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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2299/2010

JTAPI/1041/2011 du 26.09.2011 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : ; IMPÔT ; DROITS DE MUTATION ; LIQUIDATION DU RÉGIME MATRIMONIAL ; SÉPARATION DE BIENS ; DIVORCE
Normes : LDE.33; LDE.62.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2299/2010 ICC

JTAPI/1041/2011

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 septembre 2011

 

dans la cause

 

 

Monsieur X______, comparant par Me ______, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

(Loi sur les droits d’enregistrement)


EN FAIT

Le présent litige porte sur des droits d'enregistrement en application de la loi sur les droits d'enregistrement (LDE).

Monsieur X______ (ci-après : le contribuable ou le recourant) et Madame Y______ (ci-après : l'ex-épouse) se sont mariés sous le régime de la séparation de biens en 1983.

Le couple a donné naissance à trois enfants nés respectivement en 1984, 1986 et 1989.

Les époux avaient acquis en copropriété, par moitié chacun, une villa (ci-après : la villa) sise au ______ à ______ , qui constituait leur domicile conjugal.

Par jugement du 4 janvier 2010, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé le divorce et ratifié l'accord des époux sur les effets accessoires. Celui-ci prévoyait à son article 4, sous le titre "liquidation du régime matrimonial", le transfert de la villa en pleine propriété au contribuable, de sorte qu'il en devenait l'unique propriétaire moyennant la prise à sa charge de la totalité des dettes hypothécaires grevant l'immeuble et le versement à l'ex-épouse d'une soulte de 300'000 fr.

Sur demande du Service de l'enregistrement de l'Administration fiscale cantonale (ci-après : l'administration) du 12 mars 2010, le contribuable a répondu, par lettre de son mandataire du 18 mars 2010, que la valeur vénale de la villa était estimée à 1'600'000 fr.

Par bordereau du 23 mars 2010 adressé au contribuable, l'administration a fixé les droits d'enregistrement pour le transfert de la villa à 24'056 fr. 10.

L'avis de taxation détaillait ces droits d'enregistrement comme suit :

Opérations

Valeur/nombre

Droits

Centimes additionnels

Total

Autre jugement

2

10.00

11.00

21.00

Cession immobilière

800'000.00

24'000.00

0.00

24'000.00

Autres actes et opérations

3

6.00

6.60

12.60

Timbre simple page à 2 fr. 50

9

22.50

0.00

22.50

 

 

24'038.50

17.60

 

TOTAL

 

 

 

24'056.10

Par courrier de son mandataire du 20 avril 2010, le contribuable a élevé réclamation à l'encontre de ce bordereau de droits d'enregistrement. Il a contesté le fait que le transfert de la part de copropriété, suite au jugement de divorce, ait été taxé comme une simple vente. Selon lui, il s'agissait du partage d'un bien matrimonial, qui aurait dû être soumis à l'article 62 alinéa 1 lettre b LDE. Le contribuable a fondé son argumentation sur un arrêt de l'ancien Tribunal administratif (ATA/548/2005).

Par décision du 21 juin 2010, l'administration a rejeté la réclamation pour les motifs suivants :

"La jurisprudence à laquelle vous faites allusion (ATA/548/2005) se réfère non pas au partage de l'article 62 LDE mais au partage de l'article 66 LDE qui précise que les soultes restent taxables en sus du droit de partage.

Le versement d'une somme de CHF 300'000 par [le contribuable] ainsi que la reprise de la dette hypothécaire constitue indubitablement une soulte taxable au taux de 3%. Les droits faisant l'objet du bordereau susvisé sont par conséquent maintenus."

Par courrier de son mandataire du 30 juin 2010, le contribuable a interjeté recours contre cette décision devant la Commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après la commission) en concluant, sous suite de frais, à l'annulation de la décision sur réclamation et à ce qu'un nouveau bordereau de taxation lui soit notifié.

Selon le recourant, le divorce impliquait la liquidation du régime matrimonial, qui comprenait la villa, de sorte que l'article 62 LDE était applicable.

Le recourant conteste aussi l'application, à titre subsidiaire, de l'article 66 LDE à la soulte de 300'000 fr. et à la reprise de la dette hypothécaire. La reprise de la dette hypothécaire par le contribuable ne pouvait être considérée comme une soulte, dès lors que la liquidation du régime matrimonial portait sur la valeur nette, soit la différence entre les actifs et les dettes.

