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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4250/2021

ACPR/573/2022 du 18.08.2022 sur ONMMP/1150/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;PLAINTE PÉNALE;DÉLAI;SOUPÇON;SIGNAL LUMINEUX
Normes : CP.125; CP.31

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4250/2021 ACPR/573/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 18 août 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me C______, avocate, ______, Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 12 avril 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 25 avril 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la présente procédure.

Le recourant conclut, avec suite de frais et indemnité de CHF 2'520.20, à l'annulation de l'ordonnance précitée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 19 janvier 2021, un accident de la circulation s'est produit à Genève, à l'intersection entre le boulevard Helvétique et la rue de l'Athénée, impliquant le véhicule conduit par B______ et celui conduit par A______.

b. Les deux conducteurs ont été entendus par la police le même jour. Chacun affirme avoir circulé alors que le feu de signalisation était en phase verte sur sa voie de circulation.

c. Un témoin, cycliste, a déclaré à la police que, le jour des faits, il se trouvait derrière la voiture [de A______] arrêtée au feu de la rue de l'Athénée, à l'intersection avec le boulevard Helvétique, laquelle avait démarré lorsque la phase lumineuse était passée au vert. Lorsque, traversant le boulevard Helvétique, lui et le conducteur étaient parvenus sur la deuxième tranche de l'artère, un véhicule [celui de B______], survenu sur leur droite, était entré en collision avec la voiture de A______.

d. Selon le procès-verbal d'audition tenu le 18 mai 2021 par la Brigade routière et accidents, A______ a déposé plainte pour lésions corporelles par négligence et produit des attestations médicales faisant état d'une luxation de la rotule du genou droit.

e. Le rapport de renseignements établi par la police le 24 juillet 2021, auquel était joint le procès-verbal susmentionné, contient le passage suivant : "Le 15.05.2021 (sic), M. A______ a été auditionné en nos locaux afin de déposer plainte contre M. B______ pour les lésions corporelles par négligence qu'il a subies lors de son accident du 19.01.2021. Il sied de préciser que M. A______ nous a contacté[s] dans le délai de 3 mois légal afin de déposer plainte. Pour des raisons de service, son audition a dû être enregistrée en dehors du délai légal".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a, s'agissant des infractions à la LCR, estimé que, chacun affirmant avoir démarré au feu vert, les déclarations des parties étaient contradictoires sans qu'il ne soit possible de privilégier l'une à l'autre. Le témoin avait déclaré que A______ avait démarré au feu vert, mais, "il ne pouvait pas savoir de quelle couleur était le feu de B______ étant donné qu'il se trouvait derrière la voiture de A______". Partant, il n'y avait pas lieu d'entrer en matière (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Quant à l'infraction de lésions corporelles simples, la plainte était tardive, ce qui conduisait à un empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ affirme s'être adressé à la police au début du mois d'avril 2021 pour déposer plainte pénale. Son interlocuteur lui avait répondu que son dépôt de plainte avait été pris en compte, mais que seul le policier chargé de la procédure pouvait le recevoir, le 18 mai 2021. Le délai de plainte devait dès lors être considéré comme respecté, puisqu'il s'était fié aux renseignements donnés par la police, compétente pour recevoir sa plainte.

Par ailleurs, le Ministère public ne pouvait écarter ses déclarations, qui concordaient avec celles du témoin, à savoir que le feu de signalisation était au vert lorsque son véhicule avait été percuté par celui conduit par B______.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Les éléments au dossier ne permettaient pas d'établir à satisfaction de droit que le feu de signalisation de B______ était en phase rouge, le témoin ne l'ayant pas vu.

Le délai de plainte ne pouvait être ni suspendu, ni interrompu ni prolongé. Toutefois, le Procureur s'en rapporte à justice s'agissant d'une restitution du délai, au vu des éléments figurant au rapport de police, et conclut donc, subsidiairement, à ce que l'ordonnance de non-entrée en matière soit annulée en tant qu'elle concerne l'infraction de lésions corporelles par négligence.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir retenu que sa plainte était tardive.

2.1. Aux termes de l'art. 30 al. 1 CP, si une infraction n'est punie que sur plainte, toute personne lésée peut porter plainte contre l'auteur. Tel est le cas de l'infraction de lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 1 CP).

La plainte pénale doit être déposée auprès de la police, du ministère public ou de l'autorité pénale compétente en matière de contraventions, par écrit ou oralement ; dans ce dernier cas, elle est consignée au procès-verbal (art. 304 al. 1 CPP).

2.2. Selon l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai court du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction. Avec le dépôt d'une plainte, le lésé manifeste sa volonté inconditionnelle de voir l'auteur de l'infraction poursuivi pénalement (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.4 p. 387).

Le délai institué par l'art. 31 CP est un délai de péremption (arrêt du Tribunal fédéral 6B_482/2008 du 26 août 2008 consid. 3.2 avec référence à l'ATF 97 IV 238 consid. 2), qui ne peut être ni suspendu, ni interrompu, ni prolongé. Tout au plus, son terme est-il reporté au prochain jour ouvrable lorsqu'il tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit du for (ATF 83 IV 185).

