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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23724/2019

ACPR/481/2022 du 07.07.2022 sur OCL/518/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE
Normes : CPP.319; CP.125

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23724/2019 ACPR/481/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 juillet 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Yves MABILLARD, avocat, PBM Avocats SA, avenue de Champel 29, case postale, 1211 Genève 12,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 2 mai 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 13 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 mai 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte du 21 novembre 2019.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'assistance juridique et, principalement, à l'annulation de l'ordonnance querellée, à ce que B______ soit reconnu "coupable" de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de "poursuivre" le prénommé.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 21 août 2019 à 13h40, l'intervention des services de police a été requise à la rue 1______ à C______, pour un accident de chantier.

b. Selon le compte rendu d'accident établi par l'Inspection des chantiers (Office de l'urbanisme) le jour des faits, l'accident s'était produit alors que A______ installait, pour le compte de D______ (ci-après: D______), dont il est l'employé, l'auvent [d'un échafaudage] en posant des plateaux métalliques sur une structure tubulaire, à environ 3 mètres 50 de hauteur. Le prénommé se trouvait derrière les garde-corps, sur le plancher, lorsque E______, un collègue de travail, lui avait donné la dernière planche nécessaire pour la construction. Ce dernier, parti chercher de l'eau, avait entendu un "gros" bruit. Il s'était alors retourné et avait constaté que son collègue était au sol. Selon les constatations supplémentaires de l'office, le chantier était propre et les protections collectives étaient "partout présentes" et "en bon état". Aucun facteur environnemental pouvant expliquer la cause de l'accident n'avait été relevé.

c. Entendu le jour-même sur son lit d'hôpital, A______ a déclaré être monté sur l'échafaudage avec son équipement (casque et harnais) pour installer des planches sur l'auvent. Au moment de poser le dernier panneau, celui-ci s'était bloqué. Puis, le collier de serrage reliant les deux tubes formant l'auvent s'était ouvert. Les planches étaient tombées et lui avec elles. Il avait attaché le harnais de sécurité sur l'un des tubes maintenus par le collier de serrage qui avait été mal fixé par B______, son chef déquipe.

d. Selon la déclaration manuscrite établie sur place, E______ a expliqué à la police qu'il était seul présent sur les lieux lorsque l'accident s'était produit. Selon lui, les "attaches" fixant l'auvent s'étaient décrochées ce qui avait fait tomber les planches.

e. B______, "responsable du chantier" chez D______, a expliqué oralement à la police qu'il était absent au moment des faits. Il avait installé l'auvent avec l'ouvrier blessé. Ils étaient tous deux responsables du montage de l'échafaudage (cf. rapport de renseignements du 20 décembre 2021).

Le 28 août 2019, lors de son audition par la police, il a précisé qu'il était responsable de la bonne mise en place de l'auvent mais que chacun devait contrôler que les colliers soient bien serrés. A______ n'aurait pas dû monter sur l'auvent ou, à tout le moins, il aurait dû porter un harnais de sécurité.

f. Le 21 novembre 2019, A______ a déposé plainte contre inconnu pour "lésions corporelles".

En substance, en août 2019, il avait été engagé par l'entreprise D______ pour travailler sur un chantier à C______ en qualité de monteur d'échafaudage, étant précisé qu'il disposait de quinze années d'expérience dans ce domaine. B______ était le responsable de chantier. Toutefois, durant les trois premières semaines, il avait installé seul l'échafaudage sur la partie avant de l'immeuble. Le 21 août 2019, B______, E______ et lui-même montaient l'échafaudage sur la partie arrière de l'immeuble. Alors qu'il travaillait sur l'auvent, il s'était aperçu que le dernier plateau ne pouvait être inséré dans le support formé par les deux tubes précédemment assemblés, au sol, par B______. Il avait alors accroché son harnais au tube supérieur et avait "appuyé fortement" sur le panneau pour le faire entrer dans ledit support. Le collier de serrage, censé tenir les deux tubes à la pointe du triangle, s'était alors ouvert, libérant les plateaux qui étaient tombés au sol. Il avait chuté de près de quatre mètres, son harnais ayant glissé le long du tube.

