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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/5204/2023

AARP/268/2024 du 05.08.2024 sur JTDP/235/2024 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : MENDICITÉ;CEDH;LÉGALITÉ;LIBERTÉ PERSONNELLE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPG11A1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5204/2023 AARP/268/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 5 août 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, Roumanie, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI, LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/235/2024 rendu le 26 février 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 26 février 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de mendicité (art. 11A al. 1 let. c ch. 2 de la loi pénale genevoise (LPG), l'a condamnée à une amende de CHF 390.- et a prononcé une peine privative de liberté de substitution de quatre jours, frais de la procédure, réduits à CHF 650.-, y compris un émolument complémentaire de jugement de CHF 300.-, à sa charge.

Elle entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et, subsidiairement, à une exemption de peine.

b. Selon les ordonnances pénales du Service des contraventions (SDC) du 18 janvier 2023, il est reproché à A______ d'avoir mendié à hauteur du no. ______, chemin 1______, [code postal] B______ [GE]:

- le 22 octobre 2022 à 8h45, devant le Centre commercial C______ sis à cette adresse (ordonnance pénale n° 2______) ;

- le 1er novembre 2022 à 14h03, aux abords du Centre commercial C______, dans un rayon inférieur à dix mètres (ordonnance pénale n° 3______) ;

- le 14 novembre 2022 à 11h24, aux abords du Centre commercial C______, dans un rayon inférieur à dix mètres (ordonnance pénale n° 4______) ;

- le 16 novembre 2022 à 15h00, aux abords immédiats du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 5______) ;

- le 19 novembre 2022 à 15h40, devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 6______) ;

- le 21 novembre 2022 à 15h20, aux abords immédiats d'une caisse du parking devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 7______) ;

- le 24 novembre 2022 à 11h20, aux abords immédiats d'une caisse du parking devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 8______) ;

- le 25 novembre 2022 à 10h40, aux abords immédiats d'une caisse du parking devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 9______) ;

- le 25 novembre 2022 à 15h42, devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 10_____) ;

- le 25 novembre 2022 à 15h54, aux abords immédiats d'une caisse du parking devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 11_____) ;

- le 30 novembre 2022 à 10h04, aux abords immédiats du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 12_____) ;

- le 2 décembre 2022 à 10h45, devant l'entrée du Centre commercial C______ (ordonnance pénale n° 13_____).

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Selon le rapport de contravention du 22 octobre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 8h45, à hauteur du no. ______, chemin 1______ à B______ , alors qu'elle mendiait devant un établissement à vocation commerciale. Elle a été priée de ne plus s'adonner à cette pratique en ce lieu et déclarée en contravention sur le champ.

b. Selon le rapport de contravention du 26 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le 1er novembre précédent à 14h03, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait dans un rayon inférieur à dix mètres du supermarché C______. Elle a été déclarée en contravention sur le champ.

c. Selon le rapport de contravention du 14 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 11h24, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait aux abords du supermarché C______, à moins de dix mètres de l'établissement. Elle a été déclarée en contravention sur le champ.

d. Selon le rapport de contravention du 16 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 15h00, à hauteur du magasin C______ sis no. ______, chemin 1______. Elle a été déclarée en contravention sur le champ, étant précisé qu'une photographie des lieux est annexée audit rapport.

e. Selon le rapport de contravention du 22 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le 19 précédent à 15h40, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait devant l'entrée du centre commercial C______. Elle a été priée de ne plus s'adonner à cette pratique à moins de dix mètres d'un établissement commercial et déclarée en contravention sur le champ.

f. Selon le rapport de contravention du 21 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 15h20, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors que, adossée à la caisse du parking se trouvant devant l'entrée du Centre commercial, elle s'adonnait à la mendicité en réclamant de l'argent aux clients venant payer leur ticket.

g. Selon le rapport de contravention du 7 décembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le 24 novembre 2022 à 11h20, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait, adossée à la caisse du parking se trouvant à l'entrée du Centre commercial. Après avoir été déclarée en contravention, elle a été invitée à quitter les lieux.

h. Selon le rapport de contravention du 25 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 10h40, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait aux abords immédiats de la caisse du parking du Centre commercial, s'adressant à tous les clients entrant et sortant de ce dernier, ainsi qu'à ceux venant payer leur ticket.

i. Selon le rapport de contravention du 26 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, la veille à 15h42, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait devant l'entrée du Centre commercial C______. Elle a été priée de ne plus s'adonner à cette pratique à moins de dix mètres d'un établissement commercial et déclarée en contravention sur le champ.

j. Selon le rapport de contravention du 26 novembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, 25 novembre précédent à 15h54, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors que, adossée à la caisse du parking, elle réclamait de l'argent aux clients venant valider leur ticket. Au terme des contrôles d'usage, elle a été déclarée en contravention.

k. Selon le rapport de contravention du 1er décembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le 30 novembre 2022 à 10h04, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait à moins de dix mètres de l'entrée du Centre commercial C______. Au terme des contrôles d'usage, elle a été déclarée en contravention et priée de quitter les lieux.

