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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19783/2022

ACPR/253/2023 du 06.04.2023 sur ONMMP/3227/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;INSOUMISSION À UNE DÉCISION DE L'AUTORITÉ
Normes : CPP.310; CP.292; CP.173; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19783/2022 ACPR/253/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 6 avril 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ et B______ SA, ayant son siège ______, comparant tous deux par Mes C______ et G______, avocats,

recourants,

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 septembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par actes séparés, déposés au greffe universel le 3 octobre 2022, A______ et B______ SA recourent contre l’ordonnance rendue le 21 septembre précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur leur plainte pénale déposée le 16 du même mois contre D______ des chefs d’insoumission à une décision de l’autorité (art. 292 CP) et calomnie (art. 174 CP).

Ils concluent, sous suite de frais et équitable indemnité de procédure, à l’annulation de cette décision, le Procureur devant être invité à ouvrir une instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure (CHF 1'000.- chacun).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le groupe E______, détenu et administré par A______, comprend plusieurs sociétés, dont E1______ HOLDING SA.

b. Dès 2019, F______ SA, personne morale qui employait D______, et E1______ HOLDING SA se sont opposées devant les juridictions civiles, la première de ces entités réclamant à la seconde le versement d’une commission en application d’un contrat de courtage immobilier les liant (C/1______/2019).

c.a. En 2020, A______ a décidé d’importer en Suisse, par le biais d'une autre société du groupe, E2______ SA, d’importantes quantités de matériel médical, en particulier des masques, qu’il entendait revendre (sans marge) aux autorités helvétiques, le surplus étant destiné aux entreprises, puis aux particuliers.

c.b. Entre les 15 et 20 avril 2020, D______ a diffusé, sur le réseau social Facebook, une vidéo et des messages dans lesquels elle reprochait aux deux précités, tant de chercher à se faire de l'argent, en spéculant sur la pandémie de Covid-19, que d'accaparer des stocks de matériel médical au détriment des institutions de santé.

c.c. À cette suite, A______ et E2______ SA ont intenté une action civile contre D______. Dans ce cadre, le Tribunal de première instance a :

·      le 22 avril 2020, sur mesures superprovisionnelles, enjoint à la défenderesse, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, de retirer du réseau social précité toute référence, explicite ou non, aux demandeurs (C/2______/2020);

·      le 6 juillet 2020, sur mesures provisionnelles, fait interdiction à D______, sous la même menace, "de tenir ou de diffuser tou[t] propos, sous quelque forme que ce soit et sous quelque support que ce soit, notamment ( ) les réseaux sociaux, se référant, de façon explicite ou non, à M. A______ et à E2______ SA et/ou à leur initiative d'importation de masques" (C/2______/2020 également);

·      le 7 octobre 2021, au fond, donné acte à la défenderesse de son engagement de respecter l’interdiction précitée, toujours sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP (C/5______/2020).

c.d. Sur plaintes de A______, D______ a été poursuivie pénalement.

c.d.a. À l’issue d’une première procédure (P/3______/2020), qui s’est achevée par un arrêt de la Chambre pénale d’appel et de révision rendu le 29 avril 2022, la prénommée a été acquittée du chef de diffamation – les propos tenus par ses soins sur Facebook visant le plaignant exclusivement en sa qualité de commerçant –, mais reconnue coupable d’insoumission à une décision de l’autorité – à défaut d’avoir retiré lesdits propos de ce réseau social, violant ainsi l’ordonnance civile du 22 avril 2020 –.

c.d.b. Dans la seconde (P/4______/2021), elle a été déclarée coupable, par ordonnance pénale rendue le 2 septembre 2022, d’infraction à l’art. 292 CP pour avoir contrevenu à l’ordonnance civile du 6 juillet 2020, ayant fait référence, dans des courriels adressés en janvier 2021 à l’avocat de A______ et de E2______ SA, à ces deux derniers ainsi qu’à leur initiative d’importation de masques.

D______ a formé opposition à cette ordonnance. La cause est actuellement pendante devant le Tribunal pénal.

d. Courant 2022, E2______ SA a modifié sa raison sociale en B______ SA.

e.a. Le 12 septembre 2022, D______ a déposé, à l’intention de la Chambre de céans, une "[d]emande d’appel [et] de révision" portant, à bien la comprendre, sur les décisions rendues dans les causes C/1______/2019 (page 1 de la requête), C/2______/2020, C/5______/2020 et P/3______/2020 (les "affaires E______", page 6).

