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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13413/2022

ACPR/254/2023 du 06.04.2023 sur ONMMP/4227/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ACCÈS INDU À UN SYSTÈME INFORMATIQUE;SOUSTRACTION DE DONNÉES(ART. 143 CP)
Normes : CPP.310; CP.143bis; CP.143

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13413/2022 ACPR/254/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 6 avril 2023

 

Entre

J______, domiciliée ______ [VD], comparant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 1er décembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 8 décembre 2022, J______ recourt contre l'ordonnance du 1er décembre 2022, communiquée par pli simple, aux termes de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 17 juin 2022.

La recourante, qui agit en personne, déclare vouloir faire "appel" de cette décision.

b. La recourante a été dispensée du versement des sûretés réclamées par la Direction de la procédure, vu le courrier du 2 février 2023 du Service de l'assistance juridique attestant que sa situation financière était obérée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Par courrier du 17 juin 2022, J______ a déposé plainte pour "effraction illicite" et "tort moral" contre son ancienne employeuse, la société B______ SÀRL – sise à Genève et active dans le domaine de la radiodiffusion –, dont C______ et D______ sont les associés et E______ le gérant.

En substance, elle y exposait que, la veille, une personne s'était connectée indûment à son compte Gmail privé, protégé par un mot de passe, depuis un ordinateur [de marque] F______, et avait, de la sorte, accédé à des données "sensibles et confidentielles" ainsi qu'à des "codes et rédactions clients". Ces documents ne concernaient nullement son ancienne employeuse, qu'elle avait assignée devant le Tribunal des prud'hommes – à une date non précisée – après avoir été, selon elle, licenciée de manière abusive.

Elle suspectait C______, D______, ainsi que deux autres employés de la société précitée, G______ et H______, d'être à l'origine de cette connexion indue, dès lors qu'ils étaient tous les quatre détenteurs d'un ordinateur F______. Aussi, lorsqu'elle travaillait pour le compte de B______ SÀRL, elle s'était connectée à sa boîte e-mail privée depuis un ordinateur de marque I______ appartenant à ladite société. Ainsi, les personnes susvisées étaient visiblement parvenues à "décoder [sa messagerie], en volant son code d'accès". Elle indiquait, pour le surplus, ne plus avoir accès à sa boîte professionnelle "J______@K______.ch".

a.b. À l'appui de sa plainte, J______ a produit une copie du message d'alerte de sécurité, en anglais, envoyé par Google le 16 juin 2022 sur son adresse électronique privée "J______@L______.com", dont l'objet était "Security alert for J______@K______.ch". La traduction libre de ce message est notamment la suivante :

"Ceci est une copie du message d'alerte envoyé à J______@K______.ch. J______@L______.com est l'adresse e-mail de récupération dudit compte. [ ]

Nous avons détecté une nouvelle connexion à votre compte Google [J______@K______.ch] depuis un appareil F______. Si c'était vous, aucune action de votre part n'est requise. Dans le cas contraire, nous vous aiderons à sécuriser votre compte."

Elle a également versé à la procédure une copie du courriel envoyé le jour du dépôt de sa plainte à C______ notamment, par lequel elle lui reprochait d'avoir tenté d'accéder à "ses" comptes Gmail.

b. Dans son rapport de renseignements du 10 août 2022, la Brigade des cyber-enquêtes a relevé une incohérence entre la plainte de J______ et les pièces produites par celle-ci. En effet, à la lecture du message d'alerte de sécurité envoyé par Google le 16 juin 2022, une nouvelle connexion depuis un appareil F______ avait été détectée non pas sur l'une des messageries privées de la plaignante ("J______@gmail.com" ou "J______@L______.com"), mais sur sa boîte professionnelle "J______@K______.ch". De plus, les investigations menées par la police auprès de Google ne corroboraient pas ses déclarations, aucune connexion suspecte à son compte Gmail "J______@gmail.com" n'ayant été constatée. L'enquête n'avait pas non plus permis d'établir une quelconque soustraction ou détérioration de données.

