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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19096/2019

ACPR/172/2023 du 09.03.2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : ADMINISTRATION DES PREUVES;ENTRAIDE JUDICIAIRE PÉNALE;DOMMAGE IRRÉPARABLE;CONFRONTATION
Normes : CPP.139; CPP.394.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19096/2019 ACPR/172/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 9 mars 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant.

 

contre la décision rendue le 20 février 2023 par le Ministère public

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 1er mars 2023, A______ recourt contre la décision du 20 février 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de solliciter les autorités françaises pour qu’elles tiennent le procès-verbal des débats d’une juridiction française [i.e. des débats devant la Cour d’assises de Haute-Savoie, qui s’ouvriront le 13 mars 2023].

A______ conclut à l'annulation de ladite décision, en ce qu’elle refuse « de demander aux autorités françaises à pouvoir assister aux débats (…) et tenir un procès-verbal » de ceux-ci, et à ce qu'il soit enjoint au Ministère public de décerner d’urgence une commission rogatoire en France pour qu’« il » puisse « assister aux débats et prendre les mesures (…) nécessaires pour (…) protocoler ce qu’il s’y dira ».

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             A______, ressortissant suisse né en 1979, est en détention depuis le 27 septembre 2019 sous les préventions d'assassinat (art. 112 CP), de séquestration et enlèvement (art. 183 CP), de vol (art. 139 CP) et d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP).

Il lui est reproché d'avoir, dans la nuit du 9 au 10 septembre 2019, retenu contre sa volonté, tué et volé une prostituée française, à Genève, puis brûlé sa dépouille dans la région de D______. Il aurait choisi sa victime au motif qu'elle avait une importante clientèle et était susceptible de détenir EUR 50'000.- chez elle. Il aurait pris un faux rendez-vous avec elle, puis se serait dissimulé derrière un comparse recruté pour l'occasion pour endormir sa méfiance et lui faire ouvrir la porte de son appartement, avant de l'aveugler à l'aide d'un spray au poivre. Alors qu'elle se débattait et criait, A______ et son comparse l'auraient bâillonnée et ligotée à l'aide de fils électriques, ce qui aurait causé sa mort. Ils auraient placé le corps dans une valise et se seraient rendus en taxi en France voisine pour l'incinérer et l'enterrer dans une forêt.

b.             A______ n'admet que la prévention d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP), soit d'avoir aidé celui qu'il désigne comme le réel auteur de l'homicide (son comparse) à se débarrasser du corps. Il affirme avoir accompagné celui-ci, qui souhaitait entretenir une relation sexuelle tarifée, jusqu'à l'appartement de la prostituée et l'y avoir laissé seul avant d'être alarmé par du bruit et des cris provenant de l'intérieur. Lorsque la porte lui avait été ouverte, il avait constaté que la prostituée gisait, inanimée.

c.              Détenu en France, son comparse, quant à lui, fait de A______ le concepteur de l'agression et l'auteur direct de la mort de la victime. Il a maintenu ses accusations contre A______ en confrontation. Dans une ordonnance du 4 mars 2022, le juge d’instruction compétent l’a renvoyé par-devant la Cour d’assises de la Haute-Savoie, estimant (p. 23 s.) que sa responsabilité pénale « et celle de A______ » étaient engagées, non pas des chefs d’assassinat et de vol en bande organisée, mais du chef de vol précédé, accompagné ou suivi de violences ayant entraîné la mort de la prostituée, ainsi que d’atteinte à l’intégrité du cadavre de celle-ci. Son procès s’ouvrira le 13 mars 2023. A______ sera entendu comme témoin, par la voie de la vidéoconférence.

d.             L’instruction menée contre A______ touche à son terme. Le Ministère public a prononcé diverses jonctions et disjonctions, que le prénommé a vainement attaquées (ACPR/161/2023 du 7 mars 2023), et a réglé le sort des réquisitions de preuve. Un renvoi en jugement est annoncé.

e.              Le 20 février 2023, A______ a fait valoir que le procès à venir en France serait susceptible d’influencer l’issue de la présente procédure. Il tenait en conséquence à pouvoir y poser des questions à l’accusé ; en outre, le Procureur devait assister à ces débats pour en constater la teneur et en dresser procès-verbal. Une commission rogatoire urgente devait être décernée à ces deux fins.