Il avait subi diverses lésions dont une fracture du "plateau supérieur L1-A3", une fracture de la tête radiale à droite et une entorse à la cheville droite. Il avait aussi ressenti des douleurs au dos. Il était sorti de l'hôpital le 26 septembre 2019 et était en arrêt de travail depuis lors. Il effectuait des séances de physiothérapie.

À l'appui, il a notamment produit les certificats médicaux attestant de ses blessures ainsi que différents arrêts de travail.

g. Le Ministère public a tenu plusieurs audiences, les 12 octobre 2020, 29 octobre et 2 décembre 2021.

g.a. A______ a confirmé sa plainte. Ayant mis en avant sa longue expérience professionnelle, il n'avait reçu aucune instruction avant de commencer son emploi chez D______. Contrairement à ce qu'il avait indiqué précédemment, les trois premières semaines, il avait aidé B______ à installer l'échafaudage sur l'avant de l'immeuble en lui apportant le matériel. Le matin de l'accident, au sol, le prénommé avait fixé les colliers de serrage sur les tubes formant l'auvent alors que lui-même et E______ s'étaient occupés de placer les montants de l'échafaudage. Puis, il avait, avec B______, fixé les extrémités desdits tubes – formant un triangle –, sur l'échafaudage. Ensuite, il avait placé les planches sur la structure de l'auvent. C'était la première fois qu'il effectuait cette tâche. À chaque fois qu'il avait ajouté une planche, il avait marché sur la précédente. B______ était d'ailleurs aussi passé de l'autre côté de l'échafaudage pour placer les dernières planches, lors de l'installation de l'auvent sur la partie avant de l'immeuble. Afin d'insérer la dernière planche dans le support, il avait dû "appuyer". En forçant, le collier de serrage, précédemment fixé au sol par B______, s'était ouvert. Il avait été déséquilibré et les planches étaient tombées avec lui. Il portait un harnais de sécurité, qu'il avait accroché au tube du haut formant le triangle de l'auvent. Il n'avait pas vu où B______ s'était assuré lors du travail effectué sur la partie avant de l'immeuble. Il n'aurait pas pu vérifier si ledit collier était correctement vissé, celui-ci se trouvant à l'extrémité des planches qu'il posait.

Il avait encore des douleurs à la cheville et au dos mais avait cessé les séances de physiothérapie en avril 2021. En mai 2021, il avait repris le travail à 100% dans le même domaine.

g.b. B______ a confirmé ses précédentes déclarations. Le jour des faits, avec A______, il avait assemblé au sol les pièces constituant l'auvent. Puis ils étaient montés ensemble sur l'échafaudage pour y fixer les tubes précédemment assemblés. Ils n'avaient pas vérifié le serrage des colliers car celui-ci avait été effectué au sol. En travaillant trois semaines avec A______ sur la partie avant de l'immeuble, il avait pu constater que ce dernier avait de l'expérience. Il ne lui avait donc pas donné d'instruction particulière s'agissant de la pose des panneaux. Pour fixer l'auvent, il convenait de marcher sur la partie principale de l'échafaudage et non sur les tubes formant le triangle, qui donnait dans le vide. Il confirmait pouvoir placer les planches sur l'auvent sans sortir de l'échafaudage, et ce alors même qu'il était plus petit que son collègue. En principe, il n'était pas nécessaire de porter un harnais pour monter l'auvent car il ne fallait pas quitter la structure principale de l'échafaudage. Le harnais devait être attaché à la base la plus solide, soit à la structure de l'échafaudage, et non sur le tube de l'auvent, qui ne faisait pas partie de ladite structure.

