essayé de voir si [elle] ét[ait] prêt[e] à renoncer à certains de [ses] actifs", ce qui n'était pas le cas (PP 500’004). Elle n'avait jamais pu obtenir d’informations claires de E______ LTD sur ce qu’il était advenu de ses avoirs (PP 500’002). Cette société avait, dès janvier 2022, cessé d’établir des relevés de son compte, respectivement d’actualiser les données auxquelles elle pouvait accéder en ligne (PP 500’003).

f.c.b. C______ a été prévenu d’infraction à l’art. 138 CP pour avoir, en qualité de directeur général de E______ LTD, de concert avec D______ et F______, détourné des valeurs confiées par A______ SRL, via les banques G______ LTD et H______. Il a refusé de s’exprimer (PP 500'001 et s.).

f.c.c. D______, qui n’a pas comparu, étant excusée, et F______, que le Ministère public ne semble pas avoir convoqué, au motif qu'il ignorait son adresse, n’ont pas été formellement prévenus.

f.c.d. Entendu en qualité de témoin, N______, conseiller juridique au sein de la banque H______, a déclaré qu’il lui semblait que G______ LTD avait appartenu à son employeuse. Courant 2021, G______ LTD avait été vendue à E______ LTD (PP 500’006).

f.d. Le 14 novembre 2022, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer la procédure, faute de rattachement territorial des faits dénoncés avec la Suisse (PP 300'000 et s.).

A______ SRL – seule partie ayant réagi – s’y est opposée (PP 600'111 et ss). Rien n'excluait, à ce stade, que Genève fût le lieu, tant de la commission de l'infraction à l'art. 138 CP – C______ pouvant très bien avoir rédigé les emails contenant les ordres de vente litigieux depuis les bureaux des autres sociétés qu’il administrait à Genève, respectivement y avoir orchestré "l’ensemble du schéma frauduleux" – que celui du résultat – ses valeurs étant détenues par la banque H______ –. Par ailleurs, les actes d'entrave commis sur le produit de cette infraction l'avaient été à Genève, par la banque précitée. Divers actes d’instruction, qu’il convenait d’ordonner, permettraient d’étayer ses allégués.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les faits dénoncés n'avaient aucune attache avec la Suisse. En effet, le prétendu transfert, par E______ LTD, des titres de A______ SRL à G______ LTD était intervenu à l'étranger. A______ SRL n'avait jamais détenu de compte dans les livres de la banque H______ et rien n’attestait que ses titres y auraient été déposés, respectivement nantis en garantie du prêt consenti par G______ LTD à E______ LTD. A______ SRL ayant son siège au Panama, son éventuel dommage se serait produit à l'étranger. Le classement de la cause s'imposait donc (art. 3 et 8 CP cum 319 al. 1 let. d CPP). L'absence de for en Suisse résultant des éléments matériels du dossier, il n'y avait pas lieu de donner suite aux réquisitions de preuves formulées par la plaignante. Vu l'issue du litige, le séquestre ordonné sur le compte détenu par G______ LTD auprès de la banque H______ serait levé.

D. a. À l’appui de ses recours et réplique, A______ SRL se plaint d'une constatation incomplète des faits par le Ministère public. Sur le fond, cette autorité avait violé les trois normes précitées, en niant, à tort, l'existence d'un for en Suisse, pour les mêmes raisons que celles préalablement exposées (cf. lettre B.f.d). Il appartiendrait au Procureur, une fois la décision annulée, d'ordonner les divers actes d'instruction énumérés dans son mémoire. Les conditions du séquestre demeurant réalisées, cette mesure devrait être maintenue.

b. Invité à se déterminer, C______ conclut au rejet du recours. Rien "ne démontr[ait]" qu'il exercerait, de manière générale, son activité de directeur de E______ LTD à Genève, ni, surtout, que les emails ordonnant les ventes de titres litigieuses auraient été rédigés/envoyés depuis la Suisse. "N'en déplaise à la [r]ecourante, [il était] en effet ( ) domicilié en France, les[dits] [e]mails ( ) [avaient] été envoyés en lien avec son activité liée à E______ ayant son siège aux Bermudes, et son activité professionnelle l'am[e]n[ait] à constamment voyager, la [r]ecourante alléguant elle-même l'avoir rencontré «dans le courant de la semaine du 13 décembre 2021», soit quelques jours avant les [courriels] litigieux, à I______".

