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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20715/2021

ACPR/693/2022 du 06.10.2022 sur OCL/830/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT;RÉSISTANCE
Normes : CPP.319; CP.191

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20715/2021 ACPR/693/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 6 octobre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______[GE], comparant par Me Laura SANTONINO, avocate, SWDS Avocats, rue du Conseil-Général 4, case postale 412, 1211 Genève 4,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 23 juin 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 juillet 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 juin 2022, notifiée le 27 suivant, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte contre C______.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens chiffrés, principalement, à l'annulation de ladite ordonnance, à ce que la procédure soit reprise et à ce que le Ministère public "statuant à nouveau" soit enjoint de renvoyer C______ en jugement pour actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et, "si mieux n'aime", à procéder à de nouvelles auditions et à renvoyer C______ en jugement du chef de la même prévention.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 21 octobre 2021, A______ a déposé plainte contre C______.

Elle a expliqué qu'elle était épuisée psychologiquement et physiquement en raison de son emploi, ______ à 100%, de la formation de spécialisation en psychothérapie qu'elle suivait en parallèle et de trois déménagements en six mois. On lui avait diagnostiqué une dépression en raison d'une grosse charge de travail et de pressions. Le Dr D______, psychiatre qui la suivait, lui avait conseillé de se faire hospitaliser, ce qu'elle avait refusé tant qu'elle n'avait pas terminé ses études. En avril 2021, dans le cadre de sa recherche d'appartement, elle avait croisé le mari d'une amie d'enfance de sa sœur, C______, habitant dans le voisinage. Avec la femme de ce dernier, ils s'étaient vus à deux reprises, ceux-ci souhaitant quitter leur appartement. Il lui avait dit qu'elle était "au bout de sa vie" et lui avait donné sa carte de ______ et ______. Elle avait pris rendez-vous avec lui. Lors de la première séance, le 13 mai 2021, tout s'était bien passé, mais elle ne s'était pas sentie à l'aise. En effet, elle considérait que la manière dont il posait les mains sur son corps étaient des "gestes de caresses". Cependant, ayant payé pour trois séances elle était retournée le voir, le 23 juillet 2021. Il lui avait donné une serviette et demandé de se déshabiller, dans la salle de bain, en ne gardant que sa culotte. Elle s'était ensuite installée sur la table de massage, couchée sur le ventre. Sans la toucher, il lui avait dit qu'il sentait qu'elle avait des douleurs au bassin. Elle lui avait alors expliqué s'être déplacée le coccyx dix ans auparavant. Il lui avait dit qu'il existait une manière de remettre en place le coccyx en passant "par la chatte". Elle s'était ensuite mise sur le dos et endormie. Il lui avait massé les cuisses, en se rapprochant de plus en plus de sa "culotte". Elle avait compris qu'il se passait quelque chose et avait fermé les yeux. Elle était terrifiée, sidérée, incapable de bouger, ni de dire quoi que ce soit. Avec le recul, bien qu'auparavant elle avait déclaré s'être endormie, elle estimait, en réalité, avoir été plutôt "très loin", en état de "dissociation". Son corps était présent physiquement, mais son esprit était ailleurs. Plus les gestes de C______ devenaient intimes, plus sa tête était ailleurs. Lorsqu'elle avait repris ses esprits, elle avait senti qu'il avait introduit ses doigts dans le vagin. Il était en train de la "doigter" en faisant des va-et-vient. À aucun moment, elle n'avait été capable de dire "stop". Elle ignorait s'il était excité à ce moment-là. L'acte avait duré environ vingt minutes, et il s'était arrêté lorsqu'elle avait eu un orgasme. Elle avait eu honte mais n'avait rien contrôlé. Ensuite, il avait arrêté le massage et lui avait dit qu'elle pouvait prendre une douche. Elle lui avait répondu ne pas avoir le temps et s'était rhabillée. Ils avaient ensuite fumé des cigarettes et parlé de son hospitalisation prochaine. À ce moment-là, elle n'avait pas réalisé ce qui venait de se passer. Le soir même, elle avait bu trois ou quatre bouteilles de rosé, alors qu'habituellement elle buvait en moyenne trois verres. Initialement, elle devait être hospitalisée pour une semaine, fin juillet, mais finalement, l'hospitalisation avait duré un mois. Depuis son retour, elle buvait environ deux bouteilles de rosé chaque jour, n'osait plus sortir de chez elle de peur de croiser C______ et s'était scarifiée, à plusieurs reprises. Elle avait eu des idées suicidaires et des aggravations des troubles du sommeil. En se scarifiant, elle avait cherché à blesser ce corps qui la dégoûtait car cela ne lui ressemblait pas de subir les choses sans bouger et qu'elle aurait dû agir. Le lendemain des faits, elle avait tout raconté à sa meilleure amie, E______. Elle prenait des antidépresseurs, des neuroleptiques et, depuis son retour d'hospitalisation, des anxiolytiques.

