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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18656/2022

ACPR/195/2023 du 16.03.2023 sur ONMMP/178/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE
Normes : CPP.310; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18656/2022 ACPR/195/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 16 mars 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Alex NARAY, avocat, Naray Law, rue du Conseil-Général 8, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 17 janvier 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 27 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction, avec ordre au Ministère public d'agir par la voie de l'entraide internationale en matière pénale.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 24 août 2022, A______ a déposé plainte contre inconnu, expliquant avoir été dépossédé, le 12 précédent, de 300'000 Tether (communément abrégé en USDT), se trouvant sur son "cold wallet" ("portefeuille froid" ou "portefeuille crypto-monnaie").

Le jour en question, il avait utilisé son adresse USDT pour la première fois et l'avait partagée avec un ami, auquel il avait vendu trois montres de luxe. Celui-ci, dont il préférait taire le nom pour ne pas le mêler à cette affaire, l'avait payé avec les 300'000 USDT. Quelques heures plus tard, il avait reçu l'équivalent de USDT 15.- en ethereum, sans connaître la raison de ce versement, ni l'identité du débiteur. Immédiatement après cette transaction, l'intégralité de la crypto-monnaie se trouvant sur son adresse avait disparu. Il soupçonnait les auteurs de s'être introduits dans son portefeuille par le biais d'un "smart contract" malicieux, à la réception des USDT 15.-.

b. À l'appui de sa plainte, A______ a produit deux rapports établis par des entreprises privées, mandatées pour tracer les valeurs dérobées.

À teneur de ceux-ci, l'adresse où les Tether avaient transité depuis le compte de A______ avait pu être identifiée. Les valeurs avaient ensuite été converties en ethereum puis réparties, au travers de sept transactions distinctes, sur différentes adresses. De là, elles avaient encore transité à plusieurs reprises pour se retrouver sur divers comptes affiliés aux plateformes d'échange B______, C______, D______ et E______. Le cheminement des "fonds volés" était relativement clair et aucune mesure particulière ne semblait avoir été prise pour en dissimuler l'origine. La temporalité des transactions montrait que les fonds avaient rapidement été dirigés vers ces plateformes, réduisant de ce fait la possibilité pour les détenteurs des comptes les ayant réceptionnés de se distancer du crime et leur permettant ainsi de prétendre les avoirs acquis légalement.

c. Une demande d'informations a été adressée par la police aux sociétés chargées des plateformes susmentionnées, afin d'obtenir le détail des adresses identifiées par le traçage de la cybermonnaie de A______.

En résumé, les réponses obtenues sont les suivantes:

-          la plateforme C______ a expliqué que le compte désigné chez elle appartenait à l'un de ses utilisateurs institutionnels, à savoir la société F______ LTD, dont le siège est aux Seychelles;

-          la plateforme B______, dont le siège est aux Îles Caïmans, a indiqué que la plupart des données concernées (portefeuilles, adresses, hashs) ne menaient à aucun compte d'utilisateur. À la suite d'une demande complémentaire, la plateforme a identifié le détenteur d'une adresse où se trouvait une partie des avoirs de A______. Il s'agissait d'un dénommé G______, dont le compte ne comportait ni date de naissance, ni documents d'identité;

-          la plateforme D______ a identifié le détenteur d'un compte où se trouvait une autre partie des avoirs. Il s'agissait d'un dénommé H______, domicilié en Inde.

La police n'a obtenu aucune réponse de la plateforme E______, basée aux États-Unis.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que malgré une enquête approfondie de la police, les auteurs n'avaient pas pu être formellement identifiés. Seul l'envoi d'une demande d'entraide internationale permettrait de faire avancer les investigations mais la probabilité de récupérer les fonds détournés était proche de zéro et vu les intérêts en jeu, une telle mesure serait disproportionnée. À défaut donc de pouvoir orienter des soupçons, il ne pouvait procéder.

D. a. Dans son recours, A______ soutient qu'il ne faisait aucun doute, à la lecture des rapports privés et de l'enquête de police, qu'il avait été victime d'une atteinte contre son patrimoine. Le Ministère public ne pouvait dès lors pas aboutir à la conclusion que l'état de fait n'était constitutif d'aucune infraction et devait, au contraire, procéder aux mesures d'instruction complémentaires suggérées, à savoir les demandes d'entraide internationale. Dans cette optique, les investigations avaient permis l'identification d'auteurs présumés et pour certains, de connaître leur identité. En refusant d'entreprendre des mesures complémentaires, lesquelles étaient proportionnées et susceptibles d'aider à la recherche de la vérité, le Ministère public n'avait pas respecté la maxime de l'instruction et le caractère impératif de la poursuite.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP n'ayant pas été observés – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pénale.

2.1. La maxime de l'instruction ou inquisitoire, que consacre l'art. 6 al. 1 CPP impose à l'autorité de rechercher tous les moyens de preuves (art. 139 CPP) propres à établir l'éventuelle commission d'une infraction dénoncée (Y. JEANNERET / A. KUHN, Précis de procédure pénale, 2ème éd., 2018, n. 4087).

2.2. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).

