Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/19096/2019

ACPR/306/2023 du 03.05.2023 sur OTMC/751/2023 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.212; CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19096/2019 ACPR/306/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 3 mai 2023

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par lui-même,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 14 mars 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 22 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 mars précédent, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a refusé de le mettre en liberté et a prolongé sa détention jusqu'au 23 mai 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision, à l’injonction au Ministère public de le renvoyer immédiatement en jugement, à sa mise en liberté immédiate et à la « préconisation » qu’il soit équipé [à titre de mesure de substitution] d’un téléphone « préparé » par la Brigade de criminalité informatique.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______, ressortissant suisse né en 1979, est en détention depuis le 27 septembre 2019 sous les préventions – telles qu’actuellement retenues par le Ministère public – d'assassinat (art. 112 CP), de brigandage aggravé (art. 140 ch. 4 CP) et d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP), pour des faits survenus le 9 septembre 2019, à Genève, ainsi que, par suite de jonction de procédures, de deux brigandages aggravés (art. 140 ch. 1 à 4 CP), perpétrés le 27 décembre 2017 et le 6 janvier 2018 à Genève. L’avis de prochaine clôture de l’instruction a été émis le 23 décembre 2022, puis notifié à nouveau ultérieurement aux autres parties en raison selon le Ministère public d’une erreur (sans autre précision).

b.        A______ semble n'admettre que la prévention d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP), soit d'avoir aidé celui qu'il désigne comme le réel auteur de l'homicide (un comparse désormais jugé et condamné en France, et dont le Ministère public a demandé les actes du procès, le 30 mars 2023) à se débarrasser du corps.

c.         A______ a été soumis à une expertise psychiatrique – à laquelle il a refusé de coopérer – dont le rapport a été rendu le 2 mars 2023. Le diagnostic consiste en un trouble de la personnalité, de gravité moyenne, avec traits dyssociaux et narcissiques, mais sa responsabilité est pleine et entière ; il présente un risque élevé de commission d’infractions, en particulier contre la vie ou l’intégrité corporelle, et apparaît inaccessible à un traitement. Ses défenseurs ont demandé la récusation des experts (l’instance est en cours). Une confrontation avec ceux-ci s’est tenue le 4 avril 2023 – lors de laquelle A______ a demandé pour la troisième fois la récusation, pendante par-devant la Chambre de céans, du Procureur – et sera reprise le 5 mai 2023.

d.        La détention provisoire de A______ a été régulièrement prolongée depuis son appréhension. Cinq recours contre les décisions du TMC ont été rejetés (ACPR/769/2020 du 29 octobre 2020; ACPR/39/2021 du 19 janvier 2021; ACPR/281/2021 du 28 avril 2021; ACPR/513/2021 du 4 août 2021 ; ACPR/732/2022 du 26 octobre 2022).

e.         Le 6 mars 2023, A______ a formé une demande de libération, invoquant, en bref, des preuves scientifiques en lien avec l’aspersion de la victime du 9 septembre 2019 par un spray au poivre. Le Ministère public, ne tenant pas l’argument pour déterminant, s’y est opposé et a demandé que la détention soit, au contraire, prolongée de deux mois.

C. Dans la décision attaquée, le TMC reprend l’exposé des faits à l’appui de chacune des préventions et relève l’extrême gravité des charges, qu’il détaille une à une.

Un risque de fuite élevé en découlait, ne serait-ce que parce que A______ n’avait pas respecté l’interdiction de quitter le territoire suisse qui conditionnait sa mise en liberté, en août 2019.

Le risque de collusion subsistait envers les co-prévenus et témoins. Le butin d’aucun des brigandages n’avait été retrouvé.

Le risque de réitération pouvait se fonder sur la similitude des manières d’opérer et sur les conclusions de l’expertise psychiatrique.

Une prolongation de détention d’une durée de deux mois permettrait de terminer la confrontation avec les experts, que A______ avait demandée, et d’engager l’accusation. Le principe de la proportionnalité demeurait respecté.

