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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24664/2022

ACPR/280/2023 du 18.04.2023 sur OMP/2536/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PERSONNE PROCHE;HÉRITIER;HOMICIDE PAR NÉGLIGENCE;MÉDECIN;SUICIDE;BESOIN DE SURVEILLANCE;DEVOIR PROFESSIONNEL
Normes : CPP.116.al2; CEDH.3; CEDH.2; CP.117; CPP.121; CPP.122; CPP.382.al3; LEPM.5.al1; LREC.2; LREC.9; CPP.136; CPP.383

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24664/2022 ACPR/280/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 18 avril 2023

 

Entre

A______, B______, C______, D______ et E______, comparants par
Me Razi ABDERRAHIM, avocat, cours de Rive 4, 1204 Genève,

recourants,

contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendue le 6 février 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 février 2023, A______, B______, C______, D______ et E______ recourent contre l'ordonnance du 6 février 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de leur accorder l'assistance judiciaire en qualité de parties plaignantes.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le ______ 2022, F______, née en 1981, a été admise au sein du service psychiatrique de l'Hôpital psychiatrique de G______ (unité H______), accompagnée de sa mère, A______.

Elle avait des antécédents psychiatriques lourds et fait par le passé plusieurs tentatives de suicide.

b.        Quelques heures après son admission, elle a tenté de se suicider par pendaison dans sa chambre. Réanimée par le personnel soignant de G______ à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire, elle a été admise aux soins intensifs des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG) le jour-même.

c.         F______ est décédée aux soins intensifs des HUG le ______ 2022 à 12h28 [soit deux jours après son tentamen].

d.        Le 13 janvier 2023, A______ et les frères et sœurs de F______, B______, C______, D______ et E______ ont déposé plainte pénale contre inconnu pour homicide par négligence, invoquant un "défaut de surveillance" par le personnel soignant de G______.

A______ avait informé le personnel de G______ des tendances suicidaires de sa fille, ainsi que de la décision unilatérale de cette dernière d'arrêter la prise des antidépresseurs prescrits par son médecin. De plus, au vu de son état psychique, F______ aurait dû être admise à l'unité I______ (qui prendrait spécifiquement en charge les personnes à risque) et non à celle de H______ (qui serait sous contrôle limité et offrirait la liberté de circuler dans tout l'établissement).

e.         Le même jour, ils ont demandé l'octroi de l'assistance judiciaire en raison de leur indigence, sans produire de pièces à cet égard.

f.         Le 5 février 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre inconnu pour homicide par négligence.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______, B______, C______, D______ et E______ avaient déclaré participer à la procédure pénale et s'étaient portés "parties civiles". Ils n'avaient toutefois produit aucune pièce à l'appui de leur demande d'assistance judiciaire, de sorte que l'indigence alléguée n'avait pas pu être établie. De plus, l'action civile paraissait vouée à l'échec, les recourants ne disposant pas de prétentions fondées sur le droit civil à l'encontre des employés de G______, l'État de Genève répondant seul d'un éventuel dommage causé par ces derniers.

D. a. Dans leur recours, A______, B______, C______, D______ et E______ soutiennent, pièces à l'appui, que la première nommée reçoit des prestations de l'assurance invalidité ainsi que l'aide sociale, de sorte qu'elle était indigente. Ils contestent l'absence de chance de succès de leur plainte, dans la mesure où il subsistait "beaucoup de points sombres" dans ce dossier, qui tendaient à démontrer qu'ils avaient des prétentions à l'encontre des HUG, respectivement contre l'État de Genève, et qu'il ne pouvait être exclu qu'ils possèdent des prétentions à l'égard de tiers. En effet, F______ avait "disparu" le 16 novembre 2022, à la suite d'une rupture amoureuse et était restée injoignable. Contactés par celle-ci à travers un numéro de téléphone inconnu, A______ et D______ l'avaient retrouvée au bord d'une autoroute en France voisine. F______ leur avait confié avoir été "kidnappée" et s'être fait voler son téléphone. En tant qu'unique héritière de sa défunte fille, A______ était en droit de se substituer à celle-ci concernant de potentielles agressions et le vol subis.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des parties plaignantes qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les recourants font grief au Ministère public de ne pas leur avoir octroyé l'assistance judiciaire.

3.1.       A teneur de l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite.

L'art. 136 CPP concrétise les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire pour la partie plaignante dans un procès pénal (arrêts du Tribunal fédéral 1B_119/2021 du 22 juillet 2021 consid. 2.1 ; 6B_987/2020 du 4 mars 2021 consid. 2.2). À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

Le législateur fédéral a ainsi sciemment limité l'octroi de l'assistance judiciaire aux cas où le plaignant peut faire valoir des prétentions civiles (cf. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1160 ch. 2.3.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_119/2021 précité consid. 2.1 ; 1B_522/2020 du 11 janvier 2021 consid. 5.1).

3.1.1. L'octroi de l'assistance judiciaire présuppose le dépôt préalable d'une demande en ce sens par la partie plaignante. L'assistance judiciaire ne saurait être octroyée d'office. La demande d'assistance judiciaire doit être motivée et les pièces fournies doivent renseigner sur les revenus, la fortune, les charges financières complètes et les besoins élémentaires actuels du requérant. Si celui-ci ne fournit pas ces données, la demande doit être rejetée (ATF 135 I 221 consid. 5.1 ; 125 IV 161 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_436/2018 du 12 novembre 2018 consid. 3.1).

3.1.2. La cause du plaignant ne doit pas être dénuée de toute chance de succès. La demande d'assistance judiciaire gratuite doit être rejetée lorsqu'il apparaît d'emblée que la démarche est manifestement irrecevable, que la position du requérant est juridiquement infondée ou si la procédure pénale est vouée à l'échec (arrêt du Tribunal fédéral 1B_233/2021 du 1er juin 2021 consid. 3).