À cela s'ajoutait qu'aucune "donnée technique" (date, fuseau horaire ou adresse IP de l'appareil utilisé) ne figurait dans l'e-mail de Google du 16 juin 2022. Il n'était donc pas possible d'identifier l'auteur de la connexion litigieuse.

Pour le surplus, J______ n'avait fourni aucune information concrète ni liste exhaustive des données personnelles et confidentielles prétendument compromises dans ce contexte.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que la preuve de la commission d'une infraction n'était, en l'espèce, pas établie par les pièces figurant au dossier. En effet, le courriel envoyé par Google à J______ le 16 juin 2022 faisait état d'une connexion à la boîte professionnelle de l'intéressée et non pas à son adresse de messagerie privée. De plus, l'enquête de police n'avait pas permis d'identifier l'auteur de la connexion litigieuse, ni d'établir que l'adresse électronique privée de la plaignante aurait fait l'objet d'une intrusion illicite. Aucune soustraction, ni détérioration de données n'avait au demeurant été constatée.

Par conséquent, il était décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la plainte (art. 310 al. 1 let. a CPP).

D. a. Dans son recours, J______ reproche au Ministère public d'avoir constaté les faits de manière inexacte, en retenant que la connexion litigieuse s'était faite sur sa boîte professionnelle "J______@K______.ch", et non pas sur son adresse privée "J______@L______.com".

Pourtant, à la lecture du message d'alerte de sécurité de Google du 16 juin 2022, la connexion indue s'était visiblement faite "depuis" son compte "J______@K______.ch" et, donc, par voie de conséquence, par une personne ayant accès à celui-ci, telle que C______. Cette dernière avait d'ailleurs modifié le mot de passe associé audit compte le 18 mai 2022, soit le jour où B______ SÀRL avait mis un terme à leurs relations contractuelles.

Pour le surplus, elle "confirmait" avoir subi un "dommage financier grave". En effet, l'adresse électronique "J______@L______.com" concernait son activité professionnelle annexe – connue de C______ –, qui devait, à terme, lui permettre de créer son entreprise et réaliser des revenus "confortables". Or, en accédant à cette boîte e-mail, la prénommée avait pris connaissance "d'informations importantes" relatives à "des livraisons de bijoux et à des codes confidentiels de valises, auprès de détaillants nouvellement ouverts par ses soins". C______ lui avait également causé "un tort moral", puisqu'elle avait porté atteinte à sa réputation dans le domaine de la joaillerie. D'ailleurs, le 29 juillet 2022, elle avait été "remerciée" par la société L______ LTD et son adresse e-mail "J______@L______.com" n'était désormais plus valide.

Enfin, elle n'avait pas été auditionnée par la police et, partant, n'avait pas pu fournir des renseignements complémentaires relatifs aux agissements délictueux commis par la société B______ SÀRL et ses associés. En effet, elle soupçonnait cette entité d'avoir "la mainmise sur sa ligne téléphonique". Par ailleurs, elle suspectait C______ et D______, qui se rendaient fréquemment dans le magasin M______, d'y avoir écoulé une fausse pièce de CHF 5.-, qui lui avait été remise "une fois" au terme de ses achats dans cet établissement. Les prénommés avaient également rencontré un litige avec la société N______, laquelle leur avait reproché d'avoir "surfacturé la publicité" diffusée sur la radio détenue par B______ SÀRL. En outre, C______ lui avait paru "inquiète", en apprenant que sa mère fut un temps responsable des examens "Cambridge English" à Genève. Or, en 1996, soit à une époque où elle écoutait la radio de B______ SÀRL, sa mère, qui "gérait d'importantes sommes d'argent" dans le cadre de sa fonction, avait été victime d'un vol à l'arraché à la Gare Cornavin. Elle "craignait" par conséquent que C______ et D______ n'agissent frauduleusement "sous couvert de leur radio".