Dans sa réponse du 11 avril 2011, l'administration a conclu au rejet du recours.

Elle expose que les ex-conjoints étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, lequel n'entraîne aucune liquidation proprement dite et est régi par les règles ordinaires applicables aux personnes non mariées. Ainsi, le partage de la copropriété n'est pas obligatoire et, le cas échéant, il serait soumis aux articles 650 et 651 du Code civil (CC), auxquels s'ajouterait l'article 251 CC relatif à l'attribution d'un bien en copropriété dans le cadre du régime de la séparation de biens.

Dans le cas présent, les ex-conjoints n'ont pas demandé l'application de l'article 251 CC. Il y a donc eu partage de la copropriété, par la vente de la part de l'ex-épouse au contribuable, selon l'article 651 alinéa 1 CC.

Enfin, pour l'administration, il est douteux que l'article 66 LDE puisse s'appliquer en l'espèce.

Par réplique de son mandataire du 25 mai 2011, le recourant a précisé que son ex-épouse avait sollicité, par requête de mesures protectrices de l'union conjugale avec mesures préprovisoires urgentes, la jouissance exclusive de la villa, mais que c'était lui qui l'avait finalement obtenue, compte tenu notamment du fait que ses trois enfants majeurs en formation y avaient encore leur domicile et qu'il assumait la totalité de leur entretien. Le transfert de la part de copropriété en faveur du recourant était ensuite apparu comme une évidence quand il s'était agi de régler définitivement les modalités du divorce. S'il n'y avait pas eu d'accord entre les ex-époux, le contribuable aurait certainement invoqué l'article 251 CC avec succès. Par conséquent, le recourant a soutenu que c'était pour des raisons tenant au droit de la famille, et non au droit de la propriété, qu'il avait acquis la part de copropriété de son ex-épouse.

Par lettre du 14 juin 2011, l'administration a déclaré persister dans ses conclusions précédentes.

Le détail de l'argumentation des parties sera repris en tant que de besoin dans la partie "en droit".

EN DROIT

Le Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal), qui a repris depuis le 1er janvier 2011 les compétences de la Commission cantonale de recours en matière administrative (art. 143 al. 4 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 – LOJ – E 2 05), connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre des décisions de l’Administration fiscale cantonale (art. 115 et 116 LOJ; art. 179 al. 1 et 2 de la loi sur les droits d'enregistrement - LDE - D 3 30).

Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des articles 178 alinéa 7 et 179 alinéas 1 et 2 LDE et 63 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10).

Le litige porte sur la question de savoir si le transfert de la part de copropriété de l'ex-épouse au recourant, lesquels étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, correspond à une vente immobilière soumise à des droits d'enregistrement de 3%, en application de l'article 33 LDE, ou à un partage lors de la liquidation du régime matrimonial, dont les droits s'élèvent à 1‰, conformément à l'article 62 alinéa 1 lettre b LDE.

Selon l'article 33 alinéas 1 et 2 LDE, relatif au transfert de biens immobiliers, sont soumis obligatoirement au droit de 3%, sous réserve des exceptions prévues par cette loi, tous les actes translatifs à titre onéreux de la propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit de biens immobiliers sis dans le canton de Genève, notamment les ventes, substitutions d’acquéreur, adjudications, apports et reprises de biens (al. 1).

Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière (al. 2).

A teneur de l'article 62 alinéa 1 lettre b LDE, le partage des biens matrimoniaux existant au moment du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, que ce partage ait lieu après le décès de l'un des conjoints ou de leur vivant, est soumis obligatoirement à l'enregistrement au droit de 1‰ et au minimum de 10 fr.

