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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2841/2021

ACPR/208/2023 du 21.03.2023 sur OMP/1611/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;CONDITION DE RECEVABILITÉ;INTÉRÊT ACTUEL;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION
Normes : CPP.314; CPP.393.al1.leta; CPP.382; Cst.29.al2; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2841/2021 ACPR/208/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 21 mars 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [VD], comparant par Me Cyrielle FRIEDRICH, avocate, rue de la Fontaine 7, 1204 Genève,

B______, domicilié ______ [GE], comparant par M David BITTON, avocat, Étude Monfrini Bitton Klein, place du Molard 3, 1204 Genève,

C______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Charles PONCET, avocat, Étude Poncet Sàrl, rue Saint-Léger 6, case postale 5271, 1211 Genève 11

recourants,

 

contre l'ordonnance de refus de suspendre la procédure rendue le 25 janvier 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par deux actes séparés, déposés le 6 février 2023, B______ et C______, d'une part, et A______, d'autre part, recourent contre l'ordonnance du 25 janvier 2023, qui leur a été notifiée le jour-même, par laquelle le Ministère public a refusé de suspendre l'instruction de la cause.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à ce qu'il soit enjoint au Ministère public de suspendre l'instruction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. D______ SA est une société sise à Genève, ayant pour but notamment le commerce, ______, ______ et ______ en Suisse ou à l'étranger.

b. E______ SA est une société sise à Fribourg, ayant pour but l'achat et ______ d'immeubles. B______ en est l'administrateur et l'actionnaire unique.

c. En 2020, F______, de nationalité marocaine et domiciliée à Genève, épouse de B______, a, par l'intermédiaire de son courtier immobilier, A______, proposé d'acquérir le capital-actions de D______ SA.

d. Par contrat de vente et d'achat d'actions du 8 septembre 2020, G______, en qualité d'actionnaire unique de D______ SA, a cédé à F______ l'entier du capital-actions de la société.

Par courriers des 4 et 10 novembre 2020, G______ a sollicité la confirmation de F______ qu'elle n'était pas soumise à la LFAIE. En réponse à cette demande, F______ lui a expliqué que E______ SA s'était substituée à elle dans leur rapport contractuel.

e. Par courrier du 13 novembre 2020, G______ a invoqué la nullité du contrat de vente et d'achat d'actions au motif qu'il violait l'art. 26 al. 2 et 3 LFAIE. Subsidiairement, il a déclaré l'invalider pour dol ou erreur essentielle.

F______ a endossé les actions de D______ SA en faveur de E______ SA mais G______ s'est opposé à la remise du certificat d'actions à cette dernière, de sorte que les actions sont demeurées bloquées en l'Étude d'un notaire – tiers séquestre.

f. Le 5 février 2021, G______ a déposé plainte pénale contre B______ et A______, leur reprochant en substance d'avoir pris sans droit le contrôle de D______ SA dont il était toujours l'actionnaire, de ses locaux ainsi que des documents et du matériel y étant abrités. Le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière le 9 février 2021, retenant que le litige revêtait un caractère exclusivement civil, décision confirmée par la Chambre de céans le 30 avril 2021 (ACPR/288/2021). Le 7 décembre 2021, le Tribunal fédéral a annulé cet arrêt sur recours de G______ (6B_670/2021).

g. Parallèlement, D______ SA, E______ SA, G______ et B______ sont opposés dans de nombreuses procédures civiles, intentées, de part et d'autre, devant le Tribunal de première instance de Genève et la Chambre patrimoniale cantonale du Canton de Vaud.

h. Le 30 juin 2022, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______, A______ et C______ – conseil de E______ SA – pour faux dans les titres, obtention frauduleuse d'une constatation fausse, soustraction de données personnelles, accès indu à un système informatique et détérioration de données. Il leur est en substance reproché d'avoir tenu des assemblées générales de D______ SA en faisant faussement constater dans les procès-verbaux que l'entier du capital-actions était présent, puis d'avoir:

- adopté des résolutions relatives à la radiation de G______ en sa qualité d'administrateur, à son remplacement par B______, au transfert du siège de D______ SA et au changement de l'organe de révision ;

- adressé au Registre du commerce des réquisitions visant les modifications précitées et

- pénétré dans les locaux de la société, accédé sans droit aux données informatiques protégées par des secrets commerciaux et créé de nouveaux accès informatiques.

Entre les 8 juillet et 19 septembre 2022, le Ministère public a procédé à divers actes d'instruction, dont notamment des perquisitions et séquestres – faisant actuellement l'objet de deux procédures de levées de scellés devant le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après: TMC) –, ainsi que des audiences en présence de la partie plaignante, des prévenus, de témoins et des personnes appelées à donner des renseignements.

i. Le 25 janvier 2023, C______, A______ et B______ ont été mis en prévention complémentaire à la suite de deux autres plaintes pénales déposées par G______ datées des 15 mars et 21 octobre 2022. Il leur a été en substance reproché d'avoir faussement allégué, dans le cadre de deux requêtes de sursis concordataires auprès du Tribunal civil, que E______ SA serait l'actionnaire de D______ SA.

j. Les 7 novembre 2022 et 25 janvier 2023, les prévenus ont demandé au Ministère public la suspension de la procédure au motif que le caractère pénal des faits reprochés ne pourrait être déterminé qu'à l'issue des procédures civiles en cours. Le conseil de C______ a produit un avis de droit du Prof. H______, dont il ressort en substance que E______ SA devait être considérée comme l'unique actionnaire de D______ SA.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que, vu le principe de célérité, il convenait d'instruire la cause avant l'issue du procès civil opposant les parties et, plus particulièrement, d'entendre les prévenus et les témoins, ainsi que de poursuivre les deux procédures en levée des scellés.

