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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9627/2022

ACPR/21/2023 du 10.01.2023 sur ONMMP/2980/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;VOIES DE FAIT;INJURE;ADMINISTRATION DES PREUVES;ASSISTANCE JUDICIAIRE
Normes : CPP.310; CP.126; CP.177; CPP.147; CPP.136.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9627/2022 ACPR/21/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 10 janvier 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me E______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 26 août 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 8 septembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 26 août 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'ouverture d'une instruction, subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'investigation.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 22 mai 2022, A______, chauffeur professionnel VTC, s'est présenté au poste de police de l'aéroport de Genève pour déposer plainte contre B______.

Le même jour à 19h35, alors qu'il entrait avec son véhicule dans le parking P4 de l'aéroport de Genève, un conducteur de taxi, qui le suivait, qui s'avérera être B______, l'avait klaxonné et traité de "fils de pute". Il lui avait immédiatement demandé "pourquoi il [l]'insultait". Le précité était ensuite descendu de son véhicule, l'avait insulté de "connard" et de "fils de pute", puis l'avait saisi au niveau du cou et l'avait poussé sur le torse des deux mains. Un autre chauffeur de taxi était intervenu pour calmer la situation. Il s'était rendu au poste de police accompagné d'un chauffeur VTC ayant assisté les faits.

b. Entendu le 22 mai 2022 en qualité de personne appelée à donner des renseignements, C______, chauffeur professionnel VTC, a déclaré que B______ avait, depuis son véhicule, insulté A______ en le traitant de "fils de pute" et en employant d'autres gros mots. Le premier était descendu de sa voiture, en étant "violent verbalement", et avait poussé violemment le plaignant au niveau du torse.

Il avait conseillé à A______ de porter plainte contre B______. Il avait été lui-même, en 2017, agressé par le précité mais n'avait pas osé déposer plainte contre lui.

c. Selon le constat médical du 23 suivant établi par le Service des Urgences de l'Hôpital de la Tour, A______ avait déclaré qu'un chauffeur du taxi lui avait asséné plusieurs coups de poings dans la poitrine et l'avait étranglé. Il présentait des douleurs à la palpation vertébrale et paravertébrale dorsale. Les observations cliniques étaient compatibles avec les dires du patient.

d. Entendu le 27 mai 2022 par la police en qualité de prévenu, B______ a nié avoir agressé et injurié A______. Ce dernier était descendu de sa voiture et s'était approché, lui demandant pourquoi il avait klaxonné. A______ n'ayant pas respecté "[s]a distance vitale", il l'avait seulement poussé des deux mains sur le torse. Il ne l'avait pas saisi au niveau du cou.

C______ s'était mis d'accord avec A______ sur la version des faits à donner à la police, étant précisé que le premier nommé avait eu, par le passé, des problèmes avec "les taxis".

e. Il ressort du rapport de renseignements du 28 mai 2022 que D______, le chauffeur de taxi ayant assisté aux faits, avait été contacté téléphoniquement par la police et avait confirmé les dires de B______.

f. Les images de vidéosurveillance, versées à la procédure, montrent un conflit entre deux individus, où l'un se fait pousser par l'autre.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que les déclarations des parties étaient contradictoires et que, en l'absence d'éléments de preuve objectifs – le constat médical faisant uniquement état de douleurs à la palpation –, il n'existait pas de soupçon suffisant permettant de retenir une prévention pénale suffisante à l'encontre du mis en cause.

D. a. à l'appui de son recours, A______ se plaint d'une violation du principe in dubio pro duriore. Il ressortait en effet du dossier que le mis en cause l'avait poussé avec force des deux mains sur le torse, ce qui était, conformément à la jurisprudence, constitutif de voies de fait. En outre, le constat médical du 23 mai 2022 faisait état de douleurs à la palpation, compatibles avec ses déclarations. Enfin, les injures proférées à son encontre étaient étayées par les déclarations de C______.

b. Le Ministère public s'en tient à son ordonnance querellée et conclut au rejet du recours. Contradictoires, les déclarations du recourant étaient peu crédibles, ce d'autant qu'aucune lésion compatible avec plusieurs coups de poing reçus au torse et avec un étranglement n'avait été mise en évidence. Les déclarations de C______ et D______, elles-mêmes contradictoires, ne permettaient pas de retenir une version plutôt qu'une autre. Le récit du premier était par ailleurs peu crédible, dès lors que, de son propre aveu, le mis en cause l'avait agressé par le passé.