Selon la doctrine en matière civile, "la séparation de biens est un régime matrimonial réduit à sa plus simple expression, puisqu'il vise à assurer l'autonomie des époux dans la propriété, l'administration, la jouissance et la disposition de leurs biens ainsi que dans la responsabilité de leurs dettes. Ce régime ne produit aucun effet sur le patrimoine des époux. Les règles du droit commun s'appliquent à leurs rapports pécuniaires comme à ceux des personnes non mariées; les époux organisent leurs relations juridiques comme des particuliers quelconques (copropriété, société simple, contrat de travail, mandat, etc.). Il n'y a de participation ni pendant le mariage, ni lors de la dissolution. Il n'est pas nécessaire de procéder à une liquidation du régime matrimonial" (G. PILLER, Commentaire romand, Code civil I, 2010, N° 1 ad Intro. art. 247-251, p. 1502).

"La question de savoir s'il y a lieu à liquidation du régime de la séparation de biens est toutefois controversée. Si l'on retient par définition que le régime matrimonial est la conséquence du mariage sur le statut des biens des époux, on en déduira qu'aucune liquidation proprement dite n'est nécessaire puisque chaque époux est demeuré propriétaire de ses biens et titulaire de ses créances et autres droits. [...] A l'issue de la séparation de biens, les restitutions qui peuvent avoir lieu et le règlement des dettes réciproques qui peuvent s'opérer relèvent du droit commun, en application du Code des obligations [...] et des droits réels [...]" (G. PILLER, op. cit., N° 12-13, p. 1505).

"Le partage de la copropriété d'un bien acquis par des époux séparés de biens est régi par les règles ordinaires des articles 650 et 651 CC, auxquelles s'ajoute le mode de partage du droit matrimonial de l'article 251 CC" (G. PILLER, op. cit., N° 7 ad art. 251, p. 1517).

L'article 251 CC prévoit que lorsqu'un bien est en copropriété, un époux peut, à la dissolution du régime, demander, en sus des autres mesures prévues par la loi, que ce bien lui soit attribué entièrement s'il justifie d'un intérêt prépondérant, à charge de désintéresser son conjoint.

L'article 651 CC dispose quant à lui que la copropriété cesse par le partage en nature, par la vente de gré à gré ou aux enchères avec répartition subséquente du prix, ou par l’acquisition que l’un ou plusieurs des copropriétaires font des parts des autres (al. 1). Si les copropriétaires ne s’entendent pas sur le mode du partage, le juge ordonne le partage en nature et, si la chose ne peut être divisée sans diminution notable de sa valeur, la vente soit aux enchères publiques, soit entre les copropriétaires (al. 2). Dans le cas de partage en nature, l’inégalité des parts peut être compensée par des soultes (al. 3).

La notion procédurale de la liquidation du régime matrimonial est cependant plus large. Elle s'étend à toutes les prétentions pécuniaires entre époux, même séparés de biens, nées pendant le mariage, à moins qu'elles ne soient dénuées de tout rapport avec la communauté matrimoniale, telle une prétention résultant d'une responsabilité délictuelle. C'est ainsi qu'elle englobe l'attribution d'un bien en copropriété prévue par l'article 251 CC. Les litiges à l'issue d'un régime de séparation de biens ne sont pas soumis à un tribunal différent de celui qui est compétent pour connaître des contestations relatives à la liquidation de la participation aux acquêts ou de la communauté de biens (G. PILLER, op. cit., N° 14 ad art. 247-251, p. 1505-1506).

Il est vrai qu'en vertu du principe de l'autonomie du droit fiscal, la qualification de l'acte ayant donné lieu à la taxation litigieuse ne saurait se faire sous l'angle du droit civil (ATA du 26 novembre 1996 dans la cause R.; ATA du 28 novembre 1990 dans la cause S. et S.-D.).

Dans sa jurisprudence, l'ancien Tribunal administratif (remplacé depuis le 1er janvier 2011 par la Chambre administrative de la Cour de Justice) a néanmoins jugé que le régime matrimonial de la séparation de biens excluait sa liquidation lors d'un divorce (ATA du 26 novembre 1996 dans la cause R.). Les juges cantonaux avaient confirmé le bordereau de droits d'enregistrement fondés sur l'article 33 alinéa 2 LDE concernant la cession à l'ex-époux d'un droit d'usufruit sur la maison conjugale, fixée par convention sur les effets accessoires du divorce.

Ce même tribunal a également considéré que la cession d'une part de copropriété à titre onéreux - en l'occurrence par la reprise de la dette hypothécaire et le paiement d'une soulte - suite à un jugement de séparation de corps d'époux mariés sous le régime de la séparation de biens, correspondait à une vente taxable selon l'article 33 LDE (ATA du 28 novembre 1990 dans la cause S. et S.-D.).

