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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15116/2022

ACPR/292/2023 du 26.04.2023 sur ONMMP/531/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 01.06.2023, 6B_722/2023
Descripteurs : INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);AVOCAT;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15116/2022 ACPR/292/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 avril 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Sophie BOBILLIER, avocate, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 février 2023 par le Ministère public,

et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 février 2023, A______ recourt contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 8 février 2023, communiquée par pli simple.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 1'650.- TTC, à l'annulation partielle de l'ordonnance précitée en tant qu'elle omet de statuer sur son indemnisation (art. 429 al. 1 let. a CPP) et à sa réforme en ce sens qu'une somme de CHF 4'159.90 TTC lui soit allouée pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, d'origine afghane, arrivé en Suisse le 29 août 2021 avec sa famille, a demandé l'asile en Suisse et est désormais au bénéfice d'un permis B.

b. Le 5 mai 2022, il a adressé une demande de conversion de son permis de conduire afghan à l'Office cantonal des véhicules (ci-après, OCV). Dans ce cadre, il a déposé, le 1er juin 2022, deux permis de conduire, soit le document original ainsi que sa version renouvelée au 12 août 2021.

c. L'OCV, qui émettait des doutes sur l'authenticité desdits documents, les a transmis à la Brigade de police technique et scientifique. Cette dernière a confirmé, dans son rapport du 5 juillet 2022, que le permis de conduire était contrefait.

d. Le 13 juillet 2022, l'OCV a dénoncé les faits précités au Ministère public.

e. Averti de l'existence de la procédure pénale par la réception, le 17 août 2022, d'un mandat de comparution à une audition devant la police, A______ a, par la voix de son conseil, adressé une demande d'assistance judiciaire au Ministère public le 19 août 2022.

f. Entendu par la police le 25 août 2022, A______, assisté d'un interprète et de son avocat de choix, a nié toute infraction, expliquant que le document querellé était authentique. Il avait suivi les formations nécessaires à l'obtention de son permis en Afghanistan et celui-ci avait été délivré par le département compétent, sans passer par un intermédiaire. Il ne l'avait pas fabriqué et ne comprenait pas la situation dans laquelle il se trouvait. Quand son permis avait expiré, il l'avait fait renouveler le 13 août 2021 en conformité avec la procédure afghane. Il était une personne honnête et les soupçons dirigés contre lui l'avaient beaucoup affecté. Après avoir appris les doutes existants sur l'authenticité de son permis de conduire, il avait demandé à son cousin de faire le nécessaire pour obtenir un justificatif de la part du département du trafic en Afghanistan.
g. Le 19 décembre 2022, A______ a, par l'intermédiaire de son conseil, transmis au Ministère public une attestation émanant du département du trafic de B______ [Afghanistan] légitimant ledit permis de conduire.

C. a. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière concernant les faits reprochés à A______. Les frais de la procédure étaient laissés à la charge de l'État en application des art. 422 et 423 al. 1 CPP. Aucune mention n'est faite d'une indemnisation au sens de l'art. 429 CPP.

b. Le 13 février 2023, A______ a, par la voix de son conseil, sollicité l'octroi d'une indemnité pour ses frais de défense. Il a produit une note d'honoraires de CHF 4'159.90, correspondant à huit heures et trente-cinq minutes d'activité à CHF 450.- l'heure, y compris l'audition à la police ayant duré deux heures et trente minutes.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir omis de statuer sur son indemnisation. Il avait été obligé de faire appel à un avocat dès sa première audition vu la gravité des faits qui lui étaient reprochés, soit un crime, ainsi qu'à cause de ses faibles connaissances du français et du cadre juridique suisse. Le recours à un conseil se justifiait également au vu des conséquences non négligeables qu'auraient pu avoir l'ouverture d'une procédure pénale sur son statut administratif. Le Ministère public ne l'avait pas interpellé sur ses frais de défense avant de rendre l'ordonnance querellée. Il s'agissait d'un déni de justice. Il avait droit à une indemnisation selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. Selon la jurisprudence, l'indemnité était également due en cas de prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut principalement au rejet du recours. Une indemnité pour les frais de défense était subordonnée au caractère raisonnable du recours à un avocat. La cause ne revêtait pas de difficulté en fait ou en droit. Le prévenu n'avait participé qu'à une seule audition et avait été en mesure de répondre aux questions de la police, s'exprimant clairement sur les faits. Les questions de son conseil n'avaient rien apporté de plus pour la prise de décision. A______, qui était en contact avec des proches restés en Afghanistan, avait pu obtenir une attestation des autorités afghanes pour justifier de la validité de son permis de conduire par ses propres moyens. Le recours à un avocat était prématuré et aucune indemnité ne devait lui être octroyée.

Subsidiairement, si une indemnité devait être allouée, le montant réclamé était excessif et devrait être réduit.

c.  Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner les conséquences économiques accessoires d’une ordonnance de non-entrée en matière, points sujets à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2, 81 cum 320 al. 1 et 393 al. 1 let. a CPP; art. 128 LOJ/GE), et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à ce qu’il soit statué sur ses prétentions en indemnisation au sens de l’art. 429 CPP (art. 115 cum 382 CPP).