D. a. Dans leurs recours respectifs, au contenu similaire, B______ et C______, d'une part, et A______, d'autre part, estiment avoir la qualité pour recourir, dès lors qu'ils avaient un intérêt à ne pas être condamnés pour le cas où E______ SA aurait gain de cause dans les procédures civiles. Ils reprochent par ailleurs au Ministère public d'avoir violé leur droit d'être entendu en rendant une décision insuffisamment motivée. Par ailleurs, l'issue des procédures civiles allait jouer un rôle préjudiciel et décisif pour la procédure pénale, de sorte que sa suspension se justifiait. Au vu de ce motif objectif, dite suspension ne contrevenait pas au principe de célérité et permettrait d'éviter le prononcé de décisions contradictoires.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Vu leur connexité évidente, les deux recours seront joints.

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des développements qui suivent.

3.             3.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP).

3.2.1. Le refus de suspendre une instruction, au sens de l'art. 314 CPP, est une décision a priori sujette à recours, au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_657/2012 du 8 mars 2013 consid. 2.3.2), pour autant que la partie recourante en subisse un préjudice actuel et concret, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP (arrêt précité consid. 2.3.3 in fine). Lorsque le ministère public refuse de suspendre la procédure et conséquemment poursuit l'instruction, les parties ne subissent aucun préjudice actuel et concret causé par l'acte litigieux; elles bénéficient de la protection juridique assurée aux étapes ultérieures de la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2021 du 12 août 2021 consid. 2.2; 1B_151/2019 du 10 avril 2019 consid. 4 et 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.3).

3.2.2. En l'espèce, les recourants ne cherchent pas à démontrer en quoi les considérations juridiques à la base de la jurisprudence précitée ne s'appliqueraient pas à leur cas ou seraient obsolètes. Ils ne contestent en particulier pas qu'ils pourront demander la suspension de la procédure ultérieurement, de sorte qu'il est douteux que leur intérêt à recourir soit actuel. Cela étant, cette question peut rester ouverte vu le sort donné au recours.

Partant, sous cette réserve, il sera déclaré recevable.

4.             Les recourants se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendus.

4.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 p. 41; ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; ATF 135 I 265 consid. 4.3 p. 276).

L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 143 III 65 consid. 5.3; 142 I 135 consid. 2.1; 141 III 28 consid. 3.2.4; 139 IV 179 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_226/2019 du 29 mars 2019 consid. 2.1).

4.2. En l'espèce, le Ministère public a considéré que, vu le principe de célérité, il convenait d'instruire la cause avant l'issue du procès civil opposant les parties. Il ressort de l'argumentation développée par les recourants dans leurs écritures qu'ils ont parfaitement compris la motivation, même succincte, de la décision querellée, de sorte que leur grief lié au caractère lacunaire de celle-ci doit être rejeté.

5.             5.1. À teneur de l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre une instruction, notamment, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Le ministère public dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider d'une éventuelle suspension, mais il doit examiner si le résultat de l'autre procédure peut véritablement jouer un rôle pour le résultat de la procédure pénale suspendue et s'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_406/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2 et la référence citée).

Le principe de célérité qui découle de l'art. 29 al. 1 Cst. et, en matière pénale, de l'art. 5 CPP, pose des limites à la suspension d'une procédure. Ce principe est notamment violé lorsque l'autorité ordonne la suspension d'une procédure sans motifs objectifs. Pareille mesure dépend d'une pesée des intérêts en présence et ne doit être admise qu'avec retenue, en particulier s'il convient d'attendre le prononcé d'une autre autorité compétente qui permettrait de trancher une question décisive. Dans les cas limites ou douteux, le principe de célérité prime (arrêts 1B_238/2018 du 5 septembre 2018 consid. 2.1 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 130 V 90 consid. 5).

En raison des buts différents de la procédure pénale et civile – la première recherche la vérité, avec une instruction d'office et des moyens de contrainte conséquents alors que la seconde va, en principe, examiner les allégués des parties – la suspension d'une procédure pénale dans l'attente d'une procédure civile doit demeurer particulièrement exceptionnelle (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 14b ad art. 314 CPP).

5.2. En l'espèce, force est de constater que la suspension de la cause au stade actuel de la procédure contreviendrait au principe de célérité qui gouverne la procédure pénale. En effet, la durée des procédures civiles parallèles – pendantes devant des tribunaux de première instance – ne se laisse pas deviner en l'état. Or, les premiers faits dénoncés au pénal remontent à février 2021, et le Ministère public expose dans la décision déférée les actes qu'il entend accomplir prochainement. De surcroît, le refus de suspendre la procédure ne lie pas définitivement le Ministère public, lequel peut revenir en tout temps – au gré de l'évolution de la procédure – sur sa décision.

Le refus de suspendre l'instruction pénale n'est ainsi pas critiquable.

6.             Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

7.             Les recourants, qui succombent, supporteront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette les recours.

Condamne A______, B______ et C______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs conseils, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2841/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

895.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'000.00