l. Selon le rapport de contravention du 2 décembre 2022, A______ a été interpellée par un agent, le jour même à 10h45, à hauteur du no. ______, chemin 1______, alors qu'elle mendiait devant l'entrée du Centre commercial C______. Au terme des contrôles d'usage, elle a été priée de ne plus s'adonner à cette pratique à moins de dix mètres d'un établissement commercial et déclarée en contravention sur le champ.

m. Pour chaque occurrence, le SDC a infligé à A______ une amende de CHF 100.-, majorée de CHF 60.- d'émoluments.

n. Sur oppositions de A______ du 30 janvier 2023, le SDC a maintenu ses ordonnances, relevant que les faits étaient établis et que l'intéressée ne contestait pas être l'auteur des infractions reprochées.

o. A______, bien que dûment convoquée, ne se s'est pas présentée à l'audience fixée par le TP, à laquelle elle a été représentée par son avocate.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite.

b. Dans son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

L'art. 11A LPG violait l'exigence de précision découlant du principe de la légalité, dans la mesure où sa formulation était si vague qu'elle ne permettait pas de déterminer où et comment pratiquer la mendicité licitement. Cela valait d'autant plus que la population visée par l'interdiction était souvent étrangère et peu éduquée et que l'atteinte touchait l'essence même d'un droit fondamental. Le TP ne pouvait ignorer cette réalité et se dispenser d'examiner in concreto et de manière objective les différentes notions abstraites – telle celle "d'abords immédiats"– contenues dans la loi et en conclure que l'application de la disposition allait provoquer des inégalités de traitement et ouvrait la porte à l'arbitraire.

Le TP avait par ailleurs, à tort, retenu que la restriction apportée à sa liberté personnelle était justifiée par un intérêt public et proportionnée, alors que la mendicité lui était indispensable pour satisfaire ses besoins élémentaires, et donc protéger son intégrité physique.

Il ne pouvait, à cet égard, se contenter de se référer à l'arrêt de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice (CSTCJ) – qui, lors d'un examen abstrait, avait conclu que la disposition incriminée était conforme au droit supérieur (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022) – ou à la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt 1C_537/2021 du 13 mars 2023), sans procéder à un examen in concreto, notamment en cherchant à vérifier si les réseaux évoqués dans ces décisions existaient bel et bien et si elle-même en faisait ou non partie, ce qui n'était évidemment pas le cas, cette activité étant peu rémunératrice, aucun cas de traite d'êtres humains en relation avec la mendicité n'ayant au demeurant été constaté à Genève en 12 ans.

Sous l'angle de la proportionnalité, il existait d'autres moyens de sauvegarder l'ordre public qu'une interdiction de la mendicité, par exemple en recourant à l'application du règlement sur la tranquillité et la salubrité publiques, de l'art. 182 du code pénal (CP) réprimant la traite d'êtres humains ou les normes de protection des mineurs. Dans tous les cas, la mendicité ne créait pas davantage de troubles à l'ordre public qu'une collecte organisée en faveur d'une œuvre caritative ou d'intérêt public.

La restriction à sa liberté personnelle prévue par l'art. 11A LPG ne respectait ainsi pas le principe de la proportionnalité et revenait à n'autoriser la mendicité que dans les zones agricoles ou industrielles, où il y avait peu de passants. De plus, la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) avait proscrit, en matière de mendicité, la conversion d'amende en peine privative de liberté. Le Tribunal fédéral lui-même avait évoqué la possibilité, pour les contrevenants, d'invoquer l'état de nécessité, une exemption de peine en raison du peu de gravité de l'acte reproché – option d'ailleurs suivie par le TP dans une affaire similaire (P/1381/2023) – ou le caractère non fautif du paiement de l'amende.

En toute hypothèse, l'art. 11A LPG, pris dans sa globalité, contrevenait à la liberté de communication consacrée aux art. 16 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). En mendiant, elle démontrait et communiquait en effet que sa communauté, dont les membres vivaient encore sous le seuil de pauvreté, était notoirement discriminée et obligée de solliciter l'aide pour survivre, ce qui comportait une dimension symbolique. Le TP ne pouvait à cet égard reprendre sans autres l'argumentation du Tribunal fédéral développée en lien avec l'ancien art. 11A LPG, alors même que cette disposition avait entraîné la condamnation de la Suisse par la CourEDH.

L'interdiction de mendier consacrait enfin un traitement discriminatoire, puisque la norme visait à sanctionner des personnes uniquement en raison de leur pauvreté.

En tout état, il était étonnant que le premier juge se soit référé à des antécédents constitués par des condamnations pour mendicité prononcées sur la base d'une loi qui avait été annulée au motif qu'elle contrevenait à l'art. 8 CEDH, et qui était dès lors sans plus aucune pertinence.

c. Dans leurs réponses respectives, le Ministère public (MP), le TP et le SDC concluent au rejet de l'appel en se référant au jugement entrepris. A______ s'était vu notifier plusieurs contraventions et n'ignorait dès lors ni que ses agissements étaient illicites, ni les conséquences en découlant.

D. A______, née le ______ 1990 en Roumanie, issue de la communauté rom, est domiciliée dans ce pays. Elle se dit célibataire, analphabète, sans formation, sans emploi et sans revenus.

Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, elle a été condamnée le 28 janvier 2019 par le MP à 30 jours-amende à CHF 10.- pour violation de domicile.

Le TP a par ailleurs relevé qu'elle avait été déjà été condamnée pour mendicité, sous l'empire de l'ancien droit, les 19 novembre 2012 (2 occurrences), 20 janvier 2017 (plusieurs occurrences), 17 janvier 2018 (72 occurrences), 3 août 2018 (plusieurs occurrences), 25 juin 2019 (65 occurrences), 17 février 2020 (plusieurs occurrences), 14 septembre 2020 (55 occurrences) et 16 décembre 2020 (3 occurrences).

 

EN DROIT :

1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

1.2. En matière contraventionnelle, l'appel ne peut être formé que pour le grief selon lequel le jugement est juridiquement erroné ou l'état de fait établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

1.3. Conformément à l'art. 129 al. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire (LOJ), lorsque des contraventions font seules l'objet du prononcé attaqué et que l'appel ne vise pas une déclaration de culpabilité pour un crime ou un délit, le magistrat exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétent pour statuer.

2. 2.1. À la suite de la condamnation de la Suisse par la CourEDH en lien avec l'interdiction générale de la mendicité prévue par l'art. 11A aLPG (arrêt n° 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse), cette disposition a été modifiée en date du 12 février 2022 et dresse désormais une liste de situations dans lesquelles la mendicité est punissable.

L'art. 11A al. 1 let. c ch. 2 LPG prévoit ainsi qu'est puni de l'amende quiconque aura mendié aux abords immédiats des entrées et sorties de tout établissement à vocation commerciale, notamment les magasins, hôtels, cafés, restaurants, bars et discothèques.

Le chiffre 5 de la même disposition vise quant à lui l'interdiction de mendier aux abords immédiats, notamment des caisses de parking.

2.2. En l'occurrence, l'appelante ne conteste pas les faits reprochés, tels que retenus par le premier juge. Elle estime toutefois que leur punissabilité viole ses droits fondamentaux.

À cet égard, il convient d'emblée de relever – et l'appelante l'a d'ailleurs souligné – que la novelle a fait l'objet d'un contrôle abstrait de constitutionnalité par la CSTCJ, qui a conclu que la disposition incriminée était conforme au droit supérieur (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022). Il n'appartient dès lors pas à la CPAR de procéder à un second contrôle abstrait de celle-ci. Seuls les arguments de l'appelante en lien avec l'état de fait reproché seront dès lors examinés (contrôle concret).

2.2.1. Mendier, à savoir demander l'aumône, généralement sous forme d'argent, auprès d'une autre personne dans l'attente de sa générosité, doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 8 § 1 CEDH (ATF 134 I 214 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.2 ; arrêt de la CourEDH n° 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse § 59).

À l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'est pas absolue et sa restriction est admissible si elle repose sur une base légale suffisante, si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.).

2.2.2. L'appelante ne nie pas que l'interdiction de mendier qu'elle conteste figure dans une loi au sens formel. Elle estime toutefois que le libellé de l'interdiction contrevient au principe de la légalité.

Ce principe est consacré par l'art. 1 CP, qui prévoit qu'une peine ou une mesure ne peuvent être prononcées qu'en raison d'un acte expressément réprimé par la loi. La norme pénale doit être formulée de manière suffisamment précise pour que les citoyens puissent s'y conformer et identifier les conséquences d'un comportement donné avec un degré de certitude correspondant aux circonstances (ATF 144 I 242 consid. 3.1.2 ; 141 IV 179 consid. 1.3.3 ; 138 IV 13 consid. 4.1).

L'exigence de précision de la base légale ne doit cependant pas être comprise d'une manière absolue et dépend entre autres de la complexité de la matière réglementée et de la peine encourue. Le législateur ne peut pas renoncer à utiliser des définitions générales ou plus ou moins vagues, dont l'interprétation et l'application sont laissées à la pratique. Le degré de précision requis ne peut pas être déterminé de manière abstraite. Il dépend, entre autres, de la multiplicité des situations à régler, de la complexité ou de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas particulier, du destinataire de la norme, ou de la gravité de l'atteinte aux droits constitutionnels. Il dépend aussi de l'appréciation que l'on peut faire, objectivement, lorsque se présente un cas concret d'application (ATF 149 I 248 consid. 4.6.1 ; 147 IV 274 consid. 2.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_315/2022 du 29 septembre 2022 consid. 1.1).

Ce principe est violé lorsqu'une personne est poursuivie pénalement en raison d'un comportement qui n'est pas incriminé par une loi valable, ou lorsque l'application du droit pénal à un acte déterminé procède d'une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal (ATF 144 I 242 consid. 3.1.2).

2.2.3. Alors qu'à Bâle-Ville, la loi réglementant la mendicité, adoptée en juin 2021, fixe à cinq mètres des lieux listés le périmètre dans lequel il est interdit de mendier, le législateur genevois a renoncé à une distance métrique au profit des termes "aux abords immédiats de", notion susceptible d'évoluer selon le type d'installations visé (cf. rapport du 16 novembre 2021 de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi PL 12862-A, pp. 24 et 25).