b. Entendu par la police le 25 octobre 2021, C______ a expliqué être thérapeute et ______. Il a contesté les faits reprochés. Il connaissait A______ par le biais du voisinage. Sa femme et lui cherchaient à remettre leur appartement et elle était intéressée. Sur six mois, ils avaient pris deux apéros ensemble. Au cours de l'un d'entre eux, la précitée lui avait confié avoir des difficultés au travail, être en dépression, se livrer à des automutilations, et avoir des difficultés relationnelles avec sa mère, cette dernière lui reprochant d'être trop souvent alcoolisée. Dans le cadre de sa pratique, il respectait la déontologie et la pudeur. Tout d'abord, il faisait l'anamnèse, puis l'état psychique et physique du patient, et ensuite l'installait sur la table, après qu'il se soit déshabillé dans la salle de bain. Si c'était une femme, il demandait à ce qu'elle retire son soutien-gorge et soit en culotte. Lorsque le patient était sur la table et devait se retourner, il le couvrait d'une serviette. Il pratiquait des massages, des étirements et du stretching sur les zones enflammées, ainsi que des points de réflexologie sur différentes parties du corps. Il terminait par un processus consistant à demander au patient de compter jusqu'à soixante en fermant les yeux, afin qu'il se concentre sur sa respiration et atteigne un état de relaxation. S'agissant de A______, il ne se souvenait pas exactement de l'ordre chronologique des soins prodigués. Il avait dû la voir trois fois. Il ne se rappelait pas si la séance du 23 juillet 2021 était la deuxième ou la troisième. Il lui avait massé les cuisses car elle présentait des douleurs au niveau des iliaques en lien avec un problème au coccyx. Il n'avait pas décelé de terreur chez elle, ni rien vu ou senti d'anormal à ce moment-là, et n'avait pas remarqué qu'elle était en "dissociation". Il n'avait pas d'explication rationnelle concernant les accusations portées contre lui.

c. Le 26 octobre 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre C______ pour contrainte sexuelle (art. 189 CP) et acte d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 190 CP).

