Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/14429/2021

ACPR/433/2022 du 17.06.2022 sur OTMC/1765/2022 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.221; CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14429/2021 ACPR/433/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 17 juin 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison B______, comparant par Me O______, avocat, ______, Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de mise en liberté rendue le 1er juin 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 7 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 1er juin 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a refusé sa demande de mise en liberté.

Le recourant conclut, avec suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement au profit de toute mesure que la Chambre de céans jugerait opportun d'ordonner.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né en 1983, a été arrêté le 12 août 2021 et placé en détention provisoire par ordonnance du TMC, régulièrement prolongée jusqu’au 24 juin 2022.

b. Il est prévenu de gestion déloyale (art. 158 CP), escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP).

Il est soupçonné d'avoir, en 2020 et 2021, en sa qualité de directeur du C______ SA (ci-après : le Garage) :

- acquis et vendu des véhicules de luxe sans rédiger les actes formels usuels, sans obtenir un paiement intégral préalable de l'acheteur et en s'appropriant l'argent des ventes,

- établi de faux documents, tels que de faux contrats, afin de tromper tant les clients que son employeur et s'enrichir illégitimement,

- vendu des véhicules à des prix sensiblement inférieurs à leur valeur marchande.

Le Garage allègue un préjudice financier de l'ordre de CHF 10 à 12 millions.

Selon les éléments au dossier, le Ministère public reproche plus particulièrement au prévenu d'avoir bradé des véhicules à certains clients pour toucher des commissions; bradé des véhicules à d'autres clients qui le payaient en liquide, sommes qu'il utilisait pour combler les déficits générés par les bas prix consentis; recouru à un système de commissions très élaboré reposant sur la falsification de documents permettant des remboursements de TVA qui, selon lui, étaient ensuite répartis entre D______, E______ et lui-même; tenté de faire payer un véhicule à un prix surévalué afin d'encaisser le surplus qu'il devait se répartir avec F______; vendu des véhicules inexistants à certains clients; vendu des véhicules à l'insu de leurs propriétaires. A______ aurait causé à son employeur une perte d'au moins CHF 10 millions et se serait lui-même enrichi à concurrence de montants conséquents.

c. A______ a commencé par contester les faits reprochés, expliquant toutefois avoir, sous la pression du stress et de l'urgence, omis d'établir certains contrats et imité la signature de clients, expliquant n'avoir pas agi dans son intérêt personnel.

Au cours de l'instruction, il a progressivement admis les faits, y compris la falsification de documents, mettant, dans un premier temps, en cause des tiers qu'il blâmait pour avoir exercé sur lui des pressions, avant de reconnaître, dans un second temps, qu'il n'avait en réalité subi aucune pression. Il a également reconnu avoir utilisé des sommes reçues de clients pour acquitter des montants dus à d'autres.

d. A______ est mis en cause par G______, H______, I______, D______, J______ – auxquels il a été confrontés – pour avoir utilisé différentes méthodes, telles que le paiement de commissions, y compris par l'entremise de tiers; des rétributions sous la forme de remises de sommes d'argent ou de véhicules (F______); la mise à sa disposition de fonds sur le compte bancaire d'un client (J______); l'octroi de rabais conséquents non convenus initialement; le bradage de véhicules à un prix largement inférieur à leur valeur sur le marché; la création d'un marché de vente de véhicule parallèle.

e. De son côté, A______ met en cause D______ dans le cadre des détournements de remboursements de TVA. Le précité a été entendu par le Ministère public les 7 avril et 17 mai 2022, en qualité de personne appelée à donner des renseignements. Il conteste les faits. Le Ministère public lui a posé toutes ses questions le 7 avril 2022 et l'a invité à produire des pièces. Lors de l'audience subséquente, du 17 mai 2022, la partie plaignante a posé ses questions. L'audience devait se poursuivre le 19 mai suivant, mais la partie plaignante en a requis le report – qui a été accepté par le Ministère public – car elle souhaitait interroger D______ sur les documents non encore produits.