Amenée à trancher la question de la constitutionnalité de la norme, la CSTCJ a écarté le grief du manque de clarté en considérant que l'expression "abords immédiats", certes générale et abstraite, était néanmoins compréhensible par elle-même et que sa concrétisation relèverait de la pratique, qui préciserait, au gré des circonstances particulières, la volonté du législateur (ACTS/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 8b).

La CPAR a, elle aussi, jugé que cette expression se comprenait par elle-même, l'utilisation de l'adjectif "immédiat" – défini par les dictionnaires Robert et Larousse comme "qui précède ou suit sans intermédiaire, notamment dans une relation spatiale" – suffisant à réaliser l'exigence de précision. Les termes "abords immédiats" délimitaient ainsi de façon intelligible les secteurs où la mendicité était interdite et permettaient une marge d'appréciation en fonction de la configuration de l'endroit (par exemple une application plus stricte dans des lieux manquant de dégagement ou de visibilité; cf. AARP/88/2024 du 6 mars 2024 consid. 2.4.2.5).

2.2.4. En l'espèce, l'appelante soutient que la formulation de l'art. 11A al. 1 let. c LPG est si vague qu'elle ne lui permettrait pas de déterminer où et comment pratiquer la mendicité licitement et que la marge d'interprétation laissée à l'autorité conduirait à des inégalités de traitement.

Ce faisant, l'appelante ne prétend pas, quand bien même elle est d'origine étrangère et illettrée, ne pas avoir effectivement compris qu'interdiction lui était faite de mendier devant ou à proximité de l'entrée du Centre commercial C______ ou de la caisse du parking de celui-ci. Elle peut d'autant moins soutenir avoir mésestimé la distance prohibée que les agents qui l'ont verbalisée – à 12 reprises en un peu moins d'un mois – la lui ont indiquée à plusieurs reprises, sans que cela ne l'incite pour autant à modifier son comportement. L'ignorance de la règlementation ou un doute sur son interprétation n'ont ainsi manifestement pas joué de rôle dans sa détermination de commettre les infractions qui lui sont reprochées.

Dans ces conditions, l'argument tiré d'un prétendu manque de précision de la loi doit être rejeté.

2.3.1. L'interdiction de la mendicité doit ensuite être justifiée par un intérêt public suffisant ou par la protection des droits fondamentaux de tiers (art. 36 al. 2 Cst.).

La notion d'intérêt public varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics, par exemple), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'Etat sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.3.1).

La CourEDH a, à cet égard, admis qu'une interdiction de la mendicité pouvait poursuivre des buts légitimes, notamment la protection de l'ordre public et de la sécurité et de la tranquillité publiques, afin de ne pas porter atteinte aux passants, aux résidents et aux commerçants. Elle a laissé ouverte la question de savoir si d'autres buts légitimes pouvaient également être poursuivis par la mesure litigieuse, tout en précisant que la volonté de rendre la pauvreté moins visible dans une ville et d'attirer les investisseurs n'était pas légitime au regard des droits de l'homme (arrêt Lacatus c. Suisse § 96, 97 et 113).

Le Tribunal fédéral a confirmé l'existence d'un intérêt public à la protection de l'ordre, de la tranquillité et de la sécurité publics en cas de réglementation de la mendicité à proximité immédiate des points de paiement et des distributeurs automatiques de billets, à l'entrée des magasins, dans les gares ou dans d'autres bâtiments publics (ATF 149 I 248 consid. 4.6.2 et 5.3.2).

2.3.2. Force est d'emblée de constater que les considérations de l'appelante, qui reproche au TP de ne pas avoir cherché à vérifier si les réseaux criminels évoqués par les arrêts de la CJCST et le Tribunal fédéral existaient bel et bien, tombent à faux. Cet aspect de la mendicité est en effet visé par la let. a de l'art. 11A al. 1 LPG et non par la disposition présentement querellée, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge n'a pas abordé cette problématique.

En ce qui concerne l'art. 11A al. 1 let. c LPG, les représentants des commerçants, incluant tant ceux de la grande distribution, tels C______, que ceux du commerce de détail, ont été interrogés par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de la LPG et ont décrit de manière unanime un impact négatif sur la clientèle résultant de la présence de mendiants statiques devant les magasins, perçue par certains comme une atteinte à leur sécurité et leur confort (cf. rapport, p. 23).

En se plaçant devant l'entrée d'un centre commercial pour mendier, voire de la caisse du parking y donnant accès, de telle sorte que la clientèle n'ait d'autre alternative que de passer devant elle, l'appelante a pris le risque de gêner les personnes souhaitant fréquenter les commerces ou de susciter chez elles un sentiment d'insécurité, cela sans l'accord des intéressées, dont les droits méritent eux aussi protection.

Contrairement à ce qu'elle soutient, la gêne occasionnée par la mendicité passive ne saurait être comparée à celle générée par les collectes caritatives dans la rue. Celles-ci doivent en effet faire l'objet d'une autorisation étatique pour l'utilisation accrue du domaine public qu'elles comportent, autorisation octroyée pour un temps et un lieu déterminés, voire contre le paiement d'un émolument. Lorsqu'une telle collecte est organisée "aux abords immédiats" d'un commerce, elle recueille en outre en principe l'accord de l'exploitant, ce qui n'est à l'évidence pas le cas de l'appelante.