Il effectuait son travail avec "responsabilité". Selon lui, l'ouverture du collier de serrage était due à un problème technique ou à la force de son collègue. Il maintenait avoir serré "très" fort le collier.

g.c. E______ a confirmé ses précédentes déclarations. Après avoir expliqué avoir vu le harnais par terre mais ne plus se souvenir si son collègue le portait, il a affirmé que A______ ne portait pas de harnais au moment de sa chute. Il a aussi déclaré, tout d'abord, que B______ avait serré les colliers alors qu'il se trouvait au sol, puis ne pas se souvenir de "qui avait fait quoi alors qu'ils étaient les trois au sol", avant de revenir à ses premières déclarations. Enfin, il a précisé que, pour placer les planches, A______ avait marché sur l'auvent en passant par-dessus les barrières de sécurité.

h. Par avis de prochaine clôture du 24 mars 2022, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer la procédure et les a invitées à formuler leurs éventuelles réquisitions de preuve.

À l'issue du délai imparti, aucune réquisition de preuve n'a été formulée par celles-ci.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) n'étaient pas réunis (art. 319 al. 1 let. b CPP).

Il subsistait un doute s'agissant de la personne ayant serré le collier qui avait cédé et l'instruction n'avait pas permis d'établir les motifs pour lesquels celui-ci s'était ouvert, les déclarations des parties étant contradictoires et aucun élément objectif ne permettant de corroborer l'une ou l'autre des versions. Aucune violation du devoir de prudence ne pouvait ainsi être reprochée à B______.

En outre, le lien de causalité naturelle et adéquate entre l'éventuelle négligence de B______ et les lésions survenues avait été rompu par le comportement de A______, lequel s'était avancé sur l'auvent afin de placer les planches sans prêter toute l'attention nécessaire commandée par les circonstances et sans s'assurer à l'aide d'un harnais ou, à tout le moins, sans accrocher celui-ci à la base de l'échafaudage.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une constatation inexacte des faits pour avoir retenu qu'il existait un doute, d'une part, sur l'identité de la personne ayant mal serré le collier qui avait cédé et, d'autre part, sur la cause de l'ouverture dudit collier. Aux termes de ses déclarations et celles du témoin, il était clair que c'était B______ qui s'était occupé seul de cette tâche. En outre, seules deux raisons expliquaient l'ouverture du collier, soit le fait qu'il ait été mal serré ou que cette pièce eût été défectueuse. Or, dans cette seconde hypothèse, B______, en sa qualité de responsable de chantier, aurait dû remplacer le collier et aviser son employeur. Dans la mesure où l'échafaudage, respectivement les colliers de serrage, étaient conçus pour résister aux vents violents et à des pressions importantes, il n'apparaissait pas que la force qu'il avait exercée sur la planche aurait pu provoquer l'ouverture du collier. Enfin, il n'aurait pas pu vérifier que ledit collier eût été serré correctement dès lors que celui-ci se trouvait à l'extrémité de l'auvent. Ainsi, le Ministère public ne pouvait retenir qu'il existait un doute quant à la cause de l'ouverture du collier de serrage et devait admettre que cette pièce n'avait pas été serrée correctement par B______.

Au fond, les éléments constitutifs de l'art. 125 CP étaient réunis et le classement était inopportun. Suivant l'art. 3 al. 8 de l'ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction (OTConst; RS 832.311.141), selon lequel l'employeur qui exécute des travaux de construction se doit notamment de veiller à ce que le matériel soit en parfait état de fonctionnement et satisfasse aux exigences de la sécurité du travail, B______, en sa qualité de responsable de chantier, ne pouvait se retrancher derrière la défectuosité du matériel pour s'exonérer de toute responsabilité. En serrant seul, au sol, les colliers de serrage attachant les deux tubes en triangle pour la pose de l'auvent, il avait nécessairement constaté que tout était fonctionnel et en parfait état. Ainsi, seule une inattention de la part de ce dernier pouvait expliquer qu'un collier se soit ouvert lorsqu'il était monté dessus pour poser un panneau. Ni son poids ni la pression qu'il avait exercée pour insérer le panneau auraient été suffisants pour faire céder un collier correctement serré. En chutant, il s'était grièvement blessé. Une négligence avait donc été commise lors du serrage du collier.

