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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2716/2023

ACPR/295/2023 du 26.04.2023 sur OTMC/917/2023 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : RISQUE DE FUITE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.212; CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2716/2023 ACPR/295/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 avril 2023

 

Entre

 

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 28 mars 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte,

 

et

 

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 13 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mars 2023, notifiée le 3 avril 2023, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a autorisé la prolongation de sa détention provisoire jusqu’au 2 juillet 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et à sa mise en liberté immédiate, sous mesures de substitution.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.        A______, ressortissant du Kosovo né en 1979, est placé en détention provisoire depuis le 3 février 2023, pour avoir dérobé une voiture de concert avec un tiers, à D______ [GE], dans la nuit du 4 au 5 janvier 2023, s’être légitimé sous une fausse identité alors qu’il était frappé d’une interdiction d’entrée jusqu’en 2026 et avoir été porteur d’un couteau non autorisé. Il conteste avoir participé au vol de l’automobile.

b.        Il est connu sous six alias, et son casier judiciaire comporte trois condamnations depuis 2010, principalement pour des infractions contre le patrimoine (extorsion ou chantage par brigandage, brigandage) et à la législation sur les armes.

c.         Il a déclaré avoir deux filles, résidant à Zurich et auxquelles il déclare être venu rendre visite. Il pourrait avoir résidé depuis quelques mois dans un appartement ou l’autre à E______ [GE], dont aucun n’est à son nom.

d.        Dans la partie de sa demande de prolongation de détention consacrée au vol de l’automobile, le Ministère public lui reproche d’avoir prêté assistance à l’auteur principal, qu’il aurait suivi jusqu’en France au volant d’une autre voiture et qui est en détention extraditionnelle apparemment à F______ [France], sur demande du canton de Vaud.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le TMC retient que les charges sont suffisantes. Pour appuyer celles relatives au vol de voiture, il reprend un par un tous les éléments de vidéo-surveillance et de surveillance téléphonique rétroactive, ainsi que la chronologie qui en résulte. Il relève que le Ministère public devrait tenter d’organiser l’audition de la personne détenue en France [ce que le Procureur refusera formellement ultérieurement, par lettre du 6 avril 2023 au défenseur du prévenu]. Par ailleurs, A______ présentait des risques de fuite, collusion et réitération. Les investigations encore à accomplir ne sauraient l’être sous un mois [comme le suggérait à titre très subsidiaire la défense dans sa prise de position]. Les mesures de substitution proposées (obligation de rester en contact avec son défenseur et de notifier tout changement d’adresse ; interdiction de quitter le territoire et de contacter l’autre suspect ; présentation périodique à la police ; dépôt de passeport ; caution) n’offriraient aucune garantie suffisante de représentation.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ relève que c’est lui qui avait donné le nom de l’auteur du vol et qu’il n’avait fait que l’escorter après les faits. De façon incohérente, le TMC octroyait une prolongation de trois mois, alors qu’il n’avait accordé que deux mois lors du placement en détention. Pareille durée violait le principe de la proportionnalité, compte tenu de la faible peine désormais encourue. La confrontation escomptée par le TMC ne pourrait avoir lieu avant trois mois, mais plutôt à la fin de l’année, voire plus tard encore. Aucun risque de collusion (avec l’auteur principal) ou de réitération (de nouvelle complicité) ne pouvait être retenu, puisque le voleur présumé était détenu. À défaut, des mesures de substitution suffiraient (séquestrer son téléphone, interdiction de prêter un « nouveau téléphone » et se livrer à de nouvelles escortes « d’autres véhicules pour rendre service » ; toute mesure touchant le permis de conduire ou son usage) parce que celui-ci était détenu. Le TMC avait rejeté sans motivation les autres mesures, relatives au risque de fuite, et notamment la caution proposée [CHF 5'000.-, voire CHF 10'000.-, « dont il légitimerait l’origine »], qui représentait plus d’une année de salaire moyen [au Kosovo]. Or, le TMC avait accordé pareilles mesures « dans d’autres situations permettant le retour du prévenu dans son pays ».

b. Le Ministère public propose le rejet du recours, en des termes similaires à ceux du premier juge de la détention.

c. Le TMC déclare persister dans sa décision.

d. A______ réplique longuement, insistant sur son assistance postérieure au vol.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. a, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne s'exprime aucunement sur les charges de séjour illégal et de port d’arme prohibé. Il n'y a donc pas à s'attarder sur ces points. Quant aux charges de complicité, elles sont détaillées par le menu, et les objections du recourant réfutées, par les développements du premier juge à leur sujet, auxquels on peut par conséquent renvoyer, en l’absence de tout fait nouveau à décharge dans l’intervalle (art. 82 al. 4 CPP ; ACPR/18/2022 du 13 janvier 2022 consid. 2 et les références).

3.             Le recourant conteste tout risque de fuite.

3.1.       Conformément à la jurisprudence, ce risque doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable (ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70 et la jurisprudence citée). La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, mais permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62; 117 Ia 69 consid. 4a p. 70; 108 Ia 64 consid. 3). Le risque de fuite s'étend également au risque de se soustraire à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en tombant dans la clandestinité à l'intérieur du pays (ATF 143 IV 160 consid. 4.3 p. 167).