Il n'était pas établi que la banque H______ aurait détenu les titres de A______ SRL, qui étaient dématérialisés; aurait-ce été le cas (leur dépôt serait alors intervenu sous la forme de simples écritures comptables) qu'il se serait agi d'un point de rattachement passager, ces valeurs "ayant nécessairement été déposé[e]s plus loin auprès d'un[e] [institution] central[e] [inter]national[e]", configuration usuelle en matière de titres intermédiés. À cela s'ajoutait qu'une telle configuration rendait le critère du lieu de "dépôt" (de titres intermédiés) "totalement aléatoire"; ce critère ne pouvait donc être utilisé pour déterminer le for pénal, sauf à violer le principe de la sécurité juridique.

c. D______ prend des conclusions similaires. La présente procédure n'ayant aucun lien avec la Suisse, c'était en vain que la recourante tentait d'y créer "artificiellement ( ) des pseudos rattachements".

d. Le Ministère public persiste dans les termes de sa décision.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 396 al. 1, 390 al. 1 et 385 al. 1 CPP) contre une ordonnance de classement (art. 319 CPP), décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les (co)auteurs/participants des infractions alléguées aux art. 138 (art. 115 CPP) et 305bis CP (ATF 146 IV 211 consid. 4).

2. La recourante se plaint d'une constatation incomplète/erronée des faits par le Ministère public (art. 393 al. 2 let. b CPP).

Comme la juridiction de céans dispose d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_139/2022 du 2 mai 2022 consid. 2.2), les éventuelles lacunes/inexactitudes entachant l’ordonnance querellée auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-avant.

Le grief sera donc rejeté.

3. La recourante dénonce une violation des art. 3 et 8 CP ainsi que 319 al. 1 let. d CPP.

3.1. Conformément à cette dernière disposition, la procédure doit être classée lorsqu’il est établi que certaines conditions à l’ouverture de l’action pénale ne peuvent pas être remplies.

Ainsi en va-t-il en cas d’inexistence d’un for en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_942/2021 du 8 novembre 2021 consid. 2.4).

3.2. Le code pénal est applicable à quiconque commet une infraction sur le territoire helvétique (art. 3 ch. 1 CP). Un crime ou un délit est réputé perpétré tant au lieu où l'auteur a agi qu’à l’endroit où le résultat s'est produit (art. 8 ch. 1 CP).

3.2.1. Tout comportement réalisant, y compris partiellement, les éléments constitutifs d’une infraction peut être considéré comme la commission de celle-ci (ATF 141 IV 205 consid. 5.2).

En aval du comportement typique proprement dit, la jurisprudence admet que les actes accomplis par l'auteur après la consommation de l’infraction (Vollendung), en vue d’en atteindre l’achèvement (Beendigung), permettent, eux aussi, de définir le lieu de l’acte (ATF 99 IV 121 consid. 1b; M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), Petit commentaire du CP, Bâle 2017, n. 6 ad art. 8). En revanche, d'éventuels actes accomplis en Suisse après l'achèvement n’ont aucune pertinence (ATF 133 IV 171 consid. 6.5; M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), op. cit., ibidem).

3.2.2. L’auteur médiat influence l’auteur immédiat, instrument dénué d’intention, de telle manière que ce dernier commette l’acte. Dans ce cas, l’infraction est localisée, tant à l’endroit où l’auteur médiat a influencé le tiers instrument qu’au lieu où ce dernier a agi, voire à l’endroit où le résultat s’est produit (ATF 85 IV 203; M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 51 ad art. 8).

3.2.3. Un acte punissable commis par des coauteurs est réputé exécuté partout où l’un d’eux accomplit un seul des éléments de l’état de fait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_518/2014 du 4 décembre 2014 consid. 10.7.1; L. MOREILLON/ A. MACALUSO/ N. QUELOZ/ N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I : art. 1-110 CP, Bâle 2020, n. 49 ad art. 8).

3.2.4. Les actes de l'instigateur ou du complice sont considérés comme ayant été perpétrés au même endroit que l'infraction principale (ATF 144 IV 265 consid. 2).