Au vu de ce qui précède, l'interdiction partielle de mendier aux abords immédiats d'un magasin ou d'une caisse de parking poursuit un intérêt public reconnu.

2.4.1. Cette interdiction doit enfin être proportionnée (art. 36 al. 3 Cst.) ou nécessaire dans une société démocratique (art. 8 § 2 CEDH).

Pour que tel soit le cas, il faut que la limitation des droits fondamentaux soit apte à atteindre le but visé, que celui-ci ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public. Plus particulièrement s'agissant de personnes mendiantes, il faut tenir compte du fait qu'elles sont généralement particulièrement nécessiteuses et vulnérables et qu'elles dépendent de la mendicité comme moyen de subsistance (ATF 149 I 248 consid. 4.6.3).

Dans son examen de la constitutionnalité de la loi bâloise, laquelle, à l'instar de la loi genevoise, punit quiconque mendie dans divers lieux du territoire cantonal abstraitement énumérés, le Tribunal fédéral a rejeté l'argument des recourants selon lequel cette règlementation était trop restrictive et ne ménageait pas assez d'espaces où la mendicité soit permise. Il a rappelé à cette occasion que la réglementation adoptée protégeait l'accessibilité des bâtiments et installations publics et privés, de même que la sphère privée de celles et ceux qui les fréquentaient à des fins pécuniaires ou personnelles. Elle laissait néanmoins subsister des possibilités suffisantes de pratiquer la mendicité sur le territoire cantonal, y compris dans le centre-ville (cf. ATF 149 I 248 consid. 5.3.1 et 5.3.2).

2.4.2. La règlementation genevoise ne diffère guère, en la manière, des dispositions bâloises, en ce qu'elle dresse une liste des lieux où il existe un intérêt public à la prohibition de la mendicité.

L'appelante ne suggère pas de mesure moins incisive apte à atteindre le but recherché.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle soutient, cette liste n'aboutit pas à une interdiction de facto de toute mendicité. Quand bien même il n'appartient pas à la Chambre de céans d'énumérer les lieux où elle pourrait pratiquer cette activité, il n'en demeure pas moins que le territoire cantonal est vaste et que, même en ville de Genève ou dans les communes périurbaines, nombreux sont les lieux qui ne sont pas concernés par les interdictions prévues à l'art. 11A al. 1 LPG,

En l'occurrence, il suffisait à l'appelante de s'éloigner davantage de l'accès au centre commercial et de la caisse du parking pour pratiquer, plus loin dans le quartier, son activité de manière licite.

L'existence d'un état de nécessité de nature à rendre licite son comportement (art. 17 CP) doit dès lors être niée, le respect du principe de la proportionnalité de la limitation du droit de mendier figurant à l'art. 11A al. 1 LPG devant être confirmé.

2.5. L'appelante estime que l'art. 11A LPG, pris dans sa globalité, contrevient à la liberté de communication consacrée par la Cst. et la CEDH.

2.5.1. Tant l'art. 16 al. 2 Cst. que l'art. 10 § 1 de la CEDH protègent le droit de toute personne de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion ou des idées, sans qu'il puisse y avoir d'ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

La liberté d'expression inclut la communication non verbale, par exemple des actes protestataires ou d'autres formes de comportement. Peuvent donc en faire également partie des gestes véhiculant un message (N. ZIMMERMANN / A. DA RUGNA, Interdire la mendicité sans violer les droits humains? In Sui generis 2023 pp. 23ss, n. 28).

Dans l'arrêt Lacatus c. Suisse, la CourEDH a laissée ouverte la question de savoir si l'exercice de la mendicité était protégé par la liberté d'expression.

Jusqu'à présent, le Tribunal fédéral a tranché ce point par la négative, considérant que le but de la mendicité n'était pas d'exprimer un besoin, mais plutôt d'en obtenir la satisfaction par le biais d'un don, très généralement sous la forme d'une prestation en argent. Il fallait donc exclure tout contenu symbolique au comportement de la personne qui mendiait et partir de ce que le message qu'elle adressait aux passants était restreint à la seule expression de son dénuement personnel ou, tout au plus familial, et à son besoin d'aide, soit une problématique privée. Cette communication apparaissait ainsi d'emblée comme un simple élément secondaire, quoique nécessaire, de son activité de mendicité (arrêts du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 6.2 et 6B_530/2014 du 10 septembre 2014 consid. 2.7).

La CSTCJ a elle aussi considéré que la communication préalable de la précarité et du besoin d'aide était secondaire par rapport à la satisfaction dudit besoin et qu'elle relevait d'une problématique privée, non protégée par la liberté d'expression (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 12c).