3.2.       En l'occurrence, le risque que le recourant ne se soustraie à la poursuite pénale ne saurait être minimisé et doit, au contraire, être qualifié de concret.

Le recourant est dépourvu de titre de séjour en Suisse. Il est même poursuivi pour cela. Il ne paraît pas avoir conservé de liens spécifiques avec ses filles, qui, par ailleurs, ne résident pas dans le canton de Genève (où lui-même séjournait depuis quelques mois) et qui, en tout état, ne s’offrent pas à l’héberger, s’il était libéré – à supposer qu’une assignation à résider sur un territoire où il a été déclaré indésirable soit compatible avec l’état de droit, ou même simplement opportune, puisqu’elle perpétuerait la commission d’une infraction avec l’accord des autorités pénales (cf. ACPR/359/2014 du 30 juillet 2014 consid. 4.2., ACPR/763/2018 du 14 décembre 2018 consid. 5 et ACPR/359/2019 du 15 mai 2019 consid. 5.) –.

Dans ces circonstances, on ne voit pas quelles mesures de substitution efficaces pallieraient le danger que le recourant ne plonge dans la clandestinité ou ne trouve ou retrouve abri au Kosovo et échappe à son jugement en Suisse. On ne comprend pas du tout ce qu’offrirait à cet égard l’astreinte à garder le contact avec son défenseur.

Sans doute propose-t-il une caution (art. 238 CPP). Le montant paraît toutefois formulé de façon hasardeuse, puisque le recourant était prêt devant le premier juge, sans autre explication, à en doubler le montant initial et qu’il déclarait vouloir en justifier ultérieurement. Or, non seulement le recourant n’en fait rien dans l’acte de recours, mais encore, voire surtout, il méconnaît ce faisant les exigences en la matière. En effet, la libération moyennant sûretés implique un examen approfondi, qui demande une certaine collaboration de sa part, dès lors que le caractère approprié de la garantie doit être apprécié notamment au regard de ses ressources, de ses liens avec des personnes pouvant lui servir de caution et de la confiance qu'on peut avoir que la perspective de perdre le montant fourni agira comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de fuite, sans oublier qu’il convient également de faire preuve de prudence quant à l'origine des fonds (arrêt du Tribunal fédéral 1B_169/2021 du 4 novembre 2021 consid. 3.1). Or, le recourant ne fournit aucune explication sur ces points décisifs, car il se borne à renvoyer, en définitive, au niveau moyen des salaires dans son pays d’origine.

4.             Ce qui précède rend superflu l’examen du risque de réitération. De jurisprudence constante, en effet, si l'un des motifs prévus aux lettres a à c de l'art. 221 al. 1 CPP est réalisé, il n'y a pas lieu d'examiner si un autre risque entre également en considération (arrêt du Tribunal fédéral 1B_51/2021 du 31 mars 2021 consid. 3.1.).

5.             Le recourant estime que son maintien en détention violerait le principe de la proportionnalité, au motif que la peine qu’il encourrait concrètement serait très faible, pour s’être limité à « escorter » dans sa fuite l’auteur principal d’un vol.

5.1.       À teneur des art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP, les autorités pénales doivent respecter le principe de la proportionnalité lorsqu'elles appliquent des mesures de contrainte, afin que la détention provisoire ne dure pas plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible.

5.2.       À cette aune, et maintenant que le Ministère public lui a signifié – postérieurement à la suggestion émise sur ce point par le TMC – qu’une confrontation n’aurait pas lieu, c’est en pure perte que le recourant conjecture une durée de sa détention avant jugement qui s’étendrait jusqu’à la fin de l’année courante. Seul importe à ce stade d’examiner si cette durée sera encore proportionnée à l’échéance qu’a fixée le TMC dans la décision attaquée.

La détention a commencé au début du mois de février 2023 – et n’a pas été prolongée que pour des charges tenant à la complicité de vol, telle que la privilégie désormais le Ministère public –. Elle ne paraît pas excéder à ce jour la peine à laquelle le recourant pourrait être condamné, s’il était reconnu coupable de toutes les préventions retenues contre lui. En augurant une « faible » sanction, le recourant donne une interprétation personnelle de la notion de complicité (art. 25 CP), notamment si l’on garde à l’esprit la possible récidive d’infractions spécifiques, soit de s’en être déjà pris au patrimoine d’autrui.

En revanche, dans la mesure où le premier juge escomptait manifestement qu’une confrontation se tiendrait, et que tel ne semble pas devoir être le cas, l’on peut acquiescer à la conclusion n° 5 de l’acte de recours, soit fixer au 2 juin 2023 le prochain terme de la détention provisoire. En effet, le Ministère public lui-même concède dans ses observations que, sauf imprévu, il ne prévoit pas d’autres actes d’instruction.

6.             Le recours doit être admis sous cet aspect.

7.             Les frais seront en conséquence laissés à la charge de l’État.

8.             Le recourant n’a, à juste titre (art. 135 al. 2 CPP), pas demandé d’indemnisation pour son défenseur d’office.


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule partiellement la décision attaquée en tant qu’elle prolonge la détention du recourant jusqu’au 2 juillet 2023 et fixe l’échéance de cette prolongation au 2 juin 2023.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).