Le prévenu met également en cause E______ en lien avec les remboursements de TVA. Lors de l'audience du 17 novembre 2021 déjà (PP 500'353), A______ déclarait que le remboursement de la TVA était réparti entre lui-même, D______ et E______. Ce dernier n'a, jusqu'ici, pas été entendu.

A______ a aussi impliqué F______, expliquant que ce dernier aurait augmenté le prix d'un véhicule vendu à un tiers, le prévenu devant recevoir ensuite une commission sous la forme d'une K______ (PP 500'733).

C.           Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu l'existence de charges suffisantes, même si le préjudice n'était pas encore défini avec précision et que le prévenu minimisait les faits particuliers sous l'angle de l'enrichissement illégitime. L'instruction se poursuivait à un rythme soutenu, une suite de confrontation avec D______ – débutée le 17 mai 2022 – étant prévue le 21 juin 2022 et une audience subséquente fixée le 30 suivant, lors de laquelle seraient entendus le représentant du Garage et E______. D______ avait en outre été invité à produire un certain nombre de pièces susceptibles d'apporter des éléments très importants à l'instruction, telles que les factures de revente des véhicules achetés à bas prix au prévenu.

Les nombreux revirements dans les déclarations de A______ et la minimisation de ses actes avaient rendu l'instruction plus compliquée et l'avaient ralentie. Le Ministère public devait déterminer l'ampleur de l'activité délictueuse du prévenu, la quotité du préjudice et la mesure de son enrichissement, tâche que le manque de collaboration rendait difficile. A______ persistait en effet à affirmer avoir utilisé pour ses dépenses courantes l'argent gagné par le versement des très nombreuses commissions. Il avait en revanche fini par reconnaître disposer d'un avoir de quelque CHF 200'000.- auprès de D______, pour des commissions lui revenant sur les remboursements de la TVA.

Le risque de collusion était important et subsistait à l'égard de D______, dès lors que l'audition de ce dernier n'était pas terminée et que le précité contestait la quasi-totalité des dires de A______. Le prévenu mettait en cause D______ – qui le conteste –, pour avoir mis en place un système de faux remboursements de TVA avec son partenaire commercial, E______, dont l'audition était donc nécessaire. En outre, F______ devait être entendu au sujet d'une facture volontairement gonflée dans le but d'encaisser le trop-payé et le répartir avec A______.

On se trouvait dans une situation de "Aussage gegen Aussage" s'agissant des trois personnes précitées, auxquelles le prévenu devait être confronté. Il existait dès lors un important risque de collusion à leur égard. Il convenait d'empêcher le prévenu d'exercer sur elles une influence pour obtenir des déclarations "qui lui soient favorables". Ce risque était d'autant plus important au regard des différents mécanismes frauduleux auxquels il avait pris part pendant plusieurs années, en faisant également profiter des tiers, ce qui dénotait une organisation entre eux parfaitement orchestrée. Une simple interdiction de contact ne serait manifestement pas suffisante, considérant l'importance de la sanction encourue, au vu de la gravité des faits reprochés, et l'absence, pour l'heure, de la détermination de l'intégralité des commissions versées ou reçues par le prévenu.

Le Ministère public devrait toutefois réexaminer le risque de collusion à l'issue des deux audiences déjà convoquées et examiner la possibilité de pallier le risque résiduel éventuel au moyen de mesures de substitution. En l'état, la détention demeurait proportionnée à la peine encourue par A______, de sorte que sa requête de mise en liberté était rejetée.

D.           a. Dans son recours, A______ précise d'emblée ne pas contester les charges. Si, en début de procédure, les versions présentées n'étaient pas conformes à la réalité, il avait, en dix mois d'instruction, reconnu la quasi-totalité des faits reprochés, y compris l'encaissement de nombreuses commissions. Il avait permis la restitution de la somme de CHF 326'000.- à la partie plaignante se trouvant sur les comptes de J______ à Hong-Kong et transféré le solde résultant de la vente de son appartement de P______[VS], démontrant ainsi ses bonnes dispositions. S'il ne pouvait nier l'existence de variations sur un certain nombre d'affirmations, il avait apporté de très nombreuses explications utiles et vérifiées, et avait même préparé des documents de synthèse, étant relevé que des variations dans des déclarations n'étaient pas propres à créer un risque de collusion, sauf à retenir ce risque avec lui-même.