Dans un arrêt plus récent, après avoir rappelé les opinions divergentes exprimées par certains juges de la CourEDH et auteurs de doctrine, le Tribunal fédéral a estimé qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, de revenir sur cette jurisprudence, les recourants n'expliquant pas suffisamment en quoi la reconnaissance d'une atteinte à la sphère de protection de la liberté d'expression leur conférerait un meilleur statut juridique, dont l'effet protecteur irait au-delà de celui de la liberté personnelle (ATF 149 I 248 consid. 4.4).

2.5.2. Dans le cas présent, au vu de ce qui précède, il n'y pas lieu d'adopter une position différente. Mendier est certes une manifestation de précarité. Sa communication, même tacite dans ce contexte, est cependant inhérente au but d'obtention d'une aide pécuniaire ou en nature, mais reste secondaire à celui-ci. Il ne ressort du reste pas du dossier que l'appelante aurait exprimé autre chose que son besoin personnel d'aide, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir de sa liberté d'expression pour faire obstacle à la sanction de son comportement. Elle n'explique au demeurant pas en quoi la liberté d'expression lui conférerait une protection plus étendue que la liberté personnelle, étant rappelé qu'il lui est reproché, non pas d'avoir mendié, mais de l'avoir fait dans un périmètre que l'art. 11A al. 1 let. c LPG interdit.

Ce grief doit dès lors être rejeté.

2.6. L'appelante considère enfin que l'interdiction de mendier consacre un traitement discriminatoire, puisque la norme vise à sanctionner des personnes uniquement en raison de leur pauvreté.

2.6.1. D'après l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique.

On est en présence d'une discrimination selon l'art. 8 al. 2 Cst. lorsqu'une personne est traitée différemment en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une réglementation qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé défavorise tout particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. L’effet discriminatoire doit atteindre une importance significative car la protection contre la discrimination indirecte ne peut servir qu’à corriger les effets négatifs les plus évidents d’une réglementation étatique (ATF 149 I 248 consid. 7.2 ; 142 V 316 consid. 6.1.2 ; 138 I 265 consid. 4.2.2 et 5.5 ; 138 I 205 consid. 5.5).

Selon la jurisprudence relative à l'art. 14 CEDH – qui stipule que la jouissance des droits et libertés reconnus par la CEDH doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et n'a, d'après le Tribunal fédéral, pas de portée indépendante (cf. arrêt 2C_1079/2019 du 23 décembre 2021 consid. 8.1) – toute différence de traitement n'emporte pas automatiquement violation de cet article. Il faut démontrer que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables jouissent d'un traitement préférentiel, et que cette distinction est discriminatoire. Tel est le cas si la différence de traitement manque de justification objective et raisonnable, soit si elle ne poursuit pas un but légitime, ou s'il est clairement établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2022 du 24 novembre 2022 consid. 5.2).

2.6.2. Le Tribunal fédéral a nié l'existence d'une discrimination dans l'interdiction de la mendicité, considérant notamment que la seule importance du nombre de condamnations concernant des personnes appartenant à la communauté rom ne signifiait pas pour autant l'existence d'une impunité d'autres mendiants
(ATF 149 I 248 consid. 7.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_88/2012 du 17 août 2012 consid. 3.4).

2.6.3. La CSTCJ a, pour sa part, rejeté le grief d'un traitement discriminatoire sur la base de la pauvreté au motif que le fait d'être pauvre ne donnait pas d'emblée droit à la protection de l'art. 8 al. 2 Cst. Même dans une telle hypothèse, la loi pouvait au demeurant sanctionner la mendicité afin de protéger l'ordre public et lutter contre l'exploitation humaine et non pour dévaloriser ou exclure. Par ailleurs, le système juridique suisse répondait à la détresse des personnes par l'octroi de l'aide sociale au sens de l'art. 12 Cst., de manière à leur éviter de devoir mendier pour satisfaire leurs besoins élémentaires (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 11c).

2.6.4. En l'espèce, l'appelante ne présente pas d'arguments nouveaux par rapport à ceux examinés par le Tribunal fédéral et la CSTCJ, de sorte que la conclusion adoptée par ces instances ne peut qu'être reprise par la Chambre de céans.

Le grief lié à l'interdiction d'un traitement discriminatoire sera dès lors rejeté.

2.7. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que l'appelante a été reconnue coupable de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

Sa condamnation de ce chef doit donc être confirmée, en tant qu'elle ne constitue pas, in casu, une ingérence injustifiée dans ses droits fondamentaux.

3. L'appelante conteste la peine infligée au motif que la CourEDH a proscrit, en matière de mendicité, la conversion d'amende en peine privative de liberté.

3.1. La législation genevoise prévoit exclusivement l'amende comme sanction de l'interdiction de la mendicité passive en certains lieux (cf. art. 11A al. 1 LPG), à l'exclusion de tout mécanisme graduel de sanction préalable.