2.3. Même s'il est admis que les éléments constitutifs de l'infraction sont dénoncés, une non-entrée en matière peut se justifier lorsque les charges sont manifestement insuffisantes, et si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments utiles à la poursuite. Tel est le cas lorsque l'identité de l'auteur de l'infraction ne peut vraisemblablement pas être découverte et qu'aucun acte d'enquête raisonnable ne serait à même de permettre la découverte des auteurs de l'infraction. Il en va ainsi, par exemple, si les investigations possibles doivent se dérouler, sur commissions rogatoires, dans un pays étranger pour tenter de découvrir les auteurs de l'infraction. Cela pourrait concerner notamment des détenteurs d'adresses IP, voire de bitcoin, celles-ci pouvant vraisemblablement être localisées dans d'autres contrées, voire ne plus exister actuellement. Il sied dans un tel cadre de mettre en balance les intérêts en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2; ACPR/888/2021 du 16 décembre 2021 consid. 3.2).

2.4. En l'espèce, il n'est pas déterminant que l'infraction dénoncée apparaisse comme réalisée. Seule l'est la possibilité – ou non – d'obtenir des éléments utiles à la poursuite permettant de fonder des soupçons envers un ou plusieurs auteurs.

Contrairement à ce que soutient le recourant, les informations recueillies par ses investigations privées et celles de la police n'établissent pas avec certitude l'identité du ou des malfaiteur(s).

Certes, le suivi des transactions portant sur les valeurs patrimoniales du recourant a abouti à la découverte d'adresses où des parts de sa monnaie virtuelle se sont ultimement retrouvées. Cette destination a toutefois succédé à plusieurs opérations survenues sur des plateformes d'échange de crypto-monnaies, entre différents portefeuilles numériques. Rien ne permet dès lors d'affirmer – à l'instar des rapports privés produits par le recourant, qui n'ont au demeurant que la valeur d'un simple allégué (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 359) – que les détenteurs des comptes par lesquels les avoirs ont transité connaissaient leur origine illicite. Cette théorie serait d'ailleurs mise à mal par l'adresse identifiée chez C______, appartenant à un utilisateur institutionnel dont rien ne laisse penser – a priori – qu'il serait impliqué dans les faits dénoncés.

Compte tenu de ce qui précède, connaître le nom du détenteur d'un compte où se trouvent des valeurs patrimoniales du recourant ne suffit pas à établir des soupçons contre la personne concernée. Partant, aucun auteur présumé ne peut encore faire l'objet d'une prévention.

À cela s'ajoute qu'aucun acte complémentaire n'apparaît susceptible d'apporter des éléments utiles. Toutes les plateformes mentionnées dans les rapports privés ont d'ores et déjà été sollicitées pour obtenir des informations. Hormis les trois noms obtenus – dont l'un est un utilisateur institutionnel sis aux Seychelles, l'autre est inexploitable à défaut de documents d'identité et le dernier possède une adresse en Inde – le reste des données n'a pas permis d'aboutir à une piste concrète.

Dans ces conditions, les chances de découvrir l'auteur de l'infraction sont extrêmement restreintes, pour ne pas dire inexistantes, et doivent être mises en balance avec le coût, la durée et la complexité des démarches complémentaires devant être entreprises. À cet égard, une demande d'entraide aux Seychelles, aux Îles Caïmans, en Inde ou aux États-Unis est difficilement envisageable (cf. www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer.html).

En effet, il n'existe aucun traité formel en la matière avec les trois premiers pays cités, ce qui ne permet même pas de garantir qu'une telle demande serait reçue, ni encore moins qu'une réponse y serait donnée. Pour les États-Unis, les critères posés sont difficiles à remplir et la durée pour obtenir les informations souhaitées, qui plus est sans certitude de succès, peut être particulièrement longue, allant jusqu'à douze mois. Durant ce laps de temps, l'auteur des faits peut transmettre l'argent dérobé sur d'autres adresses ou même l'utiliser, sans nécessairement le retirer, dans le cadre d'échanges par le biais de divers services liés à ce commerce. Dans ces conditions, son identification resterait, au bout du compte, impossible.

Enfin, le recourant n'a pas chiffré ses prétentions civiles. La nature des crypto-monnaies étant très volatile, il est difficile d'établir le réel dommage subi, qui peut fortement fluctuer en fonction du cours d'une monnaie virtuelle.

Ainsi, les investigations envisageables, par le biais de commissions rogatoires, dans quatre pays différents, apparaissent disproportionnées et excessives au regard du complexe de faits et du dommage subi par le recourant dont le montant n'est pas déterminé.

À titre superfétatoire, il aurait pu être utile d'entendre le tiers à qui le recourant prétend avoir vendu trois montres de luxe et qui l'aurait payé avec la crypto-monnaie disparue par la suite, dans la mesure la transaction a nécessité le partage de l'adresse USDT et est intervenue quelques heures avant le piratage de celle-ci. Toutefois, le recourant refusant de donner son nom, il ne saurait y être procédé.

Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a estimé que ces éléments devaient conduire à une non-entrée en matière, étant précisé que la procédure pourra être reprise en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2).

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être traité sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18656/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00