Il contestait toute faute concomitante pouvant rompre le lien de causalité. Il effectuait, pour la première fois, la pose de l'auvent, et avait procédé comme B______ l'avait fait de l'autre côté du bâtiment. Il était nécessaire de sortir de l'échafaudage pour poser les panneaux et il portait un harnais. En effet, s'il ne l'avait pas porté, rien n'expliquait que ledit harnais se soit retrouvé à ses côtés, après sa chute. Si le collier avait été serré correctement, le tube sur lequel il avait accroché son harnais aurait supporté son poids et il n'aurait pas chuté. Ses lésions étaient imputables à une négligence de B______.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant invoque une constatation inexacte des faits.

3.1. Une constatation est incomplète lorsque des faits pertinents ne figurent pas au dossier. Une constatation est erronée (ou inexacte) lorsqu'elle est contredite par une pièce probante du dossier ou lorsque le juge chargé du recours ne peut déterminer comment le droit a été appliqué (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 78-80 ad art. 393; ACPR/200/2012 du 16 mai 2012).

3.2. En l'espèce, le recourant reproche au Ministère public d'avoir considéré qu'il existait un doute quant à l'identité de la personne ayant serré le collier qui avait cédé ainsi que s'agissant de la cause de l'ouverture dudit collier. Ce faisant, le recourant reproche en réalité à l'autorité précédente son appréciation des éléments du dossier. Quoi qu'il en soit, dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), d'éventuelles constatations incomplètes ou inexactes auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant. Le grief est dès lors infondé.

4.             Le recourant conteste la réalisation des conditions du classement.

4.1.  À teneur de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'après la clôture de l'instruction (art. 318 al. 1 CPP) les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées; arrêt 6B_400/2020 du 20 janvier 2021 consid. 3.1).

4.2.       L'art. 125 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Aux termes de l'art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.

Deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait négligence. En premier lieu, il faut que l'auteur viole les règles de la prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui (ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79). Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140). En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64; 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262).

L'infraction de lésions corporelles par négligence suppose en règle générale un comportement actif. Elle peut toutefois aussi être commise par un comportement passif contraire à une obligation d'agir (art. 11 al. 1 CP). Reste passif en violation d'une obligation d'agir celui qui n'empêche pas la mise en danger ou la lésion d'un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu'il y soit tenu à raison de sa situation juridique. L'art. 11 al. 2 CP énumère plusieurs sources pouvant fonder une position de garant, à savoir la loi, un contrat, une communauté de risques librement consentie ou la création d'un risque. N'importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu'elle ait découlé d'une position de garant, c'est-à-dire que l'auteur se soit trouvé dans une situation qui l'obligeait à ce point à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection), ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés (devoir de surveillance), que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif (cf. art. 11 al. 2 et 3 CP; ATF 141 IV 249 consid. 1.1 p. 251 s.; 134 IV 255 consid. 4.2.1 p. 259 s.).

Il faut en outre qu'il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s'est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l'analyse des conséquences de l'acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.1 p. 265). L'existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance; autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat (ATF 116 IV 182 consid. 4a p. 185). La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l'acte attendu n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il serait simplement possible qu'il l'eût empêché (arrêt du Tribunal fédéral 6B_948/2017 du 8 mars 2018 consid. 4.1 et les références citées). Il y a rupture de ce lien de causalité adéquate, l'enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d'un tiers – propre au cas d'espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s.; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168).

4.3. En l'espèce, l'accident du 21 août 2019 s'est produit alors que le recourant était chargé, en sa qualité de monteur, d'installer un échafaudage sur un chantier sis rue 1______ à C______ (Genève).