3.1.1. Dans son arrêt Lacatus c. Suisse, la CourEDH n'a pas exclu en soi une sanction pénale à la mendicité, dans le sens que la gravité de ladite sanction doit être examinée dans le cadre d'une pesée des intérêts et à l'aune de solides motifs d'intérêt public. Elle a néanmoins relevé que, eu égard à la situation précaire et vulnérable des mendiants, la conversion de l'amende en peine privative de liberté de substitution était quasiment inévitable et constituait dès lors une sanction grave, laquelle devait être justifiée par de solides motifs d'intérêt public et être proportionnée aux buts poursuivis. En l'absence de mendicité intrusive ou agressive, ou de plainte pénale contre le mendiant, l'on pouvait douter d'un intérêt public concret de protection des droits des passants, résidents ou propriétaires des commerces, justifiant la sanction de l'amende. Il convenait ainsi que les tribunaux procèdent à un examen approfondi de la situation concrète et vérifient si des mesures moins sévères que la sanction pénale auraient pu aboutir au même résultat. Si ces conditions n'étaient pas remplies, la sanction de l'amende violait l'art. 8 CEDH (§ 108ss).

3.1.2. Le Tribunal fédéral, tout en admettant qu'il n'était pas question de renoncer à sanctionner une personne dont le comportement avait été reconnu par le législateur comme digne d'être puni, au seul motif qu'elle était sans ressources, a néanmoins jugé qu'il n'était pas admissible, au regard de la Cst. et de la CEDH, de sanctionner d'emblée la mendicité passive pratiquée dans certains lieux par une amende qui, au vu du dénuement des personnes concernées, était presque automatiquement convertie en jours de détention. Une amende, même modique et n'excédant pas CHF 50.-, ne pouvait ainsi être envisagée qu'en dernier recours, après que d'autres mesures mieux adaptées aient échoué (ATF 149 I 248 consid. 5.4.2 et 5.4.6).

À cet égard, quand bien même il n'a pas donné de pistes, le Tribunal fédéral a indiqué que des mesures de droit administratif, échelonnées et successives, pouvaient être envisagées, par exemple une évacuation du contrevenant par la police hors de l'aire d'interdiction, avec enregistrement de son identité lors de la première infraction ; un avertissement administratif avec menace de l'amende la deuxième fois, et la troisième fois la sanction pénale, sous forme d'amende (ATF 149 I 248 consid. 5.4.7).

La CPAR a toutefois exclu que cette jurisprudence s'applique lorsqu'une personne déclarée coupable de mendicité avait des antécédents spécifiques (dans le cas qui lui était soumis, plus de 30 interpellations pour des faits de mendicité sous l'ancien droit). Dans ce cas, l'intéressée ne pouvait en effet ignorer, en dépit du changement de loi, qu'elle risquait une amende, sinon sa conversion en jours de détention, de sorte qu'en présence d'une récidive, l'on pouvait affirmer que des mesures administratives moins incisives en amont seraient restées vaines (ACPR/46/2024 du 30 janvier 2024 consid. 2.4.4.5).

La CPAR a néanmoins relevé qu'il serait bienvenu d'intégrer à la loi genevoise, en faveur des primo-délinquants, un mécanisme graduel de sanction avant le prononcé de l'amende quasiment systématiquement convertie, par exemple sous forme de remise d'un avertissement formel dans la langue maternelle du contrevenant, indiquant le caractère pénal de son comportement et la sanction encourue en cas de récidive, voire un guide des bonnes pratiques à adopter dans le canton (AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 consid. 2.4.4.6).

3.2. Dans le cas présent, l'appelante s'étonne que le TP se soit référé à des condamnations pour mendicité prononcées sur la base d'une loi annulée.

Ce faisant, le premier juge a appliqué le raisonnement développé dans l'AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 pour illustrer le fait qu'en dépit du changement de loi, l'appelante ne pouvait ignorer que la mendicité passive pratiquée en certains lieux était immédiatement passible d'une amende, elle-même susceptible de conversion en jours de détention (cf. consid. 2.4.4.5). La CPAR n'a toutefois pas repris cet argument dans ses arrêts postérieurs. Le grief de l'appelante est dès lors fondé sur ce point.

À l'instar d'autres causes similaires, le dossier ne fait en l'occurrence pas état d'un élément indiquant que la prévenue aurait fait l'objet, par le passé, d'une quelconque mesure administrative précédant la contravention du 22 octobre 2022. Conformément à la jurisprudence, une sanction pénale pour cette première occurrence n'est ainsi pas compatible avec la Constitution et la CEDH. Aucune peine ne sera par conséquent prononcée en lien avec les premiers actes de mendicité incriminés.

Cette occurrence, lors de laquelle un agent a informé l'appelante que cette pratique devant un centre commercial était interdite et l'a déclarée en contravention, sera en revanche tenue pour constituant un avertissement suffisant quant aux risques encourus, en termes de sanction, si elle persistait dans son comportement. En récidivant au même endroit à 11 reprises en un peu plus d'un mois, l'appelante a en effet démontré que des mesures administratives moins incisives seraient restées sans effet et que le principe du prononcé d'amende n'est, s'agissant de ces occurrences, pas disproportionné et ne doit pas être remis en cause.

L'appel sera dès lors rejeté s'agissant de la culpabilité de l'appelante.

4. L'appelante conclut, subsidiairement, en cas de condamnation, à une exemption de peine, relevant que dans une procédure similaire, le TP a fait application de l'art. 52 CP.