C.            Dans la décision querellée, le Ministère public refuse le transfèrement temporaire de A______ à la France, au profit de la vidéoconférence demandée par l’autorité pénale française, et refuse de le laisser suivre les débats des Assises depuis ses locaux. En revanche, il ne s’oppose pas à la présence de ses conseils lorsqu’il sera interrogé par le canal susmentionné. Par ailleurs, le concours de l’autorité française ne serait pas sollicité pour que celle-ci tienne un procès-verbal des débats, une telle activité ne relevant pas de « sa » compétence.

D.            a. À l'appui de son recours, A______ considère que le contenu des débats à venir devant la Cour d’assises française serait irrémédiablement perdu, si le Ministère public ne donnait pas suite à ses réquisitions de preuve.

Une de ces réquisitions tenait à la présence du Procureur helvétique auxdits débats ; elle ne pourrait plus être « recueillie » ultérieurement par le tribunal de première instance. Un préjudice irréparable s’en suivait, puisque le contenu des audiences ne pourrait plus être versé dans la procédure en cours.

Par ailleurs, les débats en France n’étaient ni protocolés ni enregistrés. Il fallait donc aussi que le Procureur mandé fasse le nécessaire pour en tenir le procès-verbal, par exemple avec le concours « d’une sténotypiste ». L’art. 8 du Deuxième protocole additionnel à la CEEJ prescrivait, du reste, qu’une formalité ou une procédure imposées par la législation de la partie requérante – ces termes pris dans une acception large – étaient en principe admissibles, même si elles n’étaient pas familières à la partie requise.

Aussi était-il « fort probable » que les autorités françaises donneraient suite à ses demandes.

b.             À réception, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des développements qui suivent.

2.             Le recours a été déposé selon la forme et – faute de date de notification établie – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a en principe qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

3.             Encore faut-il que la décision attaquée soit sujette à recours auprès de la Chambre de céans.

3.1.       À teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est ouvert contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions. Cependant, les décisions qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours par le CPP ne peuvent pas être attaquées par le biais d'un recours (art. 380 en lien avec les art. 379 et 393 CPP ; ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).

Selon l'art. 394 let. b CPP, le recours est irrecevable lorsque le ministère public ou l’autorité pénale compétente en matière de contraventions rejette une réquisition de preuves qui peut être réitérée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance.

En adoptant cette disposition, le législateur a voulu écarter tout recours contre des décisions incidentes en matière de preuve prises avant la clôture de l'instruction parce que, d'une part, la recevabilité de recours à ce stade de la procédure pourrait entraîner d'importants retards dans le déroulement de celle-ci et que, d'autre part, les propositions de preuves écartées peuvent être réitérées dans le cadre des débats (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005 [FF 2006 1057 1254]). La loi réserve toutefois les cas où la réquisition porte sur des preuves qui ne peuvent être répétées ultérieurement sans préjudice juridique. En l'absence de précision sur cette notion dans la loi ou dans les travaux préparatoires, le préjudice juridique évoqué à l'art. 394 let. b CPP ne se différencie pas du préjudice irréparable visé à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, lequel s'entend, en droit pénal, d'un dommage juridique à l'exclusion d'un dommage de pur fait tel l'allongement ou le renchérissement de la procédure. L'existence d'un tel préjudice a ainsi été admise lorsque le refus d'instruire porte sur des moyens de preuve qui risquent de disparaître, tels que l'audition d'un témoin très âgé, gravement malade ou qui s'apprête à partir dans un pays lointain définitivement ou pour une longue durée ; la possibilité théorique que des moyens de preuve soient détruits ou perdus ne suffit pas (arrêts du Tribunal fédéral 1B_596/2020 du 5 mars 2021 consid. 2.2 ; 1B_193/2019 du 23 septembre 2019 consid. 2.).