Il conteste tout risque de collusion. S'agissant de la suite de l'audition de D______, il ne connaissait pas les pièces dont la production avait été ordonnée à ce dernier et il n'avait jamais été prétendu dans le dossier qu'il serait impliqué dans les reventes ultérieures de véhicules par le précité. Si ces pièces étaient déterminantes, elles auraient pu faire l'objet d'une perquisition et d'un séquestre. Il n'avait pas à subir les conséquences d'un report d'audience, étant relevé que D______ avait déjà été entendu à deux reprises et que le Ministère public lui avait posé toutes ses questions. La nécessité de confronter l'intéressé à des pièces qu'il devait lui-même fournir n'était pas un motif sérieux pour justifier un risque de collusion.

Il ne voyait quoi qu'il en soit pas, dans la configuration dans laquelle lui-même mettait en cause D______, lequel devait s'expliquer sur son éventuelle participation et produire des pièces, quelle déclaration favorable pour lui-même – soit au prévenu –, il pourrait chercher à obtenir de l'intéressé. Ce n'était pas parce que les versions ne concordaient pas après confrontation, qu'un risque de collusion perdurait, la détention n'ayant pas pour finalité de faire pression sur le prévenu pour qu'il aligne sa version sur celle des personnes auditionnées.

De même, il ne voyait pas comment il pourrait obtenir d'F______ et de E______ des déclarations favorables pour lui, alors qu'il reconnaissait les faits et incriminait ces deux protagonistes. De plus, E______ était en contact avec D______ depuis des mois, de sorte que l'éventuel risque de collusion résidait plutôt entre ces deux personnes. Dans la mesure où il mettait en cause celles-ci, il était contraire au bon sens d'imaginer qu'il puisse obtenir d'elles des dépositions biaisées, alors qu'elles étaient en colère d'être soupçonnées en raison de ses déclarations. Quant à F______, il avait reconnu avoir collaboré avec le précité pour gonfler le prix d'achat du véhicule. La question de savoir si l'intéressé allait admettre ou non son implication ne créait pas de risque de collusion en sa faveur à lui. On le maintenait en détention pour faire en sorte que ses comparses, non prévenus et qui échangeaient entre eux librement depuis des mois, ne soient pas influencés.

On ne se trouvait pas, ici, dans une configuration de "Aussage gegen Aussage", puisque l'ensemble des transactions litigieuses, y compris les commissions versées par D______, reposaient sur une abondante documentation.

Partant, la faible intensité du risque, inhérent à toute procédure, imposait, notamment sous l'angle de l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_132/2022 du 25 mars 2022, d'envisager à tout le moins des mesures de substitution, auxquelles il se soumettrait si elles étaient ordonnées.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. La liste des comportements délictueux était incomplète, tant les stratagèmes mis en place par A______ durant la période pénale étaient diversifiés et élaborés. En ne cessant, depuis sa toute première audition, de revenir sur ses précédentes versions pour en apporter de nouvelles, il avait généré de nouveaux risques de collusion. Ces contradictions nécessitaient des vérifications minutieuses, pièces à l'appui, voire par le biais d'audiences de confrontation. D'ailleurs, même les documents rédigés par le prévenu à l'attention de l'autorité poursuivante ne correspondaient pas à la réalité.

Selon un nouveau rapport de police établi par suite de l'audition de trois employés du Garage, le prévenu semblait avoir réalisé des transactions obscures et entretenu des relations troubles avec certains clients, notamment "M. L______ et MM. M______ père et fils", avec lesquels il avait d'ailleurs reconnu avoir eu des liens relativement étroits. Ainsi, un risque de collusion nouveau avec les clients précités "pourrait se préciser ultérieurement".

Le risque de collusion n'était pour l'heure pas circonscrit avec précision et ne pouvait pas l'être, dès lors qu'il évoluait au gré des déclarations fluctuantes du recourant. En revanche, celui retenu à l'égard d'F______, D______ et E______ était manifeste.