Tout d'abord, il n'est pas établi que le prévenu, décrit comme "responsable" voire "chef" de chantier, avait, vis-à-vis du recourant, une position de garant. Même à considérer que tel ait été le cas, le dossier ne comporte aucun élément venant conforter la thèse selon laquelle la chute serait due à une défaillance technique. En outre, il ressort du rapport établi par l'Inspection des chantiers le jour des faits que la sécurité était assurée sur le chantier. Ainsi, les dispositions de l'ordonnance citée par le recourant dans le cadre de son recours ne sont pas pertinentes, en l'espèce.

Le recourant estime que sa chute est due à une faute du prévenu. Durant la procédure, le recourant et le témoin ont affirmé que le prévenu avait installé seul les colliers de serrage sur les tubes formant l'auvent et ce, alors qu'il se trouvait au sol, ce que le concerné n'a toutefois pu confirmer. En l'absence d'autre élément objectif, il existe donc un doute quant à la personne ayant procédé au serrage du collier ayant cédé. Le recourant a en outre expliqué avoir dû "forcer" sur les tubes pour placer la dernière planche et reconnu que cette manœuvre avait mené à l'ouverture du collier de serrage ainsi qu'à sa chute. Ainsi, même à admettre que le prévenu ait procédé à la fixation dudit collier, l'on ne peut exclure que ce soit la force utilisée par le recourant qui ait pu le desserrer.

La question de la violation fautive d'une règle de prudence par le prévenu peut toutefois être laissée indécise, dès lors qu'il apparait que le comportement du recourant a pu jouer un rôle prépondérant dans l'accident.

En effet, quand bien même le prévenu a expliqué qu'il ne fallait en aucun cas marcher sur l'auvent, le recourant reconnait y être monté afin d'y placer des planches. Il soutient, à cet égard, que le prévenu avait fait de même lors de l'installation de l'auvent sur l'avant de l'immeuble. Quoiqu'il en soit, pour ce faire, il n'est pas contesté que le recourant ait dû enjamber le garde-corps se trouvant sur le bord de l'échafaudage. Il affirme ensuite s'être assuré au moyen d'un harnais de sécurité, protection qu'il avait attachée sur le tube supérieur de l'auvent. Or, si tel avait été le cas, rien n'explique que ledit harnais se soit retrouvé à ses côtés et non sur lui, plus précisément autour de sa taille, après sa chute. En tout état, même à considérer que le recourant s'était harnaché, l'on ne comprend pas pourquoi, afin de prévenir une éventuelle chute depuis l'auvent, ce dernier se serait assuré sur le tube supérieur de l'auvent lui-même, et ce alors même que cet élément était encore en construction, et non sur la base de l'échafaudage, soit à un point d'ancrage sûr, ce d'autant plus compte tenu de son expérience dans le domaine.

Au vu de ce qui précède, le fait que le recourant ne se soit pas harnaché, respectivement qu'il se soit assuré à un point d'ancrage non sécurisé, apparait être un geste si imprudent et extraordinaire qu'il est de nature à rompre tout lien de causalité.

Aucune mesure d'instruction complémentaire ne mènerait à un constat différent. Le recourant n'en dit mot, d'ailleurs.

Partant, les faits étaient suffisamment instruits pour exclure la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction de lésions corporelles par négligence
(art. 125 CP). Le Ministère public était dès lors fondé à prononcer le classement de la procédure sur la base de l'art. 319 al. 1 let. b CPP.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Le recourant a sollicité l'octroi de l'assistance judiciaire. Sa cause était toutefois dénuée de toute chance de succès, de sorte que sa requête ne peut qu'être rejetée (art. 136 al. 1 let. b CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_173/2014 du 17 juillet 2014 consid. 3.1.1).

7.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

La décision sur l'assistance juridique est rendue sans frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/23724/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00