d. Entendu par le Ministère public les 26 octobre 2021 et 3 mai 2022, C______ a confirmé ses déclarations précédentes. Il pensait que A______ pouvait lui en vouloir car il ne l'avait pas choisie pour la sous-location de son appartement et qu'avec sa femme, ils avaient pris leurs distances avec la prénommée, lui-même ayant arrêté les soins. Il y avait eu trois séances avec A______, mais il n'était pas en mesure de donner les dates exactes. Lors de la première séance, il avait travaillé la globalité du corps. Il a contesté cependant avoir prodigué des caresses sur les cuisses de l'intéressée; il s'agissait de "digito-pressions", à raison de trois fois dix secondes. À l'issue de celle-ci, A______ lui avait dit être contente et l'expression de son visage ne laissait pas apparaître de gêne ou de mal-être. Lors de la deuxième séance, il avait également travaillé la globalité du corps en évitant les parties intimes et la poitrine. À la troisième séance, sauf erreur celle du 23 juillet 2021, A______ s'était déshabillée dans la salle de bain et il l'avait installée sur la table de massage, la recouvrant d'un linge. Il avait travaillé sur l'ensemble de son corps, y compris l'arrière des cuisses et les fessiers, avec différentes techniques telles que la "digito-pression", le traitement de l'abdomen et de la colonne vertébrale, pour lesquelles il était monté sur la table de massage, des étirements et la pratique "de bol". Il avait terminé en demandant à A______ de compter jusqu'à soixante pour pouvoir "revenir gentiment". A______ ne lui avait pas parlé de douleurs au bassin ni d'un problème au coccyx. Au moment où il lui travaillait les trapèzes, elle était allongée sur le dos et avait fermé les yeux durant dix à quinze minutes, mais il n'était toutefois pas en mesure de dire si elle s'était endormie. À un moment, il lui avait touché les oreilles afin qu'elle puisse se relaxer et avait senti qu'elle était partie très profondément dans un état de relaxation. Lors d'une posture où il lui avait pressé les cuisses, elle aurait pu mal interpréter ses gestes, une main étant en blocage et l'autre en appui. Cependant, il ne lui avait pas touché le vagin, ni les parties intimes. À la fin de la séance, ils avaient fumé une cigarette dans le jardin et discuté. A______ lui avait expliqué, à plusieurs reprises, que son médecin menaçait de l'hospitaliser en raison de son surmenage et qu'elle avait déjà fait des burn-out, mais elle ne lui avait pas dit qu'elle prenait des antidépresseurs ni qu'elle se scarifiait. Il ne lui avait pas proposé de se doucher après les séances. Il ignorait que sa patiente avait prévu de se faire hospitaliser quelques jours après.

Revenant sur ses déclarations, il a expliqué qu'à la première séance, il avait su que A______ avait un problème au coccyx. Il était "embrouillé".

e. Entendue par la police le 22 décembre 2021, E______ a déclaré que, sans savoir les raisons exactes de son hospitalisation, A______ était surmenée en raison de son rythme de travail, de la formation qu'elle suivait et des choses difficiles qu'elle avait à gérer, telle que la perte de son père quelques années auparavant. Sans en avoir parlé comme un problème, A______ avait tendance à boire et, dans le cadre de son hospitalisation, l'idée était également de la sevrer. Le lendemain des faits, alors qu'elle se trouvait chez A______, son amie s'était mise à pleurer et trembler. A______ lui avait confié s'être endormie lors d'une séance avec son _______ et qu'à son réveil, C______ était en train de la toucher, sans qu'elle ne puisse bouger ni dire quoi que ce soit, étant sous le choc. A______ ne lui avait pas donné plus de détails, mais elle avait compris qu'il s'agissait d'une agression d'ordre sexuel. Son amie n'osait plus sortir de chez elle de peur de croiser C______, et, depuis le déménagement de ce dernier, d'affronter le monde.

f. Selon le rapport de renseignements de la Brigade de criminalité informatique du 8 mars 2022, l'analyse du téléphone portable de C______ a notamment révélé que, dans son historique de navigateur internet, 49 pages sur 2689 références, étaient à caractère pornographique, étant précisé que pour certaines desdites pages les mots clés "caméra+cachée+massage" avaient été utilisés.

g. Par courrier du 10 mars 2022, le Ministère public a été informé de l'hospitalisation de A______ du 4 mars au 4 avril 2022, en raison de l'aggravation de son état psychologique.