À l'appui de son recours, J______ produit notamment une capture d'écran de son ordinateur – prise, selon ses dires, le 29 juillet 2022 –, à teneur de laquelle le mot de passe de son adresse électronique "J______@L______.com" avait été modifié "moins d'une heure auparavant" ; un extrait de son compte O______, attestant qu'une somme de CHF 167.99 avait été versée sur celui-ci le 28 juin 2022 par la société L______ LTD à titre de commission de vente ; ainsi que des documents issus de la procédure prud'homale l'opposant à B______ SÀRL.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Puisque la recourante avait, au moment des faits litigieux, été licenciée par la société B______ SÀRL, cette dernière était libre d'accéder à la boîte professionnelle "J______@K______.ch". Les éventuels inconvénients, découlant du fait que la recourante aurait relié ce compte à son adresse de messagerie privée, n'étaient pas imputables à son ancienne employeuse.

Aucune connexion suspecte ni soustraction de données dans sa boîte de messagerie privée "J______@L______.com" n'avait, par ailleurs, été constatée.

Il apparaissait ainsi disproportionné de procéder à des investigations supplémentaires, ce d'autant plus que la recourante n'invoquait aucun préjudice concret. Son dommage financier n'était nullement explicité et il n'existait aucun lien de causalité entre celui-ci et la connexion dénoncée.

Quant aux autres faits évoqués par la recourante, tels que la "mainmise sur sa ligne téléphonique" et l'utilisation d'une prétendue fausse pièce de monnaie, ils ne faisaient pas l'objet de la décision querellée, ni même de la plainte déposée.

c. La recourante réplique par le biais d'annotations manuscrites sur les observations du Ministère public, expliquant notamment que le dommage financier qu'elle avait subi était lié à son "activité dans le domaine de la joaillerie". Par ailleurs, elle soupçonnait C______ et D______ "d'espionner" son adresse de messagerie "J______@L______.com". Enfin, elle demandait leur "exclusion" du territoire helvétique, dès lors qu'ils causaient de "graves nuisances" en Suisse, comme le démontrait le fait qu'ils avaient accédé indûment à sa boîte de messagerie privée.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé dans le délai prescrit – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – (art. 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Bien que l'acte de recours ne contienne pas de conclusions formelles
(art. 385 al.1 CPP), on comprend que la recourante – qui agit en personne – souhaite l'annulation de l'ordonnance querellée et l'ouverture d'une instruction. Partant, le recours est recevable.

1.3.  Les pièces nouvelles sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             En revanche, la conclusion de la recourante visant à ce que C______ et D______ soient "exclus" du territoire suisse, formulée au stade de la réplique, est exorbitante au présent recours et, partant, irrecevable.

3.             L'objet du litige est, pour le surplus, strictement circonscrit par la plainte pénale. Ainsi, à défaut de décision préalable, la Chambre de céans n'est pas compétente pour se prononcer sur les agissements imputés à la société B______ SÀRL et/ou à ses associés, tels que la prétendue "mainmise" sur la ligne téléphonique de la recourante, l'écoulement de fausse monnaie et la participation à "un vol à l'arraché", évoqués pour la première fois par la recourante dans le cadre du recours. L'acte est dès lors irrecevable sur ces aspects.

Le recours est, pour le surplus, recevable.

4.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit, en fait et en opportunité (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes de la décision querellée auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-dessus.

Partant, le grief y relatif sera rejeté.

5.             La recourante semble se plaindre de ne pas avoir été entendue par la police et, partant, ne pas avoir pu faire parvenir des preuves complémentaires, avant que l'ordonnance de non-entrée en matière soit rendue.

5.1.  La phase qui précède l'ouverture d'une instruction au sens de l'art. 309 CPP (ou le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière au sens de l'art. 309 al. 4 CPP) constitue les investigations policières au sens des art. 306 et 307 CPP (art. 300 al. 1 let. a CPP). Durant cette phase, le ministère public peut donner des directives à la police ou lui confier des mandats (art. 306 al. 1 CPP et 307 al. 2). Les informations recueillies lors de ces investigations permettent au Ministère public de prendre les décisions qui s'imposent en fonction des faits dénoncés (arrêt du Tribunal fédéral 6B_940/2016 du 6 juillet 2017 consid. 3.2).

Le droit des parties de participer à l'administration des preuves prévu à l'art. 147 CPP ne s'applique pas lors des investigations policières au sens de l'art. 306 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_873/2017 du 12 mars 2018 consid. 3 et les arrêts cités).