4.1. Selon l’art. 52 CP, si la culpabilité de l’auteur et les conséquences de son acte – conditions cumulatives – sont peu importantes, l’autorité compétente renonce à lui infliger une peine. Si les conditions indiquées à l'art. 52 CP sont réunies, l’exemption par le juge est de nature impérative. Si elles ne sont réalisées qu'en instance de jugement, un verdict de culpabilité est rendu, mais dépourvu de sanction
(ATF 135 IV 130 consid. 5.3.2 p. 135).

L'exemption de peine suppose que l'infraction soit de peu d'importance, tant au regard de la culpabilité de l'auteur que du résultat de l'acte. L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans le cas particulier doivent être évaluées par comparaison avec celle de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification ; il ne s’agit pas d’annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi (Message concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871). Pour apprécier la culpabilité, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents pour la fixation de la peine, notamment des circonstances personnelles de l'auteur, tels que les antécédents, la situation personnelle ou le comportement de l’auteur après l’infraction (ATF 135 IV 130 consid. 5.4 p. 137).

4.2. En l'espèce, l'infraction de mendicité est certes de peu d'importance au regard d'autres infractions, ce dont il est tenu compte dans le type de sanction prévu par l'art. 11A al. 1 LPG. L'appelante n'explique toutefois pas en quoi sa culpabilité serait peu importante par rapport à d'autres cas relevant de la même disposition. Elle ne peut à cet égard rien tirer de la procédure devant le TP à laquelle elle se réfère, le jugement rendu dans celle-ci (JTDP/1074/2023 du 22 août 2023) n'étant pas motivé et ne permettant dès lors pas de conclure, cas échéant, à une situation similaire.

La culpabilité de l'appelante n'est au demeurant pas anodine, dès lors qu'elle a récidivé au même endroit à de nombreuses reprises, alors qu'elle ne pouvait ignorer que son comportement était illicite.

Force est dès lors de constater que les conditions de l'art. 52 CP ne sont pas réalisées, de sorte qu'une exemption de peine sur cette base n'entre pas en considération.

5. 5.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

5.2. Selon l'art. 106 al. 2 CP, le juge prononce, pour le cas où, de manière fautive, le condamné ne paie pas l'amende, une peine privative de liberté de substitution d'un jour au moins et de trois mois au plus. Le juge fixe l'amende et la peine privative de liberté de substitution en tenant compte de la situation de l'auteur afin que la peine corresponde à la faute commise. Ainsi, au moment de fixer la peine privative de liberté de substitution à une amende, le juge ne doit tenir compte que de la culpabilité de l'auteur, à l'exclusion des circonstances financières propres au condamné (ATF 134 IV 97 consid. 6.3.7.1 ; 134 IV 60 consid. 7.3.3).

5.3. Dans le cas présent, la faute de l'appelante doit être qualifiée de faible à moyenne. Si l'on excepte l'occurrence du 22 octobre 2022, elle a mendié à 11 reprises au même endroit en l'espace d'un peu plus d'un mois, faisant preuve d'un manque de respect certain pour l'ordre juridique du pays dans lequel elle se trouvait et pour les injonctions pourtant claires des agents concernant l'illicéité de son comportement.

Sa situation personnelle, indéniablement précaire, explique ses agissements mais ne les justifie pas, dans la mesure où il existait d'autres lieux où elle pouvait s'adonner à la mendicité de manière licite.

Sa collaboration n'appelle pas de remarque particulière, puisqu'elle ne s'est pas exprimée durant la procédure.

Elle a un antécédent non spécifique en Suisse, où elle a été condamnée en 2019 pour violation de domicile.

Il y a concours d'infractions d'où le bénéfice du principe d'aggravation (art. 49 CP cum art. 104 CP).

Au vu de ces éléments, le prononcé d'une sanction globale de CHF 390.- pour les 11 occurrences retenues demeure adéquat et conforme à la jurisprudence de la CPAR, malgré l'absence de sanction en lien avec les faits du 22 octobre 2022, étant précisé qu'un montant de CHF 100.- dans le cadre d'une peine hypothétique, augmentée de CHF 40.- à CHF 50.- pour chaque nouvelle occurrence, a été considéré comme approprié (cf. AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 et AARP/88/2024 du 6 mars 2024 consid. 3.6).

Le jugement entrepris sera donc confirmé, sur ce point également.

La peine privative de liberté de substitution fixée à quatre jours par le premier juge, conforme à la loi, sera confirmée (art. 106 al. 2 CP).

6. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de la procédure d'appel envers l'État, y compris un émolument d'arrêt réduit de CHF 200.-, pour tenir compte de sa situation personnelle (art. 425 et 428 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/235/2024 rendu le 26 février 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/5204/2023.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 355.-, qui comprennent un émolument de CHF 200.-.

Confirme pour le surplus le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

Déclare A______ coupable de mendicité (art. 11A al. 1 let. c ch. 2 et 5 LPG).

Condamne A______ à une amende de CHF 390.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 4 jours.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 650.-, y compris un émolument complémentaire de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Notifie le présent arrêt à l'appelante, soit pour elle son conseil, au Ministère public et au Service des contraventions.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Sonia LARDI DEBIEUX

 

Le président :

Pierre BUNGENER

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

650.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

0.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

200.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

355.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

1'005.00