h. Lors de l'audience du 3 mai 2022 par-devant le Ministère public, A______ a confirmé ses déclarations à la police. Elle était en confiance avec C______ car c'était un voisin et elle le connaissait depuis longtemps, étant le mari d'une amie d'enfance de sa sœur. Fin juillet, elle devait entrer en clinique en raison d'un burn-out et d'une consommation exagérée d'alcool. S'agissant de la séance du 23 juillet 2021, alors qu'ils discutaient de son problème au coccyx, elle avait refusé tout geste intrusif dans son intimité pour remettre en place son coccyx. Lorsqu'elle était allongée sur le dos, les massages de C______ constituaient plus des caresses que des gestes de professionnel. Lorsqu'il s'était approché de la région de son entrejambe, elle s'était retrouvée en état de choc. Elle avait fermé les yeux et avait eu "très très" peur de ce qui pouvait se passer. Elle s'était "dissociée" de son corps et était restée passive, sans pouvoir bouger. Elle était à la fois terrifiée et dans un état de vulnérabilité. Les gestes de C______ avaient été de plus en plus intimes et elle avait réalisé, tout d'un coup, qu'il avait introduit un doigt, puis plusieurs, dans son vagin, faisant des allers-retours de plus en plus rapide dans l'intention d'un acte purement sexuel. Elle n'avait pas bougé de peur qu'il introduise autre chose dans son intimité. Au cours de cette séance, C______ n'avait pas manipulé "de bol", ni n'était monté sur la table. Abstraction faite des évènements du 23 juillet 2021, elle n'avait aucune raison d'en vouloir à C______. Elle avait refusé de postuler pour l'appartement des C______, en ayant trouvé un autre, et, à aucun moment elle n'avait senti que ceux-ci avaient mis de la distance avec elle. Elle n'avait jamais souhaité qu'il se passe quoique ce soit avec C______. Ce dernier connaissait son état d'épuisement et de vulnérabilité. Dans un premier temps, elle n'avait pas déposé plainte par égard pour la famille de C______. Elle s'était finalement décidé à le faire en raison du mal-être que ses proches avaient décelé chez elle et du fait qu'il entendait se spécialiser dans l'accompagnement post-partum et allait déménager. En raison de l'agression subie, elle avait dû prolonger son hospitalisation et, depuis, était dans l'incapacité totale de reprendre son travail. Tant le jour que la nuit, elle présentait des symptômes d'un état de stress post-traumatique. Après les faits, sa dépression s'était fortement aggravée et s'était accompagnée d'importants troubles anxieux. En mars 2022, elle s'était à nouveau fait hospitaliser en raison d'un état de stress post-traumatique qui s'était chronicisé, d'une dépression qui s'était fortement aggravée et d'une rechute d'alcool très importante depuis l'été.

i. À la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction, par lequel le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement, A______ a sollicité l'audition de personnes de son entourage, ainsi que de la psychologue qui la suivait entre 2013 et janvier 2022, lesquels seraient en mesure d'attester de son état psychologique au moment de son agression et des conséquences de celle-ci.

j. Le 10 juin 2022, A______ a transmis une attestation du Dr D______, du 7 juin 2022, à teneur de laquelle, l'état de santé de sa patiente s'était considérablement aggravé après l'agression subie en juillet 2021.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public relève que les faits dénoncés s'étaient déroulés en l'absence de témoin et que les versions des parties étaient contradictoires. Cependant, le déroulement exact des faits pouvait demeurer indécis dans la mesure où, même à considérer que les faits se soient déroulés tels que décrits par A______, les infractions aux art. 189 et 191 CP ou toute autre infraction n'étaient pas réalisées.

S'agissant d'une éventuelle contrainte sexuelle, A______ n'avait pas fait état de violence, de menaces ou d'un quelconque moyen de contrainte dont C______ aurait fait usage pour arriver à ses fins.

Par ailleurs, s'agissant d'une éventuelle infraction à l'art. 191 CP, quand bien même les actes dénoncés auraient eu lieu, aucun élément au dossier ne permettait de retenir que A______ s'était retrouvée dans une position physique ou un état mental qui l'avait privée de la faculté de se déterminer en toute connaissance de cause et de comprendre le sens et la portée d'actes d'ordre sexuel. Le comportement de A______ consistant à fermer les yeux ne changeait rien au fait qu'elle conservait la possibilité de s'opposer aux actes de C______, si tant est que de tels actes avaient eu lieu.