Hormis ces cas de figure, les décisions relatives à l'administration des preuves ou celles rejetant une réquisition de preuves ne causent généralement pas de préjudice irréparable, dès lors qu'il est possible de renouveler les griefs qui s'y rapportent jusqu'à la clôture définitive de la procédure, par exemple en exerçant ultérieurement son droit d'être confronté à des témoins à charge (arrêts du Tribunal fédéral 1B_246/2021 du 14 mai 2021 consid. 2 ; 1B_384/2019 du 9 août 2019 consid. 3.2 et 3.3 ; 1B_50/2016 du 22 février 2016 consid. 2, tous avec références).

Pour qu'une dérogation à l'irrecevabilité du recours contre un refus de procéder à des actes d'instruction entre en considération, les moyens de preuve invoqués doivent en toute hypothèse porter sur des faits pertinents (cf. art. 139 al. 2 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_189/2012 du 17 août 2012 consid. 2.1, publié in SJ 2013 I 89 ; B. STRÄULI, in Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 13 ad art. 394).

3.2.       En l’espèce, si l’on suit bien le recourant, ses griefs portent sur le refus de décerner une commission rogatoire internationale à la France, dans laquelle le Procureur requérant se proposerait de se transporter dans cet État, d’y assister aux débats devant l’autorité de jugement et d’en dresser le procès-verbal pour les besoins de sa propre procédure.

Encore faudrait-il que ces deux mesures probatoires soient pertinentes.

Le recourant échoue à en apporter la démonstration.

Il met en exergue les contradictions de son comparse et le refus de celui-ci de lui être confronté à nouveau et de participer à une reconstitution.

Or, il n’a pas à inverser les rôles : le procès qui s’ouvrira en France ne sera pas le sien.

Par ailleurs et surtout, son droit à la confrontation a déjà été exercé. On ne voit pas ce qu’y améliorerait le fait de dépêcher sur commission rogatoire internationale un procureur aux fins de consigner les débats d’une juridiction étrangère, sauf à le charger d’une manière de chronique judiciaire officielle. Le refus d’une reconstitution ne serait pas mieux pallié.

Les dispositions conventionnelles applicables (et, en droit interne, l’art. 32 Cst., ATF 144 II 427 consid. 3.1.2) n’imposent pas de multiplier les confrontations ; elles excluent simplement qu'un jugement pénal soit fondé sur les déclarations de témoins sans qu'une occasion appropriée et suffisante soit au moins une fois offerte au prévenu de mettre en doute les témoignages à charge et d'interroger les témoins, à quelque stade de la procédure que ce soit (ATF 140 IV 172 consid. 1.3 ; 133 I 33 consid. 3.1 ; 131 I 476 consid. 2.2). De toute façon, le recourant sera entendu par la Cour d’assises de la Haute-Savoie par le truchement de la vidéoconférence et, dans cette mesure, confronté une nouvelle fois à son accusateur, qui plus est en présence de ses défenseurs.

Si préjudice il fallait tout de même voir dans le refus querellé, ce préjudice ne serait donc ni juridique ni irréparable.

Par ailleurs, on ne voit pas, et le recourant ne tente pas de les exposer, quels autres éléments que la position, au demeurant déjà connue, de son comparse sur les faits reprochés (ou que, le cas échéant, la qualification juridique, elle aussi connue, qui leur a été donnée en droit français) seraient utiles à son propre procès – et menacés de disparaître à jamais, si aucune commission rogatoire internationale n’était décernée.

Par conséquent, il serait inutile, faute de pertinence, de disposer d’une transcription des débats qui s’ouvriront en France le 13 mars 2023. Il en résulte que le recours est irrecevable, au sens de l'art. 394 let. b CPP.

Peu importe, par conséquent, ce que permettrait l’art. 8 du Deuxième protocole additionnel à la CEEJ (RS 0.351.12).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19096/2019

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

 

-

CHF

 

 

Total

CHF

985.00