5.2. Avant de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, le ministère public n'a pas à en informer les parties et il n'a pas à leur donner la possibilité d'exercer leur droit d'être entendu, lequel sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours (arrêts du Tribunal fédéral 6B_539/2016 du 1er novembre 2017 consid. 2.2.1; 6B_940/2016 du 6 juillet 2017 consid. 3.2).

5.3. En l'occurrence, la procédure n'a pas dépassé la phase des premières investigations, ce qui permettait au Ministère public de rendre une ordonnance de non-entrée en matière et, partant, le dispensait d'interpeller, entendre, ou faire entendre la recourante ou de lui octroyer un délai pour déposer des réquisitions de preuves.

Pour le surplus, la recourante a pu faire valoir devant la Chambre de céans les arguments qu'elle estimait pertinents et présenter ses réquisitions de preuve.

Son droit d'être entendue a ainsi été pleinement respecté.

Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

6.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

6.1.  Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

6.2.  L'art. 143 CP réprime le comportement de celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura soustrait, pour lui-même ou pour un tiers, des données enregistrées, qui ne lui étaient pas destinées et qui étaient spécialement protégées contre tout accès indu de sa part.

6.3.  Selon l'art. 143bis CP, quiconque s'introduit sans droit, au moyen d'un dispositif de transmission de données, dans un système informatique appartenant à autrui et spécialement protégé contre tout accès de sa part sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

Pour que l'infraction soit réalisée, il faut être en présence de trois conditions, soit un accès à un système informatique, appartenant à autrui et spécialement protégé, qui soit indu et intentionnel.

On entend par système informatique tous types d'ordinateurs (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, n. 1 ad art. 143bis CP). Cependant, il faut admettre qu'eu égard à la parcellisation et la virtualisation qu'offre désormais l'informatique, que si tout traitement s'appuie nécessairement sur une installation « physique », la notion de système informatique ne se résume plus à cela. Une même machine peut s'ouvrir sur plusieurs sessions, respectivement contenir différents espaces suivant l'utilisateur et, précisément, le mot de passe pour chacun. À cet égard, l'art. 143bis CP a été construit dès l'origine comme une violation de domicile informatique, ce qui renvoie très exactement à cette notion d'espace virtuel, dont on doit pouvoir disposer en paix, soit sans intrusion. Le but du législateur était de manifester que la protection pénale s'exerce avant tout à l'égard des données elles-mêmes (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 8 ad art. 143bis et les références citées). Une boîte aux lettres électronique doit être considérée comme un sous-système informatique composé d'un ensemble de données, dont la violation tombe donc sous le coup de l'art. 143bis CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_456/2007 du 18 mars 2008 consid. 4).

Le système informatique doit être spécialement protégé contre tout accès grâce à une barrière informatique qui peut se concrétiser par la mise sur pied d'un codage, d'un chiffrement ou encore d'un code d'accès (S. METILLE / J. AESCHLIMANN, Infrastructures et données informatiques : quelle protection au regard du code pénal suisse ?, Revue pénale suisse 2014, vol. 132, p. 299).

Le comportement punissable consiste à pénétrer un système informatique en détournant les sécurités et barrières virtuelles prévues par l'ayant droit. L'accès doit avoir été effectué sans droit, c'est-à-dire qu'il n'a pas été autorisé par la loi, par le consentement de la victime ou par un autre motif justificatif (S. METILLE / J. AESCHLIMANN, op. cit., p. 301).

6.4.  En l'espèce, contrairement à ce que soutient la recourante, rien au dossier ne permet de retenir qu'un tiers aurait pénétré indûment dans sa boîte de messagerie privée et, par ce biais, pris connaissance de données sensibles et confidentielles.

En effet, il ressort explicitement du message d'alerte de Google du 16 juin 2022, de même que de son titre, que la boîte de messagerie à laquelle une personne se serait connectée depuis un appareil F______ est l'ancien compte professionnel – J______@K______.ch – de la recourante, auprès de la société B______ SÀRL. La réception par la recourante d'un message d'alerte sur son adresse électronique privée – J______@L______.com – s'explique uniquement par le fait qu'elle a défini cette dernière comme l'adresse de récupération de son ancien compte professionnel. Le courriel de Google précise d'ailleurs qu'il s'agit d'une "copie" du message envoyé sur l'adresse e-mail J______@K______.ch.