D'ailleurs, quand bien même A______ s'était trouvée en "dissociation", C______ n'avait eu aucun moyen de s'en rendre compte et n'avait pu que penser, au vu des circonstances, qu'elle conservait la faculté de s'opposer aux actes non souhaités. Il n'était pas davantage établi que le prévenu avait eu conscience du fait que A______ n'était pas consentante.

Au regard de ce qui précède, la procédure devrait être classée, sans mener les auditions sollicitées, celles-ci n'étant pas à même d'apporter des éléments inédits et probants. En effet, les personnes à interroger n'avaient pas assisté aux faits du 23 juillet 2021, leur audition n'était donc pas susceptible d'apporter des éclaircissements.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le Ministère public avait procédé, d'une part, à une analyse manifestement erronée de la jurisprudence et, d'autre part, à une appréciation incorrecte des différents éléments de preuves figurant au dossier. Une analyse de la situation dans son intégralité aurait dû conduire le Ministère public, conformément au principe "in dubio pro duriore", à renvoyer C______ en jugement du chef d'actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, le cas échéant, après avoir complété son instruction.

En effet, quand bien même au moment de l'abus elle était allongée sur le dos, elle avait les yeux clos de sorte que, conformément à la jurisprudence applicable, elle ne pouvait voir les gestes de C______ et se trouvait donc dans l'incapacité de résister. Elle avait été surprise, dans la mesure où c'était "tout d'un coup" qu'il avait introduit les doigts dans son vagin. Elle n'avait pas été capable de manifester d'opposition, étant terrifiée et en état de choc. C'était en toute confiance, compte tenu du lien thérapeutique mais également amical, qu'elle avait consulté C______. En outre, ce dernier, au courant de son état dépressif, avait conscience de l'état psychique particulièrement affaibli dans lequel elle se trouvait au moment des faits et avait exploité sa fragilité mentale pour agir. Dans ces circonstances, c'était à tort que le Ministère public avait retenu l'absence d'intention de C______, ce d'autant que l'analyse de son téléphone portable avait révélé la consultation de vidéos portant les mots clés "caméra+cachée+massage", confirmant ainsi qu'il prenait plaisir à regarder ce genre de scène.

En outre, le Ministère public n'avait pas tenu compte de la situation dans son intégralité, en particulier des contradictions et incohérences dans les déclarations de C______, de l'absence de bénéfice secondaire pour elle quant à la dénonciation et des conséquences qu'elle avait subies depuis son agression.

Elle réitère ses réquisitions de preuves, soit les auditions de F______, son ex-compagnon, G______, son frère, H______, sa mère, et I______, sa psychologue, susceptibles d'attester de ses dires, de témoigner de son état psychologique avant et après les faits, et de sa souffrance et de son combat au quotidien pour continuer à mener sa vie. Leur témoignage permettrait également d'évaluer la crédibilité et la cohérence des propos relatés par les parties. Elle réclame en outre une nouvelle audience afin que C______ soit interrogé sur les recherches internet qu'il avait effectuées concernant les vidéos pornographiques; ainsi qu'il soit procédé à une nouvelle analyse du téléphone portable du prénommé afin d'y rechercher le recueil de données de ses clients et de déterminer s'il avait procédé à des annotations particulières le jour de la séance litigieuse.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les faits et moyens de preuve nouveaux sont recevables devant l'instance de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 et les références citées).

4.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir classé la procédure, faute d'actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

4.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe in dubio pro duriore, selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

4.2. L'art. 191 CP prévoit que celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Cette disposition protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les personnes incapables de discernement ou de résistance dont l'auteur, en connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte d'ordre sexuel (ATF 120 IV 194 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

L'art. 191 CP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Sur le plan subjectif, cette disposition requiert l'intention, étant précisé que le dol éventuel suffit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.1; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.6.1). Agit intentionnellement celui qui s'accommode de l'éventualité que la victime ne puisse pas être, en raison de son état physique ou psychique, en situation de s'opposer à une sollicitation d'ordre sexuel, mais lui fait subir malgré tout un acte d'ordre sexuel (arrêts 6B_727/2019 précité consid. 1.1; 6B_69/2018 du 11 juin 2018 consid. 4.1; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.6.1).