c. Dans sa réplique, A______ relève que sa crédibilité ne pouvait être remise en cause du seul fait qu'il n'avait pas employé les mêmes termes pour décrire les faits. En outre, les déclarations de D______ n'étaient pas exploitables, dans la mesure où elles avaient été faites en violation de l'art. 147 al. 4 CPP.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art.  104 al. 1 let. b CPP) a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant se plaint de n'avoir pas été confronté au témoin D______. À tort. Avant l'ouverture d'une instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas (art. 147 al. 1 CPP a contrario; ATF 143 IV 397 consid.  3.3.2 p. 403; 140 IV 172 consid. 1.2.2 p. 175). Le droit d'être entendu des parties est assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé d'entrer en matière sur les faits dénoncés dans sa plainte pénale.

3.1.1. à teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

3.1.2. à teneur de l'art. 126 al. 1 CP, celui qui se sera livré sur une personne à des voies de fait qui n'auront causé ni lésion corporelle ni atteinte à la santé sera, sur plainte, puni d'une amende.

Les voies de fait se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Une telle atteinte peut exister même si elle n'a causé aucune douleur physique (ATF  134 IV 189 consid. 1.2 p. 191). L'atteinte au sens de l'art. 126 CP présuppose une certaine intensité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_782/2020 du 7 janvier 2021 consid. 3.1).

Peuvent être qualifiées de voies de fait, une gifle, un coup de poing ou de pied, de fortes bourrades avec les mains ou les coudes, l'arrosage d'une personne au moyen d'un liquide, l'ébouriffage d'une coiffure soigneusement élaborée, un "entartage", la projection d'objets durs d'un certain poids, le renversement dans un lieu public d'un thé chaud et d'un sucrier sur la tête de la victime, le fait de pousser une personne avec force à l'aide des deux mains pour la faire sortir d'un appartement, le fait de saisir le bras d'une personne et la retenir par la force (arrêt du Tribunal fédéral 6B_386/2019 du 25 septembre 2019 et les arrêts cités).

3.1.3. Conformément à l'art. 177 al. 1 CP, se rend coupable d'injure celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur.

3.2. En l'espèce, bien que les protagonistes s'accordent à dire que le mis en cause a poussé le recourant, leurs versions, quant au déroulement de la dispute, sont contradictoires, B______ contestant toute agression ou injure à l'endroit de A______. Par ailleurs, la version de C______ diffère de celle de D______, le premier prenant parti pour le recourant et le second pour le mis en cause.

Force est toutefois de constater que les images de vidéosurveillance, seule preuve objective, ne permettent pas de constater l'existence de coups de poings, ni d'étranglement sur le cou. En outre, le constat médical produit par le recourant ne fait que reprendre les explications de ce dernier, lesquelles divergent de celles faites devant la police, ce qui est de nature à amoindrir sa crédibilité. Quoi qu'il en soit, les douleurs mentionnées dans le constat médical ne permettent pas d'attester que le mis en cause en serait à l'origine.

Ainsi, faute d'autre preuve disponible permettant d'objectiver les faits allégués, le Ministère public pouvait valablement considérer que les chances d'un acquittement du mis en cause étaient plus grandes que celles d'une condamnation, ce qui justifiait de refuser d'entrer en matière.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, au bénéfice de l'assistance judiciaire, sera exonéré des frais de la procédure de recours (art. 136 al. 2 let. b CPP).

6.             La procédure étant close (art. 135 al. 2 CPP), il convient de fixer l'indemnisation du conseil juridique gratuit pour son activité en deuxième instance.

6.1. à teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 138 CPP, le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif est édicté à l'art. 16 RAJ (E 2 05 04); il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. En l'espèce, le conseil juridique gratuit n'a pas produit d'état de frais pour la procédure de recours (art. 17 RAJ), ni chiffré ses prétentions.

Eu égard à l'activité déployée, soit un recours de 9 pages, dont 3 pages de développements topiques en droit et observations, la rémunération totale sera fixée à CHF 861.60, correspondant à 4 heures d'activité au tarif horaire de CHF 200.-.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me E______, à la charge de l'état, une indemnité de CHF 861.60, TVA à 7.7% incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).