3.1.3. Une partie plaignante n'a pas de prétention civile si, pour les actes reprochés au prévenu, la collectivité publique assume une responsabilité exclusive de toute action directe contre l'auteur (ATF 146 IV 76 consid. 3.2 ; 138 IV 86 consid. 3.1). À Genève, l'État répond seul d'un éventuel dommage causé par les employés des HUG, dont fait partie l'Hôpital psychiatrique de G______ (art. 1 al. 1 et al. 2 let. b, 5 al. 1 de la loi sur les établissements publics médicaux [LEPM ; K 2 05] cum art. 2 et 9 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes [LREC ; A 2 40] ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_325/2017 du 23 octobre 2017 consid. 1.2). Une action civile contre un tel prévenu par adhésion à la procédure pénale est exclue et doit être considérée comme vouée à l'échec (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1177/2022 du 21 février 2023 consid. 1.2.3 ; 1B_317/2021 du 9 décembre 2021 consid. 4.1 et 4.2).

Exceptionnellement, la jurisprudence permet, dans des circonstances très particulières – soit, en principe, l'allégation par la victime d'avoir été l'objet de violences intentionnelles atteignant un minimum de gravité de la part d'agents étatiques, susceptibles de tomber sous le coup des dispositions prohibant la torture et les traitements inhumains ou dégradants (cf. art. 3 CEDH, 7 Pacte ONU II [RS 0.103.2], 10 al. 3 Cst. et 13 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [RS 0.10 5]) –, de faire abstraction de la condition des conclusions civiles, notamment pour octroyer l'assistance judiciaire (cf. art. 29 al. 3 Cst. ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_522/2020 précité consid. 5.3 ; 1B_561/2019 du 12 février 2020 consid. 2.2).

3.1.4. Le droit à la vie, tel qu'il est garanti à l'art. 2 CEDH, implique notamment, pour les États parties à cette convention, une obligation positive de protéger les personnes placées sous leur responsabilité, lorsque celles-ci se trouvent dans une situation de vulnérabilité particulière. Le droit à la vie est également ancré à l'art. 10 al. 1 Cst. Dans le domaine de la santé publique, les États ont les obligations positives suivantes en relation avec la protection du droit à la vie : garantir un accès aux soins; adopter une réglementation tendant à ce que les erreurs médicales puissent faire l'objet de poursuites pénale, civile, voire administrative, le recours à des mesures pénales n'étant toutefois pas indispensable lorsque l'atteinte à la vie résulte d'actes involontaires ; assurer un niveau de compétence suffisant du personnel soignant, étant précisé qu'une erreur commise par un/des médecin(s) dans un cas isolé est impropre à engager une responsabilité de l'État en vertu de l'art. 2 CEDH (ATF 146 IV 76 consid. 4.2 ; N. PÉTERMANN, Les obligations positives de l'Etat dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, thèse, 2014, pp. 205 et 230-234).

3.2.       En l'espèce, lors de leur demande d'assistance judiciaire, les recourants ont allégué être sans ressources, sans fournir de pièce à l'appui. Ils n'ont produit ces documents qu'au stade du présent recours. Cela étant, les faits et preuves nouveaux peuvent être invoqués en instance de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

3.3.       Pour obtenir l'assistance judiciaire, les recourants – proches de la victime décédée au sens de l'art. 116 al. 2 CPP – doivent être en mesure de faire valoir des prétentions civiles propres dans la procédure pénale. L'Hôpital psychiatrique de G______ est un établissement de droit public doté de la personnalité juridique et responsable des actes commis par ses employés dans l'exercice de leurs activités, de sorte que seul l'État de Genève répond d'un éventuel dommage. Les recourants ne disposant par conséquent d'aucune action directe contre le personnel de cet établissement, leur action civile paraît vouée à l'échec.

Il n'est par ailleurs pas question d'actes de violence qui auraient été commis de manière intentionnelle. Les recourants, qui considèrent notamment que la défunte a été placée dans une unité de soins inappropriée, n'exposent en particulier pas en quoi les prétendus manquements refléteraient des violations délibérées ou inconsidérées des devoirs qui incombaient au personnel soignant de G______, respectivement en quoi ces manquements seraient allés au-delà de ce qui relèveraient d'actes involontaires dans la prise en charge médicale. Il n'apparaît pas non plus que la prise en charge de F______ tendait à l'humilier ou à porter atteinte à sa dignité humaine. Les comportements, respectivement manquements reprochés, n'apparaissent donc pas tomber sous le coup des dispositions prohibant la torture et les traitements inhumains ou dégradants.

Dans la mesure où l'art. 2 CEDH n'impose pas de réprimer pénalement les atteintes involontaires à la vie résultant d'erreurs médicales et où la commission de manquements isolés est impropre à engager une responsabilité au sens de ce même article, la prise en charge de F______ dans l'unité H______ et le "défaut de surveillance" qui en aurait résulté ne sauraient davantage tomber sous le coup de cette disposition.

Enfin, quand les recourants soutiennent que "des points sombrent subsistent dans ce dossier", soit que A______ – en tant qu'unique héritière de la défunte (art. 458 al. 1 CC, 110 al. 1 et 121 al. 1 CPP) – pourrait notamment faire valoir des prétentions à l'encontre de tiers pour le "kidnapping" et le vol du téléphone de F______, ils oublient que leur plainte n'en fait pas état et que l'instruction a été ouverte uniquement du chef d'homicide par négligence pour les faits survenus dans la clinique de G______.

3.4.       La demande d’assistance judiciaire gratuite doit par conséquent être rejetée.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La procédure de recours contre un refus d'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

* * * * *

 


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).