4.3. Le Tribunal fédéral a, à plusieurs reprises, analysé l'infraction à l'art. 191 CP dans le domaine médical. Il a admis que les patientes, qui n'étaient pas en mesure de voir les gestes de leur gynécologue, en raison de leur position (allongées sur la table gynécologique, tête plus basse que les jambes), étaient dans l'incapacité de résister et que lorsqu'elles auraient pu réagir, soit au toucher du praticien excédant l'examen, l'auteur était déjà entré en action et avait déjà profité d'elles. Une incapacité momentanée de résistance était suffisante. La passivité des patientes leur était d'autant moins imputable en raison de la confiance particulière qui les liait à leur médecin. Ce dernier agissant par surprise et les victimes étaient prises au dépourvu, la honte et l'émotion les empêchant de se défendre (ATF 103 IV 165 du 2 septembre 1977 JdT 1978 IV 148 et les références citées).

Dans l'ATF 133 IV 49 = JdT 2009 IV 17, le Tribunal fédéral a confirmé la jurisprudence précitée. La patiente, nue et couchée sur le ventre, ne pouvait pas voir ce qui lui arrivait sur la table de traitement. Elle ne s'était rendu compte de l'abus sexuel que lorsqu'elle avait senti les doigts du physiothérapeute dans son sexe et ne s'était crispée que lorsqu'il avait commencé à abuser d'elle. Il importait peu qu'elle n'ait pas opposé de résistance pendant quelques secondes contre l'acte d'ordre sexuel non souhaité, parce qu'elle était totalement prise au dépourvu par l'atteinte et que, très perplexe, elle avait eu comme une absence causée par la surprise.

Dans un arrêt 6B_453/2007 du 19 février 2008, la Haute Cour a retenu une incapacité de résistance d'une patiente allongée sur le ventre, sur la table de massage, avec le visage tourné sur le côté. Son champ visuel était partiellement limité, lorsque l'acuponcteur lui avait touché le clitoris, et ne pouvait se rendre compte de l'atteinte sexuelle qu'au moment de son exécution. En revanche, l'incapacité a été déniée lorsqu'elle avait été couchée sur le dos, sa vision n'étant pas restreinte dans cette position-là (consid. 3.2. et 3.4.2). En outre, il a relevé que ce cas était plus grave que celui de l'ATF 133 IV 49, précité, car un médecin, en raison de sa longue formation, de son savoir et de sa position professionnelle, se voyait accorder une confiance plus grande qu'un physiothérapeute (consid. 3.3).

C'est également en raison de sa posture et de son champ de vision limité que le Tribunal fédéral a reconnu une incapacité de résistance à une patiente, allongée sur la table de massage, sur le côté gauche, les fesses dépassant de la table, tournant le dos au physiothérapeute. Cette position, accompagnée de manipulations au niveau du bassin et de la jambe droite de la patiente, entravait particulièrement sa liberté de mouvement et l'avait empêchée d'anticiper de quelque manière que ce soit le comportement du praticien. Elle n'avait pu réaliser l'abus que lorsqu'elle avait ressenti le sexe en érection de ce dernier contre ses organes génitaux et ses fesses, soit après qu'il avait commencé à abuser d'elle. Dans le cadre de la relation de confiance – 3ème séance – et alors qu'elle n'avait aucune raison d'être sur ses gardes, elle avait été, à l'évidence, prise au dépourvu par les agissements du thérapeute et, sous l'effet de la surprise, incapable d'y résister et de s'y opposer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_920/2009 du 18 février 2010 consid. 3.3.2).