En substance, elle y exposait, toujours à bien la comprendre, que A______ et son conseil, Me C______, s’étaient évertués, au moyen de ces trois dernières causes, à décrédibiliser son "témoi[gnage]", capital pour "F______", dans la première procédure et, partant, à influer sur l’issue de celle-ci, procédé qui avait finalement abouti (page 5). Et l’intéressée de continuer : les affaires C/2______/2020, C/5______/2020 et P/3______/2020 se "fond[aient] sur de fausses déclarations de la part" des deux prénommés, lesquels "mentirent à la Cour en réalisant de multiples faux témoignages afin non seulement de [la] faire lourdement condamn[er] sur l'affaire des masques mais surtout afin de pouvoir continuer ce juteux nouveau business ( ) et puis encore [d’]échapper au procès de F______ ( )"; les plaintes et accusations de A______ et de son conseil n’étaient "depuis le début que de fausses déclarations et [ces derniers] deux beaux menteurs patentés ( )"; ses propres allégués concernant l’"importation de masques à la noix chinois" étaient avérés.

Elle y critiquait également la teneur d’une missive adressée par l’avocat précité au Bâtonnier en mai 2020 – pli dans lequel le sujet de ladite importation de masques était abordé –, expliquant pourquoi elle la tenait pour fallacieuse.

e.b. Le même jour, D______ a transmis une copie de sa demande à Me C______, au Bâtonnier et à l’Ordre des avocats (ci-après : ODA).

f. Le 16 septembre 2022, A______ et B______ SA ont déposé plainte pénale contre la prénommée, lui reprochant d’avoir, par ses agissements du 12 précédent, aussi bien porté atteinte à leur honneur (art. 174 CP) que violé le jugement civil daté du 7 octobre 2021 (art. 292 CP).

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les conditions des infractions dénoncées n’étaient pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP). Premièrement, les allégations litigieuses résultaient d’une demande en justice; or, il était admis qu’une partie puisse, dans un contexte judiciaire, tenir des propos tombant sous le coup des art. 173 et s. CP (art. 14 CP). À cela s’ajoutait que les destinataires de cette demande étaient tenus par le secret de fonction/professionnel, respectivement étaient à même de faire la part des choses. Secondement, l’engagement pris par D______ le 7 octobre 2021 se limitait aux assertions faites "publiquement"; il ne s’appliquait donc pas in casu, les termes concernés ayant été employés devant la Cour de justice, dans le cadre d’une procédure.

D. a. À l’appui de leurs recours et répliques, A______ et B______ SA persistent dans les termes de leur plainte, ajoutant, d’une part, que les propos litigieux, lesquels ne sauraient être tolérés, ne bénéficiaient d’aucun fait justificatif et, d’autre part, qu’ils avaient été communiqués à des tiers, soit au Bâtonnier et à l’ODA.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de son ordonnance.

EN DROIT :

1.             Vu leur connexité évidente, les deux recours seront joints.

2.             Ces actes sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision de non-entrée en matière, ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 cum 322 al. 2 CPP; art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner des plaignants, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) qui disposent de la qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les infractions alléguées aux art. 292 CP – étant donné que le jugement civil du 7 octobre 2021 leur confère des droits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_900/2018 du 27 septembre 2019 consid. 2.2.3; plus nuancé : arrêt du Tribunal fédéral 1B_253/2019 du 11 novembre 2019 consid. 5) – ainsi que 173 et ss CP (art. 115 al. 1 CPP).

3. 3.1. Selon l’art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation que les éléments constitutifs d’une infraction ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe in dubio pro duriore, selon lequel le procureur ne peut clore une procédure que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ce magistrat et la juridiction de recours disposent, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1177/2022 du 21 février 2023 consid. 2.1).

3.2.1. Se rend coupable de diffamation (art. 173 al. 1 CP), quiconque, en s'adressant par écrit (art. 176 CP) à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur.

Il y a atteinte à l'honneur quand l’auteur évoque la commission, par un individu, d’une infraction pénale ou l’adoption d’un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1). Lorsque cet individu agit en qualité d’organe ou d’employé d’une personne morale, celle-ci peut [aussi] être touchée dans son honneur (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1020/2018 du 1er juillet 2019 consid. 5.1.1 et 6B_119/2017 du 12 décembre 2017 consid. 3.1).