En revanche, le droit de porter plainte doit être restitué lorsque l'ayant droit a été empêché d'observer le délai de trois mois sans qu'une faute ne lui soit imputable, ce que prévoit d'ailleurs l'art. 94 CPP (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 25 ad art. 31). Il en va notamment ainsi lorsque l’ayant droit a laissé s’écouler le délai de l’article 31 CP en se fiant à un renseignement donné par l’autorité compétente (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 13 ad art. 31 et les références citées ; ACPR/354/2021 du 31 mai 2021 et ACPR/498/2022 du 26 juillet 2022).

2.3. Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 p. 53). Le principe de la bonne foi est également concrétisé à l'art. 3 al. 2 let. a CPP et concerne, en procédure pénale, également les autorités pénales (ATF 144 IV 189 consid. 5.1; 143 IV 117 consid. 3.2).

À certaines conditions, le citoyen peut exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances précises qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'il a légitimement placée dans ces dernières (ATF 128 II 112 consid. 10b/aa; 118 Ib 580 consid. 5a). De la même façon, le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence, simplement, d'un comportement de l'administration susceptible d'éveiller chez l'administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1; 126 II 377 consid. 3a et les références citées; ACPR/125/2014 du 6 mars 2014).

2.4. En l'espèce, dans la mesure où le recourant invoque des lésions corporelles simples par suite de l'accident survenu le 19 janvier 2021, le délai pour déposer plainte pénale venait à échéance le 19 avril 2021.

Le recourant affirme s'être adressé à la police début avril 2021 pour déposer plainte pénale et avoir reçu l'assurance que celle-ci était prise en compte, mais que son audition aurait lieu ultérieurement, par le policier chargé du dossier. Cette explication est corroborée par la mention, dans le rapport de renseignements du 24 juillet 2021, que le recourant avait contacté la police "dans le délai [ ] légal" mais que, "pour des raisons de service", son audition avait dû être enregistrée après l'échéance du délai.

Le recourant a ainsi démontré avoir agi dans le délai et ne saurait dès lors pâtir des aléas de l'organisation interne de la police, si sa plainte n'a été consignée par écrit que plus tard.

Le délai de plainte doit donc être considéré comme respecté, le recourant s'étant au demeurant fié aux renseignements qui lui ont été donnés par l'autorité compétente (art. 304 al. 1 CPP). Partant, le Ministère public ne pouvait invoquer ce motif pour refuser d'entrer en matière sur la plainte pour lésions corporelles par négligence.

3.             3.1. Aux termes de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police notamment que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe "in dubio pro duriore", tel qu'il découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91). Ce principe signifie qu'en règle générale, une non-entrée en matière ne peut être prononcée que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).

3.2. En l'espèce, la version du recourant, selon laquelle il a démarré lorsque la phase de signalisation était passée au vert, à la rue de l'Athénée, est corroborée par les déclarations du témoin, qui suivait ce véhicule au guidon d'un vélo. Il s'ensuit que, en conséquence et, a priori nécessairement, les feux de signalisation de la voie de circulation du mis en cause, sur le boulevard Helvétique, qui coupe la route aux véhicules circulant sur la rue de l'Athénée, devaient être en phase rouge.

Dans ces circonstances, on ne saurait retenir, au vu des déclarations du témoin, que la version du plaignant ne serait corroborée par aucun élément de preuve objectif. Si le Ministère public éprouve un doute sur la synchronisation des feux au croisement de la rue de l'Athénée et du boulevard Helvétique, le jour de l'accident, il lui appartient de le dissiper par des actes d'instruction, mais il ne saurait retenir, d'emblée, l'absence de toute prévention pénale.

4.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction pour déterminer les circonstances de l'accident.

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. Le recourant, qui obtient gain de cause, a demandé une indemnité de CHF 2'520.20.

6.1. L'autorité pénale amenée à fixer une indemnité sur le fondement de l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'a pas à avaliser purement et simplement les notes d'honoraires d'avocats qui lui sont soumises : elle doit, au contraire, examiner, tout d'abord, si l'assistance d'un conseil était nécessaire, puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire, et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conformes au tarif pratiqué à Genève, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

La Cour pénale applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 400.- (ACPR/282/2014 du 30 mai 2014) si l'avocat concerné a calculé sa prétention à ce taux-là (ACPR/377/2013 du 13 août 2013).

6.2. En l'espèce, l'activité de 5 heures 85 annoncée paraît excessive pour la rédaction d'un recours de 11 pages (pages de garde et de conclusions comprises), dans une cause ne présentant pas de complexité juridique, de sorte que l'indemnité sera ramenée à CHF 1'292.40, correspondant à 3 heures au tarif horaire de CHF 400.- pratiqué par le conseil.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés (CHF 900.-).

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'292.40, TVA (7.7 %) incluse.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil) et au Ministère public.

Le communique, pour information, à C______ (soit pour lui son conseil).

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).