3.3. Selon l'art. 138 ch. 1 CP, se rend coupable d'abus de confiance celui qui, intentionnellement, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée (al. 1), respectivement aura employé, sans droit, à son profit ou à celui d'un tiers, des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées (al. 2).

3.3.1. Les titres au porteur constituent des choses mobilières lorsqu’ils sont incorporés dans des papiers valeurs. À défaut, il s’agit de valeurs patrimoniales au sens de la norme précitée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_528/2012 du 28 février 2013 consid. 2.2.1 et 4.1; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 4A_314/2016 du 17 novembre 2016 consid. 4.2).

Une chose/valeur patrimoniale est confiée quand le lésé l'a remise à l'auteur pour qu’il l’utilise de manière déterminée, en vertu d'un accord. Le comportement délictueux consiste, alternativement, à s’approprier ladite chose ou à utiliser ladite valeur contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_54/2019 du 3 mai 2019 consid. 2.1 et 6B_528/2012 précité, consid. 4.2 et 4.3).

3.3.2. En matière d'abus de confiance, le lieu de l’acte est celui où l’auteur utilise [la chose ou] la valeur confiée en violation du contrat (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2018 précité, consid. 4.4.3).

3.4. L’art. 305bis CP réprime le comportement de celui qui aura commis un acte propre à entraver la confiscation de valeurs patrimoniales, dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime, que celui-ci ait été commis en Suisse (ch. 1) ou à l’étranger (ch. 3).

3.4.1. Constitue un acte d’entrave toute manœuvre tendant à dissimuler le produit de l’infraction préalable, propre à en rendre plus difficile le paper trail (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 35 ad art. 305bis).

3.4.2. En matière de blanchiment d’argent, le lieu de l'acte est celui où l’auteur accomplit l’entrave (arrêts du Tribunal fédéral 6B_45/2021 du 27 avril 2022 consid. 3.1 et 880/2018 du 31 octobre 2018 consid. 4.1).

3.5. L'art. 29 CP permet d'imputer à l'organe (de fait) d'une société (let. a et d), respectivement au collaborateur disposant d'un pouvoir de décision indépendant dans le secteur d'activité dont il est chargé (let. c), les actes pénalement répréhensibles qu'il a commis en agissant au nom de celle-ci.

3.6.1. En l'espèce, la recourante a confié des titres – qui semblent être dématérialisés – à E______ LTD.

À teneur de l'accord les liant, celle-ci était tenue de conserver lesdits titres, ne pouvant les transférer/vendre à des tiers qu'avec l'accord de celle-là.

Les allégués de la recourante selon lesquels E______ LTD aurait transmis, puis nanti, ses titres en faveur de G______ LTD (aux Bahamas), laquelle les aurait, à son tour, remis à la banque H______ (à Genève), sont vraisemblables, à ce stade. En effet, les titres déposés sur les comptes détenus par ces sociétés (n3______ pour la recourante, "Porfolio 2______" pour E______ LTD et n° 4______ pour G______ LTD) sont identiques, en partie à tout le moins. À en croire la banque H______, ces titres ont ensuite été déposés auprès de L______ (à M______).

Le 20 décembre 2021, C______, administrateur et directeur général de E______ LTD (art. 29 CP), a ordonné la vente de valeurs qui pourraient bien être celles de la recourante, pour rembourser une dette de la société. Cet ordre a été exécuté par G______ LTD, qui l'a, semble-t-il, répercuté à la banque H______, laquelle l'a, censément, transmis à L______.

Il n'est pas exclu que les opérations susmentionnées (transfert, nantissement et vente des titres) aient été accomplies à l'insu de la recourante, en l'état des éléments recueillis.

Si cela s'avérait, C______ pourrait alors avoir commis un acte d'abus de confiance, en vendant ces titres à tout le moins – opération apte à priver la recourante de la propriété sur ceux-ci, et non seulement de ses droits de possesseur (conséquence des transfert et nantissement allégués) –.

Cette potentielle infraction s'est déroulée en deux temps : le prénommé a, tout d’abord, donné l’ordre de vendre les valeurs (Vollendung), puis cet ordre a été exécuté (Beendigung).