Des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent parfois être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure (art. 14 CP). Le justiciable est cependant tenu de se limiter aux déclarations nécessaires et pertinentes, respectivement de présenter comme telles de simples suppositions (ATF 135 IV 177 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1254/2019 du 16 mars 2020 consid. 7.1).

Le prévenu n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (art. 173 al. 2 CP); il ne sera cependant pas admis faire ces preuves s’il s’est exprimé sans motif suffisant et a agi principalement pour dire du mal d’autrui (art. 173 al. 3 CP).

3.2.2. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses, de sorte qu'il ne peut y avoir de preuves libératoires (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 précité).

3.3. L’art. 292 CP sanctionne celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue à cet article, par une autorité compétente.

Cette infraction suppose que le comportement ordonné par ladite autorité soit décrit avec suffisamment de précision pour que le destinataire sache clairement ce qu'il doit faire ou ce dont il doit s'abstenir, et partant quel comportement ou omission est susceptible d'entraîner une sanction pénale (ATF 147 IV 145 consid. 2.1).

3.4. En l’espèce, la mise en cause a adressé à la Chambre de céans, au Bâtonnier et à l’ODA notamment, soit à des tiers au sens des art. 173 et s. CP, une requête dans laquelle elle traite A______ de "menteur patenté" et – à bien la comprendre – l’accuse d’avoir, tant à titre personnel qu’en sa qualité d’organe de E2______ SA/B______ SA, émis de fausses déclarations en justice (dans les procédures C/2______/2020, C/5______/2020 et P/3______/2020), cela afin de lui nuire (décrédibilisation de son témoignage dans la cause C/1______/2019).

De telles assertions sont propres à faire apparaître les recourants comme des personnes ayant adopté un comportement malhonnête, voire délictueux – l’art. 306 CP réprimant la tenue de propos mensongers, par une partie, dans un procès civil et l’art. 303 CP la dénonciation calomnieuse –.

Elles sont donc, a priori, de nature à jeter sur les intéressés le soupçon d'une conduite contraire à l'honneur et à porter atteinte à leur considération.

Rien ne permet, en l’état, de retenir que les termes litigieux – formulés de façon affirmative et non potestative (art. 14 CP) – seraient conformes à la vérité, respectivement que la mise en cause avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vrais (art. 173 al. 2 CP).

Quant au fait que ces allégués ont été adressés à un cercle de destinataires astreints au secret de fonction/professionnel, de surcroît avertis, il est impropre à rendre licite le comportement incriminé. Il aurait pu, tout au plus, être pris en considération dans le cadre d’une non-entrée en matière fondée sur l’art. 52 CP, motif distinct de celui retenu in casu.

À cette aune, les conditions de l’art. 173 ou 174 CP pourraient être réalisées.

3.5. Il en va de même de celles de l’art. 292 CP.

En effet, à teneur du jugement du 7 octobre 2021, la mise en cause doit, sous la menace de la peine prévue à cet article, s’abstenir de faire état des recourants et/ou de leur initiative d’importation de masques. Il n’y est toutefois pas stipulé auprès de qui.

L’on ne saurait donc exclure, à ce stade de la procédure, régi par la maxime in dubio pro duriore, que l’intéressée ait pu violer cette injonction, en adressant, le 12 septembre 2022, à – à tout le moins – l’ODA ainsi qu’au Bâtonnier, une copie de sa "[d]emande d’appel [et] de révision", laquelle mentionne à plusieurs reprises une telle importation.

3.6. En conclusion, les recours se révèlent fondés.

Partant, l'ordonnance querellée doit être annulée et la procédure, renvoyée au Ministère public pour qu’il ouvre une instruction des chefs d’infractions aux art. 173 ou 174 et 292 CP.

4. 4.1. Les frais de la procédure seront, en conséquence, laissés à la charge de l’État (art. 428 al. 4 CPP) et les sûretés versées, restituées aux parties plaignantes (CHF 1’000.- chacune).

4.2. Ces dernières, représentées par deux avocats, n’ont pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne leur en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les recours interjetés par A______ et B______ SA.

Les admet, annule en conséquence l’ordonnance de non-entrée en matière déférée et renvoie la cause au Ministère public pour qu’il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer aux recourants les sûretés versées (CHF 1'000.- chacun).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et B______ SA, soit pour eux à leurs conseils, ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).