F______ allait être amené à s'exprimer en détails, documents à l'appui, sur la transaction frauduleuse évoquée par le prévenu. A______ se mettait lui-même en cause dans cette vente, mais pourrait cacher d'autres transactions douteuses, même s'il s'en défendait. Remis en liberté, il pourrait contacter F______ pour convenir d'une version commune des faits, tant s'agissant de cette vente en particulier, que "dans le but de dissimuler d'autres agissements". D______ avait certes déjà été confronté à trois reprises au prévenu, mais il contestait les allégations du précité, qui le mettait en cause. Par conséquent, sur la base des documents à produire par le précité, il y aurait lieu de reprendre un certain nombre de transactions douteuses. Si le prévenu était remis en liberté, il pourrait contacter D______ pour influencer la suite de ses déclarations, étant précisé qu'il l'avait qualifié d'"ami". S'il était exact que E______ avait pu largement communiquer avec D______, son audition contradictoire se révélait nécessaire pour éclaircir plusieurs des affirmations du recourant, et pas seulement les faux remboursements TVA. Il fallait éviter que A______ puisse communiquer avec lui.

Le rythme soutenu de l'instruction – neuf auditions par la police et vingt par le Ministère public – avait pour but de limiter autant que possible tout risque de collusion avant la remise en liberté du prévenu. Si elle n'avait pu intervenir à ce jour, c'était en raison de l'absence de collaboration pleine et entière du recourant.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne conteste pas les charges retenues. Il n'y a donc pas à s'y attarder, mais à renvoyer, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art 82 al. 4 CPP; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), qui expose les indices graves et concordants pesant sur le prévenu.

3.             Le recourant estime que l'éventuel risque de collusion résiduel ne justifie plus son maintien en détention.

3.1.       Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

3.2.       Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst., concrétisé par l'art. 237 al. 1 CPP), le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si elles permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (al. 2 let. g). La liste des mesures de substitution énoncée à l'art. 237 CPP n'est pas exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 7 décembre 2011 consid. 4.2).

L'interdiction d'entrer en contact ne peut en principe porter que sur des personnes déterminées (arrêts 1B_485/2019 du 12 novembre 2019 consid. 3.4.2; 1B_121/2019 du 8 avril 2019 consid. 4.4).

3.3.       En l'espèce, l'ordonnance querellée retient – à la suite du Ministère public – un risque important de collusion entre le recourant et trois personnes, soit D______, F______ et E______, au motif que le recourant les mettrait en cause pour avoir participé à certains actes délictueux et que leur confrontation pourrait révéler d'autres faits. L'autorité considère que la mise en liberté du recourant compromettrait les confrontations à venir, le recourant pouvant chercher à convenir avec ces personnes de versions communes.

Le recourant est détenu depuis dix mois, durant lesquels il a été entendu de nombreuses fois, tant par la police que par le Ministère public, et confronté aux divers intervenants, y compris à D______. Il reconnaît les faits sur lesquels les auditions à venir vont porter, faits pour lesquels il impute une certaine participation aux personnes précitées. Si un risque de collusion persiste, il ne saurait être qualifié de particulièrement intense.

En effet, pour reprendre la motivation du Tribunal fédéral dans l'arrêt 1B_132/2022 du 23 mars 2022 consid. 3.4 – cité par le recourant et rendu dans un affaire similaire à celle-ci, mais dans laquelle le prévenu était détenu depuis trois mois seulement –, la mise en oeuvre des auditions en contradictoire annoncées par le Ministère public, la découverte de nouveaux éléments à la suite des mesures d'instruction entreprises – le propre de toute instruction – et/ou les actes d'enquête – encore hypothétiques – qui pourraient alors ensuite s'imposer, ne permettent pas de retenir un risque élevé de collusion à ce stade de l'enquête. Cette conclusion s'impose d'autant plus qu'en l'état, seules sont retenues contre le recourant des infractions à caractère économique.