D. a. À l'appui de son recours, fort de quarante-sept pages manuscrites, A______ soutient, en bref, n’avoir encore jamais pu s’exprimer librement sur l’intégralité du dossier.

Si le TMC ne s’était pas interrogé sur le bien-fondé des charges [d’assassinat] à la lumière du « tableau de la C______ », cette autorité eût pu, à tout le moins, inviter le Ministère public à réévaluer la pertinence de celles-ci. Lui-même, d’un niveau moyen de français et dépourvu de connaissances juridiques, ne pouvait se voir reprocher, comme le faisait le TMC, d’être resté muet sur le contenu d’une confrontation menée avec l’une des victimes, le 8 juin 2022. Des actes d’instruction devraient être ordonnés par « le juge du fond » ; son jugement en serait retardé à 2024. Des protagonistes de « l’affaire du clan ______[nationalité]» n’avaient jamais été placés en détention provisoire.

La programmation adéquate, à titre de mesure de substitution à la détention, d’un téléphone portable permettrait de le suivre pas à pas et de connaître ses conversations.

b. Le TMC maintient les termes de sa décision.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il sollicite de pouvoir disposer aussi vite que possible du dossier, pour le mettre en état avant le renvoi en jugement.

d. A______ réplique que, selon la Chambre de céans elle-même [ACPR/732/2022, déjà cité, consid. 4.3.], les débats autour de l’expertise ne justifieraient pas une prolongation de sa détention.

e. Par plis, l’un remis au greffe de la prison le 3 avril 2023 et l’autre posté le 12 avril 2023, il affirme apporter encore des « clarifications » à son recours et prie la Chambre de céans de se faire remettre le procès-verbal de l’audience du 4 avril 2023.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable, pour avoir été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à leur modification ou annulation (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les écritures du recourant postérieures à sa réplique sont tardives (art. 91 al. 2 CPP) et ne seront par conséquent pas prises en considération.

2.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes.

2.1.       À teneur de l'art. 221 al. 1 première phrase CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. En d'autres termes, pour qu'une personne soit placée en détention préventive, il doit exister à son égard des charges suffisantes ou des indices sérieux de culpabilité, c'est-à-dire des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction. Au contraire du juge du fond, le juge de la détention n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge ni à apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1 ; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2).

2.2.       En l'espèce, le mémoire de recours s’épuise dans une longue narration des procédures désormais jointes et de l’interprétation qu’en donne le recourant. Ce dernier perd – à nouveau (cf. ACPR/732/2022, déjà cité) – de vue qu'il n'appartient pas au juge de la détention d'examiner en détail l'ensemble des considérations de fait, pas plus que de procéder à une appréciation complète des éléments à charge et à décharge.

Quoi qu'il en dise, les charges retenues contre lui sont suffisantes et reposent sur les éléments de fait passés scrupuleusement en revue, un par un et de façon circonstanciée, par le premier juge. En l'absence du moindre fait nouveau dans l'intervalle – la confrontation commencée avec les experts n’apportant en l’état rien sur les charges –, la Chambre de céans peut renvoyer sans autre analyse à l’ordonnance déférée (ATF 123 I 31 consid. 2c p. 34; arrêt du Tribunal fédéral 1B_378/2019 du 19 août 2019 consid. 2 et les références).

3.             Le mémoire de recours ne comporte aucun développement sur les risques de fuite, de collusion et de réitération, tels que motivés par le premier juge. Le TMC pointe à cet égard le risque de récidive, que la Chambre de céans a toujours retenu. Ce risque peut se fonder sur les modes opératoires spécifiques mis en lumière par l’enquête – et présentant de grandes analogies entre eux –, ainsi que sur les conclusions de l’expertise psychiatrique. Il peut donc être renvoyé, sur ce point aussi, à l'ordonnance attaquée. Que les conclusions des experts soient combattues et que la récusation de ceux-ci soit demandée n’y change rien.