2.             2.1. L'autorité qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante et pertinent pour l'issue du litige, commet un déni de justice formel proscrit par l'art. 29 al. 1 Cst féd. De même, la jurisprudence a déduit du droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst féd. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).

Une violation de ces droits peut toutefois être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s’exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a et 107 Ia 1 consid. 1; arrêt du Tribunal pénal fédéral R.R.2019.70 du 3 septembre 2019, consid. 3.1 in fine). La Haute Cour admet également la réparation d’une violation du droit d’être entendu, y compris en présence d'un vice grave, lorsqu’un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 145 I 167 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 précité).

2.2. En l'espèce, bien que l'absence de motivation du Ministère public dans son ordonnance de non-entrée en matière sur une indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP constitue une violation du droit d'être entendu, celle-ci a été réparée en instance de recours. Le Ministère public, invité à formuler des observations, a finalement motivé son refus d'indemnisation. Le recourant a ensuite pu s'exprimer dans sa réplique. Partant, le vice a été réparé dans le cadre du recours.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas lui avoir octroyé une indemnité pour ses frais de défense.

3.1.       En cas de refus d'entrer en matière, le prévenu peut prétendre à l’octroi de dépens au sens de l’art. 429 al. 1 let. a CPP (ATF 139 IV 241 consid. 1).

Encore faut-il que l'assistance d'un avocat ait été nécessaire. Pour déterminer si tel est le cas, l’on gardera à l'esprit que le droit pénal (matériel et de procédure) est complexe et représente, pour des personnes qui ne sont pas habituées à procéder, une source de difficultés; celui qui se défend seul est susceptible d'être moins bien loti. L’on doit donc tenir compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait et/ou en droit, de la durée de la procédure ainsi que de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1). Par rapport à un crime ou à un délit, ce n'est qu'exceptionnellement que l'assistance d'un avocat sera considérée comme non nécessaire; cela pourrait, par exemple, être le cas lorsque la procédure fait immédiatement l'objet d'un classement après une première audition (ATF 142 IV 45 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_938/2018 du 28 novembre 2018 consid. 1.1).

3.2.       Le Tribunal fédéral a considéré que l’intervention d’un avocat n’avait pas lieu d’être dans les occurrences suivantes : une affaire de dommages à la propriété où le prévenu et un tiers avaient été entendus par la police, le ministère public ayant rendu, à cette suite, une ordonnance de non-entrée en matière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1121/2014 du 29 janvier 2015 consid. 3.2 et 3.3); une procédure ouverte pour atteinte à l’honneur ayant donné lieu à deux audiences d’instruction et une tentative de conciliation, avant d’être classée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_458/2014 du
25 septembre 2014 consid. 2.4); un cas de dommages à la propriété clos par une ordonnance de non-entrée en matière, après une seule audition du prévenu par la police (arrêt du Tribunal fédéral 6B_387/2013 consid. 2.2 non publié aux
ATF 139 IV 241).

3.3.       En l'espèce, la nécessité, pour le recourant, de disposer d'un avocat est remise en question par le Ministère public. Le recourant s'est vu reprocher la commission d'un délit (en regard de la peine-menace prévue par l'art. 97 al. 1 let. d LCR). La procédure a été de courte durée, six mois ayant séparé l’unique audition du prévenu par la police du prononcé de l’ordonnance querellée. L’affaire ne présentait, au stade de cette audition, pas de complexité particulière. Le recourant devait être entendu sur des faits clairement circonscrits et son rôle se limitait, à ce stade de la procédure, à répondre aux questions posées par la police, pour lesquelles aucune connaissance juridique n'était nécessaire. En particulier, la délimitation entre autorité pénale et autorité administrative en matière de LCR ne saurait être invoquée comme étant d'une complexité particulière, dès lors que la poursuite de l'infraction concernée obéit aux règles usuelles en matière pénale. Le fait que le recourant ne parle pas français ne constituait pas non plus une difficulté insurmontable. Il a, du reste, été assisté par un interprète et, à teneur du procès-verbal d'audition, a réussi à s'exprimer clairement sur les faits reprochés. Il ressort également du dossier qu'il a pu obtenir l'attestation prouvant la validité de son permis de conduire par ses propres moyens, au travers de proches restés en Afghanistan, de sorte que les interventions de son conseil n'ont joué aucun rôle décisif. Les conséquences sur son statut administratif restaient en outre hypothétiques à ce stade peu avancé de la procédure et ne permettaient dès lors pas de justifier le recours à un avocat de façon si prématurée. Enfin, son état d'anxiété lié à l'ouverture de la procédure pénale ne saurait être considéré comme exceptionnel au point d'entrainer une répercussion sur sa vie privée, au sens de la jurisprudence.

Au regard de la complexité non établie de la procédure, l’intervention d’un avocat n'était pas nécessaire. Le prévenu ne peut donc prétendre à l’octroi de dépens pour la procédure préliminaire.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Quand bien même le recourant succombe, il sera renoncé à lui faire supporter les frais de la procédure de recours, vu l'absence de motivation du Ministère public sur l'indemnisation.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).