Or, les infractions prévues aux art. 143 et 143bis CP ne sont réalisées que dans l'hypothèse où les données informatiques ne sont pas destinées à l'auteur et si elles ont été protégées contre tout accès indu de sa part. En l'occurrence, il ressort du dossier que les rapports de travail existants entre la société B______ SÀRL et la recourante ont pris fin le 18 mai 2022. Ainsi, lors de la connexion litigieuse, la société susvisée était l'unique titulaire et ayant droit de l'adresse électronique J______@K______.ch. La recourante ne le conteste du reste pas, puisqu'elle a expliqué ne plus pouvoir y accéder depuis son licenciement, le mot de passe d'accès ayant été modifié. Dans ces circonstances, le fait pour un employé de B______ SÀRL de s'être, par hypothèse – l'enquête de police n'ayant pas permis d'identifier l'auteur de la connexion dénoncée –, introduit dans cette boîte de messagerie, ne saurait tomber sous le coup des art. 143 et 143bis CP, faute d'accès indu.

Pour le surplus, la recourante n'a produit aucun élément concret tendant à démontrer qu'un tiers aurait accédé sans droit à sa boîte e-mail privée J______@L______.com. À cet égard, il y a lieu de rappeler que ses allégations étaient exclusivement fondées sur le message d'alerte de sécurité de Google du 16 juin 2022, lequel, comme précédemment exposé, ne concernait pas sa boîte de messagerie privée. De plus, aucune soustraction de données n'a été rendue vraisemblable, la recourante n'ayant apporté aucun élément probant en ce sens. En outre, le préjudice moral et financier important qu'elle allègue avoir subi n'est objectivé par aucun élément au dossier. À cet égard, le fait que le code d'accès à son compte J______@L______.com ait été modifié le 29 juillet 2022 ne permet pas de démontrer qu'elle aurait été licenciée par la société L______ LTD en raison d'un comportement imputable aux mis en cause ni qu'elle aurait subi un quelconque tort moral. Par ailleurs, rien ne permet d'exclure que la modification du mot de passe ait été effectuée par la recourante elle-même. En tout état, l'existence d'un lien de causalité entre le dommage moral et financier qu'elle allègue avoir subi et une éventuelle connexion à son système informatique n'est pas établi.

La commission des infractions visées par les art. 143 et 143bis CP ne repose donc que sur les allégations de la recourante. Ainsi, en l’absence de toutes preuves matérielles, ces allégations ne sont que de simples suppositions.

Faute de prévention pénale suffisante, c'est donc à bon droit que le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur les infractions susmentionnées et aucune mesure d'instruction ne paraît être à même de modifier ce constat. La recourante n'en dit mot, d'ailleurs.

7.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

8.             La recourante sollicite d'être mise au bénéfice de l'assistance juridique.

8.1.  À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP – qui concrétise la garantie tirée de l'art. 29 al. 3 Cst. –, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

L'assistance judiciaire gratuite en faveur de la partie plaignante est limitée à un but précis, à savoir de permettre à cette partie de faire valoir ses prétentions civiles. À cela s'ajoute que la partie plaignante doit être indigente et sa cause ne doit pas être dénuée de toute chance de succès.

8.2.  En l'espèce, l'indigence de la recourante a été constatée par le Service de l'assistance juridique. Cela étant, la cause était d'emblée vouée à l'échec, les démarches de l'intéressée étant, pour les raisons exposées ci-dessus, juridiquement infondées.

Dans ces circonstances, sa requête ne peut qu'être rejetée.

9.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.- pour tenir compte de sa situation financière (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

Le refus de l'assistance judiciaire sera, quant à lui, rendu sans frais (art. 20 RAJ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_215/2018 du 14 juin 2018 consid. 1.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Rejette la demande d'assistance juridique.

Condamne J______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13413/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

-

CHF

Total

CHF

600.00