4.4. En l'espèce, la recourante affirme que, lors de la séance de massage thérapeutique du 23 juillet 2021, lorsqu'elle était couchée sur le dos, le prévenu l'avait massée au niveau des cuisses, tout en remontant progressivement jusqu'en haut de celles-ci. Puis, profitant qu'elle était dans un état de dissociation et de sidération, incapable de réagir, il lui avait introduit ses doigts dans le vagin, faisant un mouvement de va-et-vient durant 20 minutes, jusqu'à ce qu'elle atteigne l'orgasme.

Les déclarations des parties sont contradictoires dans la mesure où le prévenu conteste l'ensemble des faits reprochés, la séance en question s'étant, selon lui, déroulée normalement. Or, dans les délits commis "entre quatre yeux", où l'accusation repose essentiellement sur celles de la victime auxquelles s'opposent celles du prévenu, comme c'est le cas ici, il n'existe souvent pas de preuve objective – aucun témoin n'ayant assisté à la scène –. La jurisprudence impose la mise en accusation du prévenu, sauf si les déclarations de la partie plaignante sont contradictoires au point de les rendre moins crédibles ou encore lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2019 du 11 mars 2019 consid. 2.1).

En effet, au vu de la jurisprudence précitée et de la position de la recourante au moment des faits, une incapacité de résistance ne saurait être retenue. Elle était allongée sur la table de massage, sur le dos, de sorte que sa position n'entravait pas sa possibilité de percevoir préalablement les gestes du prévenu. Le fait qu'elle ait eu les yeux fermés ne change pas ce constat dans la mesure où ce n'était qu'à la suite de gestes qu'elle jugeait pourtant "pas normaux", – le prévenu s'étant rapproché de sa culotte – qu'elle les avait fermés. Elle était à ce moment-là en mesure de résister aux gestes du prévenu, étant précisé que c'est par la suite qu'il aurait "tout à coup" introduit les doigts dans son vagin. D'ailleurs, elle n'explique pas en quoi elle n'aurait pas pu, à tout le moins, tenter de s'opposer aux gestes litigieux, le fait de fermer les yeux n'étant pas suffisant pour altérer toute sa conscience, ce d'autant qu'elle dit s'être préalablement opposée à la manipulation de son coccyx "par la chatte". Elle avait donc la possibilité de s'opposer à l'acte d'ordre sexuel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_453/2007 précité consid. 3.2) avant qu'il ne débute. À cet égard, les arrêts susmentionnés retiennent une impossibilité de réagir des victimes d'une durée de quelques instants, voire de quelques minutes, mais non d'un acte qui aurait duré vingt minutes, comme la recourante l'allègue dans son cas.

Une incapacité de résistance ne peut pas non plus être retenue en raison de l'état de santé de la recourante. Si, selon les déclarations recueillies, la recourante rencontrait un épuisement psychologique et physique au moment des faits, elle était toutefois, en parallèle, parvenue à travailler en qualité de ______ à 100 % et à suivre une spécialisation, son hospitalisation ayant été prévue fin juillet 2021, uniquement en raison de la fin de sa formation. Partant, il n'apparaît pas que son état, au moment de l'acte litigieux, l'eût empêchée de résister à celui-ci, pour autant qu'il ait eu lieu.

Par ailleurs, bien que les parties se connaissaient comme voisins, voire en raison d'une connaissance commune, et qu'elles ne se sont côtoyées qu'à deux voire trois reprises, au sujet de l'éventuelle reprise de l'appartement du prévenu par la recourante, on ne peut retenir qu'une relation de confiance s'était établie entre eux au point d'empêcher la recourante de résister à un acte d'ordre sexuel non consenti.

Partant, en l'absence d'un élément constitutif objectif de l'art. 191 CP, l'infraction n'est pas réalisée de sorte que le classement se justifie également.

5.              

5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             La recourante, partie plaignante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Le communique, pour information, à C______, soit pour lui son conseil.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/20715/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'000.00