Le Ministère public relève que le recourant aurait qualifié D______ d'ami. Cet éventuel lien n'est toutefois pas de nature à laisser supposer que l'un ou l'autre pourrait se laisser influencer pour accorder sa version à celle du recourant, puisqu'il est précisément ici question de faits que le prévenu a admis et pour lesquels il implique aussi D______. Une hypothèse dans ce sens est d'autant moins apparente que l'on ne se trouve pas, contrairement à l'avis du TMC, dans un cas de "déposition contre déposition" ("Aussage gegen Aussage"), soit une situation – généralement en matière d'infraction à l'intégrité sexuelle – ne reposant que sur les déclarations de la victime et du prévenu. Les confrontations à venir ont pour objet des documents à la procédure – ou devant encore être produits par D______ – sur lesquels le recourant n'a pas prise. Le Ministère public allègue certes que le recourant a changé plusieurs fois ses déclarations et que c'est à force de confrontations qu'il aurait fini, dans certains cas, par modifier sa version des faits. Sa mise en liberté n'empêchera toutefois pas les confrontations d'avoir lieu, puisque n'est pas invoqué ici un risque de fuite. Le Ministère public ne parvient ainsi pas à convaincre, à ce stade de l'instruction et eu égard aux infractions concernées, malgré l'ampleur des comportements reprochés au prévenu, que le risque de collusion à l'égard des trois personnes susmentionnées serait à ce point intense que seul un maintien en détention provisoire serait de nature à le pallier. A fortiori tel n'est pas le cas à l'égard de "M. L______ et MM. M______ père et fils", pour lesquels le Ministère public invoque un risque – nouveau – devant encore "se préciser".

Partant, le risque de collusion ne justifie plus le maintien en détention provisoire du recourant, qui devra être libéré.

Pour pallier le risque de collusion résiduel, il lui sera fait interdiction d'entrer en contact, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, avec les cinq personnes susmentionnées, le recourant étant apparemment en mesure d'identifier avec suffisamment de précision les dénommés L______ et M______, dont les prénoms ne sont pas mentionnés par le Ministère public dans ses observations – sauf pour l'un des M______ [nom de famille], N______, dont on ne sait s'il s'agit du père ou du fils –, pas plus que dans les procès-verbaux auxquels il se réfère.

Les mesures de substitution portant atteinte à la liberté personnelle du recourant et à ses droits fondamentaux, elles seront soumises à un contrôle périodique et prononcées pour une durée de 6 mois, étant précisé que le recourant peut en tout temps requérir leur révocation ou modification.

4.             Fondé, le recours sera dès lors admis et la mesure de substitution précitée, ordonnée.

5.             Le recourant, assisté de son conseil, n'a pas requis, ni a fortiori chiffré, d'indemnité pour ses frais de défense (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Le recours tient sur treize pages, dont l'essentiel contient l'argumentation juridique. Il en va de même de la réplique, de trois pages. L'indemnisation due au recourant sera ainsi fixée, ex aequo et bono, à CHF 1'938.60, correspondant à quatre heures d'activité, rétribuée au tarif horaire de CHF 450.- (ACPR/262/2022 du 21 avril 2022, consid. 5.2.1), majorée de la TVA à 7.7%.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et ordonne la libération immédiate de A______, s'il n'est retenu pour une autre cause, sous les mesures de substitution suivantes :

a)      interdiction de tout contact, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, avec les personnes devant prochainement être entendues, soit D______, F______, E______, M. L______ et MM. M______ père et fils.

 

b)      obligation de déférer à toute convocation du pouvoir judiciaire.

Dit que la mesure de substitution mentionnée sous lettres a) ci-dessus est ordonnée pour une durée de 6 mois, soit jusqu'au 17 décembre 2022, à charge de la Direction de la procédure d'en requérir la prolongation si elle l'estime nécessaire.

Rappelle à A______ qu'en application de l'article 237 al. 5 CPP, le Tribunal des mesures de contrainte peut, en tout temps, révoquer les mesures de substitution, en ordonner d'autres ou prononcer la détention provisoire si des faits nouveaux l'exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'938.60, TVA à 7.7% comprise, pour ses frais de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, préalablement par courriel, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, à la prison B______ et au C______ SA, soit pour elle ses conseils.


 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.