C______ ne dément pas les allégués de la recourante selon lesquels il aurait très bien pu se trouver à Genève lorsqu'il avait donné les instructions litigieuses, se contentant d'affirmer qu'un tel élément ne résulterait pas du dossier. Il n'est donc pas exclu, à ce stade, que l'une des conditions de l'art. 138 CP ait été réalisée en Suisse.

En outre, il est concevable que ce prévenu ait su – hypothèse qui exclurait alors tout aléa – que les titres concernés étaient déposés en Suisse – puisque E______ LTD (dont il était organe) aurait, aux dires du témoin N______, acheté G______ LTD à la banque H______ courant 2021, opération qui impliquait que E______ LTD connût, à l'époque desdites instructions, l'existence du compte dépositaire détenu par G______ LTD en Suisse –. En donnant ces mêmes instructions, C______ a donc pu amener (auteur médiat) les banques G______ LTD et H______ (auteurs immédiats) à achever la commission de l'infraction sur le territoire helvétique – exécution des ventes des titres litigieux, apparemment placés chez L______ (les éléments du dossier ne permettant pas, pour l'instant, de les localiser en un autre endroit) –.

À cette aune, l'existence d'un for en Suisse ne peut être niée, en l'état.

3.6.2. Quant à D______ et F______, leurs rôles ne sont pas établis à ce stade, de sorte que l'on ne peut exclure leur implication, en qualité de coauteurs ou de participants, dans les faits susvisés.

3.7. S'agissant du prétendu blanchiment d'argent, la commission d'actes d'entrave sur les titres vendus – produits de la possible infraction à l'art. 138 CP – pourrait, théoriquement, être intervenue en Suisse (plus particulièrement à M______), lieu où ces valeurs semblent avoir été déposées.

3.8. À cette aune, les autorités helvétiques sont a priori compétentes pour connaître des deux infractions dénoncées.

Le classement entrepris viole donc les art. 3 et 8 CP cum 319 al. 1 let. d CPP.

Fondé, le recours doit être admis et la cause, renvoyée au Ministère public pour qu'il continue l'instruction. Dans ce cadre, il sera loisible à la partie plaignante de solliciter l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

Aussi les chiffres 1 et 2 du dispositif attaqué seront-ils annulés.

4. Il en ira de même du point 3, le séquestre ordonné sur le compte n° 4______ détenu par G______ LTD auprès de la banque H______ ayant été levé pour le seul motif que la procédure était classée.

L’instruction étant rouverte, cette mesure de contrainte reste en vigueur.

5. La recourante obtient gain de cause sur l’essentiel de ses conclusions (seul le grief tiré de la constatation incomplète/erronée des faits ayant été rejeté).

En conséquence, il sera renoncé à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP) et les sûretés qu'elle a versées lui seront restituées.

6. La plaignante peut prétendre à l'octroi de dépens, corrélativement (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

Elle réclame CHF 6'300.45 à ce titre, correspondant à 13 heures d'activité de chef d'étude (pour la rédaction d'un mémoire de 38 pages et l'accomplissement de recherches juridiques), facturées au tarif horaire de CHF 450.-, majorées de la TVA.

Cette durée apparaît excessive, compte tenu du caractère ciblé du litige, circonscrit à l’incompétence ratione loci des autorités suisses. Elle sera donc ramenée à 4 heures, temps qui paraît raisonnable pour faire valoir les aspects développés au considérant 3. supra, seuls pertinents pour l'issue du litige. Une somme de CHF 1'800.- lui sera, ainsi, allouée (4 heures x CHF 450.- [ACPR/670/2022 du 29 septembre 2022, consid. 4.1]), hors TVA (vu son siège à l’étranger [ATF 141 IV 344 consid. 4]), et mise à la charge de l’État [art. 436 al. 3 CPP]).

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de classement querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il continue l'instruction.

Dit que le séquestre ordonné sur le compte détenu par G______ LTD dans les livres de la banque H______ SA est maintenu à ces fins.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ S.R.L. les sûretés versées (CHF 4'000.-).

Alloue à A______ S.R.L., à la charge de l'État, une indemnité de procédure de CHF 1'800.- TTC.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à, A______ S.R.L., C______ et D______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Communique la première page et le dispositif du présent arrêt à H______ SA.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de droit :

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).