4.             D’un passage de la dernière décision de la Chambre de céans sur sa détention provisoire, le recourant semble tirer la conséquence, si ce n’est que la durée de sa détention heurterait le principe de la proportionnalité, du moins que son jugement serait retardé à l’année 2024.

4.1.       Les principes applicables ont été rappelés dans la décision susmentionnée (ACPR/732/2022, déjà cité, consid. 4.1. et 4.2.). On peut donc y renvoyer.

4.2.       Il a été constaté à cette occasion que le recourant supporte une durée très importante de détention avant jugement.

Le recourant se prévaut cependant erronément de l’avis exprimé par la Chambre de céans dans sa décision du 26 octobre 2022, où elle relevait en passant que la menée à chef d’une expertise sur dossier, comme cela fut le cas, n’était pas un argument appuyant la détention (consid. 4.3.).

Il est vrai que les derniers développements de l’instruction, y compris l’informalité, non précisée, mais malencontreuse, qui entourerait la notification de l’avis de prochaine clôture aux autres parties à la procédure, pourrait éveiller l’impression que cet avis n’a été émis que pour se conformer par pure forme aux préoccupations de l’autorité de recours avant le terme de détention alors sur le point d’échoir, puisqu’une commission rogatoire a été encore récemment décernée à la France pour se procurer les actes du procès du comparse impliqué dans l’homicide du 9 septembre 2019 – demande qui eût parfaitement pu être formulée par la Direction de la procédure du tribunal de première instance, pour peu qu’elle eût été saisie de l’acte d’accusation (cf. art. 330 s. CPP) –.

Il n’en reste pas moins que si, à teneur de dossier, le recourant ne paraît pas avoir demandé expressis verbis de confrontation avec les experts, il est celui qui, par ses défenseurs, a en tout cas demandé le 4 avril 2023 que cette confrontation soit poursuivie encore pendant l’instruction. En d’autres termes, le recourant s’accommode – ou préfère, peut-être, si l’on garde à l’esprit sa demande de récuser les experts – que ceux-ci soient interrogés à ce stade de la procédure.

Il doit donc accepter aujourd’hui que son renvoi en jugement soit différé d’autant.

5.             Sa situation ne présente aucun point commun avec celle des autres prévenus. Aucun, par exemple, n’est soupçonné d’un homicide commis à l’occasion d’un brigandage, suivi de la destruction du cadavre. Le parallèle avec « le clan ______[nationalité]» tombe donc à faux. Il n’y a pas de violation du principe d’égalité de traitement.

6.             Le cumul d’infractions extrêmement graves, les caractéristiques de la personnalité du recourant, notamment la propension aux actes de violence contre les personnes, telles qu’elles émergent du dossier et de l’expertise psychiatrique, font qu’une libération avant jugement ferait courir, en termes de récidive, un risque trop élevé à la sécurité publique (ATF 146 IV 326 consid. 3.1 p. 328 s. ; en matière de soupçon d’homicide intentionnel : ATF 137 IV 13 consid. 4.4 p. 21). On ne voit donc pas en quoi la fourniture par l’État d’un appareil téléphonique « préparé », comme le suggère le recourant, offrirait un palliatif suffisant, au sens de l’art. 237 CPP.

7.             Le principe de la proportionnalité n’est pas enfreint, pour les motifs qu’a retenus le premier juge (art. 212 al. 3 CPP) et auxquels on renvoie. L’empressement apparu dans les observations du Ministère public en facilitera le respect.

8.             Le recours est par conséquent rejeté.

9.             Le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6). Ces frais seront arrêtés en totalité à CHF 900.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

10.         Il n'y a pas lieu d'indemniser le défenseur d'office, qui n’est pas intervenu.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge du recourant les frais de l’instance, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant personnellement, au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique pour information au défenseur principal du recourant.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19096/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00