Par sa part, l'ancienne Commission cantonale de recours en matière d'impôts a estimé, dans le cas d'un couple qui s'était marié sous le régime de la séparation de biens, que la cession d'un immeuble à l'ex-conjoint en paiement d'une indemnité selon l'ancien droit du divorce (art. 151 al. 1 CC) tombait sous le coup de l'article 33 LDE. Dans cette affaire aussi, une convention des ex-époux prévoyant le transfert de l'immeuble de Monsieur à Madame en compensation de la perte du droit à l'entretien avait été homologuée par le juge du divorce (DCCR/176/1995 du 19 octobre 1995).

Il résulte de ces jurisprudences que, dans la mesure où la question de l'existence d'une liquidation du régime de la séparation de biens serait encore incertaine en droit civil, cette question a été clairement tranchée sous l'angle du droit fiscal, qui retient le point de vue selon lequel les deux époux séparés de biens doivent être entièrement assimilés à des propriétaires privés en dehors de l'existence d'une convention matrimoniale.

En l'espèce, la convention ratifiée par le juge du divorce mentionnait que le contribuable se voyait attribuer la pleine propriété de la maison conjugale de ______ moyennant la reprise de l'intégralité des dettes hypothécaires existantes et le versement à son ex-épouse d'une soulte de 300'000 fr.

Conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, il y a lieu de considérer que le transfert de cet immeuble en faveur du recourant a eu lieu à titre onéreux, par la reprise des dettes hypothécaires et le versement d'une soulte. Au demeurant, celle-ci correspond plutôt au prix de vente payé par le contribuable à son ex-épouse, dans la mesure où la soulte est normalement une compensation pour des biens partagés ou échangés.

Par ailleurs, peu importent les termes employés par les ex-joints à l'article 4 de leur convention de divorce, à savoir "liquidation du régime matrimonial", opération qui ne pouvait exister, compte tenu des principes précités relatifs à la séparation de bien.

En outre, même si l'on s'écartait de la jurisprudence fiscale susmentionnée en faisant une distinction selon que l'acquisition de cette part de copropriété a lieu en application de l'article 251 CC ou de l'article 651 CC, le recourant a admis qu'il n'avait pas fait usage de l'article 251 CC, puisque les ex-époux s'étaient accordés sur ce transfert de part de copropriété.

Enfin, l'ATA/548/2005, dont le recourant ne se prévaut d'ailleurs plus au stade de la présente procédure, ne s'applique pas au cas d'espèce. Il s'agissait en effet d'une situation dans laquelle plusieurs copropriétaires (et propriétaires communs sur certains biens) avaient décidé d'un partage de l'ensemble des biens. Le Tribunal administratif avait été amené à cet égard à préciser la différence entre un échange et un partage. En l'occurrence, l'absence de régime matrimonial à liquider empêche de considérer que l'on puisse avoir affaire à un partage au sens de l'article 62 LDE.

C'est donc à bon droit que l'administration a taxé le transfert de la part de copropriété en application de l'article 33 LDE. Le bordereau de droits d'enregistrement du 23 mars 2010 est dès lors confirmé.

Partant, il n'y a pas lieu d'examiner la question de l'application de l'article 66 LDE à titre subsidiaire, ce d'autant plus que le recourant la conteste et que l'administration doute de sa justification.

Le recours étant rejeté, un émolument de 500 fr. est mis à la charge du recourant en application des articles 87 alinéa 1 LPA et 1 et 2 du règlement genevois sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative (RFPA – E 5 10.03).

Le montant de cet émolument est entièrement couvert par l'avance de frais de 500 fr.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

déclare le recours recevable ;

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de 500 fr., lequel est couvert par l'avance de frais de 500 fr. ;

dit que, conformément aux articles 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de droit public de la Cour de Justice (18 rue du Mont-Blanc, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant;

communique le présent jugement à :

Monsieur X ______;

l'Administration fiscale cantonale.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Philippe EHRENSTRÖM et Joseph RIEDWEG, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

 

 

Copie conforme de ce jugement a été communiquée aux parties.

Genève, le La greffière